Читать книгу Cours élémentaire d'hygiène en vingt-cinq leçons - Aristide Reinvillier - Страница 4
EXTRAIT D’UN DISCOURS SUR L’HYGIÈNE
ОглавлениеL’hygiène est une science sociale appelée à rendre les plus éminents services à l’humanité ; mais pour bien faire comprendre son importance au point de vue des intérêts des populations et de leur avenir, il est nécessaire que nous jetions un regard en arrière.
Ce n’est qu’en établissant une comparaison sérieuse que l’homme peut se fixer sur une idée. Il n’en est pas des sciences comme de la poésie. Celle-ci s’appuie sur l’idéal, elle ne plaît en quelque sorte qu’aux contemplations extatiques. La science, au contraire, ne procède que par l’observation et ne déduit ses formules qu’après avoir pesé, mesuré et compté tous les faits.
On peut consulter l’antiquité grecque et romaine, et l’on y trouvera la preuve de cette vérité, que toutes les fois que les peuples ont méconnu les lois de l’hygiène ils ont eu à s’en repentir. Mais le moyen âge, dont les diverses nationalités s’étaient formées avec les débris du grand empire romain et avec les populations barbares du Nord, représente un chaos social bien plus saillant, bien plus caractérisé que l’âge antique. A cette époque de désastreuse mémoire, toutes les notions du bien et du mal étaient confondues. Tourmentés probablement du travail intérieur qui agitait le monde, préoccupés des douleurs d’un enfantement pénible qui devait amener l’ordre social actuel, les hommes d’alors négligèrent entièrement l’hygiène. Aussi, est-il difficile de trouver dans l’histoire des époques plus fécondes en fléaux. La voix s’épuiserait s’il fallait reproduire le tableau complet des diverses épidémies qui ont ravagé le monde dans cette période. Les descriptions qu’en ont laissées les historiens sont tellement épouvantables, que le choléra, qui a fait tant de victimes, n’approche pas de ces terribles pestes. Les tortures endurées par les malades, les gangrènes profondes et les vastes ulcérations qu’elles laissaient sur leur passage, la rapidité et l’horreur de la mort étaient telles, que les peuples trouvaient à peine des expressions pour peindre leur terreur.
C’étaient le trousse galant, le feu de saint Antoine, le mal des ardents, etc., et ces maladies, dont heureusement nous n’avons plus les analogues, disparassaient pour revenir peu de temps après.
Si nous voulons nous expliquer pourquoi ces fléaux dévastateurs sévissaient avec tant de rage et de persévérance aux époques du moyen âge, plongeons du regard dans ce passé qui est heureusement loin de nous. Il n’est pas un de vous qui n’ait visité la Cité il y a une dizaine d’années. Vous vous rappelez sans doute ce que c’était: des rues étroites, obscures, humides, où le soleil pénétrait à regret. Eh bien, avec ce spectacle hideux sous les yeux, vous n’avez encore qu’une très-faible idée du moyen âge. Ces mêmes rues n’étaient pas pavées; l’eau sale et croupissante qui avait servi aux usages domestiques y séjournait, s’y corrompait et répandait dans l’atmosphère ses exhalaisons malsaines. Elles étaient si étroites, que deux ou trois personnes pouvaient à peine y marcher de front; dans quelques-unes, il y avait de grands égouts découverts; les maisons étaient si rapprochées, que nous voyons dans l’histoire qu’un prince, courant les aventures galantes et voulant éviter les regards jaloux, passait par