Читать книгу Les Contes; ou, Les nouvelles récréations et joyeux devis - Bonaventure des Périers - Страница 5

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.... Vous donc, jeunes fillettes,

Cueillez bientôt les roses vermeillettes

A la rosée, avant que le temps vienne

Les dessécher: et tandis vous souvienne

Que cette vie, à la mort exposée,

Se passe ainsi que roses ou rosée.

Le volume est terminé par une espèce de post-face de Jean de Tournes, qui est entièrement hors-d’œuvre, mais qui contient d’excellentes idées sur la question de contrefaçon, si débattue aujourd’hui, et une apostille de cet illustre imprimeur, dans laquelle il exprime l’espoir de recouvrer incessamment d’autres ouvrages du poète. Cette seconde partie n’a jamais paru, et la première, qui n’a pas été réimprimée, est d’une grande rareté, comme tous les ouvrages de Des Periers en édition originale. Il ne faut cependant pas juger de sa valeur par le prix exorbitant de 272 francs qu’elle vient d’atteindre à la vente des livres de M. de Pixérécourt. L’exemplaire acquis à ce taux hyperbolique doit plus de moitié de sa fortune aux armoiries du comte d’Hoym, dont les plats de sa couverture étoient décorés. Il est permis de douter que le nom et les armes des grands seigneurs de notre époque impriment à leurs livres, quand ils en ont, une recommandation aussi profitable: l’âge des bibliothèques est passé. Le plus curieux de tous les cabinets du monde ne rapporte pas d’intérêts.

L’ouvrage de Bonaventure Des Periers auquel nous arrivons par l’ordre chronologique des publications est beaucoup moins connu que les précédens, quoiqu’il soit encore plus digne de l’être. Il faut fouiller dans ces vagues mais précieuses archives de l’histoire littéraire qu’on appelle les Ana, ou interroger de vieux catalogues, pour en retrouver quelques indices. La Monnoye a cru pouvoir l’attribuer à Élie Vinet et à Jacques Pelletier du Mans, si souvent nommé dans la biographie de Des Periers, et c’est l’opinion que M. Barbier a suivie, quoique des savans, mieux fondés dans leurs conjectures, en fissent honneur à Des Periers. Mais qui se seroit résigné à l’examen approfondi de cette question, quand l’éditeur du livre semble avoir pris plaisir à la rendre tout-à-fait étrangère aux études sérieuses, par le choix d’un titre énigmatique et bizarre qui n’annonce qu’une lourde facétie? C’est en 1557 qu’Enguilbert de Marnef imprima, à Poitiers, avec une élégance à laquelle l’imprimerie n’atteindra plus, le singulier volume in-4o de 112 pages, intitulé: Discours non plus mélancoliques que divers, de choses mesmement qui appartiennent à notre France: et à la fin, la manière de bien et justement entoucher les lucs et guiternes. Personne n’est tenté, il faut en convenir, d’aller chercher un chef-d’œuvre là-dessous. Pour l’y trouver, il faut lire, et l’occasion de lire les Discours se présente fort rarement, car mes recherches ne constatent pas l’existence de plus de trois exemplaires. J’en possède un que j’ai lu et relu souvent, le lecteur peut m’en croire, et je lui dois le fruit de mes observations dont il est maître de tirer telle conséquence que bon lui semble. Ma conviction est aussi parfaitement établie que si j’avois assisté à la composition du livre, mais je n’ai pas l’autorité nécessaire pour l’imposer à personne, et c’est un de mes moindres soucis.

