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COMMENT VIVRE VIEUX?

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C’EST la question favorite que se posent, sans cesse, à eux-mêmes, les riches, les heureux du monde; ils veulent jouir le plus longtemps possible, et cela se conçoit, des faveurs que leur a octroyées dame Fortune. Pour eux, la forme la plus claire du Progrès, le but suprême de l’hygiène, le résumé de la science, résident dans l’éloignement de la vieillesse, et dans la possibilité de vivre bien portants et longtemps.

L’hygiène (vous le savez tous, chers lecteurs) est le véritable élixir de longévité, en vain cherché, durant des siècles, par tous les alchimistes; elle est le remède, unique et souverain, contre les imminences morbides. C’est surtout par les progrès de notre science, que la moyenne vitale a pu se doubler, depuis un siècle.

L’homme est incontestablement constitué pour vivre plus longtemps qu’il ne vit d’ordinaire: «Il ne meurt pas, il se tue,» disait déjà Sénèque à son ami Lucilius. Flourens, l’auteur d’un remarquable traité de la Longévité humaine, donnait, pour fixer la durée possible de la vie animale, les indications suivantes: la soudure des os étant faite, la croissance est terminée. Multipliez par cinq l’âge de la croissance accomplie: vous obtenez ainsi l’âge de la durée totale de la vie. Chez l’homme, la soudure des os n’ayant point lieu avant vingt ans, la vie devrait, idéalement, durer jusqu’à cent ans. Et pourtant, aujourd’hui, comme aux temps de Buffon et de Fontenelle, cent ans, c’est bien le gros lot de la vie! L’Italie, d’après M. Corradi, ne compte guère que 3 centenaires sur 100,000 âmes, et nous croyons que l’Italie est encore bien partagée sous ce rapport.

Pétrarque écrivait à son ami Boccace qu’il n’y avait rien de changé, depuis longtemps, dans la durée de la vie humaine. Il lui citait un passage de Moïse où il est dit que «si quelqu’un, parmi les plus forts, arrive à quatre-vingt-dix ou cent ans, ce sont années de peines et de douleurs». Il comparait la vieillesse à une boutique où tous les maux de l’humanité se donnent rendez-vous. Il rejetait, avec raison, toutes les panacées, recettes bizarres, électuaires merveilleux, prescrits par les empiriques de son temps, pour la prolongation de l’existence.

Les esprits les plus distingués, en effet, ont cru trouver, parfois, en dehors de l’hygiène normale, et même de la raison pure, les plus infaillibles systèmes de macrobiotique. Bacon pensait que le chaud et l’humide constituaient la vie: pour les maintenir intacts, il conseillait d’enduire la peau d’embrocations huileuses, de prendre des lavements fréquents et du sel de nitre à l’intérieur. Cardan (1552), philosophe non moins célèbre, ayant trouvé que le mouvement et la chaleur détruisaient la vie, conseillait tout bonnement, pour vivre vieux, de bouger le moins possible et d’imiter les arbres!! Valli, dans le but de retarder l’ossification, ordonnait l’abstinence du pain, de la viande et de tout ce qui peut renfermer du phosphate de chaux, ainsi que l’usage interne de l’acide oxalique, qui attaque et ramollit le système osseux.

Hufeland, pour retarder la consomption vitale, aimait à recommander ce procédé schoking, renouvelé du roi David et de la belle Sulamite. Il fallait, d’après lui, coucher avec des jeunes gens, ou mieux des jeunes filles, dont le parfum de viande fraîche prolonge les jours: «L’haleine de l’innocence, disait-il, contient une matière merveilleuse, ou un elixir vitæ, plus précieux mille fois que l’or potable.» A ce propos, un profane du temps, nommé Savaresi, écrivit à Hufeland, d’une plume sceptique: «Croyez-vous, véritablement, que la transpiration d’un Ganymède, ou même d’une Cléopâtre, agisse d’une autre façon que la simple vapeur d’eau chaude?...»

Avec l’hygiène, c’est évidemment l’hérédité, qui joue le plus grand rôle dans les phénomènes longévitaux. Chevreul comptait, parmi ses ancêtres, plusieurs nonagénaires. «On naît avec une disposition à vivre vieux, comme on naît avec une disposition à atteindre une haute taille,» ainsi que l’exprime excellemment le professeur Corradi...

C’est parce que le beau sexe enfreint beaucoup moins les règles de l’hygiène applicables à la vieillesse, que les femmes s’approchent, plus que les hommes généralement, de la vie séculaire, et la dépassent encore plus souvent qu’eux.

Appliquons-nous donc tous à bien vieillir, puisque vieillir (selon le mot si fin du bon Auber), vieillir est encore le seul moyen pratique que l’on ait trouvé pour vivre!

Or, l’hygiène de la vieillesse commence, pour ainsi dire, avec le maillot:

Quand on perd son avril, en octobre on s’en plaint,

chantait notre vieux poète Ronsard. Tous les physiologistes ont observé que les centenaires brillent par une parfaite unité de vie, et une régularité constante d’habitudes.

