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PROPRIÉTÉS TOXIQUES ET PHYSIOLOGIQUES DU TABAC.

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Table des matières

En présence des nombreuses vertus racontées avec quelque peu d’enthousiasme par les prôneurs du tabac, particulièrement par ceux qui ont le plus anciennement écrit sur cette matière, nous ne devons guère nous étonner de trouver dans la plupart des vieux ouvrages, des recettes propres à faire employer le tabac sous toutes les formes possibles : c’est ainsi qu’il a été employé sous forme de sucs simples ou composés, de bains, de pilules, de conserves, de sirops simples et composés, d’onguents, de potions purgatives, de décoction, d’oxymel, de suppositoires, de lavements, de pessaires, de loochs. On en a fait une eau distillée, une huile médicinale, un baume, des extraits alcooliques et éthérés, un sel par incinération. Enfin il n’était pas de formes pharmaceutiques usitées alors qui ne fussent empruntées pour faciliter l’administration du tabac.

Le tabac est un médicament aujourd’hui tombé en désuétude, parce que les médecins modernes le regardent comme très-infidèle. Cependant on l’emploie encore quelquefois, mais seulement en lavements, à la dose de 2 à 5 grammes seulement, ou bien encore en décoction, à l’extérieur, dans quelques maladies de la peau.

Ce qui n’a pas dû peu contribuer à faire oublier l’emploi du tabac comme agent thérapeutique, ce sont les accidents qui sont survenus à la suite de l’administration de ce médicament héroïque. A l’exemple de plusieurs auteurs, nous pourrions considérablement grossir la liste de ces empoisonnements suivis de mort qui ont été observés plus ou moins anciennement par Hoffmann , Ugard, Murray, Ansiaux, etc.; mais nous nous contenterons de rappeler ici les deux faits suivants.

M. le docteur Chantourelle, en 1823, a rapporté une série d’accidents sérieux produits par l’administration d’une infusion de 45 grammes de poudre de tabac. M. Tavignot a signalé un cas de mort qui a suivi de près l’administration du tabac à la dose de 60 grammes. Les symptômes se succédèrent avec une effrayante rapidité dans l’ordre suivant: pâleur, stupeur, pupille dilatée normalement, respiration de plus en plus gênée, intelligence complétement abolie; tremblements convulsifs d’abord des bras, puis des jambes et ensuite de tout le corps, qui allèrent progressivement en augmentant pendant six minutes et auxquels succéda un état d’extrême prostration. Le coma et la résolution de tous les membres terminèrent l’agonie. En douze minutes tout fut fini. Il n’y eut aucun vomissement.

M le docteur Bouchardat rapproche ces deux faits avec intention comme fournissant l’occasion de remarquer que la proportion de 30 grammes de tabac qui entrent dans le lavement de tabac du Formulaire des hôpitaux est beaucoup trop considérable. Il faut la réduire à 5 grammes. Il pense aussi que dans les cas d’asphyxie, la fumée de tabac est beaucoup plus utile que les lavements, et ne peut leur être substituée comme on le pense généralement.

Personne n’ignore que Santeuil, le célèbre poëte, après avoir bu un verre de vin dans lequel on avait mis du tabac d’Espagne, fut pris de vomissements et de violentes coliques au milieu desquelles il expira.

D’un autre côté, MM. Laycock et Wrigth, tous deux séparément, ont fait un grand nombre d’observations, longtemps continuées et qui concordent assez bien, desquelles il résulte que l’usage immodéré du tabac fumé ou prisé peut apporter des changements très-notables dans l’économie animale . Le docteur Liébault, ( Recherches sur le tabac, thèse, 1851), dit aussi que les organes qui sont le plus souvent influencés par le principe actif du tabac sont: 1° le système nerveux; 2° les organes digestifs; 3° les organes de sécrétion; 4° ceux de la circulation.