Jacques Pelletier étoit l’ami de Des Periers résidant à Montpellier, en 1544, qui avoit conservé en ses mains une partie des nobles reliques de cet admirable écrivain, et dont Antoine Du Moulin fait mention dans sa dédicace à la reine de Navarre. Il étoit à Paris, en 1556 ou 1557, prêt à commencer d’assez longs voyages en Italie, en Suisse et en Savoie. Il étoit venu peut-être y recueillir l’héritage littéraire de son compatriote Nicolas Denisot, mort un ou deux ans auparavant, et y préparer la publication des ouvrages inédits de Des Periers, qui parurent, en effet, peu de temps après. Ses habitudes de cosmopolite lui avoient procuré des relations suivies avec les gens de lettres et les libraires d’un grand nombre de villes, mais plus particulièrement de Lyon et de Poitiers, où il avoit plus long-temps résidé que partout ailleurs. Les Discours dont nous nous occupons maintenant furent cédés à Enguilbert de Marnef, qui imprimoit à Poitiers, et les Nouvelles Récréations à Robert Granjon, qui imprimoit à Lyon. Pelletier, disposé à s’expatrier, ne pouvoit se dispenser de rendre ce dernier devoir à la mémoire de Des Periers, et il seroit même assez difficile d’expliquer qu’il eût tardé si long-temps d’accomplir cette obligation, si la réprobation fatale qui pesoit sur l’auteur du Cymbalum Mundi avoit permis de le rappeler sans péril. Que Pelletier ait introduit dans ces deux ouvrages quelques pièces posthumes de Nicolas Denisot, c’est une chose naturelle à supposer et facile à comprendre. Il est encore moins douteux qu’il ait saisi cette occasion de faire voir le jour à quelques-uns de ses opuscules, qui risquoient de se perdre, sans cette précaution, à cause de leur peu d’étendue. Malheureusement pour Pelletier et Denisot, leur part n’est pas difficile à retrouver dans les pages si spirituellement pensées et si vivement écrites de Des Periers, qui ne laissa son secret à personne, au moins parmi ses contemporains. Quant au bonhomme Élie Vinet, il n’a certainement rien à y réclamer, et la méprise de La Monnoye repose, selon toute apparence, sur la conformité du sujet d’un de ces Discours, où il est traité de l’art de faire les cadrans, avec celui d’un livret qu’Élie Vinet a composé sur la même matière. Des Periers, comme Voltaire, inimitable bouffon, même dans les questions les plus sérieuses, avoit un cachet que l’on ne pouvoit contrefaire. Le Des Periers du Cymbalum Mundi est bien le Des Periers des Contes, et tous deux sont le Des Periers des Discours. Pour retrouver quelque chose de cette allure libre et badine, il faut remonter jusqu’à Rabelais, qui étoit mort en 1557, ou descendre jusqu’à l’auteur inconnu du Moyen de parvenir, qui n’étoit pas encore né. Il se distingue d’ailleurs de l’un et de l’autre par la vigueur adulte de son style sans pédantisme, sans affectation, sans manière, qui s’affranchit déjà des archaïsmes du premier, qui ne tombe pas encore dans les néologismes du second, et qui a tous les avantages d’une langue faite. Ce qui le caractérise, c’est cette ironie de bon ton, naturelle à un homme qui joint assez d’esprit à beaucoup de savoir pour estimer le savoir lui-même à sa véritable valeur, et qui se joue de son érudition avec la moqueuse gaieté du scepticisme, parce qu’il n’a pas besoin d’être savant pour être quelque chose. C’est, si l’on veut, la fatuité d’un homme du monde qui s’est acquis le droit de railler les pédans par des études plus fortes que les études des pédans, et qui ne se mêle à leurs débats que pour leur en laisser le ridicule. C’est surtout l’instinct du conteur aimable qui fait volontiers rentrer l’historiette jusque dans ses parenthèses, et l’expansion rieuse du philosophe insouciant qui fait consister la sagesse à rire de toutes choses. On mettroit à l’alambic tous les lourds ouvrages de Nicolas Denisot, de Jacques Pelletier et d’Élie Vinet, sans en tirer un atome de l’esprit de Des Periers. La proposition qui leur attribue un des ouvrages de Des Periers ne peut pas être soutenue.

Les Discours de Des Periers (qu’on me permette de convertir cette hypothèse en fait) appartiennent à ce genre d’écrits que l’on connoissoit alors sous le nom de Diverses Leçons, et qui aboutirent, sans beaucoup varier dans leur forme, au livre le plus éminent de notre ancienne littérature, les Essais de Montaigne. La philosophie sérieuse a moins de part aux Discours qu’aux Essais, ou plutôt elle y est déguisée sous une ironie si fine et si railleuse, que bien peu d’esprits pouvoient en pénétrer le mystère. A cela près, c’est un ouvrage d’examen sceptique, plus particulièrement appliqué aux études historiques et littéraires, à la grammaire et à l’archéologie. L’érudition ne s’étoit jamais montrée aussi spirituelle et aussi aimable que dans ces vingt chapitres, où le savoir d’Henri Estienne est assaisonné de tout le sel attique de Rabelais. L’étymologie, si mal connue jusque là, y est traitée avec une pénétration exquise; les traditions héréditaires de ces nombreuses générations de savans, dont l’opinion s’accréditoit de siècle en siècle, y sont présentées sous un point de vue moqueur qui en détruit le prestige. Rien ne se rapproche autant, dans les trois grandes époques de notre littérature, du persiflage de Voltaire. Le style même se ressent de cette anticipation sur l’âge de l’esprit françois, parvenu à son plus haut degré de raffinement; il est vif, coulant, enjoué, toujours pur, jusque dans son affectation badine. J’en citerai pour exemple, et non sans dessein, un passage où il est fait allusion à quelques pédans qui corrigeoient les vers de Térence:

