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Chapitre I : Les contrebandiers.
ОглавлениеPar un beau jeudi de mai, vers dix heures du matin, la pittoresque localité de Beaujeu, accrochée au flanc des Alpes Dauphinoises, à quelques portées de fusil de la frontière savoyarde, était le théâtre d’une panique extraordinaire…
Des jeunes gens terrorisés traversaient en courant la grande place, faisant fuir devant eux des troupeaux d’oies qui agitaient éperdument les ailes… De vieux paysans cherchaient un refuge dans les auberges, dont les lourdes portes se refermaient avec fracas.
Un sacristain, l’air effaré, verrouillait promptement la porte de l’église… Des bergers se hâtaient de faire rentrer leurs bestiaux dans les écuries… Des femmes se sauvaient dans leurs maisons et s’y barricadaient avec leurs petits… Une pauvre vieille s’enfuyait sur ses béquilles, s’efforçant péniblement de regagner son modeste logis… Des gamins se terraient dans des buissons… et parmi les abois des chiens aux poils hérissés et aux gueules menaçantes, une rumeur montait d’un groupe de paysans, prudemment dissimulés derrière un mur, à l’entrée du pays.
La bande à Mandrin ! La bande à Mandrin.
Bientôt, une troupe de cavaliers coiffés jusqu’aux yeux de larges chapeaux couverts de poussière, armés jusqu’aux dents et encadrant plusieurs mulets chargés de ballots de tabac d’Espagne, débouchait sur la place déserte.
A leur tête un homme d’une trentaine d’années, monté sur un superbe cheval blanc… Très grand, musclé, son fier visage encadré d’une longue chevelure dont les boucles flottaient au vent, la taille entourée d’une ceinture de cuir, à laquelle pendait une immense rapière, et où s’accrochaient deux énormes pistolets, les yeux brillants d’une flamme révélatrice d’énergie indomptable et de volonté sans limites, — vêtu d’un habit de drap d’Elbeuf gris, d’une culotte de peau et de guêtres en ratine, coiffé, ainsi que ses compagnons, d’un grand feutre noir, dont l’aile était rabattue en visière, il semblait, malgré sa jeunesse, incarner cette force, cette autorité et cette expérience qui font reconnaître au premier coup d’œil un chef indiscutable et indiscuté.
— Halte ! commanda-t-il d’un ton impératif.
Tous obéirent avec une régularité militaire qui dénotait un esprit de discipline…
Sautant à terre, un des contrebandiers, qui portait un tambour, saisit ses baguettes et fit entendre une série de roulements plus joyeux que menaçants et qui eurent pour résultat immédiat de faire sortir les paysans de leurs abris et les enfants de leurs cachettes.
Les fenêtres et les huis s’entrebâillaient laissant apparaître des têtes exprimant plus de curiosité que de crainte…
Le sourire aux lèvres, le visage épanoui de santé et de belle humeur, le chef faisait de bienveillants appels de la main aux villageois qui, revenus de leur grande peur, se rapprochaient de lui, encore hésitants et timorés.
Alors, se dressant sur ses étriers, le cavalier attaqua d’une voix vibrante :
— Eh bien oui, je suis Mandrin, capitaine général des contrebandiers de France.
« Mais, morbleu mes camarades, n’ayez pas une telle crainte ! Je n’en veux pas à vous, pas plus qu’à vos femmes et même à vos volailles. Je ne suis pas l’ennemi du peuple, je suis son défenseur… et je veux le venger des exactions des fermiers généraux.
Voila pourquoi je traque les traitants, les croupiers et les porteurs de contraintes ou tout quidam de cet acabit ; car autant l’impôt est chose sacrée, quand il a pour objet la prospérité et la défense d’un pays, autant il devient une chose inique et révoltante, quand il ne sert qu’à enrichir des faquins.
« Or, on vous vole, on vous pressure, on vous rançonne, on vous ruine, on vous tue !…
« Vous payez le sel douze fois sa valeur et vous n’avez même pas le droit de vous en priver.
