Читать книгу Les Contes; ou, Les nouvelles récréations et joyeux devis - Bonaventure des Périers - Страница 12

NOUVELLE V.

Оглавление

Table des matières

Des trois sœurs, nouvelles épousées, qui répondirent chacune un bon mot à leurs maris la première nuit de leurs noces.

Au pays d’Anjou, y eut jadis un gentilhomme qui étoit riche et de bonne maison; mais il étoit un peu sujet à ses plaisirs. Il avoit trois filles, belles et de bonne grâce, et de tel âge, que la plus petite eût bien attendu le combat corps à corps. Elles étoient demourées sans mère, jà long temps avoit. Et parce que le père étoit encore en bon âge, il entretenoit toujours ses bonnes coutumes, qui étoient de recevoir en sa maison toutes joyeuses compagnies; là où l’ordinaire étoit de baller58, jouer et toutes sortes de bonnes chères. Et d’autant qu’il étoit de sa nature indulgent, facile et sans grand soin du fait de sa maison, ses filles avoient assez de liberté de deviser avec les jeunes gentilshommes, lesquels communément ne parlent pas de renchérir le pain, ne encore du gouvernement de la république. Davantage, le père faisoit l’amour de son côté comme les autres; qui donnoit une hardiesse plus grande aux jeunes damoiselles de se laisser aimer, et par conséquent d’aimer aussi. Car elles, ayant le cœur en bon lieu, et sentant leur bonne maison, estimoient être chose de reproche et d’ingratitude d’être aimées et n’aimer point. Pour toutes ces raisons ensemble, étant chacune d’elles prisée, caressée et poursuivie tous les jours et à toutes heures, elles se laissèrent gagner à l’amour, eurent pitié de leur semblable, et commencèrent à jouer au passe-temps de deux à deux, chacune en leur endroit. Auquel jeu elles exploitèrent si bien que les enseignes59 en sortirent. Car la plus âgée, qui étoit mûre et drue, ne se print garde que le ventre lui leva; dont elle fut un peu étonnée, car il n’y avoit moyen de se tenir couverte, comme en un lieu où il n’y a point de mère, lesquelles se prennent garde que leurs filles ne soient trop tôt abusées, ou bien elles savent remédier aux inconvénients quand il leur est advenu quelque surprise. Et la fille, n’ayant avis ni moyen aucun de se dérober sans le congé de son père, ce fut force qu’il le sût. Quand il eut entendu cette nouvelle, il en fut fâché de prime-face; mais il ne s’en désespéra point autrement; d’autant qu’il étoit de cette bonne pâte de gens qui ne prennent point trop les matières à cœur. Et à dire vrai, de quoi sert se tourmenter d’une chose, quand elle est faite, sinon de l’empirer? Il envoie soudain sa fille aînée à deux ou trois lieues de là, chez une de leurs tantes, sous couleur de maladie, parce que l’avis des médecins étoit que le changement d’air lui étoit nécessaire; et ce, en attendant que les petits pieds sortissent60. Mais comme une fortune ne vient jamais seule, ce pendant qu’elle sortoit d’affaires, sa sœur la seconde y entroit; peut-être par permission divine, pour s’être en son cœur moquée de sa sœur aînée, dont Dieu la voulut punir. Pour faire court, elle s’aperçut qu’elle en avoit dedans le dos, dis-je dedans le ventre, et le père le sut aussi. «Eh bien! dit-il, Dieu soit loué: c’est le monde qui croît: nous fûmes ainsi faits.» Et se doutant de tout, il s’en vint à la plus jeune, laquelle n’étoit pat encore grosse, mais elle en faisoit son devoir tant qu’elle pouvoit. «Et toi, ma fille, comme te portes-tu? N’as-tu pas bien suivi le train de tes sœurs aînées?» La fille, qui étoit jeunette, ne se put tenir de rougir, ce que le père print pour une confession. «Or bien, dit-il, Dieu vous doint bonne aventure, et nous garde de plus grande fortune!» Si se pensa pourtant qu’il étoit temps de pourvoir à ses affaires; ce qu’il connoissoit fort bien ne pouvoir mieux faire qu’en mariant ses trois filles; mais il le trouvoit un petit malaisé; car il savoit bien que de les bailler à ses voisins, il n’y avoit ordre; d’autant que le fait de sa maison étoit connu, ou pour le moins bien suspect. D’autre part, de les faire prendre à ceux qui étoient les faiseurs, ce n’étoit chose qui se pût bonnement faire; car possible qu’il y en avoit plus d’un, et que l’un avoit fait les pieds, et l’autre les oreilles, et quelque autre encore le nez. Que sait-on comment les choses de ce monde vont? Et puis, encore qu’il n’y en eût eu qu’un à chacune, un homme ne se fie pas voulentiers à une fille qui lui a prêté un pain sus la fournée. Le père trouva le plus expédient d’aller chercher des gendres un peu à l’écart. Et comme les hommes de joyeuse nature et de bonne chère, à grand’ peine finissent-ils mal, il ne faillit pas à rencontrer ce qu’il lui faisoit besoin; qui fut au pays de Bretagne, où il étoit bien connu, tant pour le nom de sa maison que pour le bien qu’il avoit audit pays, non guère loin de la ville de Nantes. Au moyen de quoi, lui fut facile de causer61 son voyage là-dessus. Bref, quand il fut audit pays, tant par personnes interposées que par lui-même, il mit en avant le mariage de ses filles; à quoi les Bretons ouvrirent assez tôt les oreilles; de sorte qu’il en trouva à choisir. Mais, entre tous, il trouva une riche maison de gentilhomme de Bretagne où il y avoit trois fils de bon âge et de belle taille, beaux danseurs