«Puisque nostre langage actuel est sans quantité (je diray quelque jour ce que j’y en trouve, s’il plaist à Dieu), quand nous venons à parler les langues estranges, nous ne gardons la quantité naturelle desdits langages, que nous n’avons pas naturellement, si nous n’y estudions bien à bon escient, et ne l’apprenons de ceux qui ont naturels tels langages. Voyla pourquoy vous ne trouvés aujourd’hui homme qui, en parlant, garde ceste quantité en grec et latin, parce qu’il n’y a plus de gens qui parlent naturellement ces langages dont on puisse ouïr la vraye prononciation, et qu’ils ne se trouvent qu’aux livres, qui sont muets, comme sçavés. Quand doncques aujourdui je veus faire un vers latin, je vay voir en Virgile quelle quantité ont les syllabes des mots que je veus mettre en mon vers: autrement ne puis rien faire, et ne cognois que la première syllabe d’arma soit longue et l’autre courte, sinon que Virgile me l’enseigne, ou quelque autre ancien d’authorité. Mais qui a appris à Virgile que telle estoit la quantité de ces deux syllabes? Est-ce point le poëte Lucrèce, ou Enne qu’il lisoit tant, ou quelque autre de devant luy? Non, c’est nature (ne me venez icy sophistiquer sur ce mot de nature, je vous prie), car tout le monde à Romme, hommes, femmes, grans et petits, nobles et vilains, parloient le langage que voyés en Virgile et autres autheurs latins, et prononçoient arma, la première syllabe longue, et la seconde courte: et Virgile, incontinant qu’il a esté né, l’a ouï ainsi prononcer à sa nourrice, et estant grand en a ainsi usé pour la mesure de son vers héroïque. Que si quelqu’un doute de ce que je dy, qu’il ailhe lire le troisième livre de l’Orateur de Cicéron, et trouvera vers la fin que si ce grand Domine, alias, grand magister de nostre pays, qui a voulu adroisser un qui a plus d’escus que luy, parloit aujourd’hui son ramage à Romme, devant les poissonnières qui vendoient les bonnes huistres à Lucule, elles l’appelleroient plus barbare qu’il n’est rébarbatif, quoy qu’il fasse du fin. Et faut que je die icy, que je suis tout estonné de la mervelheuse audace d’un Espagnol, d’un Gaulois, de quelques Alemans et Italiens, qui en nostre temps ont osé entreprendre de corriger les vers de Térence. O les grans fols! barbares, qui ne sçavés ni sçaurés jamais prononcer droit la moindre syllabe qui soit en ce latin, osés-vous mettre là la main? J’entends bien que les anciens escrivains ont corrompu et gasté ce pauvre poëte, et trouverois bon à mervelhes qu’il fus rabilhé: mais qui est celui-là qui aujourdui le pourroit faire, et laudabimus eum? Lessés cela, quenalhe, et vous allés dormir, ni touchés, profanes, à ces saintes reliques: et s’il y a quelque chose que trouvés bonne à vostre goust, dites-en, faites-en tels livres que voudrés, mais n’y touchés. Car que sçavés-vous si ce langage coulant et commun de Romme ne passoit point des syllabes, que les grans messeres faisoient plus longues et poisantes, comme ils se portoient? et au contraire, si n’estendoit point quelquefois les courtes? Davantage ne sçavés-vous pas, et mesme par plusieurs lieux de Plaute, qu’on faisoit des solœcismes, des fautes, et la prononciation des paroles sotes et nouvelles, tout ainsi que voyés en nos tant plaisans badinages de France, et ce tout à gardefaite pour faire rire les assistans? Je pren le cas que le comique faisant parler yvroigne qui chancelle, un courroucé jusques à estre hors de sens, une folete chamberiere d’estrange païs, un vielhard tout blanc, tremblant, aie tout exprès pour le personnage mis ou plus ou moins de temps aus vers, de sorte qu’à ton aulne tu trouves une iambe en un trochaïque, ou un trochæe en un iambique, tu me viendras incontinant faire là du corrigeart, et gaster ce qui estoit bien? Mau de pipe te bire.»