dessus les toits et traversait les rues en sautant d’un toit sur l’autre. — Par toute la ville, les bouchers, les charcutiers avaient leurs tueries chez eux, et le sang s’y pourrissait; les animaux de toute espèce rôdaient dans les rues, qu’ils couvraient de leurs ordures; les immondices de toute sorte étaient déposées au coin des maisons et n’étaient enlevées qu’avec une extrême lenteur; chaque quartier avait un cimetière autour de l’église; chaque église, à son tour, avait des souterrains, où l’on entassait cadavres sur cadavres. Ajoutez à cela les voiries aux portes de la ville, les métiers insalubres, les abords fangeux des rivières, l’encombrement des malades dans les hôpitaux, encombrement tel, qu’il y avait jusqu’à six et même huit malades dans un même lit, les pieds des uns répondant aux épaules des autres, les vivants passant une nuit entière côte à côte des morts, et vous ne serez plus étonnés qu’avec une organisation semblable, qui était de même partout, les maladies pestilentielles aient ravagé les populations. Malgré toutes ces causes d’insalubrité si évidentes, lorsque la peste, le mal des ardents, le feu de saint Antoine se promenaient sur le globe en le dévastant, jetant partout la terreur et la consternation, semant partout la mort, eh bien, le peuple, ignorant quelle était la cause première de tous ces malheurs, atterré sous le poids du fléau, mais toujours sublime dans ses expressions poétiques, disait que Dieu avait déchaîné l’ange de la mort et des douleurs, et qu’il se vengeait parce qu’il voyait les grands se vautrer dans la fange du désordre et dans la barbarie, parce qu’il voyait partout le sang ruisseler sous la hache du bourreau ou sous le glaive du seigneur féodal; il faisait Dieu semblable à ces hommes cruels. Les insensés qu’ils étaient, leur délire allait jusqu’à nier la Providence de Dieu. Cet être immense que la raison et la science nous montrent toujours plein de bonté et de prévoyance, ils croyaient qu’il les abandonnait, parce qu’ils avaient abandonné la voie que Dieu avait tracée au génie humain; mais non, Dieu ne se vengeait pas, l’homme seul était son propre bourreau; en donnant à l’homme l’intelligence et le génie, Dieu lui a dit: Cette matière qui compose le globe, c’est ta propriété, mais façonne-la de manière à ce qu’elle serve à tes besoins. Si tu l’abandonnes à elle-même, malheur à toi, car elle ne tardera pas à t’écraser. Il faut que tu la domines, que tu la soumettes au frein, c’est une grande mission que je te donne, mais c’est la preuve de ta céleste origine.
Il en est des peuples comme de l’homme-individu, ils ont une enfance et un âge de raison, mais il y a cette différence immense en leur faveur, c’est qu’ils n’ont pas de vieillesse. Il peut y avoir des temps de doute, des moments d’incertitude, des époques de transition, mais il n’y a jamais de décrépitude. L’humanité obéissant à la loi du progrès qui lui a été imposée par Dieu même, marche toujours en avant.
Aussitôt donc que la société se fut organisée et que le calme fut rétabli, on s’aperçut enfin des causes qui enfantaient ces terribles fléaux; alors on se mit à l’œuvre, et de ce travail de tous les jours est sorti l’ordre social moderne. Autant le tableau que j’ai déroulé devant vous était affreux et désolant, autant celui que je vais faire passer maintenant sous vos yeux aura de charmes et de consolation.