« Ceux qui sont surpris avec une livre de faux sel sont condamnés à neuf ans de galère ou pendus, tandis que les intendants qui volent l’or par tonneaux sont honorés, applaudis, et leur richesse est faite de votre misère »
A ces mots, une grande clameur d’allégresse s’éleva de la foule de plus en plus compacte entourant l’orateur.
Ainsi Mandrin, que l’on représentait comme le pire des bandits, chargé de tous les crimes, qui passait pour un voleur, un faux-monnayeur, un assassin toujours prêt au pillage, était, au contraire, le révolté qui se dressait pour la défense des pauvres gens, persécutés par les commis des fermiers, le justicier qu’ils attendaient inconsciemment.
Il n’en fallut pas plus pour les rassurer, les réconforter, leur donner espoir et leur rendre confiance. Lorsque le « capitaine » reprit de sa voix claironnante :
— Ne voyez donc en moi qu’un ami, qu’un frère !… Je ne vous demande qu’une chose, celle de m’indiquer la demeure de l’entreposeur des tabacs.
Un bras se tendit, puis deux, puis dix, puis cent ! vers une maison d’apparence cossue, et qui, entourée d’un jardinet, s’élevait au fond de la place, en face de l’église…
Mandrin, à la tête de ses compagnons, suivi d’un cortège sans cesse grossissant de villageois, se dirigea vers l’habitation où semblait régner la paix la plus absolue.
L’entreposeur des tabacs de Beaujeu, le bonhomme Agénor Malicet ne s’attendait guère à cette visite matinale…
Vautré dans un confortable fauteuil, en face d’une table sur laquelle était ouvert un registre, il paraissait plongé dans de laborieux calculs de comptabilité… En réalité, il dormait.
En effet, en dehors de ses repas, copieux et abondamment arrosés de vins généreux, dormir était son occupation principale.
Soudain, un scribe, aux allures de rat de cave famélique, qui contemplait son maître d’un air irrévérencieux, eut un tressaillement de surprise…
Des poings vigoureux heurtaient la porte… qui s’ouvrait presque aussitôt avec fracas, livrant passage à Mandrin, escorté de plusieurs contrebandiers, portant sur le dos des ballots de tabac.
Le rat de cave, sidéré, disparut derrière un meuble… Sans lui accorder la moindre attention, Mandrin se dirigea vers le bonhomme Malicet, que cet envahissement n’avait pas réveillé, et qui continuait à ronfler bruyamment.
Le « capitaine » posa lourdement sa main d’acier sur l’épaule du receveur ; comme celui-ci hésitait à sortir de sa torpeur, il le secoua rudement ; et Agénor Malicet, éberlué, se décida enfin à entr’ouvrir les paupières.
— Le contenu de ta caisse !… ordonnait le chef des contrebandiers, sur un ton qui fit frémir le bonhomme.
— Man… Mandrin !… articula Malicet d’une voix étouffée.
— Oui, Mandrin… scanda le capitaine.
Et portant la main à la crosse de son pistolet, il ajouta :
— Allons, exécute-toi, car je n’ai pas de temps à perdre.
Malicet jeta autour de lui un regard d’effroi. Son bureau était rempli de contrebandiers aux allures dégagées… et aux mines peu rassurantes… Il ne pouvait compter sur aucun secours de la part de son scribe et de ses autres employés qui, paralysés par la peur, se tenaient cois dans une pièce voisine… Alors, d’un pas incertain il se dirigea vers une grande armoire qui occupait presque entièrement l’un des panneaux de la pièce et introduisit d’une main tremblante une clef dans la serrure.
— Mi-Carême… Carnaval, faites votre besogne commandait Mandrin.
Deux contrebandiers, le premier petit… sec… maigriot… au nez en quart de brie et aux yeux de renard en quête ; le second, un grand gaillard robuste, bien découplé, à la mine éveillée et au nez en trompette, s’avancèrent vers l’infortuné entreposeur.
Mon trésorier… et mon secrétaire, présentait pompeusement le « capitaine » au vieil Agénor livide et frissonnant.
Les deux contrebandiers s’emparèrent rapidement de l’argent que renfermait l’armoire et le firent disparaître dans un coffre.
