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NOUVELLE III.

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Du chantre, basse-contre de Saint-Hilaire de Poitiers, qui accompara les chanoines à leurs potages.

En l’église Saint-Hilaire de Poitiers, y eut jadis un chantre qui servoit de basse-contre, lequel, parce qu’il étoit bon compagnon, et qu’il buvoit bien (ainsi que voulentiers font telles gens), étoit bien venu entre les chanoines, qui l’appeloient bien souvent à dîner et à souper. Et, pour la familiarité qu’ils lui faisoient, lui sembloit qu’il n’y avoit celui d’eux qui ne désirât son avancement; qui étoit cause que souvent il disoit à l’un et puis à l’autre: «Monsieur, vous savez combien de temps il y a que je sers en l’église de céans; il seroit désormais temps que je fusse pourvu: je vous prie le vouloir remontrer en chapitre. Je ne demande pas grand’chose: vous autres, messieurs, avez tant de moyens41; je me contenterai de l’un des moindres.» Sa requête étoit bien prinse et écoutée, et chacun d’eux en particulier lui faisoit bonne réponse; disant que c’étoit chose raisonnable. «Et quand Chapitre n’auroit la commodité de te récompenser, lui disoient-ils, je t’en baillerai plutôt du mien.» Somme, à toutes les entrées et issues de chapitre, où il se trouvoit toujours pour se ramentevoir à messieurs, ils lui disoient à une voix42: «Attends encore un petit; Chapitre ne t’oubliera pas; tu auras le premier qui vaquera.» Mais quand ce venoit au fait, il y avoit toujours quelque excuse: ou que le bénéfice étoit trop gros, et pourtant l’un de messieurs l’avoit eu; ou qu’il étoit trop petit, et qu’on ne lui voudroit faire présent d’un si peu de chose; ou qu’ils avoient été contraints de le bailler à un des neveux43 de leur frère; mais qu’il n’y auroit faute qu’il n’eût le premier vacant. Et de ces belles paroles ils entretenoient ce basse-contre, tant, que le temps se passoit; et servoit toujours sans rien avoir. Et cependant, il faisoit toujours quelque présent, selon sa petite faculté, à messieurs tel et tel, de ceux qu’il connoissoit avoir la plus grande voix en chapitre: comme fruits nouveaux, poulets, pigeonneaux, perdriaux, selon la saison, que le pauvre chantre achetoit au marché vieux ou à la regretterie44, leur faisant accroire qu’ils ne lui coûtoient rien. Et toujours ils prenoient. A la fin, le basse-contre voyant qu’ils n’en étoient jamais meilleurs, ains qu’il y perdoit son temps, son argent et sa peine, se délibéra de ne s’y attendre plus; mais il se proposa de leur montrer quelle opinion il avoit d’eux; et, pour ce faire, il trouva façon de mettre cinq ou six écus ensemble; et tandis qu’il les amassoit (car il y falloit du temps), il commença à tenir plus grand compte de messieurs qu’il n’avoit de coutume, et à user de plus grand’ discrétion. Quand il vit son jour45 à point, il s’en vint aux principaux d’entre eux, et les pria l’un après l’autre qu’ils lui voulsissent faire cet honneur de dîner le dimanche prochain en sa maison; leur disant qu’en neuf ou dix ans qu’il y avoit qu’il étoit à leur service, il ne pouvoit faire moins que leur donner une fois à dîner; et qu’il les traiteroit, non pas comme il leur appartenoit, mais au moins mal qu’il lui seroit possible; toujours usant de telles paroles de respect. Ils lui promirent, mais ils ne furent pas si mal soigneux que, quand ce vint le jour assigné, ils ne fissent faire leur cuisine ordinaire chacun chez soi, de peur d’être mal dînés chez ce basse-contre, se fiant plus en sa voix qu’en sa cuisine. A l’heure du dîner, chacun envoie son ordinaire chez le chantre, lequel disoit aux varlets qui l’apportoient: «Comment, mon ami, monsieur votre maître me fait-il tort? a-t-il si grand’peur d’être mal traité! il ne devoit rien envoyer.» Et cependant il prenoit tout. Et à mesure qu’ils venoient, il mettoit tous les potages ensemble en une grande marmite qu’il avoit expressément apprêtée en un coin de cuisine. Voici messieurs venus pour dîner, qui s’assirent tous selon leurs indignités46. Le chantre leur présente, de belle entrée de table, les potages de cette marmite. Et Dieu sait de quelle grâce ils étoient; car l’un avoit envoyé un chapon aux poireaux, l’autre au safran; l’autre avoit la pièce de bœuf poudrée47 aux naveaux48; l’autre un poulet aux herbes, l’autre bouilli, l’autre rôti. Quand ils virent ce beau service, ils n’eurent pas le courage d’en manger; mais ils attendoient chacun que leur potage vînt, sans prendre garde qu’ils les eussent devant eux. Mon chantre, qui alloit et venoit, faisant bien l’empêché à les servir, regardoit toujours leur contenance de table. Étant le service un peu long, ils ne se purent tenir de lui dire: «Ote-nous ces potages, basse-contre, et nous apporte les nôtres.—Ce sont bien les vôtres, dit-il.—Les nôtres? non, sont pas.—Si sont bien,» dit-il. A l’un: «Voilà vos naveaux!» à l’autre: «Voilà vos choux!» à l’autre: «Voilà vos poireaux!» Lors ils commencèrent à reconnoître leurs soupes et à s’entre-regarder. «Vraiment! dirent-ils, nous en avons d’une. Est-ce ainsi que tu traites tes chanoines, basse-contre? Le diable y ait part!—Je disois bien que ce fol nous tromperoit, disoit l’un; j’avois le meilleur potage que je mangeai de cet an.—Et moi, disoit l’autre, j’avois tant bien fait accoutrer49 à dîner! je me doutois bien qu’il le valoit mieux manger chez moi.» Quand le basse-contre les eut bien écoutés: «Messieurs, dit-il, se vos potages étoient tous si bons, comment seroient-ils empirés en si peu de temps? Je les ai fait tenir auprès du feu, bien couverts; il me semble que je ne pouvois mieux faire.—Voire-mais, dirent-ils, qui t’a apprins à les mettre ainsi tous ensemble? Savois-tu pas qu’ils ne vaudroient rien en la sorte?—Et donc, dit-il, ce qui est bon à part n’est pas bon assemblé! Vraiment! je vous en crois, et ne fût-ce que vous autres, messieurs; car, quand vous êtes chacun à part soi, il n’est rien meilleur que vous êtes: vous promettez monts et vaux; vous faites tout le monde riche de vos belles paroles; mais quand vous êtes ensemble en votre chapitre, vous ressemblez à vos potages.» Alors ils entendirent bien ce qu’il vouloit dire: «Ah! ah! dirent-ils, c’étoit donc là que tu nous attendois! Vraiment, tu as raison, va! Mais cependant, ne dînerons-nous point?—Si ferez, si ferez, dit-il, mieux qu’il ne vous appartient.» Et leur apporta ce qu’il leur avoit fait accoutrer, dont ils mangèrent très-bien, et s’en allèrent contents. Et conclurent ensemble, dès l’heure, qu’il seroit pourvu; ce qu’ils firent. Ainsi, son invention de soupes lui valut plus que toutes ses requêtes et importunités du temps passé.

Les Contes; ou, Les nouvelles récréations et joyeux devis

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