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USAGES ET PROPRIÉTÉS DU TABAC.

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Table des matières

Si, d’un côté, quelques hommes ont été beaucoup trop loin dans leurs critiques sur le tabac, il faut bien reconnaître que, de l’autre, les prôneurs de cette plante ont aussi exalté outre mesure ses effets, et l’on doit sourire d’incrédulité à cette exagération de quelques médecins fanatiques du tabac qui,

«pour luy faire l’honneur qu’il mérite, veulent qu’il soit receu dans le cerveau, et luy assignent un même logement qu’à l’âme .»

La panacée universelle est un être impossible, et les gens raisonnables doivent la traiter à l’égal de la pierre philosophale, de la quadrature du cercle, du mouvement perpétuel et tant d’autres rêves, qui n’ont d’existence que dans l’esprit de quelques pauvres cerveaux malades qu’il faut plutôt plaindre que blâmer.

C’est donc bien à tort que l’on a voulu trouver dans le tabac les vertus capable de guérir toute espèce de maladies, et dans son usage journalier, une substance convenant à tous les tempéraments.

Le tabac, comme toutes les substances actives, est doué de propriétés médicales bien déterminées, et qui, peut-être, mériteraient d’être plus souvent mises à contribution; mais l’exagération même où sont tombés les médecins anciens à l’égard de son efficacité dans quelques maladies, ont dû mettre en défiance les médecins modernes, qui, à leur tour, ont peut-être tort de laisser tomber en désuétude un médicament évidemment utile. De même, au lieu de se passionner pour ou contre son usage habituel, il serait mieux d’avouer que le tabac peut convenir à quelques natures, et qu’au contraire il peut être fort pernicieux à certains tempéraments. Mais quel est le médecin qui saura à coup sûr que l’usage habituel du tabac convient à telle personne? N’est-il pas à craindre, d’ailleurs, qu’il arrive alors-pour le tabac ce que nous avons vu arriver pour des fraises? Une dame malade avait été forcée de voir deux médecins; quand vint sa convalescence, et éprouvant une violente envie de fraises, elle demanda à l’un des médecins si elle pouvait en manger. «Gardez-vous-en bien, madame, lui dit-il, ce serait votre mort!»Le lendemain, le second médecin venant voir la malade, la même question lui fut faite: «Mais, répondit celui-ci, c’est un excellent fruit, et je n’y vois aucun inconvénient.» La malade en mangea sans le dire au premier mé decin, et ne s’en trouva pas plus mal. A quelque temps de là, les deux médecins furent invités à dîner par la dame; il y avait des fraises au dessert; l’un deux les refusa, prétextant qu’elles ne lui réussissaient pas; tandis que l’autre en mangea abondamment. Nous eûmes dès lors le secret de la défense de manger des fraises: celui qui l’avait faite ne pouvait les digérer..... Il est à croire que bon nombre de médecins ont été et seront encore de même pour le tabac.

Heureusement que le médecin n’est pas nécessaire pour décider si l’usage du tabac peut ou non convenir à tel tempérament. Aujourd’hui que toutes les parties de notre globe connaissent cette substance, que toutes les nations fument, prisent ou mâchent le tabac, il est impossible que les enfants qui vivent, pour ainsi dire, au milieu d’une atmosphère de fumée de tabac, ne sentent pas à peu près instinctivement si leur tempérament est ou non réfractaire à l’usage de cette substance. N’est-il pas vrai, en effet, que l’odorat commence l’éducation du goût? Et si l’olfaction se trouve agréablement affectée, il est certain que l’enfant fumera; tandis qu’au contraire il ne tentera jamais de fumer pour peu que l’odeur de la fumée lui soit antipathique.

D’ailleurs chacun de nos sens est susceptible de son éducation spéciale qui fait qu’ils peuvent apprécier certaines choses qui tout d’abord les avaient médiocrement impressionnés. Pour le cas particulier dont il s’agit ici, pour l’odorat et le goût, il n’est pas un homme qui n’ait été à même de faire sur lui des observations très-propres à l’éclairer sur ce qui se passe dans le développement de son goût pour une chose qu’au début il n’aimait pas. Si nous voulions préciser, nous choisirions l’huître comme l’exemple le plus propre à nous montrer la marche de l’éducation de notre goût. La première fois que l’on mange des huîtres, on est étonné du goût qu’elles ont plutôt que du plaisir que l’on éprouve; cependant, comme elles n’ont rien de désagréable, si on en voit une seconde fois, on en mange encore, et déjà on y trouve un plaisir que l’on n’avait point aperçu la première fois; si l’on reste quelque temps sans en manger dans un de ces moments où l’idée d’huître vient coïncider avec une faim prononcée, on se rappelle sa saveur, et le désir d’en manger encore prend naissance. Alors on les mange avec un plaisir qui était inconnu et qui fait naître le désir d’en manger une quatrième fois quand la faim se fait sentir. Enfin, le goût se prononce de plus en plus, à ce point que ce n’est plus la faim qui fait désirer les huîtres, mais on les désire pour retrouver la faim que souvent on n’a plus.

