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IX

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Avènement de l'abbé de l'Épée. – Rivalité de l'abbé Deschamps. – Son cours élémentaire. – Il est combattu par le sourd-muet Desloges, ouvrier relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet, domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne. – L'abbé de l'Épée devient le confesseur de ses enfants d'adoption. – L'empereur Joseph II lui sert la messe. – Il amène dans son établissement sa sœur la reine Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le priant de le mettre à même de populariser sa méthode dans ses États. – Lettre de ce prince à l'abbé de l'Épée.

Après eux, enfin, parut, en France, l'abbé de l'Épée, qui eut la gloire d'effacer l'espèce d'anathème jeté, dans cette sainte mission, par l'antériorité des autres peuples, sur notre terre classique des lumières, et ouvrit une carrière jusque-là inconnue à la grande famille des sourds-muets. Sa découverte fut dignement appréciée par un autre instituteur français, l'abbé Deschamps, chapelain de l'église d'Orléans. Son Cours élémentaire de l'éducation des sourds-muets vit le jour cinq ans après la publication de l'Institution des sourds-muets par la voie des signes méthodiques. Il est à déplorer seulement que cet ecclésiastique, aussi recommandable par les qualités de l'esprit que par celles du cœur, ait persisté à repousser aveuglément l'évidence qui militait en faveur de la méthode de l'abbé de l'Épée, en s'opiniâtrant à faire de la prononciation le grand pivot de son système et reléguant la mimique à la dernière période de l'enseignement, au lieu de l'appeler à jouer son rôle dans la première, pour des raisons qu'il est aisé de déduire à la première inspection de l'enfant sourd-muet. Cette persistance provoqua les Observations d'un sourd-muet, petit ouvrage aussi remarquable par la concision du style que par la rectitude des aperçus dont il est semé. Il est dû à la plume de Desloges, pauvre ouvrier relieur et colleur de papier, élève en pantomime d'un sourd-muet de naissance, Italien de nation, illettré, domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne, ensuite dans plusieurs grandes maisons, et notamment chez M. le prince de Nassau.

Au milieu de ces rivalités qui présageaient de nouveaux triomphes à notre célèbre instituteur, son troupeau croissait en âge, en raison, et touchait au moment où le besoin des secours spirituels se fait généralement sentir aux jeunes âmes que Dieu ne repousse pas. Qui recevra leurs confidences? Qui recueillera le récit naïf de leurs fautes? Un seul parlant comprend leur langage muet. C'est leur maître, c'est l'abbé de l'Épée. Après avoir inutilement multiplié ses démarches auprès de ses supérieurs ecclésiastiques, pour en obtenir l'autorisation de confesser ses élèves, il s'adresse, de guerre lasse, à l'archevêque de Paris. Ce prélat ne répond pas à ses deux lettres. Alors l'instituteur lui déclare qu'il regarde son silence comme une adhésion tacite et qu'il va, dès ce jour, remplir avec confiance les nouvelles fonctions auxquelles Dieu l'appelle.

L'abbé de l'Épée disait habituellement sa messe, de fort bonne heure, à l'église Saint-Roch. Un matin qu'il allait monter à l'autel, il cherche en vain des yeux l'enfant qui l'assiste: un inconnu, vêtu simplement, mais avec goût, s'offre pour le remplacer, et il le remplace, en effet, à la grande satisfaction du prêtre, qui l'invite à visiter son établissement. L'étranger est dans l'admiration de tout ce qu'il voit, et, en quittant l'abbé, il lui glisse dans la main un objet enveloppé de papier: «Voici, lui dit-il, un léger souvenir de ma visite.» C'était une magnifique tabatière avec le portrait de l'empereur d'Allemagne Joseph II, enrichi de diamants. Nous tenons le fait d'un contemporain notre ami, M. le comte Armand d'Allonville, si connu par l'immensité et la précision de ses souvenirs.

Pendant son séjour à Paris, en 1777, sous le nom de comte de Falkenstein, Joseph II fréquenta l'école du célèbre instituteur. Personne n'était plus digne que lui d'apprécier tout ce qu'au fond de son âme le génie de la charité couvait de feu créateur, tout ce que l'activité de son dévouement avait de désintéressé. Aussi y amena-t-il sa sœur, la reine Marie-Antoinette, qui en revint, comme lui, saisie de respect et d'admiration. L'enthousiasme de ce prince philosophe ne fut pas stérile. Ayant à cœur de fonder dans ses États une école de sourds-muets sur le modèle de celle de Paris, il envoya dans cette capitale un ecclésiastique de Vienne, l'abbé Storck, et supplia l'abbé de l'Épée de lui indiquer la route à suivre pour réussir à former l'esprit et le cœur de ses sourds-muets allemands. Le jeune prêtre remit au vénérable fondateur la lettre suivante40:

«Monsieur l'abbé… l'établissement que vous avez consacré au service du public, et dont j'ai eu l'occasion d'admirer les étonnants progrès, m'engage à vous adresser l'abbé Storck, porteur de cette lettre. Je me flatte qu'il aura les qualités requises pour apprendre de vous à conduire un pareil établissement à Vienne. Je ne le connais pas autrement que par son ordinaire, qui me l'a choisi… et qui croit pouvoir en répondre. Je me flatte que vous voudrez bien le prendre sous votre direction, en lui communiquant la méthode que vous avez établie avec tant de soin. Votre amour pour le bien de l'humanité et la gloire de rendre à la société de nouveaux sujets me font espérer que vous contribuerez de bon cœur à étendre votre charité sur une partie des sourds-muets allemands, en leur formant un maître qui, par les yeux, leur fournira des moyens suffisants pour les faire penser et combiner leurs idées. Adieu…

»Signé: JOSEPH.»

L'abbé de l'Épée avait déjà répondu en ces termes au désir que l'empereur lui avait manifesté de savoir quels étaient les moyens d'élever un jeune sourd-muet de Vienne, appartenant à une puissante famille: «Votre Majesté n'aurait qu'à me l'envoyer à Paris, ou, à défaut, un sujet intelligent, de trente ans au moins, que je mettrais en état de réussir parfaitement dans cette entreprise.»

40

L'abbé de l'Épée a supprimé, par modestie sans doute, quelques expressions de cette lettre qui s'adressaient à lui.

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