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VII

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L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et remonte à 1620. – Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet manuel à deux mains, pareil à celui de nos colléges. – Plusieurs instituteurs d'Allemagne n'en emploient aucun. – Difficulté pour les commencements. – Notre dactylologie se popularise en France. – Ses avantages. – Quelques-unes de ses règles. – Son utilité pour les parlants. – Son usage dans les ténèbres. – Elle est inférieure à la mimique. – Justice rendue à Pereire par l'abbé de l'Épée. – Justification du célèbre instituteur par lui-même. – Exposé de sa méthode. – Attaque du sourd-muet Saboureux de Fontenay. – L'abbé de l'Épée offre d'être jugé contradictoirement avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est déclaré supérieur au sien.

Avant d'aller plus loin, qu'à propos de l'alphabet manuel on nous permette quelques légères explications qui ne nous semblent pas déplacées ici.

Originaire d'Espagne, ainsi que l'art de faire parler les sourds-muets, il consiste à représenter l'une après l'autre les lettres de chaque mot par différentes formes convenues qu'on donne aux doigts d'une seule main. Son adoption date de l'abbé de l'Épée, qui s'était servi jusque-là de l'alphabet à deux mains dont les écoliers parlants font encore usage dans les classes pour tromper la vigilance de leurs maîtres. L'invention de l'alphabet manuel à une seule main remonte à Juan Pablo Bonet, qui vivait en 1620, peut-être même est-il plus ancien. Depuis cette époque, il s'est répandu, avec quelques modifications, dans presque toutes les institutions de sourds-muets d'Europe et d'Amérique21, et il commence déjà à se populariser dans l'un et l'autre hémisphère, à l'exception toutefois de l'Angleterre, où l'alphabet manuel à deux mains paraît devoir résister longtemps à l'influence française. Partout en France où le hasard conduit nos pas, dans l'atelier du pauvre comme dans le salon du riche, nous rencontrons toujours quelque personne connaissant ce mode de communication à une main et se faisant une politesse de l'employer pour se mettre en rapport avec nous. Et n'établit-il pas heureusement, en effet, une sorte de trait d'union entre les sourds-muets et ceux qui veulent entrer en relation avec ces pauvres créatures, auxquelles les anciens supposaient à peine une intelligence, une âme, et que tout ce qui précède a montrées égales au moins, si ce n'est supérieures, aux parlants en vénération et en reconnaissance?


Un des avantages de l'alphabet manuel est sa parfaite ressemblance, sauf quelques légères exceptions, avec les caractères de l'écriture et de la typographie. Il est généralement préféré aux autres signes essayés depuis22 à cause de son usage plus commode, plus agréable, plus facile. Dix minutes d'application suffisent pour l'apprendre. La rapidité dépend ensuite de l'habitude. On conçoit que par ce moyen on doit parler toutes les langues qui ont les mêmes lettres que le français.

La lettre J se représente comme la lettre I; seulement, pour la première, il faut imprimer au petit doigt un léger mouvement de droite à gauche, pour décrire la ligne tracée ci-contre.

Quant à la lettre Z, elle s'écrit en l'air avec l'index, absolument comme la plume ou le crayon la reproduirait sur le papier.

Pour indiquer que chaque mot est terminé, on s'arrête et l'on tire en l'air avec le plat de la main, les ongles en dessus, une ligne horizontale de gauche à droite. L'habitude de cet exercice rend, d'ailleurs, cette précaution inutile.

L'accentuation et la ponctuation sont figurées en l'air par l'index. Il en est de même pour les chiffres.

De ce qui précède il résulte que notre alphabet manuel n'est pas à dédaigner des parlants eux-mêmes dont un accident voile ou éteint momentanément la voix, et de ceux qui, dans un âge plus ou moins avancé, perdent entièrement la parole.

N'oublions pas de remarquer, en passant, que les jeunes sourds-muets, dans la plupart des établissements d'éducation qui leur sont ouverts, adoptent, de plus, en dehors de l'enseignement, divers signes caractéristiques particuliers qu'ils affectionnent, et à l'aide desquels ils augmentent et complètent leurs moyens de communication.

Ainsi ils désignent les premiers nombres jusqu'à 10 en levant autant de doigts qu'ils veulent désigner d'objets. Depuis 10 jusqu'aux nombres les plus élevés ils ouvrent les deux mains autant qu'ils ont de dizaines à exprimer, et ils y ajoutent les unités. Plus tard, afin d'éviter toute longueur, toute confusion, ils expriment le nombre de dizaines comme si c'étaient des unités; puis, pour tracer un zéro, ils forment un rond avec le pouce et l'index appuyés l'un sur l'autre, comme s'ils avaient à représenter la lettre O de l'alphabet manuel. S'agit-il d'exprimer cent et mille, ils ont recours au même procédé pour reproduire les chiffres romains C et M.

On nous demande souvent comment il est possible aux sourds-muets de soutenir une conversation dans les ténèbres. L'obscurité n'est pas, tant s'en faut, chez nous un obstacle à cet échange d'idées et de sentiments.

En plaçant sa main dans celle de son interlocuteur, on lui fait palper aisément toutes les formes de l'alphabet manuel. En lui faisant suivre les mouvements qu'exécutent les bras, on le met à même de saisir de l'œil, pour ainsi dire, les pensées qu'on exprime. Ou bien, l'on prend les deux bras de l'interlocuteur, et on leur fait exécuter les mouvements qu'ils font en plein jour. Dans ces divers exercices, l'habitude devance presque toujours la pensée d'autrui, quelque moyen qu'on emploie d'ailleurs pour se faire comprendre. Après ces quelques données suffisantes, il serait, pensons-nous, inutile de décrire ici les mille autres ressources que fournit au sourd-muet le besoin, ou, disons mieux, la nature si ingénieuse et si bienfaisante à son égard.