Il en est de même de toutes choses et particulièrement de la fumée de tabac, non-seulement à cause de l’odeur et de la saveur qu’elle possède, non-seulement parce que cette fumée en s’élevant dans l’air prend mille formes capricieuses qui amusent l’œil qui les suit dans leurs évolutions, mais aussi parce que de son usage résulte un léger engourdissement du cerveau qui le repose en tout ou partie; repos extrêmement utile dans beaucoup de circonstances que nous examinerons plus tard. Ainsi le jeune homme qui est habitué à sentir le tabac est déjà, par cela même, disposé à le goûter d’une autre façon. S’il s’agit de le fumer, la première fois il est très-étonné de ne pas lui trouver une meilleure saveur, il en est désagréablement affecté ; soit qu’il s’y prenne mal ou que son estomac ne puisse le tolérer il éprouve une sorte de dégoût, et des nausées surviennent fort souvent qui seraient suivies de vomissements s’il continuait. Mais il est rare qu’il en arrive là, parce que la cause du malaise qu’il éprouve, il la connaît et la fait cesser aussitôt. Il reste ainsi quelque temps sans recommencer à fumer; mais bientôt la force de l’exemple, ou l’idée qu’il s’y est mal pris, ou plutôt le souvenir d’une jouissance nouvelle qu’il n’a fait qu’entrevoir au milieu même de son malaise, ou peut-être encore une sorte de tendance de son goût vers cette nouvelle éducation, chacune de ces raisons ou toutes ensemble, à son insu, lui font recommencer l’expérience de la fumée, et il s’aperçoit avec plaisir qu’il s’en acquitte mieux que la première fois. Dès lors il recommence à fumer, et fier d’avoir pu forcer son estomac à supporter le tabac, il le regarde déjà comme sa conquête, et il en attend des jouissances qu’il voit goûter par la plupart de ceux qui en font usage. Bientôt son goût se perfectionne, ce n’est plus qu’en connaisseur qu’il fume, et dans l’étude qu’il fait de la fumée de tabac, il est tout surpris de voir que son cerveau et tout son corps sont dans une douce quiétude qui a un charme indéfinissable; que cependant son esprit reste actif, tandis que son corps se reposerait doucement si la volonté ne le contraignait à agir. Il s’aperçoit bientôt que la fumée de tabac plonge son esprit, quand il le veut, dans une douce somnolence qui lui fait oublier ce qu’a de cuisant une peine ou un chagrin récents. Il s’aperçoit encore que si son esprit est préoccupé d’une chose, d’un travail, d’une idée à poursuivre, la fumée lui permet de ne s’occuper que de cette chose à l’exclusion de toutes les autres, et, sans distraction, qu’il raisonne vite et avec plus de sûreté . Si ses occupations sont de celles qui occupent vivement l’intelligence, il reconnaît que la fumée de tabac repose promptement et avec efficacité son esprit longtemps tendu vers un même travail. Si ses occupations sont au contraire de celles qui exigent le travail physique des muscles, soit que la fumée du tabac stimule la volonté qui préside aux mouvements, soit qu’elle agisse directement sur les muscles, il est certain que s’il y est habitué il y trouve des forces nouvelles qui lui permettent de continuer son travail. Tous les auteurs sont d’accord sur ce point, et il nous suffira de ces quelques exemples pour le démontrer.

Guillaume Pison, pendant ses voyages à travers les déserts, assure qu’il ne ressentait ni lassitude ni faim après avoir mâché du tabac (Mérat).

Le tabac soutient les forces d’un malheureux au moment des crises les plus douloureuses. Moreau, blessé à mort et sur le point d’être amputé des deux jambes, se borna à dire pendant l’opération:

«Donnez-moi un cigare!» (Barthélemy, l’Art de fumer, p. 120.)

Avec le tabac, l’esclave supporte plus patiemment la servitude, la misère; parmi les hommes qui se disent civilisés, son recours est souvent invoqué contre l’ennui, la tristesse. Il soulage quelquefois momentanément les grandes souffrances et console les malheureuses victimes du sort et de la justice humaine. La prison cesserait d’être insupportable si l’usage du tabac n’était pas interdit aux détenus (Chamberet, Flore médicale).

«De mesme, dit Garcie du Jardin, nos Indiens lassés de porter des fardeaux ou d’austres travaux, ils hument la fumée du tabac et tombent tout soudain comme privés de sens, puis, estant éveillés, ils se trouvent tous allégés par tel sommeil, et leurs forces restaurées.» Seulement, Garcie du Jardin attribue la privation de sens à l’effet du tabac, et ne tient pas compte de l’habitude où sont les Indiens, comme les peuples des contrées méridionales, de s’endormir pendant le plus fort de la chaleur, ce qu’ils font après avoir fumé ou tout en fumant. Mais dans les pays tempérés, et surtout dans les pays septentrionaux, où la chaleur est plus tolérable, l’habitude de dormir au milieu de la journée n’existe plus, et l’homme qui fume ne tombe pas privé de sens. Au contraire, il retrouve dans cette action de nouvelles forces ou un nouveau courage.