Alors, Mandrin, qui s’était installé dans le fauteuil du maître de céans, attaquait, toujours souriant, et avec toutes les apparences de la correction la plus parfaite.
— Maintenant, monsieur l’entreposeur, si vous le voulez bien, réglons nos comptes.
— Nos comptes ?… nos comptes ! répétait Malicet en s’approchant rapidement du terrible capitaine.
— Parfaitement, appuyait celui-ci… Combien contenait votre caisse ?
— Trente-sept mille livres.
Mandrin s’empara d’une plume, et d’une écriture large traça ces mots sur un morceau de papier
« Reçu de M. Agénor Malicet la somme de trente sept mille livres, en échange de quoi je lui laisse quatre balles de tabac d’un poids et d’une valeur indéterminés.
« Capitaine Louis MANDRIN ».
Puis il passa le reçu à son interlocuteur qui, après l’avoir parcouru d’un œil effaré, bredouilla piteusement :
— Dieu m’est témoin que j’ai défendu jusqu’au bout les intérêts de Sa Majesté.
Soudain un cri, fait à la fois d’admiration et de surprise, échappait à Mandrin.
Une jeune fille, d’une grâce adorable et dont le charme délicieusement ingénu semblait l’auréoler d’une couronne de lumière, venait d’apparaître sur le seuil et, s’élançant vers le chef des contrebandiers, elle s’écriait avec un accent de crânerie, qui la rendait plus exquise encore.
— Je suis Nicole Malicet, et je vous prie de ne pas faire de mal à mon père.
— Mademoiselle, saluait Mandrin avec toute l’élégance d’un véritable grand seigneur.
Mais il n’eut pas le temps de poursuivre… Une importante bourgeoise, aux allures énergiques, derrière laquelle trottinait un amour de petite servante, faisait brusquement irruption dans le bureau. C’était Mme Thérèse Malicet, née Poisson.
Un instant, elle demeura médusée par le spectacle qui s’offrait à elle…
Successivement, son regard se dirigea sur Mandrin, dont le visage reflétait une étincelante bonne humeur, sur les contrebandiers qui partageaient visiblement la satisfaction de leur chef, sur son mari qui, effondré sur un siège, la contemplait avec une expression de terreur plus vive encore que celle que lui inspirait Mandrin, et, enfin vers l’armoire, dont les battants largement ouverts laissaient apercevoir les étagères vides de tout numéraire.
Alors, plus rouge qu’une pivoine, elle bondit sur Agénor, et, furieuse elle martela :
— A quoi vous sert-il, monsieur, d’avoir le profil de Louis XIV, pour vous laisser dépouiller par ces bandits ?
Thérèse ! voulut riposter Malicet.
— Vous êtes un niais, un lâche, un bélître.
Et fonçant vers Mandrin, elle vaticina avec une fougue et une audace qui paraissaient fort le divertir :
— Quant à vous, brigand, sachez que vous ne me faites pas peur. Apprenez aussi que je suis la cousine de la marquise de Pompadour et que je n’ai jamais tremblé devant personne !…
Mais un cri s’élevait au fond de la pièce.
— Laissez-moi !… mais laissez-moi donc !…
C’était Nicole qui se défendait bravement contre un contrebandier qui cherchait à la lutiner.
— Corbleu ! s’écriait l’irascible Thérèse en bondissant au secours de sa fille…
Mais Mandrin l’avait devancée !…
Se jetant sur le contrebandier, il l’envoyait d’un simple coup de poing rouler à terre… puis, se tournant vers Nicole, il lui déclarait, en s’inclinant avec une politesse raffinée :
— Mademoiselle, rassurez-vous… je vous jure que ce drôle sera cruellement châtié.
Nicole baissa la tête, intimidée par le regard étincelant qui l’éblouissait.
Et Mandrin, revenant vers M. Malicet, abruti de détresse, et Mme Malicet, suffoquée de colère, s’écriait, d’un ton enjoué :
— Madame, monsieur… excusez-moi, encore un coup, du dérangement que je vous ai causé ! Puissiez-vous ne point trop m’en tenir rancune.
Et se tournant vers ses compagnons, il ajouta :
— Et maintenant, camarades, en route.