L’Espagnol dont il est question dans cette piquante et judicieuse diatribe est certainement le Portugais Govea qui enseignoit publiquement à Lyon, pendant les deux dernières années de la vie de Des Periers, le Terentius pristino splendori restitutus, publié peu de temps après, et cette circonstance a toute la précision d’une date. Plusieurs autres passages des Discours marquent, en effet, qu’ils furent composés à Lyon, et vers la même époque. Mais ce qui les donne incontestablement à Des Periers, je le répète, c’est le style. Il n’y avoit plus personne, et il n’y avoit personne encore qui écrivît dans ce goût. La singulière dissertation sur la manière d’entoucher les lucs et guiternes, si bizarrement annexée à ces mélanges d’histoire et de haute littérature, est une preuve de plus. On sait déjà que cet art, qui étoit un des divertissemens favoris de Des Periers, avoit contribué à ses succès. C’étoit donc à Des Periers qu’il appartenoit d’en écrire. Et qui auroit pu le faire avec cette érudition facile et cette gaieté libertine qui le caractérise, si ce n’étoit Des Periers lui-même? Les savans artistes qui s’occupent des vicissitudes et des progrès de la facture instrumentale diroient mieux que moi si Des Periers a contribué, comme je le pense, au perfectionnement de la guitare; ce n’est pas là mon affaire. Ce que j’avois à cœur de démontrer, c’est qu’il a contribué au perfectionnement de la langue, et qu’il est fâcheux qu’une édition complète et bien soignée de ses Œuvres ait manqué jusqu’ici à notre bibliothèque classique. On y viendra, peut-être, quand la littérature du siècle, fatiguée de produire pour le lendemain, laissera quelques jours de relâche à nos presses. En attendant, il faut laisser passer les poésies rêveuses, les romans intimes et les feuilletons.

Les Nouvelles Récréations et Joyeux Devis de Des Periers, le dernier de ses ouvrages posthumes, dans l’ordre de publication, parurent à Lyon en 1558, petit in-4o, au même instant où paroissoit à Paris, par une remarquable coïncidence, l’Histoire des Amants fortunez, mise au jour par Pierre Boaistuau, dit Launay. C’est ici la première édition des Nouvelles de Marguerite de Valois, mais fort différente de la seconde, publiée par Gruget, en 1559, et par le nombre des contes, et par leur disposition, et par une grande partie des leçons du texte, et par une circonstance bien plus digne encore de considération: c’est que, suivant les expressions de Gruget, «le nom de Marguerite y est obmiz ou celé.» Ceci me paroît s’expliquer très-facilement, et le lecteur sera probablement de mon avis, s’il se rappelle les circonstances dans lesquelles et pour lesquelles ces deux ouvrages furent composés.

J’ai dit que les contes et les nouvelles étoient depuis long-temps un des divertissemens habituels des soirées de la haute société françoise, comme le furent depuis les proverbes et les parades. Tout le monde y contribuoit à son tour, et la reine de Navarre y avoit certainement contribué comme les autres, dans le cercle brillant qu’elle dominoit de toute la hauteur de son rang et de son esprit. Les compositions médiocres ou mauvaises, tolérées par la politesse d’une cour indulgente, ne vivoient pas au-delà des bornes de la veillée; les autres se conservoient, au contraire, avec soin, et devenoient peu à peu les matériaux d’un livre qui n’avoit plus besoin que d’être revu par un secrétaire intelligent. L’ajustement de ce travail à un cadre dans la manière de Boccace étoit aussi, sans doute, du ressort de la rédaction définitive. Il est parfaitement évident pour moi que l’Heptaméron ne s’est pas formé autrement. Qu’est-ce donc que l’Heptaméron, sinon un recueil de contes et de nouvelles lus chez la reine de Navarre par les beaux esprits de son temps, c’est-à-dire par Pelletier, par Denisot, et surtout par Bonaventure Des Periers lui-même, qu’il est si facile d’y reconnoître? Marguerite n’y est pas méconnoissable non plus, car elle avoit son style à elle, comme tous les écrivains de cette époque naïve et créatrice, où les génies les moins heureux imprimoient cependant un sceau particulier à leurs paroles. Le style de Marguerite n’étoit pas des meilleurs, il s’en faut de beaucoup. Il est généralement lâche, diffus et embarrassé, tirant à la manière et au précieux, quand il n’est pas tendu, lourd et mystique. Rien ne diffère davantage du style abondant, facile, énergique, pittoresque et original de Des Periers, qui ne peut se confondre avec aucun autre, dans la période à laquelle il appartient, et qu’aucun autre n’a surpassé depuis. Les contes nombreux de l’Heptaméron qui portent ce caractère sont donc l’ouvrage de Des Periers, et la propriété ne lui en seroit pas plus assurée s’il les avoit signés un à un, au lieu d’abandonner leur fortune aux volontés de sa royale maîtresse. Je regrette profondément qu’un homme de la portée d’esprit de La Monnoye n’ait pas constaté cette différence ou consacré cette restitution par quelques apostilles manuscrites à la marge d’une édition ancienne; mais tout lecteur qui aura fait une étude attentive des autres écrits de Des Periers saura bien le retrouver dans celui-ci. Il n’y a pas moyen de s’y tromper.