Les personnes riches et oisives, les dames surtout, qui ont, pour ainsi dire, le temps de s’occuper d’elles du matin jusqu’au soir, qui écoutent le moindre sentiment qu’elles éprouvent, prennent très-souvent pour de la faim quelques tiraillements de l’estomac: dans ce cas, elles se mettent à manger ou à goûter a toutes les heures de la journée; si elles sont en course, surtout à Paris, on les voit entrer chez les pâtissiers, et là, se remplir l’estomac de petits gâteaux beurrés et sucrés qui l’embarrassent et déterminent chez elles des accidents qui les rendent fort souvent très-gravement malades. Le tabac est un excellent moyen contre ces tiraillements de l’estomac que les femmes surtout prennent pour de la faim, et si au lieu de manger elles pouvaient fumer, ces symptômes disparaîtraient peu à peu, et les accidents dont nous avons parlé n’auraient souvent pas lieu. Il semble d’ailleurs que le besoin d’occuper notre esprit et notre corps soit une des principales conditions de bonne existence de notre nature, et c’est peut-être là le secret des habitudes que nous contractons souvent par oisiveté à l’égard de choses qui tout d’abord n’ont aucun attrait. C’est dans les pays chauds, plus énervants que les pays froids, que l’on prend ces habitudes qui, peu à peu, s’introduisent dans nos contrées, où elles sont acceptées d’abord par les oisifs, puis par les classes laborieuses, toujours par esprit d’imitation. Ce besoin de s’occuper fait à tout propos manger les femmes et fumer les hommes qui n’ont aucune occupation sérieuse ou continuelle.

En Perse, les femmes ont pris l’habitude de fumer, et ne paraissent pas se porter aussi mal que nos dames françaises, surtout nos Parisiennes, qui craindraient même de sentir la fumée du tabac. Toutefois, il en est qui ne dédaignent pas de suivre à la piste, sur les boulevards, un fumeur, afin que de temps à autre un parfum de tabac vienne chatouiller agréablement leur muqueuse olfactive. Voici ce que Tavernier nous apprend touchant l’usage du tabac en Perse: «Les Persans sont tellement accoutumés au tabac, qu’il leur est impossible de s’en passer. La première chose qu’on sert à table est ordinairement la pipe, le tabac et le café, et c’est par là qu’ils commencent quand ils veulent faire la débauche. Ils le prennent en fumée par un artifice bien singulier. C’est dans une bouteille de verre, avec un col gros de trois doigts, dans laquelle entre un canal de bois ou d’argent. Ils remplissent le col de la bouteille où il y a une platine dehors, sur laquelle ils mettent leur tabac un peu mouillé, avec un charbon dessus. Sous cette platine il y a un trou où est accommodée une longue canne; puis, en tirant son haleine, la fumée du tabac vient par force en bas, le long du canal, et entre dans l’eau qu’ils font de toutes sortes de couleurs, cette bouteille en étant à moitié pleine. Cette fumée étant dans l’eau remonte pour venir à la surface; lors, en tirant, elle vient à la bouche de celui qui fume, et ainsi, la force du tabac est tempérée par l’eau, vu qu’autrement ils ne pourraient pas subsister à en prendre incessamment comme ils font... Ils chantent fort peu dans la débauche; mais, en revanche, ils récitent quantité de méchants vers qu’ils prononcent avec une grande gravité, et ainsi ils passent la journée à fumer et à discourir jusqu’à ce que, vers le soir, on leur apporte les viandes.

» Les Persans, tant les hommes que les femmes, s’accoutument si bien dès leur jeunesse à fumer, qu’un artisan qui n’aura que 5 sols à dépenser en emploie 3 en tabac. Ils disent que s’ils n’en avaient point, ils n’auraient point le damaqué, c’est-à-dire, l’allégresse au cœur. De fait, au temps de la rhamazan ou de leur grand jeûne, le soir, c’est la première chose qu’ils préparent que la pipe de tabac. Plusieurs avouent bien que cette quantité de tabac leur est nuisible; mais, quand on le leur représente, ils répondent simplement: adedehoud, c’est la coutume.»

Tournefort nous apprend que dans les simples visites turques on ne fait que porter la main sur le cœur; on se place les pieds croisés sur un sofa, sorte d’estrade un peu élevée. On présente ordinairement des pipes tout allumées, très-propres, et dont les tuyaux ont 2 ou 3 pieds de long, lesquels, par conséquent, ne laissent monter à la bouche que la fumée la moins âcre, déchargée de cette huile fétide qui brûle la langue et enflamme le palais lorsqu’on fume avec des pipes courtes. D’ailleurs on fume, dans le Levant, le plus agréable tabac du monde; ordinairement c’est du tabac de Salonique; mais celui des côtes d’Asie est encore meilleur, et surtout celui de Syrie, qu’on appelle tabac de l’Ataxi ou Lataquie, parce qu’on le cul tive autour de l’ancienne ville de Laodicée. Les Turcs mêlent du bois d’aloës ou d’autres parfums parmi ce tabac; mais cela le gâte.....