Les contrebandiers se hâtèrent vers la sortie… Mais au moment où Mi-Carême et Carnaval allaient franchir le seuil, Mandrin les rappela :
— Restez, vous autres ; car je tiens à ce que ces dames ne gardent pas un trop mauvais souvenir de ma visite.
Et il adressa un signe mystérieux à Mi-Carême qui s’empressa d’enlever sa ceinture, ses armes et sa veste, et de dénouer le bout d’une pièce de dentelle enroulée autour de sa taille…
Puis, tandis qu’il tournait sur lui-même comme une toupie, Carnaval se mit à dérouler la pièce qui s’entassa à terre, au grand étonnement des Malicet, qui ne comprenaient rien à ce manège ; et, lorsque le tas fut complet, Mandrin s’empara de la dentelle, et, d’un ton empreint de délicatesse, il dit, en la présentant à Mme Malicet abasourdie :
—Permettez-moi, madame, de vous offrir cet humble cadeau, en compensation des ennuis que nous avons pu vous causer.
— Je ne sais si je dois accepter, hésitait l’opulente Thérèse, à moitié conquise, malgré elle, par le grand air et les façons chevaleresques du contrebandier.
— Non, non, c’est impossible se gendarmait le vieil Agénor.
Mais, poussée par cet esprit de contradiction qu’elle apportait dans toutes les manifestations de sa vie conjugale, la cousine de Mme de Pompadour déclarait aussitôt :
— Eh bien ! si, j’accepte.
Malicet eut un geste de désolation impuissante.
Toujours souriant, empressé, Mandrin, retirant de son petit doigt une jolie bague en or enrichie de brillants, s’emparait de la main de Nicole de plus en plus troublée, et glissait le riche anneau à l’index de la jeune fille, tout en disant :
Puisse, mademoiselle, ce modeste présent vous faire oublier l’inconvenance de l’un de mes soldats.
En un geste d’instinctive pudeur, Nicole retira promptement la bague.
Mais le beau « capitaine » poursuivait, d’une voix dont il cherchait à tempérer l’éclat :
— Puisse-t-elle aussi vous faire garder de Mandrin un souvenir qui ne vous sera pas trop désagréable.
Nicole, tout en rougissant, remit l’anneau à son doigt…
Alors Mandrin, se baissant vers la petite main toute tremblante qui, instinctivement, se tendait vers lui, y déposa un long baiser.
Outré, le bonhomme Malicet s’écriait :
— Ah par exemple, ceci dépasse les bornes.
— Agénor ! taisez-vous ! imposait sa compagne.
— Mais… madame.
— Imbécile scandait la dame Malicet, après vous être laissé dépouiller, voulez-vous que ces gens incendient notre maison et nous pendent haut et court ?…
— Rassurez-vous, madame, répliquait Mandrin avec un gracieux sourire, désormais vos personnes me sont sacrées.
Et, saluant les Malicet, comme l’eût fait le duc de Richelieu en personne, Mandrin, pirouettant sur les talons, regagna le dehors.
— Décidément, concluait la femme de l’entreposeur, ce Mandrin est peut-être un coquin, mais c’est un coquin joliment sympathique.
Une tempête d’acclamations s’élevait au dehors…
C’était la foule qui, à travers les fenêtres ouvertes, avait assisté à cette scène et applaudissait au succès de celui qu’elle considérait déjà comme un héros.
Mandrin, au milieu des bravos, lançait :
— Maintenant, mes amis, dites-moi où est la prison ?
— Par ici, capitaine. Nous allons vous y conduire clamèrent plusieurs paysans.
Le cortège gagna aussitôt une rue voisine et s’arrêta devant un bâtiment d’aspect sinistre, dont les fenêtres étaient munies d’épais barreaux de fer… Mandrin, avec le pommeau de sa rapière, frappa plusieurs coups sur la porte en chêne massif de la geôle…
A peine s’était-elle entrebâillée, laissant apparaître la tête effarée d’un guichetier, que le capitaine, avec une force irrésistible, l’ouvrait toute grande, empoignait le porte-clefs au collet, et l’entraînait, suivi de ses hommes, jusqu’au préau intérieur sur lequel donnaient toutes les cellules.