La parfaite mesure de bienséance qui existoit au moment où nous parlons dans le monde littéraire, comme dans tout le reste du monde social, ne permettoit pas aux amis de Des Periers de publier les Contes que l’Heptaméron n’avoit pas recueillis, tant que l’Heptaméron n’avoit pas paru. L’hommage de la collection entière étoit bien dû à Marguerite, puisque ses principaux auteurs étoient ses domestiques ou ses amis, titres qui se confondoient alors, jusqu’à un certain point, dans le sens comme dans l’étymologie, mais dont notre aristocratie bourgeoise n’a pas compris les rapports. Il falloit donc que les éditeurs de Marguerite et les éditeurs de Des Periers s’entendissent avant tout sur la composition de leur recueil respectif; et c’est apparemment pour cela que Pelletier venoit conférer à Paris avec Boaistuau, quand Denisot fut mort; les contes qui furent écartés ou repoussés, quelquesuns pour leur brièveté, quelques autres pour leur licence, un certain nombre parce qu’ils ne pouvoient s’assortir au caractère convenu de l’interlocuteur, et le plus grand nombre, peut-être, parce qu’ils avoient perdu le piquant de l’anecdote et le sel de la nouveauté, furent renvoyés aux Nouvelles Récréations et Joyeux Devis, où ils ne figurent pas mal. Quant aux droits de l’auteur, Pelletier, qui avoit, dit-on, pris assez de part à cette œuvre libre et facile pour revendiquer une partie de son succès, n’hésita pas à en faire honneur à son ami et à son maître, Bonaventure Des Periers, qui étoit mort depuis vingt ans; et nous ne savons que par des inductions dont je vais m’occuper tout de suite que Pelletier et Denisot ont quelque chose à réclamer dans l’ouvrage. C’étoit là le véritable siècle d’or de la probité littéraire, et nos associations fiscales et tracassières le rendront de plus en plus regrettable. Il est horrible de penser qu’il a fallu, dans le code sacré de la république des lettres, des mesures préventives contre le vol.

Je suis loin toutefois de penser, comme La Monnoye, que cette coopération de Pelletier et de Denisot ait été fort considérable. Plus j’ai relu les Contes de Des Periers, plus j’y ai trouvé de simultanéité dans la forme, dans les tours, dans le mouvement du style. Quoiqu’il y ait des exemples nombreux, dans les lettres comme dans les arts, de cette aptitude à l’imitation, je ne l’accorde pas sans regret, et surtout sans réserve, à Pelletier et à Denisot, qui n’ont jamais eu le bonheur de ressembler à Des Periers, si ce n’est dans les écrits de Des Periers où l’on veut qu’ils aient pris part. Je conviens très-volontiers cependant que Des Periers, mort avant 1544, et selon moi en 1539, n’a pas pu parler de la mort du président Lizet, décédé en 1554 (nouvelle XIX), et de celle de René du Bellay, évêque du Mans, qui ne cessa de vivre qu’en 1556 (nouvelle XXIX). Il en est de même de deux ou trois faits pareils que La Monnoye a recueillis avant moi, et probablement de quelques autres qui nous ont échappé à tous deux. Mais qu’est-ce que cela prouve? Ces phrases: naguères décédé, décédé évesque du Mans, etc., ne sont autre chose que des incises qu’un éditeur soigneux laisse volontiers tomber dans son texte pour en certifier l’authenticité ou pour en rafraîchir la date. Il ne seroit même pas étonnant que les noms propres auxquels Des Periers aime à rattacher ses historiettes eussent été souvent remplacés par des noms plus récens, plus populaires, plus capables de prêter ce qu’on appelle aujourd’hui un intérêt piquant d’actualité aux jolis récits du conteur. L’auteur même qui publieroit son ouvrage après l’avoir gardé vingt ans en portefeuille, ne négligeroit pas ce moyen facile de le rajeunir, et il est tout simple que l’éditeur de Des Periers s’en soit avisé; car, à son défaut, l’idée en seroit venue au libraire. Laissons donc à Denisot et à Pelletier, puisqu’on en est convenu, l’honneur d’une collaboration modeste dans les ouvrages de leur maître, mais gardons-nous bien de pousser cette concession trop loin. Si Pelletier et Denisot avoient pu s’élever quelque part à la hauteur du talent de Des Periers, ils n’auroient pas caché cette brillante faculté dans les Contes et dans les Discours de Des Periers, eux qui ont vécu assez long-temps pour la manifester dans leurs livres, et qui ont fait malheureusement assez de livres pour nous donner toute leur mesure. Il n’y a qu’un Rabelais, qu’un Marot, qu’un Montaigne, qu’un Des Periers dans une littérature. Des Denisot et des Pelletier, il y en a mille.

