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I. — LES DÉBUTS DE DAVID

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Qu’avant de devenir le maître impérieux de l’art «régénéré », le dictateur de «l’idéal», — lequel résidait alors, comme l’enseignaient les docteurs de l’École, dans «la régularité absolue», la représentation impersonnelle et abstraite de «l’homme, tel qu’aurait dû être son archétype... avant l’invasion des irrégularités, des dégradations et des déviations», et tel qu’on pouvait se le figurer d’après l’Antinoüs, l’Apollon du Belvédère et la Vénus des Médicis, — Louis David eût sacrifié aux grâces papillotantes et chiffonnées que Boucher, d’impure mémoire, avait servies et courtisées, qu’il eût, en ses jeunes années, participé au goût dépravé de la société corrompue que décima et décapita le vertueux jacobinisme, on le savait et on l’a assez dit.... Mais voici une occasion vraiment exceptionnelle de le constater sur le vif. Et du même coup, — par la brusque confrontation des chefs-d’œuvre nés des meilleurs désirs du peintre, de ses heureux et intermittents abandons à la peinture et à la vie, avec ses tableaux «de style», les pensums d’école de sa vieillesse, peints à grand renfort de formules et de tubes d’empois, — il sera loisible de vérifier les ravages que peuvent exercer l’esprit de système, le froid délire de la raison raisonnante.... Mais ce n’est pas une raison de méconnaître tant de belles œuvres où le vrai David se révèle tout entier.

Son histoire au fond est bien simple; on la suit ici à livre ouvert. Voici ses premières œuvres: deux portraits de 1769. Il a alors vingt et un ans à peine. Sur les conseils de Boucher vieilli, découragé et un peu aigri, il a été confié aux soins de Vien, qui jouait au chef d’école, et que Mme du Barry admirait, moins pour avoir entrepris de rendre à la peinture française «toute sa dignité » que pour avoir peint Vénus montrant à Mars ses pigeons qui ont fait leur nid dans son casque. Il est chez Vien, mais il est encore plein de Greuze et il aime Rubens, — et il sera trop heureux de continuer chez la Guimard l’œuvre inachevée de Frago. Un de ses oncles, le frère de sa mère, l’architecte Jacques Buron, lui a été particulièrement bienveillant et utile; il a plaidé sa cause auprès de ses parents quand il s’est agi de délaisser l’architecture, à quoi on le destinait (le grand-père était entrepreneur, deux oncles étaient architectes), pour la peinture. Il met tout son cœur de brave petit peintre dans les portraits de l’oncle et de la tante Buron.

L’oncle, avec sa face enluminée et assez mal rasée, son bel habit vert et or et son gilet orange, offrait une admirable matière à un peintre réaliste, coloriste et ami des généreux empâtements. Le jeune David l’aborda avec une rare franchise et comme s’il avait étudié déjà les meilleurs et plus savoureux portraits de Greuze. Certes, il apprendra par la suite beaucoup de choses qu’il ne sait pas encore, mais les plus belles œuvres seront celles où il retrouvera la spontanéité, l’entrain et la chaleur de ce premier morceau. Quand il peindra, treize ans plus tard, d’une pâte plus mince, la large et bonne tête aux gros sourcils débonnaires de son autre oncle, l’architecte Demaison, en habit rose et gilet d’or fleuri, il s’y montrera, certes, portraitiste excellent, — et, dans les détails et accessoires, compas, crayon, peintre de nature morte singulièrement habile et savoureux, — mais on dirait que, devant cette figure haute en couleur et qui eût mis en verve un Jordaens, il est déjà en garde contre les entraînements du pinceau et du «métier».

La tante Buron (1769) est aussi un franc et bon portrait. La vérité physionomique est serrée de près avec une curiosité affectueuse; tous les éléments pittoresques du costume sont mis en œuvre avec entrain. La bonne dame lisait, et elle tient ouvert devant elle le livre à brochure jaspée que l’on voit souvent aux mains des charmantes liseuses du XVIIIe siècle; mais elle vient de suspendre sa lecture, le front encore appuyé sur la main gauche; son regard passe par-dessus la page interrompue, comme si elle s’apprêtait à répondre, sa large bouche aux lèvres épaisses complétant l’expression des yeux, à quelque question d’un interlocuteur invisible. Elle ne se soucie pas du tout de savoir si l’art a pour mission de rechercher, par la beauté, «le type fondamental de l’espèce», et de nous ravir «au stérile domaine de la réalité ». Elle vit, elle lit et prend plaisir à sa lecture, et son jeune peintre ne s’embarrasse pas non plus d’esthétique et de théories.