de passe-pieds et de trihoris62, beaux lutteurs et n’en eussent craint homme collet à collet: de quoi mon gentilhomme fut fort aise. Et parce que le plus tôt étoit le meilleur, il conclut son affaire promptement avec le père et les trois enfants, qu’ils prendroient ses trois filles en mariage, et même qu’ils feroient de trois noces une, savoir est, qu’ils épouseroient tous trois en un jour. Et, pour ce faire, les trois frères s’apprêtèrent en peu de temps, et partirent de leur maison pour venir en Anjou avec le père des trois filles. Or, n’y avoit celui des trois qui ne fût assez accort. Car, combien qu’ils fussent Bretons, toutefois ils n’étoient pas tonnants63, et s’étoient mêlés de faire de bons tours avec ces brettes, qui sont d’assez bonne voulenté, comme l’on dit; toutefois, hors de combat64. Quand ils furent en la maison du gentilhomme, ils se prindrent à regarder la contenance chacun de sa chacune, et les trouvèrent toutes trois belles, disposes et éveillées; parmi cela, elles faisoient bien les sages. Les mariages furent conclus, les apprêts se firent: ils achetèrent leurs bans et leurs selles65 de l’évêque. Quand la veille des noces fut venue, le père appela ses trois filles en une chambre à part, et leur va dire ainsi: «Venez çà! vous savez quelle faute vous avez faite toutes trois, et en quelle peine vous m’avez mis. Si j’eusse été de la nature de ces pères rigoureux, je vous eusse désavouées pour filles, et jamais n’eussiez amendé66 de mon bien. Mais ai mieux aimé prendre peine une bonne fois pour raccoutrer les choses, que non pas vous mettre toutes trois au désespoir, et moi en perpétuel regret pour votre folie. Je vous ai ici amené à chacune un mari: délibérez-vous de leur faire bonne chère. Ayez bon courage, vous n’en mourrez pas. S’ils s’aperçoivent de quelque chose, à leur dam! pourquoi y sont-ils venus? Il les falloit aller quérir. Quand vous teniez vos états, vous ne songiez pas en eux, n’est-il pas vrai?» Et elles répondirent toutes trois, en souriant, que non. «Eh bien! donc, dit le père, vous ne leur avez point encore fait de faute. Mais pour l’avenir, ne me mettez plus en cet ennui, par faute de bien vous gouverner; gardez-vous-en bien. Et je vous assure que je suis délibéré de mettre en oubli toutes les fautes du temps passé. Et si y a bien plus (pour vous donner meilleur courage), je vous promets que celle de vous qui dira le meilleur savouret67, la première nuit qu’elle sera avec son mari, je lui donnerai deux cents écus davantage qu’aux deux autres. Or allez, et pensez bien à votre cas.» Après ce bon admonestement, il se va coucher, et les filles aussi, lesquelles pensèrent bien, chacune à part soi, quel bon mot elles pourroient dire, la nuit des combats, pour avoir ces deux cents écus; mais elles se délibérèrent à la fin d’attendre l’assaut, espérant que le bon Dieu leur donneroit sus l’heure ce qu’elles auroient à dire. Le jour des noces fut l’endemain68: ils épousèrent; ils font grande chère; ils ballent; que voulez-vous plus? Les lits se font: les trois pucelles de Marolles69 se couchent, et les maris après. Celui de la plus grande, en la mignardant, lui met la main sus le ventre et partout; qui trouva incontinent qu’il étoit un peu ridé par le bas: qui lui fit souvenir qu’on la lui avoit belle baillée. «O ho! dit-il, les oiseaux s’en sont allés.» La damoiselle lui répond tout comptant: «Tenez-vous au nid.» Et une. Le mari de la seconde, en la maniant, trouva que le ventre étoit un peu rond: «Comment, dit-il, la grange est pleine!—Battez à la porte,» lui répondit-elle. Et deux. Le mari de la tierce, en jouant les jeux, connut incontinent qu’il n’étoit pas le fol70. «Le chemin est battu,» dit-il. La jeune lui dit: «Vous ne vous en égarerez pas sitôt.» Et trois. La nuit se passe; le lendemain elles se trouvèrent devant leur père; et chacune lui rapporta ce qui lui étoit advenu et ce qu’elle avoit répondu. Quæritur71 à laquelle des trois le père devoit donner les deux cents écus. Vous y songerez, et ne sais si vous serez point des miens, qui suis d’avis qu’elles devoient toutes trois départir72 les deux cents écus; ou bien, en avoir chacune deux cents, propter mille rationes, quarum ego dicam tantum unam, brevitatis causa; c’est-à-dire, pour mille raisons, dont je vous en dirai une pour briéveté: c’étoit que toutes trois étoient de bonne voulenté. Toute bonne voulenté est réputée pour le fait. Ergo in tantum consequentia est, in barbara73, ou ailleurs. Mais cependant, s’il ne vous déplaît, je vous ferai une question à propos de celle-ci: Lequel vous aimeriez mieux, être cocu en herbe ou en gerbe? Et ne répondez pas trop tôt, qu’il vaut mieux l’avoir été en herbe et ne l’être point en gerbe; car vous savez combien c’est chose rare et de grand contentement, que d’épouser une pucelle. Eh bien! s’elle vous fait cocu après, le plaisir vous demeure toujours (je ne dis pas d’être cocu, je dis de l’avoir dépucelée). Et puis, vous avez mille faveurs, mille avantages à cause d’elle. Pantagruel74 le dit bien. Mais je ne veux pas débattre les raisons d’une part et d’autre. Je vous en laisse le pensement à votre loisir; puis vous m’en saurez à dire.

Les Contes; ou, Les nouvelles récréations et joyeux devis

Подняться наверх