«Le tabac en fumée, ajoute Tournefort, convient à l’asthme, aux maux de dents et à plusieurs maladies causées par des sérosités, lesquelles trouvent trop de facilité à s’imbiber en certaines parties: en ce sens-là, le tabac est assez propre pour les Turcs, que le turban rend fluxionnaires, par son épaisseur qui empêche la transpiration, et parce qu’il ne couvre pas les oreilles. Le tabac, d’ailleurs, flatte leur fainéantise. On ne conçoit pas comment ils crachent si peu en fumant; ils avalent leur salive par habitude et par propreté, sans en être incommodés.» Dans son voyage en Egypte, Sonnini nous apprend que les Égyptiens fument également du matin au soir, et que le tabac de Turquie est fort doux, qu’il n’a point cette acreté qui, dans nos pays, provoque une continuelle salivation D’ailleurs, dit-il, on tient dans la bouche un morceau de succin ou d’ambre jaune, dont l’odeur suave contribue à corriger le goût du tabac.

Selon M. de Laborde , à Madrid, à Barcelone, à Valence, on fume aujourd’hui partout: dans les rues, les promenades, dans l’intérieur des maisons, au jeu, au bal, dans la société, et même auprès des dames. Les médecins fument pendant leurs consultations et les gens d’affaires dans les conseils. Quelquefois, ceux qui fument présentent leur cigarro à leurs voisins, qui se le passent les uns aux autres et s’en servent chacun à son tour. Un grand nombre de femmes, en Andalousie surtout, ont aussi contracté cette habitude.

Le père P..., dans son Nouveau voyage aux îles de l’Amérique, nous apprend que chez les Indiens de l’isthme de Darien, lorsque les anciens s’assemblent pour traiter une affaire, un jeune homme se présente avec un gros bout de tabac à la bouche, dont il souffle la fumée sur le visage des assistants les uns après les autres, et ils reçoivent ce parfum avec tant de plaisir, que pour n’en perdre que le moins possible, ils font de leurs mains une espèce d’entonnoir pour conduire cette fumée dans leurs narines. (Rapporté par Grenet.)

Enfin, M. Alf. Demersay dit qu’au Paraguay la consommation intérieure est énorme, et ne peut être évaluée à moins de 6 kilog. par individu et par an. «Le tabac, ajoute-t-il, y est en effet d’un usage général, et pour ainsi dire, sans exception. Les enfants apprennent à faire un cigare avant de savoir parler. Les hommes, énervés par un climat brûlant, sans souci du lendemain, sans stimulant capable de vaincre leur indolence et de les pousser au travail; les femmes, soumises à des habitudes plus sédentaires encore, cherchent dans l’abus de cette feuille une ressource contre l’ennui, des jouissances et un passe-temps sans fatigue.»

Nous l’avons déjà dit, on a besoin d’occuper ou d’amuser son esprit et son corps, et c’est pour cela que les distractions, les jeux et les fêtes ont été imaginés. Pendant ces occupations ou ces amusements on pense à toute autre chose qu’à soi, et le corps s’en trouve mieux. Parmi ces moyens de distraction, le jeu tient à coup sûr une très-vaste place, et toutes choses égales d’ailleurs, on peut dire que plus on fume, moins on joue, et réciproquement.

M. J. Janin a dit avec beaucoup de raison que le cigare avait cela de bon qu’il permettait à deux amis de rester deux heures ensemble sans se parler. Avant le tabac, il aurait fallu jouer pour passer ce temps. Or, le tabac a sur le jeu un avantage incontestable qu’il convient de faire ressortir. Sans parler ici de la misère dans laquelle se trouve plongée, par le fait du jeu, une famille d’abord riche ou aisée; sans rappeler les tristes péripéties précurseurs des nombreux suicides qui ont été la conséquence de cette funeste passion, nous pouvons tracer le tableau de deux amis intimes jouant en semble: si le hasard favorise l’un d’eux avec une certaine constance, ils se querellent on se disputent avec violence, et souvent ils en arrivent à des voies de fait toujours fort regrettables. Celui qui gagne, toujours de bonne humeur, la manifeste par des plaisanteries qui ne sont pas toujours du goût de celui qui perd, et qui, par cela même, n’est pas de bonne humeur, malgré la contrainte qu’il impose à son tempérament ou à son esprit pour paraître gai et bon joueur, comme on dit dans le monde, où depuis longtemps déjà, par extrême bon ton, on a pris l’habitude de cacher hypocritement toutes ses impressions et d’être tout autre que la nature nous a faits. La somme des avantages l’emporte-t-elle sur celle des inconvénients? c’est ce que nous ne nous engageons pas à décider. Quoi qu’il en soit, voyez les mêmes amis fumer ensemble: loin de se fâcher et de prendre de la haine l’un pour l’autre, il semble qu’une plus douce amitié, une sorte de confraternité dans leurs goûts les unisse davantage; au lieu de se diviser par un vil intérêt, ils mettent tous leurs soins à éloigner ce sentiment d’égoïste, en faisant partager à celui qui n’en a pas, la petite quantité de tabac qui pourtant devait lui servir pour toute là journée. C’est donc avec une grande vérité que Molière fait dire à Sganarelle, en commençant sa comédie intitulée: Don Juan ou le Festin de Pierre.

«Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n’est rien d’égal au tabac: c’est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non-seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez vous pas bien, dès qu’on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde et comme on est ravi d’en donner à droite et à gauche, partout où l’on se trouve? On n’attend pas même que l’on en demande, et l’on court au-devant du souhait des gens: tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d’honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent .»

