Читать книгу Le domino rose - Alexis Bouvier - Страница 5

Оглавление

III
LES AMOURS DE CAROLINE

Table des matières

La jeune couturière, après avoir descendu la rue Saint-Jacques, suivi les quais, traversé la Seine et le jardin des Tuileries, était entrée dans une maison de la rue Saint-Florentin; sans parler au concierge, d’un pas léger, elle avait grimpé les cinq étages, et s’apprêtait à frapper, lorsque, sentant la clef sur la porte, elle entra. Elle ferma vivement et sans bruit la porte, après en avoir retiré la clef. La pièce dans laquelle la jeune fille se trouvait était plongée dans une obscurité profonde, mais elle la connaissait, car la traversant, elle alla sans hésitation ouvrir une porte placée dans l’angle, et, s’arrêtant, elle demanda:

–Henri, es-tu là?…

–Qui est là? qui est là? répondit aussitôt une voix effrayée. Et l’on entendit le bruit d’un pas lourd, comme celui d’un homme sautant sur le parquet… en même temps dans l’obscurité un peu éclaircie par les lueurs de la fenêtre, la jeune fille put voir la silhouette d’un homme qui se mettait sur la défensive. Un sourire vint sur ses lèvres, et elle répondit:

–C’est moi… C’est Caro!…

–Ah! que j’ai eu peur, fit la voix de l’homme, avec un soupir.

–Et pourquoi?

–Je m’étais jeté sur mon lit tout habillé. tu m’as éveillé en sursaut, je ne savais où j’étais… Quelle heure est-il donc?

–Dix heures bientôt…

Et, tout en allumant une bougie, celui que Caroline avait appelé Henri lui demanda:

–Comment se fait-il que tu viennes si tard?…

–Je voulais te voir ce soir… et te parler…

–Me parler?

–Oui, te parler sérieusement.

La bougie était allumée, et M. Henri, un beau garçon d’une trentaine d’années, prit les mains de la jeune fille, l’attira vers lui, l’enlaça pour l’embrasser et la fit asseoir près de la lumière pour l’observer, pendant qu’il s’asseyait lui-même en face d’elle en disant:

–Sérieusement me parler, ma Caro, et qu’as-tu donc?…

Caroline Vallier releva la tête, et, regardant fixement Henri, elle dit d’un ton grave:

–C’est une réponse catégorique que je viens te demander.

Le jeune homme la regarda, fronçant les sourcils avec inquiétude; la tête de la jeune fille était en pleine lumière, et il chercha à lire sa pensée dans son regard. C’était audacieux de croire lire la pensée d’une femme dans ses yeux!… Mais, c’était une chose agréable à tenter en raison du tableau qu’elle offrait, car Caroline, la petite ouvrière, était admirablement belle, qu’on en juge:

Elle avait environ dix-huit ans, grande et robuste, mais fine de contours, souple et presque élégante d’attaches. Le corsage opulent se liait bien à ses épaules superbes, la gorge forte seyait à sa taille un peu longue, mais admirablement faite, le cou gracieux portait bien la tête, la santé courait sous la peau blanche et diaphane, une peau fraîche, velontée, claire de teint, le front haut, plein de pensées, les yeux vert bouteille paraissant noirs, fondus qu’ils étaient dans l’ombre de ses cils bruns, le nez fin aux narines roses, était droit, pur de profil, la bouche admirablement dessinée et magnifiquement garnie d’une double rangée de perles nacrées, était pleine de sourires… et de raillerie, les oreilles étaient mignonnes et roses, et l’ovale du visage s’encadrait dans une opulente chevelure rousse foncée dont l’éclat et le brillant faisaient encore valoir le teint de la chair. Le maquillage, les poudres, les fards, les pâtes et les mastics n’avaient jamais sali cette saine beauté.

Caroline Vallier était belle enfin, admirablement belle: aussi le regard d’abord inquisiteur du jeune homme devint-il presque aussitôt humide d’admiration.

–Tu ne peux te figurer Caro, dit-il, en souriant, combien les grands airs vont mal à ton beau visage, combien ta bouche semble rebelle à dire certaines phrases… Caro, il faut rire, tes dents et tes yeux le commandent.

–C’est de toi, Henri, que cela va dépendre!

–Que veux-tu dire?

–Tu pourras, aujourd’hui, me faire rire et pleurer.

–C’est absolument sérieux. Alors, parle.

Et se rapprochant d’elle, lui prenant une main dans chaque main, l’appuyant sur ses genoux, le corps courbé, la tête près de sa tête, il obéit lorsqu’elle lui dit:

–Oui, écoute-moi, et comme cela, les yeux dans les yeux, que nous puissions bien voir si c’est le mensonge ou la vérité qui glisse sur nos lèvres… Oh! ne souris pas! je lis dans tes yeux, moi, et j’ai toujours su y voir lorsque tu me mentais.

–Quand t’ai-je menti?

–Une fois!

–Une fois… Comment, et en quoi!

