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31VII
INTERVENTION ANGLO-FRANÇAISE
ОглавлениеCependant les affaires allaient au plus mal pour Montevideo, lorsque l’intervention anglo-française vint faire cesser le blocus; les deux puissances alliées s’emparèrent de la flotte ennemie, et se la partagèrent.
Alors on résolut une expédition sur l’Uruguay.
Le but de cette expédition était de s’emparer de l’île de Martin-Garcia, de la ville de Colonia et de quelques autres points, et principalement du Salto, par lequel on pouvait ouvrir des communications avec le Brésil, en même temps que l’on y formerait un noyau d’armée de campagne destinée à remplacer celle qui était détruite.
J’embarquai deux cents volontaires sur ma flottille, et je me dirigeai sur le fort de Martin-Garcia. Nous le trouvâmes abandonné par l’ennemi, et nous l’occupâmes.
La ville de Colonia était abandonnée de même, lorsque se présentèrent devant elle l’escadre anglo-française et notre petite flottille.
La légion italienne descendit, combattit et repoussa le général Montero, qui se trouvait, avec des forces supérieures, de l’autre côté de la ville.
Les escadres, pendant ce temps, je ne saurais dire dans quel but, ouvrirent un feu très-vif contre la ville abandonnée; elles mirent leurs troupes à terre et ces troupes formèrent notre réserve pour l’attaque contre le général Montero.
Vers les deux heures de l’après-midi, nous fîmes notre entrée dans la ville.
La légion italienne fut casernée dans une église; je donnai les ordres les plus sévères pour qu’on respectât les moindres choses appartenant aux habitants ennemis, forcés d’abandonner leurs maisons.
Inutile de dire que les légionnaires obéirent religieusement à mes ordres.
La ville fut gardée et fortifiée par les nôtres, qui y laissèrent garnison. Les flottilles anglaise et française entrèrent dans le Parana et détruisirent, dans un combat qui dura trois jours, les batteries commandant le cours du fleuve.
La résistance de l’ennemi fut héroïque.
Je continuai alors, avec ma petite flottille, composée d’un brick, d’une goëlette et de plusieurs petits bâtiments, à remonter le fleuve.
Pendant tout le temps que nous avions marché de conserve, l’amiral français et le commodore anglais m’avaient témoigné la plus vive sympathie, sympathie dont l’amiral Lainé particulièrement me continua les preuves.
Bien souvent l’un et l’autre vinrent s’asseoir à notre bivac et goûter de la chair boucanée qui faisait notre seule nourriture.
Anzani, qui nous accompagnait dans notre expédition, partageait cette honorable sympathie. C’était un de ces hommes qu’on n’avait besoin que de voir pour l’aimer et l’estimer.
Tandis que notre flotte remontait l’Uruguay, nous vîmes se réunir à nous quelques hommes de cavalerie commandés par le capitaine de la Cruz, véritable héros, c’est-à-dire homme du plus beau caractère et du plus grand courage.
Ces quelques hommes suivirent la flottille en côtoyant l’Uruguay, et nous servirent énormément, d’abord comme explorateurs, et ensuite comme fournisseurs de vivres.
Ils occupèrent différents pays, las Vacas, Mercedes, etc.
L’ennemi, partout où on le rencontrait, était battu.
Paysandu, forteresse de la plage de l’Uruguay, essaya de nous écraser sous son artillerie; mais, en somme, elle ne nous fit pas grand mal.
Au-dessus de Paysandu, nous prîmes position dans une estancia appelée l’Hervidero, où nous restâmes plusieurs jours.
Le général Lavalleja tenta sur nous une attaque de nuit avec infanterie, cavalerie et artillerie; mais il fut repoussé avec des pertes considérables par nos invincibles légionnaires.
De l’Hervidero, j’écrivis au gouvernement par l’intermédiaire du capitaine Montaldi, qui retournait à Montevideo sur une goëlette de commerce; la goëlette fut attaquée en passant devant Paysandu, enveloppée par les embarcations ennemies, et prise après une vigoureuse résistance du capitaine Montaldi, qui, abandonné seul sur le pont, fut fait prisonnier.
Une foule de barques, naviguant sous bannière ennemie, tombaient chaque jour en notre pouvoir. Je laissais la plus grande partie de ceux qui les montaient libres de retourner vers les leurs.
Gualeguaychu, ville située sur la rive droite de l’Uruguay et sur le Gualeguay, dans l’Entre-Rios, tomba par surprise entre nos mains.
Ce fut là que je repris ce même don Leonardo Millan qui, autrefois, me tenant prisonnier, m’avait fait donner l’estrapade.
Il va sans dire que je lui rendis la liberté sans lui faire aucun mal, lui laissant, pour toute punition, la peur qu’il avait eue en me reconnaissant.
Gualeguaychu fut abandonnée: ce n’était pas une position tenable; mais elle paya une bonne contribution en argent, en habits, en armes.
Enfin, après une foule de combats et d’aventures, nous arrivâmes, avec l’escadre, au lieu dit le Salto, parce que l’Uruguay forme en ce lieu une cataracte, et n’est plus navigable au-dessus de cette cataracte que pour les petites barques.