Nous sommes loin d’être fumeur, nous ne prisons jamais et n’avons jamais compris la mastication du tabac; nous aimons au contraire le jeu comme la plupart des hommes: eh bien! malgré cela, nous sommes forcé de convenir qu’une seule maison de jeu fait plus de mal que mille boutiques de marchands de tabac. L’homme qui sort d’une maison de jeu qui lui a été fatale roule en son esprit mille projets sinistres; tandis que l’homme qui sort de chez le marchand de tabac a des idées riantes. Le joueur, longtemps encore après sa perte, est sombre et taciturne; il ne rêve plus que le moyen de reconquérir le lendemain ce qu’il a perdu la veille, et cette préoccupation d’esprit le rend brusque, quin teux, bizarre pour sa femme, ses enfants ou ses amis, au contraire, l’homme qui vient de fumer ne pense qu’à son travail ou à sa famille, pour laquelle n’ayant aucun sujet de préoccupations fâcheuses, il est tout dévouement. Le jeu est un abîme sans fond où peuvent s’engloutir les fortunes les plus considérables. Le fumeur ne peut consommer qu’une quantité de tabac déterminée par son tempérament ou ses habitudes. Le jeu laisse après lui une sorte de malaise moral, un mécontentement de soi-même, peut-être parce que l’on sent que pendant un certain temps son esprit a été très-inutilement occupé ; ce qui n’a point lieu après le même temps passé à fumer. Le joueur se passionne tellement pendant le jeu, que toute conversation en dehors du jeu, toute autre chose que le jeu le contrarie; tandis que le fumeur est en mesure, par la liberté de sa pensée, de faire face à toutes les questions qui peuvent surgir dans la conversation. Enfin, nous pourrions pousser presqu’à l’infini ce parallèle entre le jeu et le tabac, et l’on verrait presque toujours que l’usage du tabac est plus avantageux que celui du jeu.

Or l’observation de tous les jours nous prouve que les personnes qui fument, trouvant dans l’action de fumer une distraction suffisante, ne pensent souvent pas à jouer; tandis que celles qui ne fument pas sont forcées de chercher dans le jeu une distraction indispensable quand elles doivent passer plusieurs heures ensemble, et surtout quand elles sont complètement inoccupées d’ordinaire.

Nous avons dit plus haut que l’usage de fumer donne à celui qui l’exerce la faculté de poursuivre avec fruit ses idées et de les mener à bien. Cette année (1856), M. Victor Mabille est venu, dans son genre, nous en fournir la preuve par la publication d’un recueil de poésies intitulé : les Cigarettes. C’est dans la fumée du tabac qu’il parait avoir puise la plupart de ses inspirations dont nous devons quelques exemples à nos lecteurs. Ainsi il s’écrie dans une des strophes de sa pièce ayant pour titre: Que j’en ai vu casser! sorte de parodie de l’ode si belle de Victor Hugo intitulée; les Fantômes :

«Il est beau d’aspirer les vapeurs enivrantes,

» De sentir, en fumant, ses sens multipliés,

» Et, suivant du regard les vagues odorantes,

» De rêver que l’on a cent mille francs de rente

» Et que nos vers sont publiés.»

Et plus loin il s’excuse de l’habitude de fumer de la manière suivante:

«Puisque dans ce monde tout fume,

» Puisque tout fume dans les cieux:

» Chez les mortels le vil bitume,

» L’encens pur chez les bienheureux;

» Puisqu’en fumant le quinquet brûle,

» Puisqu’en brillant fume l’enfer,

» Le soleil dans la canicule,

» Et la cheminée en hiver;

» Puisque Dieu lance sur la terre

» Ce bout de cigare fumant

» Que nous appelons le tonnerre;

» Puisque du couchant au levant

» Et du mont Vésuve à la lune

» Tout fume en haut, tout fume en bas:

» Suivant cette règle commune,

» Pourquoi ne fumerions-nous pas?»

Enfin le sonnet suivant n’exagère en aucune façon le charme dans lequel le tabac à fumer plonge celui qui en use:

Doux charme de ma solitude,

Fumante pipe, ardent fourneau,

Qui purges d’humeurs mon cerveau

Et mon esprit d’inquiétude.

Tabac dont mon âme est ravie,

Lorsque je te vois perdre en l’air

Aussi promptement qu’un éclair,

Je vois l’image de ma vie.

Je remets dans mon souvenir

Ce qu’un jour je dois devenir,

N’étant qu’une cendre animée.

Tout d’un coup je m’aperçoi

Que courant après ta fumée,

Je me perds aussi bien que toi.

Indépendamment de ces effets que le tabac peut exercer sur le moral de l’homme, le tabac possède d’autres propriétés non moins utiles qu’il est bon de signaler.

Le docteur Ramazzini dit que plusieurs voyageurs assurent que, mâché ou fumé, le tabac ôte l’appétit, et que l’on peut faire alors beaucoup de chemin sans être tourmenté par la faim.

M. Chamberet dit aussi que, par l’usage du tabac, le sauvage endure avec courage la faim, la soif et toutes les vicissitudes de l’atmosphère.