Ce que l’on concluront de tout ceci, à supposer que l’on voulût bien en conclure quelque chose, c’est que Des Periers est le véritable et presque le seul auteur de l’Heptaméron, comme des Nouvelles Récréations. Je ne fais pas difficulté d’avancer que je n’en doute pas, et que je partage complètement l’opinion de Boaistuau, qui n’a pas eu d’autre motif pour obmettre et céler le nom de la reine de Navarre. La restitution de ce nom, faite par Gruget, ne me paroît qu’un hommage de courtisan; mais je suis très-loin de penser qu’il faut effacer le nom de Marguerite du titre de l’Heptaméron pour rendre à Des Periers ce délicieux ouvrage. L’Heptaméron appartient à la spirituelle et savante princesse sous les auspices de laquelle il fut écrit. Il lui appartient par droit de suzeraineté, comme les Cent Nouvelles appartiennent à Louis XI, qui n’en a probablement pas composé une seule. Un souverain qui aime les lettres, qui appelle autour de lui ceux qui les cultivent, et qui jouit de leurs travaux en les couvrant d’une faveur intelligente, mérite bien ses droits d’auteur dans les chefs-d’œuvre de son siècle. Je comprendrois à merveille qu’une édition du plus parfait de tous les théâtres du monde fût mise au jour sous ce titre singulier: Œuvres de Molière et de Louis XIV, car cela seroit juste et vrai. Cette grande et utile influence des rois sur la civilisation des sociétés par les lettres est d’ailleurs fort passée de mode, et il ne faut pas décourager ceux qui seroient tentés de la remettre en honneur.

Il ne me reste plus que quelques mots à dire. Pourquoi Des Periers n’est-il pas plus connu? Pourquoi s’est-il passé trois siècles entre le jour de sa mort et le jour où paroît sa première biographie? Pourquoi ce charmant écrivain n’a-t-il jamais eu l’avantage si vulgaire et si sottement prodigué d’une édition complète? Les Italiens ont par douzaine des quinquecentistes illustres, et ils les réimpriment tous les mois. Nous en avons cinq qu’on ne lit plus ou qu’on ne lit guère, Rabelais, Marot, Des Periers, Henri Estienne et Montaigne, et il en est deux dont personne n’a jamais vu tous les ouvrages. Pour se former une collection bien entière des petits chefs-d’œuvre de Des Periers, il faut la patience d’un bouquiniste et la fortune d’un agent de change. Dieu me garde de désapprouver la promiscuité presque fastidieuse des éditions de ces vieux romanciers dont Villon débrouilla l’art confus, et qui surchargent aujourd’hui de leurs somptueuses réimpressions les brillantes tablettes de Crozet et de Techener; mais pourquoi Des Periers, qui est un de nos excellens textes de langue, manque-t-il à toutes les bibliothèques? Pourquoi en est-il de même de ces beaux livres françois d’Henri Estienne, qui auroient déjà cessé d’exister, si ses presses, ses types et ses papiers n’avoient pas mieux valu que les nôtres? Voilà des questions qui méritent d’être approfondies avec soin, et je les soumettrai hardiment à la librairie lettrée... quand elle nous sera revenue.

Charles Nodier.

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