L’action du tabac sur les animaux a été étudiée par MM. Orfila, Brodie et Macartney. Ils ont fait une foule d’expériences sur des chiens, des chats et des lapins, et les résultats ont été à très-peu près les mêmes, en introduisant le tabac dans le rectum, dans l’estomac, appliqué sur des surfaces dénudées, sur le cerveau, inséré dans le tissu cellulaire ou injecté dans les veines. De quatorze expériences, M. Orfila tire les conclusions suivantes:

1° Les feuilles de tabac, entières ou réduites en poudre, telles qu’on les emploie journellement dans le commerce, sont douées de propriétés vénéneuses énergiques,

2° Leur partie active paraît résider dans la portion soluble dans l’eau, qui est absorbée et portée dans le torrent de la circulation.

3° Leurs effets délétères paraissent dépendre d’une action spéciale sur le système nerveux, et elles déterminent presque constamment un tremblement général qui s’observe rarement lorsqu’on emploie d’autres poisons.

4° Leur action est beaucoup plus énergique lorsqu’on injecte la portion soluble dans l’anus, que lorsqu’on l’applique sur le tissu cellulaire, et à plus forte raison que dans le cas où on l’introduit dans l’estomac.

5° Indépendamment des phénomènes dont nous venons de parler, elles exercent une action locale capable de produire une inflammation plus ou moins intense.

6° Elles paraissent agir sur l’homme comme sur les chiens.

7° L’huile empyreumatique n’agit pas directement sur le cerveau ni sur le tronc des nerfs, mais elle porte son action sur le système nerveux d’une manière qu’il n’est pas encore facile de déterminer.

8° L’extrait de Nicotiana rustica agit de la même manière que le tabac, mais il est moins actif.

Enfin, une aiguille chargée d’un fil trempé dans l’huile essentielle de tabac et traversant la partie vivante d’un animal, suffit pour le faire périr (Murray). Selon Jaucourt, rien qu’en débouchant la fiole qui la contient, cette huile produit des vomituritions. Quelques gouttes de cette huile mises au contact d’une plaie déterminent des accidents mortels (Redi et Hardens). Albinus, Fontana et Arvers ont fait des expériences analogues sans obtenir les mêmes résultats.

L’huile dont se sont servis ces divers auteurs contenait sans doute de la nicotine; mais il serait intéressant de savoir si la véritable huile essentielle, ou nicotianine pure, est vénéneuse d’une manière plus ou moins approchée de la nicotine. On sait que sous l’influence des alcalis elle donne cette dernière base alcaline; il n’y aurait donc rien d’étonnant quand elle serait délétère.

Nous rapporterons plus loin quelques expériences faites par MM. Mêlier et Bernard (de Villefranche) pour étudier l’action de la nicotine sur les animaux.

Il ne nous reste plus, pour compléter cet article sur les propriétés toxiques et physiologiques du tabac, qu’à rapporter ici un excellent article sur ce sujet, dû à M. Giacomini. «Pour bien connaître les effets de la nicotiane sur l’homme bien portant, il suffit de jeter un coup d’oeil sur les faits les plus triviaux. Nous voyons les feuilles sèches de la nicotiane réduites en poudre, préparées de différentes manières, aspirées dans les narines, chatouiller l’odorat; ces mêmes feuilles, fumées dans la pipe, produire une sorte d’excitation ou d’ivresse; mâchées en petite quantité, faire affluer dans la bouche une grande quantité de salive et picoter l’organe dégustateur. Cette plante occupe aujourd’hui une place considérable dans les habitudes et les besoins de presque tous les peuples. L’habitude diminue de beaucoup et éteint les effets du tabac; de sorte que, pour les observer dans leur pureté, il faut les examiner chez les personnes qui en font usage pour la première fois ou qui en prennent excessivement.

