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16IV
PASSAGE DE LA BOYADA
ОглавлениеNous apprîmes à Montevideo la marche des hommes d’Oribe. Alors le général Paz résolut de profiter de cet affaiblissement de l’armée ennemie.
Au delà de Cerrito était un corps de dix-huit cents hommes, à peu près, observant le Cerro.
Nous partîmes le 23 avril 1844, à dix heures du soir.
Voici quel était le plan:
Attaquer le corps d’observation du Cerro; voyant cette attaque, Oribe enverrait au secours du Cerro et s’affaiblirait d’autant; pendant ce temps, la garnison sortirait et attaquerait le camp.
Nous suivîmes les bords de la mer, nous passâmes l’Arroyo-Seco, qui, malgré son nom, nous mit de l’eau jusque sous les épaules.
Au delà, nous prîmes la plaine et nous contournâmes le campement.
Nous marchions avec de telles précautions, que nous ne réveillâmes personne.
Enfin nous arrivâmes en vue du corps d’observation.
La garnison du Cerro devait sortir et seconder notre attaque. Une discussion s’éleva entre les deux officiers qui commandaient au Cerro, et qui tous deux voulaient prendre le commandement. Les dix-huit cents hommes en fuite, nous devions revenir sur Oribe et le prendre entre deux feux, le nôtre et celui de la garnison de la ville. Cette discussion fit tout manquer; la garnison sortit; mais, maître de toutes ses forces, Oribe la repoussa, et ce fut lui qui, à son tour, put marcher sur nous et exécuter le plan de bataille formé contre lui.
Nous fûmes donc attaqués à la fois par l’armée d’Oribe et par le corps d’observation; nous n’avions qu’une chose à faire: nous mettre en retraite sur le Cerro et faire, en reculant, le plus de mal possible à l’ennemi.
Je pris le commandement de l’arrière-garde, afin de soutenir cette retraite le plus vigoureusement que je pourrais.
Il y avait, entre nous et le Cerro, une espèce de rivière fangeuse qu’on appelait la Boyada. Il fallait la traverser avec de la boue jusqu’au ventre.
Pour tâcher de jeter du désordre dans le passage, l’ennemi avait établi sur un monticule une batterie de quatre pièces de canon qui se mirent à faire feu au moment où nous commencions à passer. Mais la légion italienne s’aguerrissait de plus en plus: elle ne fit pas plus attention à cette grêle de mitraille que si c’eût été une grêle ordinaire.
C’est alors que je vis quels braves gens c’étaient que nos nègres. Ils se firent tuer en attendant l’ennemi, un genou en terre. J’étais au milieu d’eux; je pus donc voir comment ils se comportaient. Le combat dura six heures.
Il y avait au service de Montevideo un Anglais.—Mon Anglais de la dernière campagne m’a plus d’une fois rappelé son compatriote.—Cet Anglais avait carte blanche de Pacheco, qui le connaissait, pour faire tout ce qu’il croirait utile à Montevideo. Il avait réuni une quarantaine ou une cinquantaine d’hommes. Nous l’appelions Samuel; je ne sais s’il avait un autre nom.
Je n’ai pas connu d’homme plus brave que lui.
Après le passage de la Boyada, je le vis arriver seul avec son ordonnance.
—Eh bien, Samuel, lui demandai-je, où est ton régiment?
—Régiment, cria-t-il, prenez garde à vous!
Personne ne parut, personne ne répondit; ses hommes avaient tous été tués, depuis le premier jusqu’au dernier.
Un ordre du jour du général Paz donna les plus grands éloges à la légion italienne: elle avait eu soixante et dix hommes mis hors de combat.
Nous rentrâmes à Montevideo par le Cerro.
Samuel s’occupa immédiatement de reformer son corps.