Читать книгу Le domino rose - Alexis Bouvier - Страница 9

II
CE QUE VAUT L’AMITIÉ DE MADEMOISELLE SIDIE

Оглавление

Table des matières

Maurice et Rochon étaient assis devant une table dans le jardin Bullier; ce dernier, l’œil allumé, le chapeau sur l’oreille, cherchait dans les femmes qui passaient un minois engageant. Maurice, au contraire, indifférent au bruit et au mouvement au milieu desquels il se trouvait, accoudé sur la table, sa tête dans sa main, rêvait à la belle Renée.

–Te voilà encore en voyage, dit Rochon; tu leur mets des ailes sur les épaules et des rayons autour des cheveux… Mais tu en feras une maladie de ta petite ouvrière.

–Je t’en supplie, Rochon, ne continue pas; tes soupçons, ou plutôt tes inventions, me font de la peine; c’est sérieusement, c’est sincèrement que j’aime Renée.

–Eh bien, tu as de la veine!… Vrai, tu en as un béguin comme ça et tu crois qu’elle n’a aimé et n’aimera que toi?

–Rochon!…

–Enfin tu crois que toutes les deux sont des anges? Ah! ah!

Et Rochon jetant un cri et éclatant de rire, s’écria:

–Regarde donc un peu là-bas. là-bas. près de l’orchestre, les voici.

Maurice s’était levé d’un bond, son regard avide suivit la direction du bras de son ami, et douloureusement stupéfait, il reconnut la grande Sidie. Il se dirigea aussitôt vers elle, suivi par Rochon, joyeux de son triomphe. Près de Sidie, Maurice chercha Renée; il respira en voyant que la grande fille était seule, Rochon, plaçant la main sur l’épaule de Sidie lui demanda:

–Eh bien! la maman sévère vous a donc laissée sortir?

Celle-ci se retourna d’un mouvement vif, prête à parler sérieusement à celui qui l’accostait aussi singulièrement; mais en reconnaissant les deux jeunes gens, étonnée d’abord, elle tendit la main à Rochon en disant:

–Comment! vous voilà ici, vous, le rigolo?…

–Et Renée? demanda anxieusement Maurice.

Les grands yeux noirs de Mlle Sidie se dirigèrent avec un regard étonné sur Maurice.

–Est-ce que vous plaisantez?… Renée ne va pas au bal… C’est assez rare déjà quand elle reste une heure avec moi après la journée.

Le jeune homme eut un soupir de soulagement.

–Donnez-moi donc le bras, dit Rochon, fidèle à ses habitudes, et allons donc nous rafraîchir un peu.

–Je veux bien.

–Vous avez l’air plus aimable, ici.

–Moi!.... que vous êtes bête. Ici, c’est pas la même chose. Voyons, devant cette petite, vous faisiez des charges…

–Ah! c’était pour elle?

Et, se penchant vers Maurice qui marchait à côté d’eux et avec l’intention de déclarer une chose absolument incroyable:

–Mais vous savez qu’elle est sage, Renée.

–Alors il n’y a pas longtemps que vous la connaissez, dit brutalement Rochon.

–Dites donc, insolen, fit en riant la grande fille, tapant d’un éventail sur le bras de son cavalier. Puis tout à coup passant son autre bras sous celui de Maurice et attirant à elle les deux amis, elle dit en balançant la tête:

–Franchement, entre nous, c’est rudement bête une fille sage!

Maurice reçut comme un choc: il retira son bras avec dégoût.

–Tiens, qu’est ce que vous avez donc, vous?

–Rien.

Rochon s’adressant à Maurice lui dit, du ton le plus naturel du monde:

–Si tu. n’es pas bête, avec Mlle Sidie, nous pouvons causer et arranger quelque chose, pour en finir avec cette petite fille-là.

Maurice regarda Sidie, puis Rochon, et, haussant lès épaules, il ne répondit pas. On était arrivé au bosquet, Rochon y ayant fait entrer Sidie, lui dit:

–Alors, ici, c’est pas comme là-bas: on peut s’embrasser?