» Chez les priseurs, il faut d’abord distinguer l’effet primitif d’irritation locale dans les narines, qui détermine une cuisson, l’éternument, l’écoulement d’une mucosité par les narines et le larmoiement. Ces effets ne sont pas exclusifs au tabac, une poudre quelconque pouvant les produire par ses seules qualités mécaniques ou chimiques. A côté de ces phénomènes locaux produits par le tabac s’en présentent d’autres; ce sont: une céphalalgie d’abord légère, des étourdissements et une sorte d’ivresse. Il n’est pas nécessaire d’avaler le tabac pour éprouver des nausées accompagnées, d’angoisses à l’estomac et même le vomissement. Il est vrai que ces symptômes ne sont pas de longue durée, quoique Ramazzini les ait vus persister plus ou moins longtemps chez les fabricants de tabac, lesquels éprouvent souvent une toux opiniâtre et des tremblements dans les membres. Un ami du docteur Chomel, en flairant du tabac d’Espagne, tomba en défaillance, et son corps se couvrit d’une sueur froide. Ce sont là les effets dynamiques en opposition avec les premiers; ils sont la conséquence de l’absorption de quelques parcelles de nicotine. Les différentes espèces de tabac offrent des effets soit dynamiques, soit physico-chimiques fort variables. Toujours, cependant, l’intensité de l’un de ces effets est en raison inverse de celle de l’autre. Ces différences de pendent principalement du climat que la plante habite, du terrain où elle végète, de la manière de la préparer, de l’état plus ou moins avancé de sé cheresse, etc. On comprend que si la poudre de tabac n’est pas humide, la pituitaire ne peut l’absorber; alors il n’y a pas d’effets dynamiques, et l’action seulement mécanique consiste dans le cha touillement de la muqueuse; l’effet inverse a lien si la poudre est fine et un peu humectée. La fermentation influe beaucoup aussi sur la nature de l’action du tabac, car elle développe des principes salins nouveaux qui irritent les narines et qui donnent lieu à des effets dynamiques divers. J’ai observé qu’à conditions égales, la poudre fermentée chatouille, il est vrai, et irrite vivement les narines, mais produit moins d’effet sur l’encéphale. On peut s’en convaincre en se servant comparativement de la poudre de feuilles non fermentées et de celles de feuilles fermentées au même degré d’humidité.

» L’action mécanique irritante du tabac, chez les fumeurs, est excessivement faible; on pourrait presque la regarder comme nulle. On se tromperait si on voulait s’expliquer ce fait par la salivation abondante qu’éprouvent les fumeurs. Si on réfléchit qu’en tenant entre ses dents un fétu de paille ou un caillou dans la bouche, la salive est sécrétée en abondance, on doit déduire que le surcroît de sécrétion qui a lieu chez les fumeurs tient à la présence d’un corps étranger entre les dents. Effectivement, on n’éprouve pas de salivation abondante lorsqu’on a l’habitude de tenir la pipe ou le cigare du bout des lèvres. La fumée de tabac n’est pas du tout irritante, je ne cesserai de le répéter, puisque je vois plusieurs personnes en inspirer à pleins poumons sans en éprouver la moindre toux ni la moindre irritation à la gorge; et moi-même, qui ai une aversion prononcée pour la fumée de tabac, je me suis trouvé dans un lieu où l’air était fortement imprégné de vapeurs de nicotiane, et j’ai respiré pendant quelque temps sans autre gêne que l’aversion particulière pour cette odeur. Il en est autrement quand la vapeur de la nicotiane est absorbée. De la langueur générale, de l’engourdissement, un trouble dans les idées, frappent celui qui, pour la première fois, inspire la fumée du tabac ou s’en trouve enveloppé. Il éprouve de la pesanteur à la tête, des vertiges; il chancelle, pâlit, a de fréquentes envies d’uriner, des nausées, des douleurs à l’estomac, une faiblesse générale, du froid à la peau, des sueurs vers le front. Ces phénomènes sont les avant-coureurs du vomissement, qui s’effectue sans aucun soulagement des autres symptômes. On ne doit pas en accuser la salive qu’on aurait pu avaler, car la même chose a lieu chez les personnes renfermées dans des chambres closes, et même aux meilleurs fumeurs qui y restent comme simples spectateurs. Ces symptômes peuvent empirer au point de donner lieu à la défaillance, à l’assoupissement, à l’asphyxie et même à la mort. On connaît le fait relatif aux deux frères dont parle Helwing, qui moururent dans un état léthargique pour avoir vidé, en fumant, l’un dix-sept et l’autre dix-huit pipes de tabac.

