Читать книгу Les Contes; ou, Les nouvelles récréations et joyeux devis - Bonaventure des Périers - Страница 8
NOUVELLE I.
ОглавлениеEN FORME DE PRÉAMBULE.
Je vous gardois ces joyeux Propos à quand la paix seroit faite10, afin que vous eussiez de quoi vous réjouir publiquement et privément, et en toutes manières. Mais quand j’ai vu qu’il s’en falloit le manche, et qu’on ne savoit par où la prendre, j’ai mieux aimé m’avancer pour vous donner moyen de tromper le temps, mêlant des réjouissances parmi vos fâcheries, en attendant qu’elle se fasse de par Dieu. Et puis, je me suis avisé que c’étoit ici le vrai temps de les vous donner; car c’est aux malades qu’il faut médecine. Et vous assurez que je ne fais pas peu de chose pour vous, en vous donnant de quoi vous réjouir, qui est la meilleure chose que puisse faire l’homme. Le plus gentil enseignement pour la vie, c’est bene vivere et lætari. L’un vous baillera pour un grand notable11, qu’il faut réprimer son courroux; l’autre, peu parler; l’autre, croire conseil; l’autre, être sobre; l’autre, faire des amis. Et bien, tout cela est bon; mais vous avez beau étudier, vous n’en trouverez point de tel qu’est: Bien vivre et se réjouir. Une trop grande patience vous consume; un taire12 vous tient gehenné13; un conseil vous trompe; une diète vous dessèche; un ami vous abandonne. Et pour cela, vous faut-il désespérer? Ne vaut-il pas mieux se réjouir, en attendant mieux, que se fâcher d’une chose qui n’est pas en votre puissance? Voire-mais, comment me réjouirai-je, si les occasions n’y sont, direz-vous? Mon ami, accoutumez-vous-y. Prenez le temps comme il vient; laissez passer les plus chargés; ne vous chagrinez point d’une chose irrémédiable. Cela ne fait que donner mal sur mal, croyez-moi, et vous vous en trouverez bien; car j’ai bien éprouvé que, pour cent francs de mélancolie, n’acquitterons pas pour cent sols de dette. Mais laissons là ces beaux enseignements, ventre d’un petit poisson! Rions. Et de quoi? de le bouche, du nez, du menton, de la gorge, et de tous nos cinq sens de nature. Mais ce n’est rien, qui ne rit du cœur. Et pour vous aider, je vous donne ces plaisants Contes. Et puis, nous vous en songerons bien d’assez sérieux quand il sera temps. Mais savez-vous quels je vous les baille? Je vous promets que je n’y songe ne mal ne malice. Il n’y a point de sens allégorique, mystique, fantastique. Vous n’aurez point de peine de demander: «Comment s’entend ceci? comment s’entend cela?» Il n’y faut ne vocabulaire ne commentaire. Tels les voyez, tels les prenez. Ouvrez le livre: se un conte ne vous plaît, haye14 à l’autre. Il y en a de tous bois, de toutes tailles, de tous estocs, à tous prix et à toutes mesures, fors que pour pleurer. Et ne me venez point demander quelle ordonnance j’ai tenue; car quel ordre faut-il garder quand il est question de rire? Qu’on ne me vienne non plus faire des difficultés. «Oh! ce ne fut pas cettui-ci qui fit cela.—Oh! ceci ne fut pas fait en ce quartier-là.—Je l’avois déjà ouï conter.—Cela fut fait en notre pays.» Riez seulement, et ne vous chaille, si ce fut Gautier ou si ce fut Garguille15. Ne vous souciez point si ce fut à Tours en Berry ou à Bourges en Touraine16: vous vous tourmenteriez pour néant; car comme les ans ne sont que pour payer les rentes, aussi les noms ne sont que pour faire débattre les hommes. Je les laisse aux faiseurs de contrats et aux intenteurs de procès. S’ils y prennent l’un pour l’autre, à leur dam! Quant à moi, je ne suis point si scrupuleux. Et puis, j’ai voulu feindre quelques noms tout exprès, pour vous montrer qu’il ne faut point pleurer de tout ceci que je vous conte; car peut-être17 qu’il n’est pas vrai. Que me chaût-il, pourvu qu’il soit vrai que vous y prenez plaisir? Et puis, je ne suis point allé chercher mes contes à Constantinople, à Florence, ne à Venise, ne si loin que cela; car s’ils sont tels que je les vous veux donner, c’est-à-dire pour vous récréer, n’ai-je pas mieux fait d’en