–Ici, oui, fit en riant la grande fille… Et s’abandonnant à son cavalier, elle fit claquer sur ses lèvres un baiser sonore. Comme Maurice les regardait, souriant d’un air moqueur, Rochon lui dit:

–Es-tu content maintenant, , ai-je raison? ça t’étourdit!

–Et vous appelez ça de l’amour? demanda le jeune homme.

–Pourquoi pas? dit Sidie.

–Oui, c’est de l’amour! du vrai amour qui consomme, et pas à la conversation. Toi, tu es tout le temps en berger Louis XV, tu veux une bergère et un mouton. Moi, voilà, j’aime mieux une belle fille et un bon verre de vin. Ça c’est pas de la comédie, ça y est. Tiens, bois ma chérie!

–Déjà! exclama Sidie en éclatant de rire.

–Moi, vous savez, je n’y vais pas par quatre chemins. A quoi ça sert-il de faire des manières pour arriver toujours au même point?…

–Quelqu’un vous plaît, il faut que vous lui plaisiez.

–C’est bien plus malin, quand je serai là dans les coins des portes avec des yeux allumés, la bouche en cœur, à faire des discours… en voilà la preuve… tu vois bien que je t’aime! et en disant ces mots, Rochon embrassa la grande Sidie. Celle-ci se contenta de rire, Rochon l’amusait.

–C’est pas tout ça, Maurice est mon ami, la petite lui a tapé dans l’œil, il l’aime.

–Oh! elle vous adore, dit Sidie à Maurice, qui devint rouge.

–Tu vois, il rougit… Si tu savais le plaisir que tu lui fais en lui disant ça.

–Du reste, monsieur Maurice est assez gentil et assez comme il faut pour ça.

–Ah bien, crois-tu qu’elle t’en flanque, de la pommade… Ma petite Sidie, il faut nous occuper de lui.

–Je t’en prie, Rochon, occupe-toi de tes amours et laisse-moi les miennes.

–Es-tu bête; tu ne vas pas toujours être comme ça à la poésie. Voyons, Sidie, elle a une corde sensible, la petite Renée?

–Ecoutez, je vas vous dire: cette enfant, c’est son premier amour, raconta Sidie; elle vous adore, monsieur Maurice, et malgré sa volonté de rester sage, je suis certaine, quoi qu’elle dise, qu’il ne faudrait que l’occasion et un peu d’audace pour qu’elle soit votre maîtresse… Il faudrait ne pas la laisser réfléchir, sinon un beau-soir, prise de remords, elle racontera tout à sa mère, et celle-ci ne la quittera plus, vous pensez bien.

Maurice, d’abord fâché du ton que prenait la conversation, écoutait plus attentivement.

–Vous concevez, avec moi, elle ne se cache pas, je sais ce que l’on peut en faire… Vous lui parlez mariage, je sais bien ce que vous en pensez.

–Vous vous trompez, Sidie.

–Mais ne vous défendez donc pas, je n’irai pas lui dire, puisque au contraire je lui dis que si j’étais à sa place, je serais moins sévère: votre position vous permet de l’aider, et une fois ensemble, maîtresse de vous, elle serait plus à même de vous obliger à ce qu’elle voudrait.

–Pardi, c’est tout naturel, fit Rochon.

–En voilà un qui est fort! Est-ce que vous croyez que je pense un mot de ça?… C’est pour la décider, parce qu’ainsi on ferait des parties.

–A la bonne heure! voilà une vraie femme!... Tu n’as pas l’intention de passer ta vie à lui faire des discours, n’est-ce pas?… Eh bien, écoute Sidie.

–Que dois-je donc faire, selon vous, Sidie?

–Ecoutez, monsieur Maurice. Il faut brusquer la situation. Si vous voulez, demain je dis à Renée de venir chez moi sous un prétexte quelconque, elle vient, vous venez à votre tour, elle se récriera d’abord, mais, vous lui direz la vérité, et seul avec elle, vous ferez ce que vous voudrez.

–C’est indigne, ce que vous me proposez là, Sidie! fit le jeune homme en se levant et en quittant la table.

