Читать книгу Mandrin, roman d'aventures - Arthur Bernede - Страница 8

Оглавление

Chapitre IV : La souricière.

La scène qui frappa tout de suite Nicole, lorsqu’elle pénétra dans le petit salon de ses parents, était à la fois singulièrement dramatique et bouffonne.

Debout au milieu de la pièce, Bouret d’Erigny, sombre, autoritaire et menaçant, considérait avec un sourire de mauvais augure la vigoureuse Mme Malicet qui secouait frénétiquement son mari, appesanti par un sommeil que rien n’eût réussi à l’arracher.

A la vue de Nicole, le visage du fermier général parut s’adoucir quelque peu, et ce fut d’un signe de la main presque gracieux qu’il répondit à sa timide révérence.

— Agénor ! Agénor ! s’époumonait Thérèse en continuant à secouer son mari…

« Excusez-le, monsieur le fermier général… Il est un peu fatigué… Agénor… voyons, Agénor ! »

Agénor, enfin daigna sortir de sa torpeur. Un sourire béat épanouit tout d’abord sa face au triple menton et aux joues rebondies.

Mais presque aussitôt, ses yeux exprimèrent une frayeur intense… Car ils venaient de se croiser avec ceux de Bouret d’Erigny, qui le dévisageait avec une sévérité bien faite pour lui donner la chair de poule.

Non sans effort, il se souleva sur son fauteuil… salua gauchement et bredouilla d’une voix pâteuse :

— Monsieur le fer… mier… gé… gé… né… ral… je crois deviner le … motif… de… votre visite… et je vous prie…

Il ne continua pas… Bouret d’Erigny, l’air de plus en plus courroucé, s’avançait vers lui et déclarait :

— Je n’ignore pas que les vôtres et vous, vous vous êtes laissé intimider par Mandrin et sa bande et que, cédant à la peur, vous avez consenti à traiter avec lui… contre du tabac dont ce pot en faïence de Delft contient certainement quelques onces, contre de la dentelle dont j’aperçois à la coiffe de cette chère Mme Malicet un échantillon qui me renseigne immédiatement sur sa réelle valeur.

Et, tout en fixant la main que Nicole, instinctivement, cherchait à cacher sous son fichu de mousseline, il ajouta lentement, et en pesant bien sur chacune de ses paroles :

— Et… contre divers objets, sur lesquels j’aurai le bon goût de ne pas insister.

Cette phrase tomba dans un morne silence.

Les époux Malicet se considéraient d’un air consterné… Agénor flageolait sur ses jambes incertaines… La poitrine de Thérèse avait d’inquiétants soubresauts…

Quant à Nicole, elle baissait la tête… sous le poids de l’orage qu’elle sentait prêt à éclater.

Bouret d’Erigny se tourna vers Pistolet dont la silhouette sinistre se profilait depuis un instant dans l’embrasure de la porte.

— Monsieur l’exempt, ordonna-t-il d’un air glacial, faites votre devoir.

Pistolet s’avança, démasquant deux gendarmes qui attendaient dans le couloir ; et, sans dire un mot, il leur désigna, d’un index énergique, Malicet et sa femme, qui, pétrifiés de terreur, demeuraient cloués sur place.

— Alors, bégaya l’entreposeur… vous allez nous mettre en prison ?

— En prison ! se révoltait sa femme… Moi, une Poisson !… Moi… la petite-cousine de la marquise de Pompadour.

— Ne l’avez-vous pas mérité ?… soulignait Bouret d’Erigny.

— Nous avons accepté ces cadeaux de Mandrin, c’est vrai… se défendait Mme Malicet, avec une remarquable crânerie.

« Mais pouvions-nous faire autrement ?… D’abord, Mandrin nous les avait offerts fort galamment… Et puis, si nous les avions refusés, il était capable de nous occire tous… ou de nous emporter dans son repaire.

— C’est fort possible, mais, en attendant, vous avez désobéi à la loi et vous devez être châtiés.

— Monsieur, implorait Nicole… ayez pitié de mes parents.

— Hélas ! mademoiselle… je suis au regret… Mais la justice doit suivre son cours…

— Alors ! envoyez-moi aussi en prison.

— Non, car vous avez agi sans discernement… tandis qu’eux…

— C’est entendu… regimbait l’irascible Thérèse, nous sommes des contrebandiers, des voleurs, des assassins, des piliers de bagne et de la chair à potence.