» Ceux qui chiquent en éprouvent des effets très-prononcés, savoir: une copieuse salivation, de la chaleur dans la bouche, et quelquefois même une véritable inflammation aux gencives, au gosier, à la langue. Les effets dynamiques en sont fort légers, si l’on n’avale pas la salive; dans le cas contraire on éprouve les mêmes effets que si l’on prend la nicotiane par la bouche. Les petites doses des feuilles ou du suc de la nicotiane par la bouche augmentent la sécrétion de l’urine; mais, pour peu que la dose soit élevée, la pupille se dilate, il survient de l’obscurcissement dans la vue, des vertiges et une tendance à l’assoupissement. Plusieurs auteurs disent, contradictoirement à ce fait, que la pupille se resserre par l’effet de la nicotiane: nous avons voulu nous en assurer par l’expérience directe, qui nous a prouvé ce que nous venons d’avancer. On éprouve, en outre, des nausées, des vomissements, de la diarrhée, avec tremblement dans les muscles; la figure devient pâle, les extrémités froides; sueurs abondantes sur tout le corps; pouls petit et lent; faiblesse générale; les membres sont comme paralysés; délire, syncope, asphyxie, mort. Tous ces effets, qui se développent en prenant la nicotiane par la bouche, se manifestent d’une manière plus intense encore si elle est appliquée à la peau dénudée de l’épiderme ou dans une plaie. On rapporte des cas de mort par les simples lotions pratiquées sur la tête avec une infusion de nicotiane, dans le but de guérir la teigne, ou appliquée dans d’autres régions pour la guérison d’une autre maladie cutanée. Walterhat a été témoin d’un cas de mort survenue en trois heures par une friction faite avec une préparation de nicotiane. Une malheureuse mère a vu ses trois enfants sur le point de périr en vingt-quatre heures, pour leur avoir enduit la tête avec un liniment de beurre de nicotiane, dans le but de les guérir de la teigne et des poux.» (Traduct. de la Pharmacol., p. 548.)

Nous craignons bien qu’il ne se soit glissé quelque peu d’exagération dans quelques-unes des assertions de M. Giacomini, particulièrement quand il dit que la fumée de tabac n’est pas du tout irritante, et quand, plus loin, il semble se contredire en avançant que les personnes qui restent dans des chambres closes peuvent éprouver de la défaillance, de l’assoupissement, de l’asphyxie, et enfin la mort.

Il y a, ce nous semble, bien des choses à distinguer dans tout ce qui vient d’être dit. La fumée qu’on lance par la bouche contient fort peu de nicotine, si tant est qu’elle en contienne; car, volatile à 250° seulement, et engagée d’ailleurs dans l’huile empyreumatique qui l’accompagne, elle arrive dans la bouche du fumeur et s’y condense pour ainsi dire entièrement. Au contraire, la nicotianine, plus volatile, a l’odeur du tabac, et son activité, infiniment moins grande que la nicotine, rend raison de la première assertion de M. Giacomini. Mais alors. à quoi rapporter cette sorte d’empoisonnement dans le second cas indiqué plus haut? A la nicotianine? C’est au moins douteux, et nous aimons mieux croire que l’air, vicié par l’absence d’une suffisante quantité d’oxygène, ou par la grande proportion de fumée composée d’huile empyreumatique, et surtout d’oxyde de carbone, non pas tant parce qu’elle provient du tabac, puisque toute autre fumée pourrait produire le même effet, est la seule cause des symptômes annoncés par M. Giacomini. Cet observateur s’en est peut-être un peu trop rapporté à l’odeur que produit la fumée du tabac. D’ailleurs, tous les jours on voit des hommes et des femmes même vivre au milieu d’une atmosphère de cette fumée sans qu’elles éprouvent les symptômes qu’il décrit. Enfin, l’exemple des deux frères morts léthargiquement, qu’il semble donner comme preuve à l’appui de ce qu’il avance, ne se sont pas trouvés dans le cas simple qu’il semble indiquer, puisqu’il avoue ingénument qu’ils ont fumé, l’un dix-sept, l’autre dix-huit pipes de tabac. Nous pensons que ce fait, très-véridique d’ailleurs, doit être attribué moins à la fumée produite, ou, pour être plus explicite, à l’atmosphère dans laquelle les victimes. étaient plongées, qu’à la forte proportion de nicotine que la muqueuse de la bouche a dû absorber. (Voir plus loin Recherches chimiques sur la fumée de tabac.)