Quelle somme importante de vérité ne représente point ce simple tercet, inscrit par Victor Hugo sur les murs de Hauteville-House:

Lever à six, dîner à dix,

Souper à six, coucher à dix,

Fait vivre l’homme dix fois dix!

Chacun est sa Parque à soi-même et se file sa vie (Joubert) ce théorème est incontestable, pour qui raisonne de bonne foi.

Si nous voulons éviter que la vieillesse soit pour nous (ce qu’elle est trop souvent, hélas!) une véritable maladie, il faut renoncer à nos infractions constantes à l’hygiène et modérer l’intensité ardente de notre vie à la vapeur, afin d’en allonger la durée. Dès que nous nous trouvons du côté du versant occidental de l’existence, efforçons-nous donc de côtoyer, de plus près, l’hygiène rationnelle. Recherchons l’air pur et la lumière, vivifiante du soleil; fuyons les vicissitudes de l’atmosphère, les logements bas et humides, les professions insalubres, les écarts de régime, les émotions du jeu et de la politique. Abstenons-nous des veilles et des fatigues physiques et morales exagérées; arrangeons-nous pour avoir l’esprit calme, le ventre libre, le cœur gai, la conscience tranquille et contente (c’est dans ce sens que l’on a pu dire que la bonté est un élément de la longévité).

Évitons l’abus du tabac, et souvenons-nous que Pflüger, dans une statistique de quatre cents centenaires, déclare n’avoir rencontré qu’un seul fumeur sérieux .

Garder une juste mesure en toute chose, ce n’est guère, n’est-ce pas? le programme de la jeunesse. C’est pourtant celui qui est nécessaire pour vivre vieux. Se lever tôt et se coucher tôt, manger à des heures régulières, se garer autant que possible des brutalités météoriques: voilà d’indispensables conseils pour vivre vieux.

Certains auteurs prétendent aussi qu’il faut être pauvre pour devenir centenaire: sur les 83 centenaires français authentiques reconnus par le dernier recensement, il y avait, parait-il, 22 indigents, et 14 seulement jouissaient d’une certaine fortune. Il est incontestable (et tout le monde comprendra pourquoi, surtout lorsqu’on aura parcouru cet ouvrage), il est incontestable que la richesse tend à la santé de sérieuses embûches. L’argent, comme l’a dit Dumas, est un bon serviteur et un mauvais maître. Mais si la statistique des centenaires est moins favorable aux riches, cela ne tient-il pas aussi un peu, à l’infinie supériorité numérique des pauvres?

Toutefois, l’aisance moyenne, l’aurea mediocritas du poète, est assurément pour l’hygiéniste pratique, la meilleure plate-forme d’une longévité probable. Car le métier d’oisif est fort insalubre en réalité. En France, d’après les calculs de Levasseur, nous aurions, parait-il, (et cela est bien peu) une chance sur 18,800 de devenir centenaires, c’est-à-dire de tirer le gros numéro à la tombola de l’existence.

Continuons nos préceptes d’hygiène pour atteindre ce but, que nous souhaitons à tous nos lecteurs. La sobriété et la tempérance, «cette médicine la plus seüre et qui faict vivre le plus longuement,» doivent surtout être de mise. Lorsque blanchissent nos tempes, que nos appétits blanchissent aussi en même temps: évitons les indigestions et soignons les moindres dérangements survenus dans notre santé ; renonçons aux fonctions qui ne sont plus de notre âge; ayons toujours les yeux fixés sur l’axiome antique, sévère, mais juste: «Dux malorum fœmina.» Evitons avec soin les courants d’air et les refroidissements; faisons la toilette minutieuse et fréquente de notre peau; car c’est par elle, surtout, que nous vieillissons. Tel est le code de santé susceptible, selon le mot de Montaigne, de donner l’appétit de la vieillesse, parce que c’est lui qui, en réglant normalement la vie, est le plus sérieusement capable d’en assurer la prolongation. Telle faute contre lui, sans importance pour un jeune homme, même délicat, devient fatale au vieillard le plus vert. C’est pour cela que le malin Arouet disait qu’il ne savait rien de plus ridicule qu’un médecin qui ne meurt pas de vieillesse!

Il est très important aussi, pour celui qui tient à l’existence, d’habiter un pays où la police sanitaire soit en honneur et les maladies épidémiques à leur minimum. Nous ne connaissons pas encore celui que rêvait Méry, lorsqu’il disait:

S’il était un pays où l’on vécût toujours,

J’irais, avec plaisir, y terminer mes jours?

Mais nous savons que, parmi les grandes villes d’Europe, par exemple, c’est Genève qui est la plus salubre. La mortalité n’y est que de 17 pour 1000; Edimbourg arrive à 18, Paris à 21, Londres à 25, Berlin à 35, et Pétersbourg à 47...