–En me disant que tu n’aimais que moi…

–Je n’ai pas menti, Caro, tu le sais bien, je t’aime…

–Tu m’aimes, je le sais, je ne dis pas que tu ne m’aimes pas, je dis que tu en aimes une autre…

La jeune fille sentit dans ses doigts le tressaillement des mains du jeune homme; mais le visage était resté souriant… Elle continua:

–Tu m’aimes mieux que cette femme… je le sais encore!… Mais cependant tu l’aimes assez pour avoir jusqu’à ce jour refusé de réparer la faute que tu m’as fait commettre… tu sais comment et par quels indignes moyens… Oh! je ne reproche rien, tu m’as promis, j’ai confiance en toi… J’ai attendu… j’attends encore…

Le jeune homme était devenu soucieux. Il avait retiré ses mains de celles de sa belle maîtresse et mordant ses lèvres, clignant des yeux, il observait ces yeux aux francs regards qui restaient obstinéments fixés sur lui, il écoutait cette voix brève qui parlait la vérité…

Il y eut un silence de quelques secondes, au bout duquel Henri dit:

–Tu reviens toujours à cette idée de mon amour pour une grande dame… pour une dame mariée!

–Oui, j’y reviens.

–Mais cent fois je t’ai dit, et je te le répète encore: c’est faux!

–Aujourd’hui, je t’ai demandé la vérité en te promettant de la dire. Depuis deux mois, je sais tout… Je t’ai vu une fois avec elle et je sais son nom. C’est une femme mariée qui mène une vie singulière avec tes amis du quartier Latin. Elle se nomme Hélène Verdier; vous l’appeliez la Dame aux Violettes et le portrait que tu as ici dans ce médaillon, que tu me disais être le portrait de ta sœur, c’est le sien!

Le jeune homme était devenu livide, ses lèvres s’agitaient sans parler.

La jeune fille reprit:

–Je sais plus encore…

Henri releva vivement la tête,

–Je sais que depuis longtemps tu voulais rompre avec elle, que tu ne le pouvais pas… qu’elle te poursuivait sans cesse, qu’elle était la cause du mal que j’endurais… je savais tout cela… et je ne t’ai jamais rien dit, Henri, est-ce vrai?

–C’est vrai! dit le jeune homme plus calme en hochant la tête.

–Et c’est bien le seul obstacle à notre union?… et tu m’aimes? et dégagé d’elle tu m’épouserais?… réponds-moi?…

–Je te le jure! Caro puisque tu sais cela!…… Je n’aime pas la personne dont tu me parles, je n’aime que toi, ce n’est qu’une question de temps.…je ne vois plus cette femme, mais notre union serait le sujet d’un scandale que je veux éviter.…pour elle et pour moi, car son mari est capable de tout.

–C’est bien la vérité? Regarde-moi en face pour me répondre.

–Oui, ma belle Caro.

–Tu ne l’aimes pas?

–Non.

–Plus du tout?

–Non.

–Tu la crains seulement?

–Je crains ce qu’elle fera. C’est une nature étrange, capable, dans un mouvement de colère, de se perdre en perdant tout le monde.

–Si elle se lassait.…si elle t’oubliait?

–Cela arrivera bientôt, et c’est pourquoi je te dis: ce n’est qu’une question de temps.

Et, attirant la jeune fille vers lui et l’embrassant amoureusement:

–Bientôt, ma Caro!

–Ecoute, Henri… tu n’as qu’à vouloir… Cette femme, dis-tu, t’ennuie, t’obsède… tu ne l’aimes pas… Eh bien, sache-le… elle est morte.

A ce dernier mot, le jeune homme se redressa, son regard rapide tourna autour de la chambre, puis se fixa, terrible, sur la jeune fille. Celle-ci, épouvantée, se recula tremblante en disant:

–Qu’as-tu?… Ah! mon Dieu! tu l’aimes… tu l’aimes…

Le jeune homme fit un effort, grimaça un sourire et ayant passé la main sur son front, il revint vers Caroline…

–Non… mais ce mot brutalement dit, a évoqué comme le fantôme de cette femme, j’ai eu peur. elle est morte!.. Morte, dis-tu?….

Ces mots étaient dits d’un ton bref, saccadé, qui inquiétait la jeune fille…

–Tu l’aimais…

–Mais non, ma Caroline… au contraire… ce genre d’amour, sans estime, finit toujours dans la haine ou dans le mépris… Non, je n’aime que toi…

Et la prenant dans ses bras:

–Caro, avant un mois nous serons mariés… je t’aime… Et il l’embrassa longuement…

Rassurée, la jeune fille raconta à son amant la scène du matin, celui-ci l’écouta attentivement… lorsqu’elle eut terminé son récit, il lui dit:

–Tu ne sais rien de ce qui est survenu?…

–Non.

Il dissimula l’émotion qui l’étreignait, et dit:

–Il est trop tard pour que tu retournes chez ta mère… tu resteras ici…

–Oui, répondit Caroline… car, seule cette nuit, je ne rêverais que de tout cela.

–Prépare tout pour souper… je vais descendre chercher ce qu’il nous faut pour manger un morceau, depuis presque quatre heures je dormais et j’ai oublié de dîner.

–Va et reviens vite, dit la jeune fille.

Ils s’embrassèrent; Henri descendit, et courut aussitôt dans la direction de la rue Gaillon.

Mademoiselle Caroline mettant le couvert disait pour s’excuser:

–C’est cruel ce que j’ai fait!... Je la haïssais cette femme… Elle est morte, je lui pardonne!… Mais Dieu est juste, puisqu’elle vivante, Henri ne m’épousait pas… Mon enfant alors n’aurait pas eu de père!…

Le domino rose

Подняться наверх