–Comment, indigne! fit la grande fille stupéfaite en regardant Maurice qui s’éloignait.

Rochon, haussant les épaules:

–Laisse-le donc, c’est un serin; il va réfléchir…

–Soyez donc gentille avec les amis…

–D’abord, fit en riant Rochon, sois donc aimable avec moi et ne nous occupons pas de lui, il va revenir, je le connais. Tiens, viens valser.

–Ah! vous m’agacez, vous, à me tutoyer maintenant.

–Fais donc pas de manières, viens valser.

Et en disant ces mots, sans s’occuper du semblant de résistance de la grande fille, il lui glissa la main autour de la taille et l’entraîna dans la valse.

La nature honnête de Maurice s’était révoltée à l’idée d’amener la jeune fille dans un guet a pens; il aimait véritablement Renée. Est-ce à dire qu’il pensait à en faire sa femme? Non, certainement, mais il voyait en elle plus qu’une affection passagère. En parlant de mariage à Renée, il se servait de l’éternel mensonge habituel en amour, mensonge qui n’a jamais trompé celle qui cède, mais quelle est aise d’avoir écouté et qu’elle feint d’avoir cru pour s’en faire une excuse.

Maurice aimait en heureux, en jeune, il voulait que l’ardeur, partant des lèvres en paroles brûlantes, des yeux en regards flamboyants, arrivât un jour à troubler assez les sens pour que grisé d’amour, folle de passion, embrasée de désirs, la jeune fille cédât: Mais le guet-apens tendu, la confiance trompée, la préméditation de la faute; tout cela lui répugnait.

Ce fut, pendant dix minutes, la pensée qui occupa son cerveau; puis revenant sur lui-même, il se dit qu’après tout ce que l’amie de Renée lui proposait ne devenait une lâche action qu’à la condition qu’il abusât de la situation qu’on lui faisait. Mais si, au contraire, seul avec Renée,–occasion qu’il cherchait sans cesse sans l’avoir trouvée,–il se conduisait en galant homme, c’était une délicieuse soirée qui lui était offerte. C’est sur cette idée qu’il revint à la table.

La grande Sidie, les cheveux épars, l’œil allumé, encore toute émue des caresses de la valse, était tombée sur une chaise et s’éventait, Rochon avait mis son binocle sur son nez en sueur, et regardait la marque de la bouteille de champagne qu’on lui servait, disant au garçon:

–Dis donc, toi frisé, c’est pas de la tisane que tu nous colles-là–Rochon tutoyait tout le monde –je t’ai demandé une première marque.

Apercevant Maurice qui s’avançait souriant:

–Tu viens pour savoir l’adresse de la famille, tu veux y aller du coup de l’habit noir et des gants blancs.

–Laisse-moi donc tranquille… je veux parler à Sidie.

–Il vient te demander l’adresse de ton logement.

–C’est vrai!

Sidie et Rochon éclatèrent de rire.

On entendit les accords d’une nouvelle valse, Sidie, infatigable, se leva en criant:

–La valse!

–Ah! non, fit Rochon, c’est bon une fois, je me fâcherais avec ma goutte… J’en aurais pour quatre jours de fauteuil. Non!…

–Venez, Sidie, dit aussitôt Maurice en prenant le bras de la grande fille, nous causerons en valsant.

Sidie jeta aussitôt son bras sur l’épaule du jeune homme, et son long corps eut les ondulations de couleuvre qui la rendaient si étrange.

Rochon, versant à boire, criait:

–Tu sais, ne lui fais pas de morale… Attends à demain.

Les deux jeunes gens se lancèrent dans les tourbillons de valseurs.

Et ramenant Sidie à sa place, Maurice disait:

–N’en parlez pas à Rochon, il se moquerait de moi, et ses rires me blessent… C’est convenu, à demain soir.

–J’en réponds, dit Sidie.

Rochon avait offert un verre au garçon, il avait bu avec lui, et voyant ses amis revenir et rire de le voir attablé, il fit comme eux.

–Maintenant, mon petit, dit-il au garçon, je t’ai assez vu, va à l’office.

Le domino rose

Подняться наверх