Mais, la vie à la campagne est encore la meilleure pour celui qui rêve comme objectif de devenir centenaire. Nous l’avons dit ailleurs: les mouvements incessants des couches atmosphériques, l’intensité des phénomènes électriques et lumineux, et par-dessus tout, la bienfaisante action d’épuration qu’exerce une végétation luxuriante, ainsi que l’absence du miasme humain, mortel à l’homme des villes, — donnent à l’habitation rurale des qualités vivifiantes proverbiales. Nos organismes y trouvent la stimulation fonctionnelle et le perfectionnement nutritif: la longévité est le privilège du campagnard. L’homme des villes doit forcément se contenter du Kurtz und gut du poète allemand, et en faire (qu’il le veuille ou non) la devise de sa vie.

Du pain bis trempé dans un air pur, vaut mieux, comme on l’a dit, pour le sang, que le meilleur bifteck mangé dans l’air, cent fois ruminé, d’une grande ville. La fabrication du sang, l’hématopoièse, est, suivant Peter, la suprême fonction de l’animalité. Appliquons-nous donc à donner au sang la vigueur vitale la plus grande. La vie active à la campagne est ainsi le meilleur contre-poison de la profession peu salubre, de rentier.

Quant à notre manière de vivre, soyons sobres, mais, comme le veut Jean-Jacques, avec sobriété. Le meilleur régime pour vivre longtemps est encore celui que formulait si bien Celse, 50 ans avant J.-C.: ne s’abstenir entièrement d’aucune chose; se permettre même, à l’occasion, certaines infractions aux lois de la tempérance, mais vivre habituellement dans la modération. Ne veillons donc point trop dans l’hypnotisme de notre chère santé, sous peine de ressembler à ces avares, qui couvent leurs trésors au lieu d’en jouir! Suivons la méthode hygiénique de Celse; elle a eu deux admirateurs passionnés: le chancelier Bacon, et, de nos jours, le docteur Charles Robin. Cette méthode, qui a toute notre approbation, se résume dans la formule suivante: Combiner les contraires, alterner les extrêmes, en se portant toujours vers l’extrême le plus doux. Demi-veilles, suivies de sommeils prolongés, mais en insistant sur ces derniers; excès, puis sobriété dans le boire et le manger, mais plutôt sobriété ; vie active et vie sédentaire, mais plutôt active. Ce système tient en éveil la vigueur physico-morale, équilibre le système nerveux et le système nutritif, sollicite une crase sanguine plus favorable (fouette le sang, comme on dit vulgairement) et entraîne, en quelque sorte, l’organisme, sans le surmener. Il n’y a que les tempéraments exceptionnellement délicats qui se trouvent bien des régimes d’abstinence à la Cornaro!

L’histoire des doctrines médicales est celle du serpent qui se mord la queue. Jadis, tout fut alcali, phlogistique, esprits vitaux, irritation, cellule: aujourd’hui, tout est microbes. Nous avons essayé déjà de réagir contre ces exagérations doctrinales, si nuisibles aux médecins...., et surtout aux malades . Aujourd’hui, en étudiant les maladies de richesse, (c’est-à-dire celles que le pauvre n’a pas les moyens de se procurer, celles qui procèdent d’un excès nutritif, diamétralement opposées aux maladies de misère), nous pouvons, heureusement, nous cantonner strictement dans des questions d’hygiène et de thérapeutique usuelles. Toutes ces maladies, en effet, sont celles de l’individu, tandis que les maladies aiguës sont celles de l’espèce. Le trouble nutritif est le lien naturel qui anastomose, en quelque sorte, les états morbides chroniques: c’est lui qui nous rend compte de tous les emprunts, remplacements et permutations des diverses diathèses, dont Sydenham disait avec raison: «Morbi acuti Deum habent auctorem: chronici ipsos nos.» Ce que l’on peut traduire: Les maladies du travailleur viennent du dehors, celles du rentier viennent du dedans.

Montrer comment nous sommes fautifs, lorsque nous nous adonnons à la surabondance alimentaire; comment nous laissons, nonchalamment, accumuler, dans nos tissus vitaux, des produits cadavériques, toxiques et traumatiques pour ces tissus; formuler, enfin, la médication désassimilatrice, c’est-à-dire celle qui agit plutôt parce qu’elle emporte que par ce qu’elle apporte, — tel est le but de ce petit ouvrage.

Littré a comparé la nutrition à une toile de Pénélope, trame toujours sur le métier qui ne subsiste qu’à la condition d’avoir ses fils incessamment renouvelés. L’Hygiène des riches qui est celle de la nutrition, montrera, à toutes les pages, comment l’on peut, rationnellement, conserver intact «cet usufruit d’un agrégat moléculaire» qui constitue la vie. Et en disant la vie, on sait que nous pensons comme le poète ancien:

«Multum decipitur que falliturque:

«Non est vivere, sed valere, vita.»

L'hygiène des riches

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