Mais parce que des accidents toujours regrettables sont la conséquence d’une mauvaise administration du tabac, s’ensuit-il que l’on ne doive pas tenter de tirer parti d’un médicament dont les anciens, quelque exaltés qu’ils soient, nous ont fait connaître des propriétés si importantes? Quelle bizarrerie! les hommes ne font aucune attention aux choses qu’ils ont sous la main, tandis que les substances les plus insignifiantes qui viennent de l’étranger sont l’objet de leurs préoccupations, alors même qu’elles pourraient être sans utilité possible ou probable. Aujourd’hui que nous possédons des méthodes d’expérimentations que l’on n’employait pas autrefois, il ne serait pas difficile de soumettre le tabac à une étude minutieuse, afin de savoir au juste à quoi s’en tenir sur les assertions des médecins qui ont trouvé au tabac des propriétés qui lui ont valu les noms d’herbe sainte, d’herbe divine, d’herbe du paradis, plante céleste, panacée, etc.

Maintenant, faut-il ajouter une foi entière à ce que disent quelques médecins ennemis évidents du tabac? A les en croire, le tabac serait la drogue la plus pernicieuse qui se pût voir. S’ils examinent le tabac à priser, ils vous diront qu’il suscite des changements organiques dans le nez , que le catarrhe nasal, coryza, rhume de cerveau sont dus à la poudre de tabac; que l’ozène est produite par la même substance; que la fistule lacrymale pourra bien souvent prendre naissance à la suite de son usage; que les polypes des fosses nasales reconnaissent fréquemment une semblable cause. S’ils abordent la question du tabac fumé, ils vous prouveront que les fumeurs sont exposés aux plus graves maladies; que ceux des régions humides du Nord meurent d’hydropisie, d’anasarque; que la pipe à trop court tube détermine souvent un carcinome de la lèvre inférieure; que ceux qui en prennent l’habitude finissent presque toujours par mourir d’un cancer au pylore; qu’ils ont vu périr une multitude de fumeurs, jeunes et vieux, d’épuisement, de consomption, etc. (Boussiron.)

«Qui veut trop prouver ne prouve rien,» et ce proverbe populaire reçoit ici sa plus juste application. Les médecins qui écrivent ainsi contre le tabac ne nous font pas l’effet de raisonner avec la plus saine logique. En effet, si toutes les maladies que nous venons de citer n’avaient pris naissance que depuis l’emploi du tabac, si elles ne se développaient que sur les personnes qui font usage de cette substance, nous comprendrions qu’ils fussent en droit de conclure aux inconvénients signalés; mais bien loin de là, le coryza, l’ozène, les fistules lacrymales, les hydropisies, le cancer du pylore, etc., sont des maladies connues de tout temps, par conséquent le tabac n’a pu contribuer à leur apparition. Il y a mieux, c’est que nous ne pensons pas que l’on puisse prouver que l’usage du tabac prédispose à telle maladie plutôt qu’à toute autre; il n’existe aucune statistique sur ce sujet; sans cela les ennemis du tabac n’auraient pas manqué de nous la mettre sous les yeux; ils ne l’ont pas fait, donc elle n’existe pas.

Il ne faudrait pas penser que nous fussions de ceux qui ne veulent pas croire aux maladies précitées chez les priseurs, fumeurs ou masticateurs; mais nous n’y voyons rien autre chose que de simples coïncidences, et, sous ce rapport, les auteurs auraient pu augmenter leur liste d’un bien plus grand nombre de maladies, puisque, comme nous l’avons dit autre part, le tabac n’est ni une panacée ni un prophylactique universels.

D’ailleurs le tabac, comme substance éminemment active, doit être employé avec précaution, non-seulement dans la pratique médicale, mais aussi dans les usages journaliers que l’on en fait. En matière de tempérament, il y a. des capacités aussi diverses pour le tabac qu’il y en a pour le vin et les liquides alcooliques. De même que tel homme ne peut supporter qu’une très-petite quantité de vin, tandis que tel autre peut en boire des quantités effrayantes sans paraître s’en apercevoir, de même aussi il y a des personnes qui ne sauraient fumer plus d’une ou deux pipes du cigares sans être incommodées, alors que d’autres fument pour ainsi dire toute la journée sans s’en douter.

