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Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même des idées métaphysiques? – Divers essais infructueusement tentés pour arriver à une écriture universelle. – Descartes et Leibnitz ne croient pas à la possibilité d'un succès. – M. de Lamennais est d'un avis contraire. – La fusion de toutes les langues en une seule, si elle était possible, serait-elle durable? – La mimique est la seule langue universelle. – Tentative heureuse de Bébian pour peindre le geste et le fixer sur le papier comme on y fixe la parole. – Sa MIMOGRAPHIE.

Avant de passer outre, il me reste à réfuter une objection qu'on a prétendu opposer à la donnée primitive de la méthode de l'abbé de l'Épée.

«La langue des sourds-muets n'aurait pas besoin, a-t-on dit, d'être apprise, si elle ne consistait qu'en signes naturels; mais la diversité des opérations de l'esprit et le nombre infini de relations dont la combinaison des idées rend les objets susceptibles ne permettront jamais d'exprimer par ces seuls signes tout ce qui se passe en nous, et, malgré les rêveries de St-Martin et de quelques autres idéologues, l'on sera toujours obligé de recourir aux signes conventionnels. Ces considérations auraient dû convaincre les glossographes de l'impossibilité même absolue d'établir une langue vraiment universelle.»

Nous accorderons que les essais tentés par plusieurs savants, sous diverses dénominations16, ont tous échoué jusqu'à présent, comme il était indubitable qu'ils échoueraient, puisqu'ils n'avaient rien moins pour but que de résoudre le problème, jusqu'alors insoluble, d'une classification raisonnée des idées à substituer à l'ancien catalogue des mots par ordre alphabétique.

S'il faut ajouter foi à certains témoignages, Leibnitz aurait emprunté à Descartes l'idée de son Alphabet des pensées, titre dont il a décoré sa langue caractéristique universelle, consistant dans le catalogue exact des notions composées, c'est-à-dire des pensées, des jugements, marqués chacun d'un caractère propre et spécial.

Descartes, après avoir tâché de démontrer, de son côté, qu'il est absolument impossible d'essayer de fixer une langue universelle, à moins d'établir un ordre logique et suivi entre toutes les pensées qu'enfante l'esprit humain, comme il en existe naturellement entre les nombres, se croit fondé à conclure (Lettres, – tom. 2, p. 550), que ce n'est que dans le pays des romans que cette langue peut devenir familière à tous les habitants d'une ville, à tout un peuple, à tous les peuples.

De nos jours, M. de Lamennais paraît, au contraire, intimement convaincu de la solution possible du problème, quand il dit dans son Esquisse d'une philosophie: «Le mélange des langues tend à rendre commun aux familles distinctes qui les parlent le développement de chacune d'elles, à fondre tous les progrès dans un seul progrès, le progrès de l'espèce: ce qui fait concevoir une époque future où, la fusion étant complète et le genre humain étant parvenu à se constituer dans l'unité, toutes les langues aussi se fondront dans une seule langue universelle.»

Après les diverses raisons alléguées par ces grands philosophes, serons-nous mal venu à soutenir, supposé même que cette tentative fût couronnée d'un plein succès, que les passions ou les caprices de chaque peuple finiraient nécessairement par effacer bientôt le caractère d'unité qu'on serait parvenu à imprimer à ce projet de langue universelle?

Et serons-nous plus mal venu, nous sourd-muet, à vous offrir pour essai (c'est aux savants que nous nous adressons), après notre illustre maître l'abbé de l'Épée, la langue dans laquelle nous nous communiquons nos pensées et nos sentiments sans proférer une parole, la mimique? Observez-le bien, cette langue suffit abondamment, selon nous, à tout ce qu'on est en droit d'exiger d'elle, si restreint qu'on suppose, à priori, le nombre d'éléments dont elle se compose. Mais ce que vous y remarquerez vous avertira assurément que, pour en arriver là, elle a besoin de vous voir réunir hardiment vos efforts aux nôtres. Et qui d'entre vous se refusera à reconnaître, après cela, que Descartes a eu tort de nous renvoyer au pays des chimères?

D'un autre côté, un des disciples les plus brillants de l'abbé de l'Épée, Bébian, ancien censeur des études à l'institution des sourds-muets de Paris, est venu à bout de peindre le geste et de le fixer sur le papier comme on y fixe la parole. Sa mimographie, qui n'est qu'un essai, ne renferme, il est vrai, qu'un petit nombre de caractères à l'aide desquels il démontre la possibilité d'écrire tous les signes qu'on veut, mais il ne tient qu'à nous d'élargir son cadre et de la mettre à la portée du genre humain. D'avance nous pouvons répondre du succès, car il repose sur le fond de notre nature même, je veux dire sur notre organisation physique. En effet, le langage des gestes n'est-il pas le premier que nous apportons tous en naissant? L'usage seul si commode de la parole vous force plus tard à négliger de le cultiver aussi soigneusement, aussi fructueusement que nous le faisons, nous qui sommes déshérités de cet avantage.

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La Polygraphie ou écriture universelle, cabalistique, de Trithème. – L'ouvrage de Comenius intitulé: Janua linguarum reserta (1601). – Bécher de Spire (1661). Character pro notitiâ linguarum universale. – John Wilkins, an essay towards a real character and philosophical. – La Pasigraphie, ou écriture universelle, du chevalier de Maimieux. —L'anti-pasigraphie de Vater. —Manuel polyglote de Cambry, d'après le plan de Bécher. —Essai pasigraphique de Zacharie Nather. —Cours de Pasigraphie de Schmid, ouvert en 1807 au lycée de Dilengen.

Ces citations sont extraites de l'Investigateur, journal de l'institut historique. Tome IX, 172e livraison. – Mars 1849.

L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès

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