Et, avec une véhémence sans cesse grandissante, elle poursuivit :

— Ah ! vous me la baillez belle, monsieur le fermier général, et vos grands airs ne m’intimident pas…

Quand le roi Louis XV connaîtra l’abus d’autorité dont vous vous êtes rendu coupable envers une de ses cousines par alliance… c’est à la Bastille qu’il vous enverra, car je vous garantis que j’obtiendrai contre vous une lettre de cachet, et rira bien qui rira le dernier !

— Vous vous expliquerez, madame, devant les juges du Parlement de Grenoble, ripostait sèchement le fermier général.

— A moins que vous n’alliez d’ici-là faire connaissance avec la paille humide des cachots.

— Monsieur l’exempt, je vous réitère l’ordre de faire votre devoir.

— Ne me touchez pas ! … lançait la vigoureuse commère au gendarme qui s’approchait d’elle…

Et dressée sur ses ergots, elle martela :

— C’est la tête haute que je me rends en prison, c’est la tête encore plus haute que je saurai en sortir.

Et, attirant contre elle sa fille qui pleurait à chaudes larmes, elle ajouta :

— Au revoir, ma fille… Embrasse-moi… embrasse aussi ton père… Ne te désole pas, nous reviendrons bientôt.

Tandis que Nicole s’échappait des bras de sa mère pour aller tomber dans ceux du brave Malicet qui, complètement abruti, s’apprêtait à suivre docilement les gendarmes, l’énergique Thérèse, se campant les poings sur les hanches devant Bouret d’Erigny, toujours figé dans la même impassibilité hostile et dédaigneuse, lui jetait d’un air de défi :

— Au revoir, monsieur le fermier général ; je vous prouverai bientôt que j’ai du sang de Poisson dans les veines.

Et, avec la dignité d’une reine outragée, elle rejoignit Pistolet qui lui indiquait la porte, et disparut en secouant frénétiquement sa robe à paniers, suivie par le pauvre et dolent Malicet dont deux gendarmes soutenaient les pas de plus en plus incertains et flageolants.

Visiblement satisfait de sa première et facile victoire, Bouret d’Erigny considéra un instant Nicole, qui, effondrée sur une chaise et en proie à un violent chagrin, essuyait, avec une fine mousseline de batiste, les larmes qui inondaient son joli visage.

Un énigmatique sourire erra sur les lèvres du fermier général… Une lueur inquiétante s’alluma dans son regard… et, s’approchant lentement de la jeune fille, il s’empara de sa main.

Nicole voulut la retirer, mais Bouret d’Erigny la saisit de nouveau et, sur un ton d’amabilité hypocrite, il fit :

— Que vous avez là, mademoiselle, une jolie bague…

Nicole ne put réprimer un profond soupir.

Bouret, de plus en plus doucereux, continuait :

— C’est bien Mandrin, n’est-ce pas, qui vous a donné ce superbe bijou ?

— Oui, c’est Mandrin, répliquait la pauvre petite, avec franchise.

— Savez-vous, ma belle enfant, que je pourrais vous faire arrêter… J’en ai le droit et même le devoir.

Nicole eut un tressaillement.

Mais Bouret reprenait, en affectant un air de désinvolture bienveillante et protectrice :

— Rassurez-vous… telle n’est point mon intention… Je n’ai, au contraire, qu’un désir : vous être agréable !…

La jeune fille, se levant aussitôt, s’écria, d’un seul élan.

— Alors, rendez-moi mes parents.

— Vous rendre vos parents ?

— Oui, je vous le demande en grâce… Vous êtes tout-puissant, et vous n’avez qu’un mot à dire pour qu’ils soient remis tout de suite en liberté.

— Vous vous trompez, mademoiselle, une telle mesure ne dépend pas de moi.

— De qui donc, alors ?

— Devinez.

— Du roi ?

— Non… de vous ;

Nicole eut un sursaut d’étonnement.

— Vous ne comprenez pas ? reprenait Bouret avec un sourire de plus en plus inquiétant.

— Non, je l’avoue.

— En ce cas, voulez-vous me permettre de vous conter une petite histoire ?

— Mais…

— Allons, ma belle, asseyez-vous là, et écoutez-moi avec calme… Je crois que vous n’aurez pas à vous en repentir.