Le docteur Willis conseille l’usage du tabac dans les armées, comme pouvant suppléer à la disette des vivres, outre, dit-il, que c’est un remède capable de préserver les soldats de leurs maladies tant internes qu’externes.

Van-Helmont prétend aussi que le tabac apaise la faim. non en la satisfaisant, mais en détruisant cette sensation et en diminuant l’activité des autres fonctions.

Le médecin Plempius a observé également que le tabac diminue le sentiment de la faim; mais il suppose que c’est par l’abondance de sérosités ou de salive qui s’écoule dans l’estomac et qui remplit plus ou moins ce viscère, que cette sensation se trouve apaisée, mais non détruite, par suite de l’absorption qu’il en fait, et non par son énervation ou engourdissement, comme quelques auteurs l’ont supposé.

Voici comment s’exprime Garcie du Jardin sur cette propriété du tabac:

«Les Indiens aussi se servent du tabaco pour chasser la faim et la soif en ceste manière. Ils bruslent certaines coquilles d’huistres de rivière, puis les mettent en poudre comme chaux, de ceste poudre et des feuilles de tabaco, ils en prennent autant de l’un que de l’autre et le maschent (pilent) jusques à ce que des deux en soit faict une certaine masse, laquelle ils forment en pilules un peu plus grosses qu’un pois, et les ayant faict seicher à l’ombre, ils les serrent pour s’en servir. Lorsqu’ils veulent faire quelques voyages par des lieux déserts où ils pensent qu’ils ne trouveront ni à boire ni à manger, ils portent avec eux de ses pilules, et ayant mis l’vne d’icelles entre la lèvre de dessoubs et les dents, ils sucent continuellement le suc d’icelle, laquelle estant toute fondue, ils en remettent vne autre à sa place et puis vne autre, jusqu’à ce qu’ils ayent faict trois et parfois quatre journées de chemin, et par ce moyen ils assurent que durant tout ce temps-là ils ne sentent ny faim ny soif...»

On sait de reste que, toutes circonstances égales d’ailleurs, les personnes qui font un usage habituel du tabac en fumée sont généralement reconnues comme n’étant pas d’un aussi fort appétit que celles qui ne fument pas. Ainsi se trouvent pleinement confirmées les assertions des auteurs touchant cette propriété du tabac.

On parait s’accorder généralement pour regarder l’usage du tabac par les hommes habitués à vivre sur mer, comme un excellent moyen de prévenir le scorbut, que l’on sait être la maladie la plus particulière aux marins. D’ailleurs, là où la vie de relation est vue en raccourci, où les événements ne sont pas assez nombreux pour offrir un aliment suffisant aux conversations intimes, le tabac devient un des objets de première nécessité.

Les propriétés narcotico-acres du tabac l’ont fait mettre au nombre des meilleurs médicaments de la thérapeutique.

Parmi les nombreuses maladies dans lesquelles le tabac a été employé, dit-on, avec succès, on a signalé particulièrement la paralysie, l’hémiplégie, l’apoplexie, la léthargie, l’asphyxie, l’iléus, les hernies étranglées; on en a tiré de bons usages pour détruire les ascarides. A l’extérieur, il a été employé contre la gale, la teigne et autres maladies de la peau. Il est conseillé avec avantage en poudre, comme sternutatoire, c’est-à-dire pour déterminer un ébranlement souvent salutaire qui secoue les organes et surtout les vaisseaux cérébraux et y facilite la circulation. Mais le plus souvent il est employé pour déterminer ou augmenter la sécrétion de la muqueuse nasale, et, de cette façon, résoudre ou diminuer les céphalalgies, l’enchifrènement, les douleurs de dents, les maux d’oreilles et diverses fluxions que l’on suppose produites par accumulation de cette sécrétion.

C’est comme calmant et en topique que le tabac, à l’état frais, a été conseillé pour la guérison des migraines, des maux de dents ou des fluxions. Il est surtout mis ainsi en usage dans les pays où l’on cultive cette plante, et l’on assure que ce traitement est toujours efficace. Enfin, on a encore employé les feuilles de tabac frais pour déterger les vieux ulcères sordides.

Fowler, médecin anglais, l’a employé dans l’hydropisie avec assez de succès pour que nous devions indiquer ici quelques-uns de ses résultats. Voici comment il l’administrait. Il faisait infuser 30 grammes de feuilles de tabac dans une livre d’eau qu’il entrenait bouillante pendant une heure au bain-marie. Après le refroidissement, il passait la liqueur et y ajoutait la moitié de son poids d’alcool rectifié. Cette teinture de tabac était ensuite employée deux fois par jour à la dose de 40 à 80 gouttes, que l’on augmentait peu à peu jusqu’à la dose de 100 à 200 gouttes, que l’on ne devait pas dépasser. Fowler assure que sur trente et un malades atteints d’hydropisie générale, avec gonflement de pieds, dix-huit ont été guéris, dix ont été bien soulagés, et trois seulement n’ont pu recouvrer la santé. Les premiers symptômes qui suivent l’administration de ce médicament sont des nausées et des vertiges. L’évacuation urinaire qui se produit sous son influence n’a lieu qu’après l’apparition de ces phénomènes, et cette évacuation est d’autant plus abondante, qu’ils sont eux-mêmes plus prononcés. Le docteur Fouquier a d’ailleurs observé (Bulletin de la Faculté de médecine) qu’un galeux qui se frottait avec une décoction de tabac. eut plusieurs jours de fréquents besoins d’uriner, et des évacuations abondantes d’urine.

