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II
PAUVRE HOMME

Table des matières

La jeune Caroline étant partie de la Morgue, suivie par deux agents, le commissaire avait immédiatement envoyé aux adresses données par la jeune ouvrière, et moins d’une heure après, un homme d’environ cinquante ans, élégamment vêtu, se présentait au greffe de la Morgue.

Il déclara au commissaire se nommer Verdier; on était venu chez lui, rue Gaillon, l’informer qu’une jeune femme vêtue d’un domino rose avait été trouvée morte le matin de ce jour. Sa femme, Hélène Verdier, était partie la nuit même de chez lui dans un costume semblable et n’était pas rentrée.

Le gardien, suivi du commissaire, conduisit l’homme près du cadavre.

Lorsqu’il vit le corps immobile et roide sur la dalle, le malheureux jeta un cri, tomba à genoux, et, saisissant les mains glacées de la victime, les dévorant de baisers, il dit, dans un sanglot déchirant:

–Ah! la malheureuse, c’était vrai!... Hélène. pauvre enfant! Hélène… pardonne-moi… Oh! mon Dieu!… mon Dieu!…

Et liocquetant de sanglots, pleurant, abîmé dans une douleur profonde, il allait tomber. Les employés le relevèrent, et le menèrent titubant au bureau du greffe.

Le commissaire le fit asseoir, puis ayant attendu quelques instants et le voyant plus calme, il lui demanda:

–Vous avez reconnu la pauvre femme… c’est elle que vous cherchiez?…

–Oui, monsieur, oui! la pauvre enfant… C’est ma femme. Hélène… Oh! mon Dieu, la retrouver ici… nue… répondit le malheureux suffoquant…

–C’est votre femme… et vous viviez ensemble?

–Oui, monsieur… Mais, je-vous en prie avant toute chose... Messieurs, enlevez-la de dessus cette dalle. Qu’on lui mette un vêtement. Retirez-la. vite et qu’on la reconduise chez moi…

–Il faut d’abord, monsieur, dit le commissaire, que nous constations la cause de la mort.

–La cause de sa mort! Hélas! monsieur, la cause de sa mort, c’est moi.

–Que voulez-vous dire?

–C’est moi, moi fou d’amour et jaloux, la tourmentant à toute heure, sans raison, sans motif je le vois maintenant… C’est moi qui suis la cause qu’elle s’est tuée.

–Tuée! dites-vous…

––Elle m’en menaçait sans cesse… Mais allez donc croire qu’une femme de vingt-huit ans, belle et riche, va se tuer…

–Et vous croyez que la pauvre femme!

–Une fois déjà, je lui ai arraché des mains un flacon qu’elle menaçait de boire…

–Il faut, avant que le corps vous soit rendu, que je dresse procès-verbal… Voulez-vous me dire vos nom et prénoms et m’expliquer les faits?

–Oui, monsieur…

Le commissaire, voyant l’idée d’un crime s’évanouir et la mort de la malheureuse femme s’expliquer de la façon la plus banale du monde: un suicide–se hâtait d’en finir…

Il dit aux employés de s’occuper du transport du corps, et le mari de la victime ayant rempli les formalités d’usage et déclarant être prêt à acquitter tous les droits, on s’occupa aussitôt de la lugubre cérémonie…

Resté seul avec le commissaire, le mari commença ainsi:

–Monsieur, je me nomme Antoine Verdier, je suis rentier, j’ai presque cinquante ans… et j’ai épousé il y a huit ans Hélène qui a vingt-deux ans de moins que moi… de cette différence d’âge est née notre incompatibilité d’humeur, de là les scènes, les tourments, les tracas qui ont amené ce malheur… Mon Dieu!

Vous savez, monsieur, ce qu’est la jalousie? Belle, jeune, légère, inspirant à tous le sentiment ardent que j’éprouvais, et me sentant moi, vieux pour elle, sérieux, sévère même, et par cela importun chaque fois que je parlais de la flamme qui me dévorait, et des tourments que j’endurais… A mon âge, amoureux et jaloux, jugez l’absurde mari–las de plaisir et lui refusant ceux que sa jeunesse, que son tempérament ardent réclamaient… Sa légèreté ou plutôt sa gaieté, son caractère original troublait à chaque instant ma confiance… Je doutais enfin de sa fidélité!…

–Aviez-vous eu au moins un motif?…

–Non, non!… C’est ma ridicule nature, mon doute en moi-même… qui m’ont fait l’accuser… pour en arriver là… Je suis un misérable…

Verdier pleura, pendant que le commissaire effaçait les notes qu’il avait prises.

–Deux fois déjà, à la suite de ces scènes de jalousie, elle avait quitté la maison et était allée demeurer à l’hôtel, me menaçant d’une séparation. Plus amoureux, je courus la chercher et la ramenai heureux pour quelques jours. Puis, quelques jours après, la pauvre enfant était rentrée trop tard, ou avait acheté un bijou… ou n’avait pas assisté au déjeuner… est-ce que je sais? Mes doutes me revenaient, les scènes recommençaient. A la suite de ces scènes elle disait souvent: «Vous serez la cause d’un malheur, je ne puis vivre ainsi, je me tuerai.» Mais toutes les femmes en disent autant; c’est une menace qu’on ne tient jamais. Je le croyais, hélas!…

–Mais, demanda le commissaire, une scène semblable avait-elle eu lieu entre vous ces jours derniers?