Animés du même désir, de la même ambition, les peuples et les gouvernements interrogent les sciences, scrutent les secrets de la nature et les appliquent à leur bien-être. Partout vous voyez les rues s’élargir, les maisons s’écarter et donner passage à des flots d’air et de soleil; les eaux ménagères vont se cacher dans les vastes et innombrables égouts couverts, dont la pente est admirablement disposée et où elles ne séjournent jamais. Profitant d’une de ces admirables harmonies de la nature, les villes intelligentes plantent des arbres partout où elles peuvent, sur les quais, sur les boulevards, dans les carrefours; le vulgaire ignorant passe et croit tout simplement que c’est là pour récréer sa vue; sans doute cette considération est bien pour quelque chose, mais ce n’est pas la grande raison. Chacun de nos poumons verse dans l’atmosphère un air altéré qui n’est plus propre à entretenir la vie de l’homme, et qui, s’il n’était pas renouvelé constamment, finirait par amener la mort. Enfin, c’est le même cas que le cas du charbon, avec lequel la mode du suicide fait asphyxier tant de malheureux aujourd’hui. Eh bien, considérez cette admirable combinaison de la nature et courbons notre orgueil devant cette sagesse profonde d’une providence divine; ce même air qui nous tuerait est un air bienfaisant et vital pour les arbres et la verdure; ils s’en emparent, ils le respirent, ils gardent pour eux la partie qui nous est nuisible; ils rejettent dans l’atmosphère l’autre partie qui est la vie pour nous. A tous les coins de rue, de modestes bornes-fontaines ou des fontaines monumentales versent l’eau avec abondance, balayent toutes les immondices et rafraîchissent sans cesse l’atmosphère. La science a si bien établi que l’eau est un des éléments de la santé publique, que l’homme aujourd’hui, entraîné par l’instinct de la conservation, ne recule plus devant aucun sacrifice pour trouver des sources d’eau vive; il va creuser le sol à des profondeurs gigantesques, et là, dans les entrailles du globe, là où le génie antique avait placé le sombre empire de la mort, le génie moderne a fait jaillir une des sources de la vie.
Tels sont les bienfaits de l’hygiène, et c’est un point sur lequel j’appelle sérieusement votre attention; depuis que cette science est entrée dans les habitudes des gouvernements, les maladies épidémiques sont devenues fort rares: et, nous devons le dire à la gloire de la civilisation, lorsque par hasard un de ces fléaux vient apparaître en Europe, il a toujours pris naissance dans des contrées lointaines, où la civilisation n’a pas encore planté ses étendards. La peste a son berceau dans l’antique et immobile Egypte, et, malgré le génie des grands hommes qui l’ont gouvernée, elle dépeuple tous les ans les rivages du Nil. Le choléra nous est arrivé des limites de l’Indostan, où une religion fanatique, plongeant depuis des siècles les nations dans une extase permanente, leur a ôté l’énergie morale et l’activité physique.
Un jour viendra, et il n’est peut-être pas loin, où la société, organisée par l’hygiène, luttera en masse contre les agents destructeurs; et, lorsqu’on sera bien arrêté sur ce point, que ce n’est pas contre l’homme que l’homme doit diriger ses armes et son génie, mais contre la matière inerte, on verra alors disparaître du globe toutes ces maladies qui sont engendrées par le désordre matériel de la nature.
Ces marais fangeux qui portent partout la fièvre, desséchons-les; et le sol qu’ils inondent de leurs eaux fétides, riche de terre végétale, va se couvrir d’arbres dont la verdure, en décomposant les miasmes atmosphériques, ira porter dans nos poumons une vie nouvelle et plus puissante; ces gorges de montagnes, qui cachent dans leurs sombres profondeurs des populations souffrantes, élargissons-les, forçons le soleil à y plonger ses rayons bienfaisants; ordonnons aux machines d’abattre ces murailles de granit et à établir des courants d’air, et bientôt les crétins au teint pâle, au cou goitreux, au moral hébété, verront un sang pur circuler dans leurs veines, une intelligence plus noble fermenter dans leur cerveau.
Enfin, lorsque, abandonnant les routes étroites de l’égoïsme et se jetant noblement dans la voie du progrès social, l’industrie viendra au secours de l’hygiène; lorsqu’elle aidera l’humanité dans ses aspirations vers le bonheur; lorsque la vapeur, cette puissance formidable qui peut broyer des populations dans ses explosions terribles, lui prêtera ses forces de géant, alors l’hygiène aplanira les montagnes, exhaussera les terrains bas, dirigera les courants d’air, rafraîchira ou échauffera l’atmosphère, régularisera l’écoulement des eaux, et fera disparaître toutes les causes qui empêchent le perfectionnement de la société; alors seulement l’humanité aura atteint son but; alors seulement l’homme, véritable roi de la création, pourra dire à Dieu, orgueilleux de son œuvre: J’ai rempli ma mission.
Dr DE LANDRIMONT,
(Méd.-dom.)