Le tabac a depuis longtemps été regardé par les médecins, surtout les Allemands, comme un excellent remède contre les maladies scrofuleuses. Voici à ce sujet une histoire que nous a transmise le célèbre Monard.

Un général allemand avait un fils atteint de cette affreuse maladie désignée sous le nom d’écrouelles. Comme à cette époque les rois de France passaient pour avoir le don de les guérir, le général envoya son fils à Paris, muni d’une lettre de l’empereur pour Louis XIII. Ce fut le cardinal de Richelieu qui le reçut, et qui, après avoir beaucoup ri de cette bonhomie allemande, dit au jeune homme que les successeurs de saint Louis avaient perdu la faculté de faire de semblables miracles. Mais il lui conseilla de se confier à M. Nicot. Celui-ci employa du tabac en poudre, en décoction, en feuilles; en un mot, lui fit suivre un traitement dont la base était le tabac, et parvint à délivrer le jeune Allemand de son infirmité.

Nous avons reconnu que plusieurs personnes extrement lymphatiques s’étaient parfaitement trouvées de l’usage du tabac fumé. Nous avons constaté entre autres qu’un garçon de sept ans, extrêmement scrofuleux, qui était depuis longtemps soumis à un traitement iodé, sans qu’aucune amélioration dans sa santé se fît remarquer, et à qui nous avions conseillé de fumer quelques petites cigarettes, ne tarda pas à se trouver bien de l’usage du tabac: une fistule lacrymale qu’il avait s’améliora; ses engelures, dégénérant en ulcères difficiles à guérir, finirent par disparaître; ses ganglions lymphatiques du cou cessèrent de s’engorger; son ventre, dur et bouffi, reprit son état normal, et toute son économie se trouva singulièrement, mais favorablement modifiée. Il avait, dès rage de douze ans, contracté la laide habitude de fumer; mais il s’était à peu près débarrassé d’une maladie plus laide encore. Aujourd’hui on ne se douterait pas qu’il ait été dans un état si déplorable.

Ménandre et quelques autres médecins rapportent comme vraie l’assertion suivante. Un jeune chanoine de Louvain avait un cancer ou un ulcère à la joue, contre lequel la médecine était impuissante. Ayant entendu vanter les guérisons étonnantes obtenues à l’aide du tabac, il avait cru plus sûr de s’adresser à M. Nicot. Des lotions répétées plusieurs fois pendant quelques jours, suffirent pour soulager tellement le chanoine, qu’il revint à Louvain, disant partout que Dieu avait retiré aux rois de France le don de guérir les écrouelles et les ulcères pour le. transmettre à M. Nicot.

Ménandre rapporte aussi un cas d’épilepsie guéri par le tabac. Un de ses cousins, affecté de cette cruelle maladie depuis son enfance, guérit parfaitement en buvant chaque matin un verre d’une forte décoction de tabac.

Plusieurs médecins, particulièrement le célèbre J. Hivernius, racontent plusieurs cures merveilleuses opérées par le suc de tabac frais. Il le prescrit pour combattre l’atonie des intestins; pour cela il conseille d’envelopper le ventre du malade avec des feuilles de tabac légèrement chauffées. Enfin, il pense que le sirop de tabac convient aux personnes asthmatiques.

On a avancé que les émanations du tabac ralentissaient la marche de la phthisie, et même pouvait dans quelques cas la guérir chez les ouvriers qui le fabriquent.

M. Ruefz, de Strasbourg, croit que la phthisie est plus rare chez les ouvriers qui travaillent le tabac; mais le docteur Mêlier ne pense pas que l’on puisse avoir une aussi bonne opinion de cette substance.

Dans un rapport fort intéressant fait à l’Académie de médecine, M. le docteur Mêlier dit que les ouvriers des manufactures de tabac sont persuadés que les émanations de cette substance sont efficaces contre les douleurs rhumatismales. Quand ils sont pris de douleurs après un refroidissement, ils ne connaissent pas de meilleur remède que de faire un bon somme sur un tas de tabac. Ce savant rapporte à ce propos et à l’appui de ce fait une série d’observations qui lui ont été communiquées par le docteur Berthelot, desquelles il résulte que des cataplasmes de farine de graine de lin délayée dans une décoction de tabac calment promptement les douleurs rhumatismales, et amènent une guérison aussi prompte que la plupart des modes de traitements généralement employés contre cette maladie.

Dans la Tabacologie de Ménandre on trouve une foule de formules différentes d’onguent de tabac. L’auteur assure s’être servi avec le plus grand succès de cette forme pharmaceutique du tabac pour la guérison de la surdité, des tintements et des douleurs d’oreilles. Selon lui, il agirait en raffermissant les nerfs et en nettoyant les canaux acoustiques, dont la malpropreté émousse d’ordinaire la sensibilité et la finesse de l’ouïe.

