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COULEURS DES MINÉRAUX ET DES ÊTRES VIVANTS
ОглавлениеLes terres colorées en jaune, en brun rouge, en vert même, ne sont pas rares, aussi les a-t-on employées de toute antiquité : ce sont les ocres.
Certains minéraux assez rares, comme le cinabre (sulfure de mercure), présentent de belles couleurs quand on les réduit en poudre fine. L’usage du cinabre remonte donc à une époque fort reculée. Il doit en être de même des bleus et verts de cuivre qu’on obtient en broyant des carbonates de cuivre naturels (azurite et malachite).
Toutes ces couleurs sont, relativement, assez solides: mais les brillantes couleurs que nous présentent les végétaux et les animaux sont, le plus souvent, si fugaces qu’elles ne peuvent servir. à aucun usage.
Quoi de plus commun que la couleur verte dans le règne végétal? La chlorophylle (matière verte des feuilles) a été l’objet de fort nombreuses recherches; c’est une matière bleue ou d’un vert-bleu très foncé quand elle est pure. Dans les végétaux, elle est constamment mêlée à plusieurs matières jaunes; de là des variations innombrables depuis le vert des feuilles nouvelles jusqu’au vert du camélia et du laurier, en passant par le vert-pré, etc.
Cette couleur, qui est si belle dans les feuilles vivantes, s’altère promptement aussitôt que les feuilles sont mortes ou qu’elles éprouvent un accident de végétation.
C’est ainsi que les feuilles panachées de jaune ou presque entièrement blanches sont très souvent produites par une sorte de maladie qu’on propage à l’aide de la greffe. Ce fait s’observe sur les Abutilons, les Negundos, etc.
Rien de plus facile que d’extraire la chlorophylle brute en traitant les feuilles par l’alcool. On obtient une matière d’apparence cireuse, d’un très beau vert foncé, mais fort altérable. Aussi on a renoncé à l’emploi de la chlorophylle pour l’impression des tissus de coton. Toutefois on a essayé de l’appliquer à la coloration des conserves de petits pois, afin d’éviter l’emploi du sulfate de cuivre.
La chlorophylle s’altère promptement sous l’influence des moindres quantités d’acide. Ainsi des feuilles d’oseille qu’on fait bouillir avec de l’eau deviennent d’un vert brun à cause de l’acide contenu dans l’oseille (acide oxalique, le même qui sert à faire l’eau de cuivre).
Au contraire, la chlorophylle se maintient en présence des alcalis ou bases énergiques: elle forme même avec les bases des combinaisons cristallisées, bien définies.
Chacun sait que l’on conserve aux épinards leur belle teinte verte en ajoutant à l’eau de cuisson un petit sachet rempli de cendres de bois ou mieux une faible quantité de cristaux de soude. Mais il faut reconnaître que les épinards prennent ainsi un goût de savon assez marqué.
Un autre procédé, fort usité pour les petits pois en boîtes, consiste dans l’addition de quelques millièmes de sulfate de cuivre (vitriol bleu). Dans cette proportion, le cuivre peut être considéré comme inoffensif; mais il est difficile d’obtenir des fabricants et des ouvriers que la proportion de sulfate de cuivre soit réduite au strict nécessaire; aussi les règlements de police interdisent d’une manière absolue l’emploi du cuivre sous une forme quelconque dans la préparation des conserves.
On trouve dans les végétaux des matières vertes différentes de la chlorophylle, mais presque aussi instables. Tel est le vert extrait des capitules d’artichauts (prêts à fleurir). Ce produit paraît fort analogue au vert de Chine (lo-kao) qu’on obtient en traitant par la chaux des infusions d’écorces de nerprun. Le vert de Chine est un mélange naturel de jaune avec un bleu d’une nature toute particulière, la lokaïne (Cloëz et Guignet). C’est une matière colorante belle et solide, qui était assez employée par les Chinois, mais qui est tombée dans l’oubli depuis qu’on fabrique avec l’aniline des verts qui donnent des teintures d’un éclat incomparable et. d’une solidité suffisante.
Le vert de vessie, employé souvent pour les peintures à l’eau, bien qu’il soit peu solide, n’est autre chose qu’un extrait sec préparé en faisant bouillir avec de l’eau les fruits mûrs des nerpruns,. ajoutant un peu d’alun et réduisant à sec par l’évaporation. Les fruits encore verts ne donneraient qu’une matière jaune: ce sont les graines jaunes si connues en teinture (graines de Perse, d’Avignon, etc.).