Le général Lavalleja, qui occupait le pays, l’abandonna dès notre arrivée, forçant tous les habitants à le suivre.
Le pays, au reste, était parfaitement approprié au but de l’expédition, ne se trouvant pas trop loin de la frontière.
Je résolus de nous y établir.
Ma première opération fut, en conséquence, de marcher contre Lavalleja, campé sur le Zapevi, affluent de l’Uruguay.
Je mis en route, pendant la nuit, notre infanterie et les quelques hommes de cavalerie commandés par de la Cruz.
Au point du jour, nous étions près du camp, que nous trouvâmes défendu, d’un côté, par les chariots, de l’autre, par l’Uruguay, et adossé au Zapevi.
Je formai mes hommes en deux petites colonnes, et, avec ma cavalerie sur mes ailes, je marchai à la charge.
Après un combat de quelques minutes, nous étions maîtres du camp; l’ennemi était en pleine fuite et passait le Zapevi.
Le résultat de cette opération fut d’abord le retour au Salto de toutes les familles qui avaient été entraînées violemment hors de chez elles.
Nous fîmes à peu près cent prisonniers à l’ennemi, et lui prîmes beaucoup de chevaux, de bœufs, de munitions et une pièce d’artillerie, la même qui avait tiré sur nous à l’attaque de l’Hervidero; elle était de fonderie italienne et portait sur le bronze le nom de son fondeur, Cosimo Cenni, et la date 1492.
Cette expédition fit le plus grand honneur à la légion et eut de grandes conséquences. Environ trois mille habitants rentrèrent dans leurs foyers.
Dirigés par Anzani, mes légionnaires s’occupèrent aussitôt d’élever une batterie sur la place de la ville, position qui dominait les alentours.
J’envoyai des courriers au Brésil pour me mettre en communication avec les réfugiés, et, grâce à eux, commença la réorganisation d’une armée de campagne.
En peu de temps, la batterie fut construite et armée de deux canons; si bien que, le soir du 5 décembre 1845, elle se trouva prête à répondre aux attaques du général Urquiza, qui se présenta, dans la matinée du 6, avec trois mille cinq cents hommes de cavalerie, huit cents d’infanterie, et une batterie de campagne.
Mes dispositions furent celles que l’on prend quand on veut centupler les forces matérielles par l’influence morale.
J’ordonnai à l’escadre de se retirer et de ne pas laisser une seule barque à notre portée. Je répandis mes hommes dans les ruelles, les leur faisant barricader et ne laissant ouvertes que les principales rues. Je publiai un ordre du jour énergique, et j’attendis Urquiza, qui, confiant dans sa force, avait déclaré à ses soldats que les hommes qu’ils avaient en face d’eux avaient des cœurs de poule.
Vers les neuf heures du matin, il nous attaqua sur tous les points; nous lui répondîmes par des feux de tirailleurs sortant de toutes les ruelles et par le feu de nos deux pièces de canon.
Le moment venu, et lorsque je le vis étonné de notre résistance, je le fis charger par deux compagnies de réserve, et il se retira honteusement, laissant bon nombre de morts et de blessés dans les maisons dont il avait commencé de s’emparer, et ne gagnant rien à son attaque que de nous emporter quelques bestiaux, et cela encore par la faute du piquet d’une embarcation de guerre anglaise qui, unie à un bâtiment français, nous avait suivis jusqu’au Salto.
Ces deux embarcations avaient offert de nous aider à défendre le pays; le piquet anglais changea en fort une maison qui défendait le Corral, où étaient enfermées environ six cents bêtes. L’ennemi envoya un détachement de son infanterie sur ce point; les soldats anglais furent pris d’une terreur panique, de sorte que, les uns s’enfuyant par les fenêtres, les autres par la porte, ils laissèrent toute facilité aux soldats d’Urquiza d’emmener les animaux.
Pendant vingt-trois jours, l’ennemi renouvela ses attaques sans obtenir aucun résultat.
La nuit venue, c’était notre tour; nous ne lui laissions pas un moment de repos. Nous manquions de viande; mais nous mangeâmes nos chevaux. Enfin, convaincu de l’inutilité de ses efforts, Urquiza prit le parti de se retirer, avouant qu’il avait, dans ses diverses attaques contre nous, perdu plus de monde qu’à la bataille d’India-Muerte.
L’ennemi, en se retirant, essaya de s’emparer de mes embarcations pour passer l’Uruguay; mais, grâce à ma surveillance, son projet ayant échoué, il fut obligé de traverser le fleuve douze lieues au-dessous; après quoi, il revint camper dans les champs de Camardia, en face du Salto.
Pendant qu’Urquiza tenait ce campement, je fis, en plein jour, passer le fleuve à quelques hommes de cavalerie, protégés par nos embarcations et par notre infanterie.
Cette petite troupe attaqua les hommes qui gardaient un immense troupeau de chevaux paissant dans les pampas, et, chassant une centaine de chevaux devant elle pour remplacer ceux que nous avions mangés, leur fit passer le fleuve et me les amena avant que l’ennemi fût revenu de sa surprise et tentât même de rien empêcher.