Toutefois, si l'alphabet manuel ne remplace pas entièrement la langue des gestes, cette langue sublime, universelle, basée sur la nature et la raison, qui tient lieu de toutes les autres, mais ne s'apprend pas en un jour, il peut, à la rigueur, la suppléer jusqu'à un certain point, quoiqu'il n'offre, en définitive, qu'un moyen de relation beaucoup moins parfait et beaucoup moins rapide.

L'abbé de l'Épée, tout en rendant le plus sincère hommage aux talents déployés par Pereire dans l'art de la parole, ne laisse pas de faire consciencieusement observer qu'il n'est pas l'auteur de cette méthode tant prônée, et qu'elle a été pratiquée plus de cent ans avant lui par Bonet, Conrad Amman, et, en Angleterre, par John Wallis, savant professeur de l'université d'Oxford. Comme pour compléter sa justification personnelle, il expose tout uniment, et sans se mettre en frais de protestations nouvelles, qu'il n'a connu aucun de ces illustres auteurs, tout absorbé qu'il a été jusqu'alors par les études d'un tout autre genre, et qu'il n'a pas encore songé à désirer, encore moins à entreprendre de faire parler ses deux élèves. Voilà ses propres expressions.

Il avait, ajoute-t-il, uniquement en vue de leur apprendre à penser avec ordre, à combiner méthodiquement leurs idées. Et c'est d'après ce principe fondamental qu'il s'est efforcé d'assujettir les signes représentatifs à une méthode dont il se propose de composer une espèce de grammaire.

Voici, du reste, comment il raisonne23 pour essayer de convaincre ses lecteurs de l'utilité de ses nouveaux procédés:

«La route des estampes24 n'est point de mon goût. L'alphabet manuel français, que je savais dès ma plus tendre enfance, ne peut m'être utile que pour apprendre à lire à mes disciples. Il s'agit de les conduire à l'intelligence des mots. Les signes les plus simples, qui ne consistent qu'à montrer avec la main les choses dont on sait les noms, suffisent pour commencer l'ouvrage; mais ils ne mènent pas loin, parce que les objets ne tombent pas toujours sous nos yeux, et qu'il y en a beaucoup qui ne peuvent être aperçus par nos sens. Il me paraît donc qu'une méthode de signes combinés doit être la voie la plus commode et la plus sûre, parce qu'elle peut également s'appliquer aux choses absentes ou présentes, dépendantes ou indépendantes des sens…»

Ce point de départ qui, au premier aspect, semblait devoir paraître ingénieux et juste à tous les esprits non prévenus, devint cependant, dans le Journal de Verdun, l'objet d'une attaque irréfléchie, pour ne rien dire de plus, de la part du sourd-muet Saboureux de Fontenay25, que l'abbé de l'Épée ne se lassait pas d'exalter lui-même comme un phénomène de son siècle, capable, par la variété et la supériorité de ses connaissances, d'occuper une place honorable dans la république des lettres. Quelle raison pouvait-il donc faire valoir pour justifier ses hostilités envers notre vénérable instituteur? Aucune, mon Dieu! mais, il faut le dire, rien au monde ne semblait devoir déraciner de son esprit la prévention obstinée qu'il était absolument impossible d'inculper à ses frères d'infortune des idées complètes des choses indépendantes des sens avec le secours des signes méthodiques. L'abbé de l'Épée ne pouvait manquer d'être étrangement surpris de se voir dans la nécessité de combattre un pareil adversaire, auquel son infirmité avait forcément dérobé la partie la plus intéressante de son œuvre, qu'il avait exposée de vive voix devant des personnes présentes avec lui à une de ses leçons.

Quoi qu'il en soit, dépouillant tout amour propre d'innovateur, et n'écoulant que sa philanthropie, sa charité chrétienne, il offre d'être jugé contradictoirement avec Pereire, et d'adopter même son système, s'il est déclaré supérieur au sien.

Essayons de bien fixer la place qui, dans ce concert d'efforts dirigés vers le même but, doit être réservée à l'instituteur portugais. Mais, pour que les droits de chacun soient pesés en parfaite connaissance de cause, il nous semble important de remonter plus haut.

21

M. Bébian remarquait en 1827, dans son excellent Manuel d'enseignement pratique des sourds-muets, que plusieurs institutions d'Allemagne ne faisaient usage d'aucun alphabet manuel, mais qu'on y traçait en l'air la forme des lettres comme si on les écrivait. Selon cet instituteur éminent, les lettres ainsi tracées sont beaucoup trop fugitives; elles supposent d'ailleurs une grande habitude d'écrire sur le papier et ne peuvent être par conséquent d'aucune utilité pour les premières leçons.

22

Voyez à la note G: – 1º ma lettre au directeur de l'institution nationale des sourds-muets de Paris sur la dactylologie de M. Leménager; 2º celle que j'ai adressée à la Commission consultative de cet établissement sur la dactylographie de M. Ch. Wilhorgne.

23

Institution des Sourds-Muets, chap. 1, pag. 9-10.

24

C'est par ce moyen que le père Vanin avait commencé l'éducation des deux sœurs sourdes-muettes.

25

Il a fait paraître un grand nombre de traductions d'ouvrages anglais qui lui étaient commandés par des éditeurs, des lettres sur la dactylologie et un mémoire publié par le Journal de Physique, en 1770. – Il avait, en outre, formé lui-même quelques élèves, parmi lesquels se distinguait une demoiselle de Rennes, dont Le Bouvier Desmortiers cite quelques écrits. – La dactylologie était l'instrument favori de ce sourd-muet très-remarquable, auquel nous sommes redevables, dit-on, de l'adoption de ce mot grec.

L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès

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