Les matières jaunes sont d’ailleurs fort répandues dans le règne végétal; quelques-unes sont employées en teinture, mêmes celles qui existent dans les végétaux indigènes tels que le safran (Crocus sativus), l’épine-vinelte (Berberis vulgaris) et surtout la gaude (Reseda luteola), qui est la plus stable des couleurs jaunes naturelles.
Mais les innombrables fleurs jaunes (dahlias, œillets d’Inde, etc.) n’ont donné que deux matières colorantes sans valeur pour la teinture.
Les vives couleurs rouges du coquelicot, du géranium, les belles teintes roses ou pourprées de la rose, du dahlia de la rose trémière; enfin, toutes les admirables nuances de bleu des campanules, des bleuets, des myosotis, etc., ne sont produites que par des mélanges de jaune avec une seule et même matière qui est rouge en présence des acides et bleue à l’état de pureté.
Cette matière est fort instable et ne peut donner que des couleurs faux teint.
On croit volontiers que la belle matière rouge, si abondante, par exemple, dans les Phytolaccas, pourrait être employée en teinture. Pour démontrer que cette couleur serait absolument faux teint, il suffit d’exprimer un peu de jus de Phytolacca sur un papier et d’ajouter un peu d’ammoniaque (alcali volatil); on voit aussitôt la teinte rouge passer au vert, puis au brun. La même chose arriverait avec le suc de violette, de bleuet, de campanule.
Au contraire les matières bleues ou violettes passent au rouge par l’action des acides; c’est ainsi que les bleuets mis en présence du vinaigre deviennent rouges.
De même encore, si l’on fait promener de grosses fourmis rouges des bois sur les pétales d’une fleur bleue, les pattes de ces insectes y laissent des traces rouges: car les fourmis sécrètent une liqueur irritante contenant de l’acide formique (qu’on pro duit actuellement avec la plus grande facilité sans l’extraire des fourmis).
L’écarlate si vif du coquelicot et du géranium résulte de la superposition du jaune et du rouge précédent, c’est-à-dire du bleu maintenu à l’état rouge par les sucs un peu acides qui circulent dans les organes des végétaux.
Certaines fleurs varient avec la plus grande facilité du ronge au bleu ou inversement. Ces différences s’observent, non seulement sur les variétés obtenues de semis, mais sur une même plante, selon la nature du terrain. Ainsi l’hortensia à fleurs roses donne des fleurs franchement bleues dans un terrain arrosé par des eaux légèrement alcalines comme celles qui coulent à travers certains terrains granitiques.
. Les feuillages brun pourpré (hêtre et noisetier à feuilles pourpres, etc.) sont colorés par la superposition du vert et du rouge. En regardant à l’œil nu ou mieux à la loupe à travers une de ces feuilles vivement éclairée, on aperçoit aisément des vaisseaux gonflés d’un suc rouge, qu’on peut d’ailleurs faire apparaître en écrasant la feuille sur du papier blanc.
La même observation a été faite il y a longtemps par l’illustre Chevreul sur les parties brunes des feuilles de Géranium zonale.
Certains végétaux sont colorés en rouge orangé par une matière fort différente du rouge des fleurs: telle est la carotte, d’où les chimistes ont extrait un principe fort curieux, la carotine, d’un très beau rouge de cinabre, fort altérable quand elle est absolument pure. Un très habile chimiste, M. Arnaud, aide-naturaliste au Muséum, a fait récemment une étude complète de la carotine, et il est arrivé à ce résultat fort curieux, que la carotine est extrêmement répandue dans le règne végétal; toutes les feuilles vertes contiennent de très petites quantités de carotine. Le pouvoir colorant de cette matière est si intense, que la couleur verte est souvent modifiée par la présence de la carotine.
Les plantes qui fournissent les meilleures matières colorantes, telles que la garance, les indigotiers, les lichens, etc., ne présentent rien de remarquable comme coloration; ce n’est qu’à force d’industrie que l’homme a pu extraire et purifier les précieuses matières qu’elles contiennent pour ainsi dire à l’état latent.