Là est le secret des bons effets du tabac: pris à doses convenables, il peut être infiniment utile.

Après avoir parlé des effets physiologiques du tabac, il convient de faire la part de l’influence que l’habitude, l’âge, le sexe, le climat et les saisons exercent dans ces effets.

Habitude. — Hippocrate a écrit dans ses aphorismes «qu’il y avait moins de dangers à craindre des choses auxquelles on est habitué depuis longtemps et qui pourraient passer pour mauvaises en elles-mêmes, que des choses auxquelles on n’est pas habitué et cependant meilleures.»

Les exemples abondent de la vérité de ce précepte. On sait que les Orientaux peuvent sans inconvénient prendre de très-fortes doses d’opium. Le fameux Mithridate, roi de Pont, s’était tellement habitué à boire de la ciguë, que cette substance était restée par la suite sans effet sur lui. Dans quelques endroits, la manne, qui est purgative, finit par ne plus agir comme telle, et est au contraire employée comme aliment. Mais de tous les poisons, les végétaux sont ceux qui se prêtent le mieux à cette tolérance excessive de notre tempérament; sans doute parce que leur nature plus complexe les rend d’une décomposition plus facile sous l’influence de la vie et peut-être aussi sous celle des forces organiques nouvelles nées elles-mêmes de l’habitude. Au contraire, les poisons minéraux, quoique pouvant aussi être tolérés, ne peuvent jamais être élevés par l’habitude aux proportions relatives énormes auxquelles les poisons végétaux peuvent arriver.

Le tabac, comme poison végétal, peut donc, par l’habitude, arriver à être employé à des doses très élevées, sans qu’il en résulte d’accidents immédiatement regrettables. Effectivement, nous avons des exemples de personnes qui absorbent par le nez de fortes proportions de tabac en poudre, et de personnes qui fument jusqu’à huit onces de tabac par jour sans en être incommodées; d’ailleurs, non-seulement l’ habitude finit par en atténuer considérablement les effets, mais encore, dans le cas de tabac à fumer, il faut dire qu’une grande partie du principe actif est détruit ou volatilisé et perdu pendant la combustion.

Age. — Faut-il accepter comme un bien les idées, émises dans ces quatre vers de Barthélemy?

On dirait qu’il suffit de ce puissant arome

Pour mûrir la pensée et compléter un homme,

Qu’il donne à l’enfant même un aspect de raison,

Et d’un air juvénil rehausse le grison.

Nous ne le pensons pas, et sauf quelques exceptions rares, nous croyons qu’il faut que l’homme ait passé sa première jeunesse pour essayer de l’usage du tabac. Fénelon a dit que «la jeunesse était la fleur d’une nation, et que c’était dans la fleur qu’il fallait cultiver le fruit.» Cette pensée est extrêmement juste, et c’est pour cela qu’il faut laisser l’homme se former lentement, de façon à ce qu’il puisse jouir de toutes les sensations nouvelles que développent chez lui les changements d’âge, de tempérament, de milieux et de circonstances diverses. C’est par ces jouissances qu’il apprend la vie, et s’il ne les a pas éprouvées, il arrive à la maturité de l’âge comme ces fruits avortés qui mûrissent plus tôt que les autres sans acquérir les excellentes qualités qui les font rechercher. C’est donc à la sollicitude paternelle qu’est dévolue l’obligation de surveiller l’enfant, afin d’arriver à en faire un homme dans les conditions que nous avons indiquées et qui résument la plus grande somme de bonheur que nous puissions nous procurer ici-bas.

Quand l’homme est arrivé à l’état adulte, les impressions que font en lui l’usage de certaines substances ne peuvent plus autant s’opposer au développement de ses forces physiques ou morales. Mais c’est surtout dans la vieillesse que le tabac devient d’un usage utile. Loin de détruire la mémoire, comme l’ont avancé sans preuves quelques auteurs ennemis du tabac, au contraire, il paraît qu’il la réveille ou la réchauffe, ou bien encore qu’il stimule la volonté qui préside aux actes cérébraux, et toutes ses joies comme toutes ses peines peuvent être rappelées à ses souvenirs: alors il se reporte encore à une époque qui n’est plus, mais qui, par cela même qu’elle lui rappelle sa jeunesse avec les impressions neuves et saisissantes qui l’accompagnaient, est encore pour lui un moment de bonheur; car, il faut bien le reconnaître, ces souvenirs de jeunesse portent toujours dans l’esprit un regret, et un regret de cette nature n’est jamais sans quelques charmes.