Le travail du tabac parait être propre à préserver des fièvres intermittentes; par exemple, on a observé qu’à Tonneins, les ouvriers des manufactures de tabac ont été presque tous respectés par la suette; que les ouvriers de Morlaix ont été préservés d’une dyssenterie épidémique, et ceux de Lyon des fièvres typhoïdes qui ont violemment sévi dans cette ville à diverses époques. Enfin, le célèbre chimiste Fourcroy avait déjà remarqué que les ouvriers de la ferme de Cette échappaient le plus souvent à la fièvre putride qui d’ordinaire règne dans cette localité vers la fin de l’été. Mais, par contre, on a observé qu’à Londres, les habitants des maisons où se prépare le tabac n’ont été en aucune façon soustraits aux ravages de la peste.

Le célèbre médecin Monard prétend avoir souvent employé le tabac pour guérir les polypes. Il raconte qu’un consul de Leyde, affecté d’un énorme polype au nez, vint le trouver pour prendre ses conseils; qu’il se servit d’huile de tabac, et que le remède eut un plein succès.

Melchiort Friccius signale le sirop de tabac comme un excellent médicament contre la vomique du poumon.

Les fumigations du tabac peuvent être employées avec succès dans les rhumatismes, les gouttes et quelques maladies de la peau.

Éverarth cite une dame espagnole habitant Leyde, qui lui amena une demoiselle, sa pupille, dont le visage était couvert de taches rousses qui la rendaient difforme. Des lotions ou des applications de décoction de tabac les firent disparaître complètement dans l’espace d’une quinzaine de jours, et il ajoute que la demoiselle recouvra tous ses charmes, et qu’elle épousa un prince allemand qui s’éprit de sa beauté.

La fumée de tabac est très-fréquemment employée contre l’asphyxie par submersion. Pia, le célèbre pharmacien qui a mis ce moyen en vogue et l’a rendu populaire, a inventé divers instruments à l’aide desquels on pouvait introduire la fumée dans le rectum des noyés. Cet usage du tabac contre l’asphyxie par submersion est depuis très-longtemps en pratique chez les Mexicains, ainsi que Diereville l’a observé chez les Acadiens.

Ménandre ne craint pas d’assurer que la fumée du tabac fortifie et rétablit la mémoire. Il cite le fait d’un chimiste du nom de Pavins, qui avait perdu la mémoire pendant ses opérations chimiques; ayant pris pendant quelque temps, tous les matins, deux onces de décoction de tabac, il recouvra complètement la faculté de se ressouvenir.

Enfin tout le monde sait que ceux qui usent du tabac en fumée et en masticatoire sont fort peu sujets aux maux de dents. Selon Monard, cette substance conserve les dents, parce que la fumée, par sa nature âcre et corrosive, purifie la bouche et rend impuissants les corps étrangers qui détérioreraient l’émail des dents.

Selon nous, deux causes peuvent concourir à cet effet: la première, c’est que l’huile empyreumatique qui se produit pendant la combustion du tabac et qui se répand dans la bouche avec la fumée, finit par recouvrir tellement les dents, comme une sorte de vernis, que l’air ou les acides qui se trouvent dans les aliments ou dans la salive ont bien moins d’action sur la substance calcaire qui constitue les dents; la seconde, c’est que précisément cette huile empyreumatique contenant une certaine quantité de créosote, en agissant comme caustique sur les nerfs dentaires, peut les rendre à peu près insensibles; peut-être bien aussi que la nicotine et la nicotianine ont une action à peu près analogue à la créosote. Il est bon toutefois d’ajouter que M. Zeise n’a pas trouvé cette dernière substance dans les produits de la distillation sèche du tabac.

Quoi qu’il en soit, Mullérus, dans son livre intitulé : Des Secrets de la médecine, dit positivement que le suc ou la décoction de tabac est un préservatif et même un médicament infaillible contre tous les maux de dents, et qu’il a employé dans quelques cas et avec succès le sel de tabac dissous dans du blanc d’œuf.

Au reste, dans la Flandre, il n’est pas rare devoir employer le remède suivant: dans un petit verre rempli de genièvre en liqueur on introduit le tuyau d’une pipe allumée; on chasse la fumée du tabac par le foyer de la pipe que l’on a recouvert de linge; le genièvre une fois en ébullition, on cesse d’y faire arriver la fumée; on laisse refroidir. Cette liqueur, appliquée sur la dent malade, calme à l’instant les douleurs les plus aiguës. (Le Tabac vengé, page 55.) Dans cette opération, la nicotine, principe actif volatil, la nicotianine, sorte d’huile volatile, et l’huile empyreumatique provenant de la combustion, sont dirigées dans la liqueur alcoolique, qui a la propriété de les dissoudre, de sorte que l’on a ainsi un moyen de placer directement sur la dent malade les principes actifs du tabac qui se trouvaient divisés dans sa fumée.

Le tabac a été encore conseillé à l’intérieur contre la constipation opiniâtre, l’hystérie, la manie, les fièvres intermittentes, les vers intestinaux, etc.; et à l’extérieur, contre les bubons, les engorgements glanduleux, le tétanos, la colique de plomb, l’ischurie, a rétention d’urine, le resserrement de l’urètre. Enfin on s’en est servi dans les catarrhes chroniques et dans certaines affections asthéniques des poumons.

Monographie du tabac

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