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AUX ESPRITS LIBRES
ОглавлениеQuand nous sommes entre nous, en petit comité, nous n’avons pas besoin de nous gêner; aussi arrive-t-il souvent, comme dit Gresset dans son Vert-Vert, que les f., les b. voltigent sur notre bec. Quand quelqu’un nous ennuie, nous lui disons: Tu m’entrouducutes, va te faire foutre. Quand nous voulons dire qu’un individu témoignait le désir de se comporter avec une femme de la manière la plus satisfaisante pour elle, au lieu de faire toute cette longue périphrase, nous disons: Il bandait comme un carme. Quand nous voulons exprimer tout le contraire, nous disons que c’est un vit mollet, un bande-à-l’aise. Un homme qui a du courage est un homme qui a des couilles au cul, etc.
Pour un étranger, tout cela est de l’hébreu. Il faut un dictionnaire pour comprendre les mots en usage; mais ne comptez pas sur celui de l’Académie, 6me et dernière édition; MM. les académiciens n’ont pas assez de couille pour avouer de pareils termes. Il faut quelques hommes d’esprit supérieur qui se dévouent.
Pour la langue française, nous avions déjà le dictionnaire intitulé: Erotica verba de M. de L’Aulnaye; ce dictionnaire se trouve à la suite de l’édition de Rabelais publiée par Desoer en 1820. Il est certainement très utile, mais il ne donne pas beaucoup d’expressions contenues dans d’autres auteurs contemporains de Rabelais ou plus modernes que lui. M. Auguste Scheler, l’érudit distingué, le savant bibliothécaire du roi des Belges, crut devoir, pour ce motif, refaire à nouveau ce dictionnaire, et il publia en 1861, sous le pseudonyme de Louis De Landes, son Glossaire érotique de la langue française (Bruxelles, pet. in-8o de XII 396 p.).—Notre excellent et spirituel ami Alfred Delvau voulut aussi refaire à nouveau ce travail; car lui, il avait eu le courage de descendre dans les bas-fonds sociaux, dans les bordels, dans les bastringues, dans les halles. Là, il avait recueilli nombre d’expressions pittoresques inconnues à ses devanciers. Il publia la première édition de son Dictionnaire en 1864. Tirée à petit nombre, elle fut promptement enlevée. Elle donna lieu à de nombreuses contrefaçons et à de fort mauvaises imitations. Delvau cependant avait préparé une seconde édition de son œuvre, plus châtiée et plus complète que la première, lorsque la mort nous l’enleva, en 1867. Nous recueillîmes ses épaves avec soin, et nous en faisons faire aujourd’hui, à petit nombre, une impression soignée pour les esprits libres et éclairés.
Delvau n’a pas eu le temps de faire une nouvelle préface pour sa nouvelle édition; nous allons, en conséquence, reproduire simplement la judicieuse Introduction de sa première édition. Nous la ferons suivre du remarquable Avant-propos placé par M. Auguste Scheler à la tête de son Glossaire érotique. Enfin, nous ajouterons, rivalisant avec les deux précédentes, la préface placée par Moncrif à la tête du Recueil du Cosmopolite; c’est l’une des plus spirituelles pièces de cet ingénieux écrivain, et en même temps une des plus rares et qui a rapport au sujet dont nous nous occupons: la petite révolte de la liberté de l’esprit contre les préjugés plus encore que contre les conventions sociales.
Un mot encore, et nous terminons. Dans la nouvelle édition, on remarquera que l’auteur s’est réellement borné cette fois au langage moderne et qu’il n’est pas remonté plus haut que Marot et Rabelais.
Il a négligé beaucoup de fantaisies niaises, prétentieuses et inusitées de quelques auteurs modernes, comme Nerciat, Rétif, la Tour du Bordel, ou d’argots de voleurs, de chiffonniers, etc.; par exemple, les mots inir (de Nerciat) hubir (de la Tour), pante, sinve (qui se trouvent dans le dictionnaire d’argot de Larchey), etc.
Enfin, il a supprimé quelques mots qui se retrouvent dans les dictionnaires français usuels: libidineux, lascif, impudicités, tendron, autel de la volupté, calice, etc. C’était superflu à répéter.