Mais pour obtenir de l’usage du tabac les avantages que nous signalons, il faut user de bien des précautions; il faut n’en point faire un abus qui serait tout aussi dangereux chez les vieillards que chez les enfants; il faut enfin qu’une habitude contre nature ne soit pas venue émousser ou détruire cette sensibilité sans laquelle les impressions ne sauraient se produire.

Sexe. — Nous avons dit autre part que dans beaucoup de contrées les femmes fument presque autant que les hommes. En Amérique, un grand nombre de dames fument le cigare de Virginie ou de la Havane. Les Indoues du Guzurate fument leur zerdatambakou avec autant de plaisir que les sultanes et les odalisques leur ienidgé-kara-sou. En Europe, particulièrement en France, les lorettes de nos jours ne se font nul scrupule de fumer la cigarette, ne craignent pas de humer la fumée d’un cigare, et vont quelquefois même jusqu’à affronter l’usage de la pipe; mais c’est bien souvent plus par esprit d’imitation passagère ou de fanfaronnade que de passion bien déterminée. Ici, c’est, plutôt par convenance que par horreur de l’odeur du tabac, que cette habitude n’est pas arrivée chez les femmes, car il n’est pas rare de trouver des élégantes suivant, pour ainsi dire, à la piste un fumeur, afin de jouir de l’arome de son cigare. Keylius a écrit, en 1715, que fumer n’était nullement contraire au décorum ni pour les hommes ni pour les femmes: non herbæ nicotianæ usus levis notæ maculam contrahat. Enfin Beintema, de Francfort-sur-le-Mein, prétendait que le tabac n’était pas plus nuisible à un sexe qu’à l’autre. (Grenet.)

Climats, saisons. — Ces circonstances ne paraissent pas avoir une grande influence dans l’usage que l’on fait du tabac, puisque l’on fume à peu près autant dans le Midi que dans le Nord; mais les effets sont généralement une conséquence du caractère si différent de ces deux classes d’hommes: ainsi, tandis que dans le Nord le tabac agit sur l’homme en exagérant son silence et son aptitude à la réflexion, au contraire, dans le Midi, il exalte son esprit, qui se répand au dehors sous mille formes plaisantes ou légères, mais rarement profondes.

Toutefois, si nous abordons la question d’hygiène, nous pouvons reconnaître que le tabac est plus utile sous les latitudes tempérées ou froides et humides que dans des pays plus méridionalement exposés; c’est en vertu des mêmes causes qu’il sera plus utile par les temps froids que par les temps chauds, par l’humidité que par la sécheresse Ce sont encore les mêmes causes qui font qu’il convient mieux aux marins, aux pêcheurs, aux chasseurs, aux gardiens. de nuit, en un mot, à tous ceux qui sont placés dans des conditions de froid et d’humidité. En effet, les pertes occasionnées par la salivation ou par l’évacuation des mucosités nasales sont à peu près contre-balancées ou rétablies par l’absorption de la vapeur aqueuse contenue dans l’air froid et humide.

Dans l’été, surtout par les grandes sécheresses, il est clair que l’appel des fluides par la bouche ou les narines, en s’ajoutant aux pertes occasionnées par la sueur et la perspiration insensible de la peau et de la membrane pulmonaire, doivent finir par épuiser. Si cette perte de liquides est portée trop loin, si l’économie refuse de répondre à l’appel fait à la bouche ou aux narines, ces parties se dessèchent ainsi que l’arrière-gorge, et le besoin de boire se fait sentir. A la vérité, ceux qui ne crachent en fumant ni ne mouchent en prisant, résistent mieux à la sécheresse; mais, en retour, ils sont privés du bénéfice d’une évacuation qui peut devenir nécessaire dans de certaines dispositions anormales.

Monographie du tabac

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