prendre les instruments18 que nous avons à notre porte, que non pas les aller emprunter si loin? Et comme disoit le bon compagnon, quand à chambrière, qui étoit belle et galante, lui venoit faire les messages de sa maîtresse: «A quoi faire irai-je à Rome? les pardons sont par deçà19.» Les nouvelles qui viennent de si lointain pays, avant qu’elles soient rendues sur le lieu, ou elles soupirent20 comme le safran, ou s’enchérissent comme les draps de soie, ou il s’en perd la moitié, comme des épiceries, ou se buffettent21 comme les vins, ou sont falsifiées comme les pierreries, ou sont adultérées comme tout; bref, elles sont sujettes à mille inconvénients, sinon que vous me veuillez dire que les nouvelles ne sont pas comme les marchandises, et qu’on les donne pour le prix qu’elles coûtent. Et vraiment, je le veux bien. Et pour cela, j’aime mieux les prendre près, puisqu’il n’y a rien à gagner22. Ha! ha! c’est trop argué23. Riez, si vous voulez; autrement, vous me faites un mauvais tour. Lisez hardiment, dames et damoiselles; il n’y a rien qui ne soit honnête; mais se, d’aventure, il y en a quelques-unes d’entre vous qui soient trop tendrettes, et qui aient peur de tomber en quelques passages trop gaillards, je leur conseille qu’elles se les fassent échansonner24 par leurs frères, ou par leurs cousins, afin qu’elles mangent peu de ce qui est trop appétissant. «Mon frère, marquez-moi ceux qui ne sont pas bons, et y faites une croix.—Mon cousin, cettui-ci est-il bon?—Oui.—Et cettui-ci?—Oui.» Ah! mes fillettes, ne vous y fiez pas, ils vous tromperont, ils vous feront lire un quid pro quod25 Voulez-vous me croire? lisez tout, lisez, lisez. Vous faites bien les étroites! Ne les lisez donc pas. A cette heure, verra-l’on si vous faites bien ce qu’on vous défend. O quantes dames auront bien l’eau à la bouche quand elles orront26 les bons tours que leurs compagnes auront faits! et qu’elles diront bien qu’il n’y en a pas à demi! Mais je suis content que, devant les gens, elles fassent semblant de coudre ou de filer, pourvu qu’en détournant les yeux elles ouvrent les oreilles, et qu’elles se réservent à rire quand elles seront à part elles. Eh! mon Dieu! que vous en comptez de bonnes, quand il n’y a qu’entre vous autres, femmes, ou qu’entre vous, fillettes! Grand dommage! Ne faut-il pas rire? Je vous dis que je ne crois point ce qu’on dit de Socrate, qu’il fut ainsi sans passions. Il n’y a ne Platon ne Xénophon, qui le me fît accroire. Et quand bien il seroit vrai, pensez-vous que je loue cette grande sévérité, rusticité, tétricité27, gravité? Je louerois beaucoup plus celui, de notre temps, qui a été si plaisant en sa vie, que, par une antonomasie28, on l’a appelé le Plaisantin29; chose qui lui étoit si naturelle et si propre, qu’à l’heure même de sa mort, combien que tous ceux qui y étoient le regrettassent, si ne purent-ils jamais se fâcher... tant il mourut plaisamment! On lui avoit mis son lit au long du feu, sus le plâtre du foyer, pour être plut chaudement; et quand on lui demandoit: «Or çà, mon ami, où vous tient-il?» il répondoit tout foiblement, n’ayant plus que le cœur et la langue: «Il me tient, dit-il, entre le banc et le feu,» qui étoit à dire, qu’il se portoit mal de toute la personne. Quand ce fut à lui bailler l’extrême-onction, il avoit retiré ses pieds à quartier, tout en un monceau; et le prêtre disoit: «Je ne sais où sont ses pieds.—Eh! regardes, dit-il, au bout de mes jambes, vous les trouverez.—Eh! mon ami ne vous amusez point à railler, lui disoit-on; recommandez-vous à Dieu.—Et qui y va? dit-il.—Mon ami, vous irez aujourd’hui, si Dieu plaît.—Je voudrois bien être assuré, disoit-il, d’y pouvoir être demain pour tout le jour.—Recommandez-vous à lui, et vous y serez en hui30.—Et bien, disoit-il, mais que j’y sois, je ferai mes recommandations moi-même.» Que voulez-vous de plus naïf que cela? Quelle plus grande félicité? certes, d’autant plus grande, qu’elle est octroyée à si peu d’hommes!