–Oui, monsieur… plus grave et cette fois, c’est mon excuse, plus motivée que les autres… Hélène aimait le monde, je J’ai en horreur; elle aurait voulu aller au bal, ce à quoi je n’ai jamais voulu consentir… Voir un homme lui prendre la main, lui sourire, enlacer sa taille, lui parler bas… un autre la tenant dans ses bras et boire son haleine… ah! je serais mort ou les aurais tués tous les deux!...

Deux ou trois fois elle avait voulu vaincre ma répugnance pour aller dans les bals originaux que des artistes de nos amis offraient. Là, sous le masque, on ne pouvait la reconnaître, disait-elle; puis elle ne danserait qu’avec moi, elle ne me quitterait pas le bras… Je refusai… Hier, à l’heure où elle me croyait endormi, j’entrai chez elle, étonné de voir encore de la lumière à cette heure: il était plus de minuit… Elle était costumée en domino rose et prête à sortir… Vous jugez, monsieur, de la colère que je ressentis, et de la scène qui suivit… Elle s’emporta d’abord, puis soudain elle m’ordonna froidement de rentrer, me déclarant qu’elle était libre… «Sinon, ajouta-t-elle, que sur vous seul retombe le poids de ce qui arrivera. C’est la dernière fois que vous me voyez…» Je haussai les épaules, et, comme une fois déjà elle m’avait menacé de s’empoisonner… que, plus calme, elle m’avait raconté avoir une petite fiole de poison dans un coffret, j’ouvris le coffre, pris la fiole et la jetai par la fenêtre… elle éclata de rire… Je sortis furieux en lui disant: «Cette nuit, madame, vous dormirez: la nuit porte conseil,» et je l’enfermai chez elle.

–Quelle heure était-il?

–Une heure du matin, environ. Le matin, en m’éveillant, j’allais pour essayer de faire la paix… La porte de sa chambre était ouverte… elle était partie.

–Elle avait des doubles clefs de l’appartement?

–Non, monsieur… je le croyais, du moins. Sur le guéridon de sa chambre était cette lettre.

Le mari de la morte donna une lettre au commissaire, qui lut:

«Ne vous en prenez qu’à vous du malheur qui arrive… Adieu! Vous ne me reverrez plus. Adieu!

» HÉLÈNE.»

Pendant que Verdier se lamentait, le commissaire disait:

–C’est un suicide, tout cela est clair. La malheureuse, folle de rage, craignant de manquer de courage, s’est empoisonnée; puis, de la rue Gaillon, elle a couru vers la Seine au quai des Tuileries, voulant se jeter à l’eau. Sur le quai, elle est tombée foudroyée par le poison: c’est ce que supposait tout à l’heure le docteur.

–Ainsi c’est moi! c’est moi qui l’ai tuée… pauvre Hélène! A cette pensée je deviens fou… Oh! mon Dieu… je veux la revoir… l’enlever d’ici… Où est-elle?…

Et sortant précipitamment du greffe, il se dirigea vers la salle d’exposition; mais, dans la pièce précédente, il se trouva devant la civière sur laquelle on venait de placer le corps…

Le malheureux se jeta sur les restes mortels de la belle Dame aux Violettes, prenant la tête entre ses bras, couvrant son front, ses yeux et ses lèvres de baisers, gémissant, pleurant et ne contenant plus les sanglots qui lui déchiraient la poitrine…

C’était un triste tableau, qui, malgré eux, émotionnait vivement les gens habitués à le voir.

Sur l’ordre du commissaire, on entraîna le malheureux Verdier défaillant, jusqu’au greffe, où il donna les signatures nécessaires…

–Monsieur, c’est un grand malheur, il faut du courage; je respecte votre douleur et la cause de la mort étant connue, je clos l’enquête… Le corps va être transporté chez vous Il faut être fort, imposer à votre douleur, écouter votre raison… Pour vous, pour la mémoire de celle que vous regrettez, il ne faut pas prêter à la médisance.

–Vous avez raison, monsieur… je serai fort!… Le commissaire reconduisit le mari jusqu’à la voiture.

–Du courage, monsieur, votre excès d’amour, en vous rendant quelquefois injuste, n’a rien fait en cette occasion: la raison était pour vous. Le malheur est le résultat d’une hallucination momentanée, commune à certaines natures dévorées de désirs. Vous avez fait votre devoir… pleurez… regrettez… mais ne craignez pas le remords.

–Merci, monsieur, merci.

La voiture partait lorsque Etienne et Crochin, les deux agents, revenaient tout contrits de n’avoir rien découvert.

–Nous nous étions trompés, dit le commissaire, ce n’était qu’un suicide.

Quelques heures après, le corps de la Dame aux Violettes était porté à son domicile, rue Gaillon.

C’était le soir. A la même heure, Caroline Vallier sortait de chez sa mère en disant:

–Il faut que je lui parle: peut-être ne sait-il rien.

Le domino rose

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