Plusieurs gardiens arrivaient à la rescousse. Mais, tandis que les contrebandiers les tenaient en respect, avec leurs fusils, Mandrin, immobilisant d’une main le guichetier en chef qui se débattait, et lui mettant de l’autre son pistolet sous le nez, ordonnait d’une voix tonnante :
— Que l’on ouvre tous les cachots et il ne vous sera fait aucun mal… Sinon, gare à vous !…
L’argument parut sans réplique. Les gardes, forcés de capituler, se dirigeaient vers les cellules, faisant manœuvrer les verrous… Quelques instants après, une vingtaine de prisonniers étaient rassemblés devant Mandrin, qui reprenait :
— Que ceux d’entre vous qui sont condamnés pour manquements au fisc ou pour faits de contrebande, viennent vers moi.
Une douzaine de captifs, après s’être consultés du regard, s’avançaient d’un pas hésitant, se demandant ce que pouvait bien leur vouloir ce singulier personnage qui leur parlait en maître.
Mandrin, souriant, reprit aussitôt :
— Amis, le capitaine Mandrin, au nom de la justice, vous rend la liberté.
Une expression de joie et de reconnaissance infinies rayonna soudain sur les visages de ces malheureux qui, spontanément, s’élancèrent vers leur libérateur.
Mais, se dégageant, Mandrin commandait aux autres prisonniers :
— Quant à vous, escrocs, banqueroutiers, voleurs et assassins, justement condamnés par les lois, rentrez dans vos cachots.
Un mouvement de révolte se dessina parmi ces malfaiteurs, qui s’attendaient, eux aussi, à être délivrés.
Mandrin, faisant deux pas en arrière, ordonnait à ses compagnons :
— En joue !
Les contrebandiers, en un mouvement d’une régularité mécanique, épaulaient leurs armes… forçant tout le lot de bandits à réintégrer, bien à contrecœur, leurs cellules dont les gardiens se hâtaient de refermer les portes.
Et Mandrin, porté en triomphe par les paysans et par ceux dont il venait de faire cesser la captivité, regagna la place, où quelques-uns de ses hommes l’attendaient avec les chevaux.
Un nouveau geste de Mandrin allait achever de porter jusqu’au délire l’enthousiasme de ses nouveaux partisans.
Apercevant, devant l’église, un vieux prêtre qui gesticulait au milieu d’un groupe, Mandrin s’en fut vers lui, et, prenant un sac d’écus dans le coffre que transportaient Mi-Carême et Carnaval, il le dénoua et s’écria, en le tendant au prêtre qui levait les bras au ciel, l’air scandalisé.
— Pour vos pauvres, monsieur le curé.
Le bon abbé, qui n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles, repoussa d’un geste affolé le présent des contrebandiers.
Une femme en haillons qui tenait un tout petit enfant dans ses bras s’empara du sac, et le tendant au pasteur, lui dit :
— Prenez, messire, c’est de l’argent bien gagné.
Le prêtre s’empara du sac, et Mandrin, puisant dans le coffre, se mit à jeter des écus à la foule ; puis, se dérobant aux remerciements, tout fier, tout heureux du bonheur qu’il venait de semer autour de lui, vite, il sautait sur son cheval blanc… et donnait à ses compagnons le signal du départ.
A ce moment, Nicole qui, debout sur une des marches, avait assisté à toute cette scène, et dont le visage reflétait l’admiration la plus vive, lançait à Mandrin, en un élan spontané, une rose qu’elle avait prise à son corsage… Mandrin la saisit au vol… la porta à ses lèvres… puis envoya un baiser à la jeune fille, qui semblait déjà regretter son geste audacieux.
Mandrin qui, avec sa troupe, s’apprêtait à quitter le village, se retourna, adressant un dernier geste d’adieu à celle que ses parents entraînaient, en la réprimandant…
Et, portant de nouveau la rose à ses lèvres, le capitaine murmura :
— C’est un peu de cette jolie enfant que j’emporte avec moi dans la montagne.