Trois ans plus tard, nous le retrouvons en plein travail pour le concours du prix de Rome, qu’il devait manquer deux fois avant de l’obtenir. C’est d’abord (1772) Apollon et Diane perçant de leurs flèches les filles de Niobé. Boucher, mort depuis deux ans, ne put pas voir ce morceau; il y eût reconnu son esprit et en eût été ravi; il eût pu constater qu’il n’avait pas à réagir autant qu’il l’avait craint contre les conseils de Vien. «Venez me voir, avait-il dit au petit David (s’il faut en croire le propos si souvent cité, rapporté... et peut-être inventé par Miette de Villars dans les Mémoires de David, p. 53), venez me voir souvent, je corrigerai les défauts de ce maître en vous apprenant à mettre de la chaleur el à casser un bras et une jambe avec grâce.» Cette touche fouettée, ces accents roses prestement posés du bout du pinceau, cette déesse tireuse d’arc nonchalamment couchée sur les nuages, ce ragoût de couleurs claires et fleuries, qu’est-ce, sinon encore du Boucher? Et la Mort de Sénèque (1773), pour laquelle David avait si bien espéré son premier prix qu’il voulut se tuer quand il se le vit refuser? C’est encore du plus frivole XVIIIe siècle. Sénèque, entouré de jolies femmes galamment dévêtues de vert céladon, de rose tendre et de bleu turquoise, comme d’un bouquet de fleurs éclatantes, meurt ou s’apprête à mourir avec la bonne grâce et dans un décor qui conviendraient à un épicurien. Pourtant les personnages, guerriers et médecins, qui l’entourent, témoignent, à leur manière et selon le goût du temps, avec une sensibilité faite pour émouvoir Diderot, que leur peintre vient de mériter le prix d’expression. Le morceau eut un grand succès, et on accusa Vien d’avoir, dans un accès de mauvaise humeur, privé du premier rang son élève indocile. Cochin l’admirait fort: «N’allez pas, comme tant d’autres, disait-il, deux ans plus tard, à David, n’allez pas vous perdre à Rome; rappelez-vous votre charmant tableau de Sénèque!»

David ne se tua pas; le bon Sedaine, dont il fit cette année-là le portrait, et son oncle Buron le persuadèrent de vivre et, l’année suivante, sa constance fut enfin récompensée: Érasistrate découvrant la maladie d’Antiochus dans son amour pour Stratonice lui valut ce premier prix tant désiré. On peut, à y regarder de près, constater ici un commencement de conversion; des influences ou des intentions plus austères commencent à se faire jour dans ce tableau, tout plein, d’ailleurs, de l’esprit de la vieille académie. Le médecin, surtout les deux femmes, dont une agenouillée près de Stratonice, à droite de la composition, sont vaguement poussinesques. C’est que, depuis quelques années, Poussin et Lesueur étaient invoqués comme des exemples à opposer au «dévergondage» de Boucher. Diderot, en même temps qu’il multipliait de pathétiques appels et rappels au Laocoon, à l’Apollon du Belvédère, au «grand style sévère et antique», à Raphaël, au Dominiquin, aux Carrache, proposait aussi aux jeunes peintres les œuvres de ce Poussin, qui savait «peindre comme on parlait à Sparte» ! Dès 1767, il s’écriait: «O le Poussin! ô Lesueur! où est le Testament d’Eudamidas? où est la Vie de saint Bruno?» Et, dix ans auparavant, le Mercure de France, à propos d’une gravure du Testament d’Eudamidas par Metray, avait commencé une campagne assez intermittente, il faut l’avouer, mais qui avait éveillé dans la littérature du temps de nombreux et significatifs échos.... On peut dire que David arrivait plutôt en retard!...

Le sujet même, choisi par l’Académie, avait été depuis quelques années, par l’influence de Winckelmann et de Raphaël Mengs, introduit, si l’on peut dire, dans le répertoire de la pédagogie académique européenne, comme la Mort de Socrate, Andromaque pleurant sur le cadavre d’Hector, Achille pleurant la mort de Patrocle, Philoctète blessé, Priam implorant Achille, Agrippine au tombeau (ou ramenant les cendres) de Germanicus, que des peintres anglais ou allemands établis à Rome (Gavin, Hamilton, Benjamin West, James Barry, Angelica Kauffmann, Gessner) ont déjà traités et que les gazettes (la Gazelle littéraire de l’Europe, le Journal étranger, le Mercure lui-même) ont signalés et commentés. — La préface du Salon de 1767 de Diderot reflétait assez ces préoccupations nouvelles. Ici encore David suivait le mouvement, bien plus qu’il ne le créait. Mais il allait bientôt y mettre sa marque impérieuse et sa terrible autorité....

Sur la peinture française au XIXe siècle

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