Certaines couleurs sont au contraire toutes prêtes pour l’emploi: telle est la pulpe rouge orangé qu’on trouve dans l’intérieur du fruit du rocouyer (Bixus orellana), arbre des contrées tropicales. A l’époque de la découverte de l’Amérique, on a constaté que les Caraïbes se servaient du rocou pour se teindre la peau. Mais cette matière n’a aucune solidité : on l’emploie surtout pour colorer le beurre.
Quant aux animaux, on se figure volontiers que les brillantes couleurs des papillons, des oiseaux, etc. sont dues à des principes colorants très abondants et faciles à séparer. Il n’en est absolument rien: toutes ces matières si richement colorées ne cèdent presque rien à nos dissolvants; et les couleurs ainsi enlevées ne rappellent pas du tout les nuances si vives de l’objet naturel.
Ces couleurs sont à peu près dans le genre de celles des anneaux colorés produits par les lames minces, très belles, mais impossibles à fixer.
Tout corps réduit en lames excessivement minces (quelques millionièmes de millimètre) prend des teintes irisées souvent magnifiques.
Une bulle de savon soufflée avec précaution s’irise des plus belles nuances quand l’épaisseur s’abaisse au-dessous d’un millième de millimètre (fig. 1).
Une goutte d’huile étalée à la surface de l’eau produit le même effet.
Soumis pendant longtemps à l’influence de l’eau et de l’air, le verre se couvre d’une très mince pellicule qui prend quelquefois des tons d’une richesse inouïe. C’est ce qu’on observe sur un fragment de bouteille retiré du lit de la Seine après plusieurs siècles (musée céramique de Sèvre); ainsi que sur des verres provenant des anciens Égyptiens.
Les belles irisations des perles n’ont pas d’autre cause.
Dans les cabinets de physique, on produit à volonté des anneaux colorés parfaitement réguliers en comprimant à l’aide de vis de pression une lentille de verre sur un plan de même matière. La couche d’air comprise entre les deux surfaces devient de plus en plus mince: la lumière qui la traverse donne des anneaux irisés des plus belles couleurs, qui disparaissent aussitôt qu’on desserre les vis de pression (fig. 2).
Fig. 1. — Bulle de savon soufflée dans l’intérieur d’un ballon pour la préserver des agitations de l’air.
La partie centrale des anneaux est noire: on constate que la couche d’air qui correspond à cette partie a une épaisseur d’un dix-millième de millimètre.
On obtient aussi de fort belles couleurs au moyen des réseaux, c’est-à-dire de lignes très fines, tracées parallèlement les unes aux autres sur une surface bien polie.
Telle est l’origine des irisations que présente la nacre de perle bien polie. Cette matière est formée de couches très minces, superposées parallèlement. Le polissage a pour effet de couper toutes ces couches dont les tranches apparaissent sous la forme de lignes parallèles très rapprochées. Si l’on prend un moule très exact de la nacre au moyen d’un alliage très fusible, le moule présentera des irisations sur la face qui était en contact avec la nacre (Brewster).
D’après ces résultats, on comprend que les vives couleurs des plumes du paon, des oiseaux-mouches ou des plus brillants insectes soient absolument insaisissables.
Les insectes qui nous fournissent les plus belles matières colorantes présentent au contraire l’aspect le moins brillant: telles sont les cochenilles, qui ressemblent à des punaises de couleur sombre, et ne laissent voir leur belle matière rouge que si elles sont écrasées ou traitées par l’eau chaude.
Mais les cantharides, qui sont d’un si beau vert bronzé, ne donnent rien comme matière colorante.
Dans l’industrie, on réussit fréquemment à obtenir de beaux effets de coloration en produisant une pellicule extrêmement mince à la surface d’un objet.
L’acier recuit à diverses températures se couvre d’une mince couche d’oxyde de fer qui peut être bleu foncé, jaune paille, etc., suivant l’épaisseur.
Fig. 2. — Couche d’air comprimée entre une lentille et un plan de verre. — Les vis de pression ne sont pas figurées.
On trouve maintenant dans le commerce de beaux verres irisés obtenus en attaquant par des vapeurs d’acide chlorhydrique le verre chauffé au-dessous du rouge.
Les lustres employés pour la décoration des poteries (lustre burgos, lustre cantharide, etc.) sont aussi produits par de très minces pellicules de diverses matières adhérentes à la surface des poteries.