Toute brisée de chagrin, Nicole se laissa choir sur un fauteuil, et Bouret d’Erigny, prenant un siège, s’installa auprès d’elle… sans se douter un seul instant qu’il était épié par Mandrin qui, enveloppé dans son froc et, son capuchon rabattu sur ses yeux, avait réussi à se rapprocher de la fenêtre, et se préparait à ne rien perdre de la scène qui s’engageait de si étrange manière.

Après un léger temps, Bouret d’Erigny, tout en prenant une attitude avantageuse, attaquait :

— Il était une fois une fillette de province, nommée Nicole Malicet, qui était venue à Paris pour y voir sa cousine, la marquise de Pompadour.

A ces mots, Nicole eut un geste d’émoi ; mais, imperturbablement, le narrateur continuait :

— La favorite du roi lui fit un chaleureux accueil, car elle la trouvait fort à son gré… Non seulement Nicole était exquise, mais elle chantait à ravir de jolies chansons, auxquelles sa grâce ingénue donnait une saveur toute particulière… La marquise voulut produire cette gracieuse enfant à la cour, et elle pria Louis XV et quelques courtisans de choix de l’entendre, dans un concert qu’elle donnait dans l’un des salons de ses appartements privés de Versailles.

« Bien qu’intimidée par la présence du monarque, Nicole chanta un naïf et vieux Noël languedocien…

Ah ! je l’entends encore… avec tellement de charme, de grâce et d’émotion, qu’elle réussit à amuser le roi, ce qui n’était pas chose facile… Sa Majesté lui témoigna sa reconnaissance en lui tapotant les joues ; et tous, sans en excepter les dames, applaudirent au succès de l’adorable petite Dauphinoise.

« Parmi les assistants, il en était un qui se montrait tout particulièrement enthousiaste… Car, sans s’en douter, Nicole Malicet venait d’embraser le plus riche des fermiers généraux de France.

« Le soir même, il rencontrait la divine Nicole qui se promenait seule dans une allée du parc ; et, sans ambages, il lui déclarait sa flamme.

« Mais, aux premiers mots d’amour qu’il lui murmurait, elle se récriait avec indignation :

« — Vous vous moquez, monsieur.

« Le financier affirmait :

« — Je vous ferai une existence encore plus brillante que celle de la marquise !…

« Nicole répondait, non sans impertinence :

« — Les lauriers de ma cousine ne m’empêchent pas de dormir.

« Et comme son interlocuteur avait la hardiesse de montrer quelque insistance, la jolie fleur du Dauphiné lui ripostait :

« — J’entends rester une honnête fille, rentrer dans mon pays, m’y marier et avoir beaucoup d’enfants.

« Et tandis que prenant la fuite elle disparaissait sous une charmille, le fermier général, fort dépité, dut s’avouer battu !… »

Alors, d’une voix qui frémissait d’une passion longtemps contenue, Bouret d’Erigny s’écria :

— Le fermier général n’a pas oublié la petite Nicole.

« Eperdument épris, et subjugué par sa grâce, il vient lui demander d’être…

— Votre maîtresse !… interrompit la jeune fille, en se dressant courroucée.

— Non, ma femme.

A ces mots, Mandrin, incapable de maîtriser la fureur qui, depuis un moment l’exaspérait, saisissait son pistolet et il s’apprêtait à franchir le rebord de la fenêtre. Mais au moment où il allait bondir dans la pièce, une main vigoureuse arrachait brutalement son froc.

Interdit, Mandrin se retourna et se trouva face à face avec l’exempt Troplong qui, avec une dextérité d’escamoteur, lui subtilisait son arme, avant qu’il eût le temps de s’en servir.

Mandrin allait se jeter sur lui, lorsque soudain il aperçut tout un essaim de gendarmes qui se précipitaient au secours de l’exempt.

Comprenant que seule une fuite rapide pouvait le sauver, il s’élançait à travers le jardin, cherchant à gagner la porte qui donnait sur la campagne.

Fébrilement, il voulut l’ouvrir, mais elle était fermée… Pistolet excellait, en effet dans l’art de préparer une souricière.

Le capitaine, traqué, se préparait à escalader le mur.

Mais trop tard… l’exempt et ses gendarmes étaient déjà sur lui, le menaçant, le sommant de se rendre.

Et Mandrin, acculé contre la porte, la main sur la poignée qui lui résistait toujours, harcelé comme une bête fauve par une meute impitoyable, eut un rugissement de lion en fureur.

Seul un prodige pouvait le sauver… Allait-il s’accomplir ?

Mandrin, roman d'aventures

Подняться наверх