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IV. — GÉRARD ET LE PORTRAIT DE MADAME RÉCAMIER

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Gérard n’était pas encore, quand il peignit Madame Récamier, «le roi des peintres et le peintre des rois» que la Restauration et la mode devaient consacrer plus tard. Il venait d’échapper, mais à quel prix! à la tourmente de la Terreur. Pour le mettre à l’abri de la conscription, David n’avait rien imaginé de plus expédient que de le faire inscrire sur les listes du tribunal révolutionnaire, et, mis en présence de cette horrible corvée, la conscience et le cœur de Gérard s’étaient révoltés. Se dérober, c’était encourir l’accusation «d’incivisme» et tomber sous le coup de l’épouvantable justice dont il n’avait pas voulu se faire le complice.... Il feignit d’être malade, incapable de tout «service», et, par conséquent, de tout travail et de tout gagne-pain, dont le besoin se faisait pourtant cruellement sentir à son foyer nécessiteux. La générosité du bon Isabey l’avait discrètement et délicatement tiré d’affaire, et il voulut, en 1795, payer, dans la mesure de ses moyens, sa dette de reconnaissance en peignant, de son bienfaiteur, l’exquis portrait qui est au Louvre, et qui est son chef-d’ œuvre, un chef-d’œuvre parce que l’abondance du cœur y multiplia les vertus du talent.... Vous vous rappelez ce charmant et émouvant morceau: Isabey debout sur le palier de son atelier du Louvre qu’il vient de quitter, sa fillette à la main; il est tête nue, en veste de velours noir, culotte verdâtre et bottes à revers; la lumière tamisée l’enveloppe et le caresse d’une fine transparence en grisaille, et quelque chose de la tendresse des plus beaux Prud’hon se mêla ce jour-là à la palette du peintre qui se préparait à peindre sa Psyché recevant le premier baiser de l’amour....

Or, Mme Récamier, qui avait demandé à David son portrait, s’inquiétait de voir la tournure que lui donnait son peintre, alors tout rempli des Sabines, et elle s’adressa secrètement à celui qui lui paraissait le plus apte à entrer complaisamment dans son plus intime désir de plaire. Les séances se ralentirent chez David, — que les commandes multipliées du grand client qu’on ne pouvait faire attendre allaient d’ailleurs de plus en plus absorber, — et le portrait de la divine Juliette resta chez le peintre du Sacre à l’état de l’exquise ébauche que nous voyons encore au Louvre, tandis que celui de Gérard était achevé, parfait, du plus savant fini, avant 1805.... Le capricieux modèle s’avisa alors de retourner chez son premier peintre pour lui demander de reprendre les séances interrompues. On sait, par notre Delécluze, comment elle fut reçue: «Madame, lui dit-il sèchement, les artistes comme les femmes ont leurs caprices. Souffrez que je garde votre portrait dans l’état où nous l’avons laissé....» Il voulut même le détruire. M. Lenormant, par bonheur, arriva à temps pour acheter cette admirable «ébauche», où le chef-d’ œuvre est déjà réalisé et qui brille toujours au Louvre dans sa fleur de jeunesse, de grâce et de fraîcheur....

Heureux caprice de Juliette, qui nous valut le portrait de Gérard! La voilà donc représentée selon son goût, son cœur, par le peintre le plus habile à se faire le complice de sa plus secrète coquetterie. Généreusement décolletée selon la mode du temps dans sa robe à taille haute, à peine serrée sous la gorge charmante, les bras et les pieds nus, elle vient de se laisser choir sur les coussins tourterelle à ganses d’or d’un de ces fauteuils-canapés en bel acajou, comme en fabriquait alors le célèbre Jacob. Un sourire mélancolique de coquetterie résignée, d’adorable lassitude erre sur ses lèvres. A-t-elle eu à repousser déjà quelque déclaration trop pressante d’un adorateur moins paisible que l’inoffensif Ballanche, moins «pacifié » que Montmorency? Ces passions, que sa beauté allume, que sa bonté apaise, que sa charité soigne avant de les convertir doucement en amitié, se sont-elles révoltées? A-t-elle dû se défendre et gronder? Il y a comme un reproche et une nuance de découragement dans son caressant regard.... Un vague décor de tragédie classique l’environne, que prolonge, par-dessus une tenture de ce ton chamois havane alors fort à la mode, la perspective de l’Abbaye au Bois. Elle-même est vêtue, ou dévêtue, en princesse de tragédie ou d’élégie, et rien n’égale la grâce savante de ses bras nus et de ses mains abandonnées sur la grande écharpe jaune orangé jetée sur sa tunique blanche.

Sur la peinture française au XIXe siècle

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