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NICOLAS POUSSIN

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Nicolas Poussin naquit aux Andelys. près de Rouen, au mois de juin de l’année 1594: il précéda de dix ans Corneille, son compatriote, qui devait être son émule par la grandeur du génie, la rectitude du caractère, la force de la pensée, la pureté et la simplicité des mœurs.

Ces deux grands hommes, ces deux grands artistes, ces deux robustes frères en poésie, ouvrent splendidement ce XVIIe siècle français qui devait voir mûrir les fruits les plus nombreux, les plus variés, les plus exquis du mouvement d’idées qui commence à la renaissance italienne et vient finir sur le seuil d’un monde nouveau, à l’Esprit des Lois et au Contrat social. Il paraît d’abord étonnant de rencontrer un des premiers peintres du monde dans un pays qui n’est certainement pas la patrie de la peinture moderne et dans un temps qui venait de voir mourir les plus grands artistes de l’Italie, et se perdre sous l’empire de nouveautés médiocres ou bizarres la tradition de leurs doctrines; mais certaines époques sont comme ces saisons fécondes qui donnent la vie aux moindres semences. Le XVIIe siècle ressemble à ces jours d’été chauds, mais un peu voilés qui présentent, dans un moment unique et admirable, des fleurs et des fruits déjà mûrs. La gerbe qu’il apporte au trésor des lettres et des arts est peut-être plus belle qu’aucune autre: il en est de plus brillantes, il n’en est point de plus harmonieuses et de plus complètes. On pourrait encore comparer ce temps à un homme dans la vigueur de l’âge: un corps robuste, un esprit étendu et sain, des pensées fortes et délicates, nombreuses, précises; de vastes aspirations, mais retenues dans les limites des forces humaines; rien de la fougue inutile de l’extrême jeunesse, rien non plus de la sagesse-stérile de la caducité ; jamais de ces chimères trompeuses qui égarent nos premiers pas, que le grand soleil de midi disperse, et qui reviennent, lorsque la raison décline, misérablement dégrader nos dernières années. Ce siècle adulte ne connaissait ni cette inquiétude, ni cette tristesse maladive qui nous dévore, et qui fait si intimement partie de nous-mêmes, qu’il paraît impossible d’en découvrir le germe et de la déloger: mal héréditaire qui circule dans nos veines et que nous avons sucé au sein de nos mères avec la vie

Il ne nous reste que des documents incertains et peu nombreux sur la jeunesse de Poussin. Son père, Jean Poussin, était originaire de Sois-sons, d’une bonne famille, peut-être noble, mais ruinée pendant les guerres qui dévastèrent la France au XVIe siècle. Jean Poussin prit part lui-même aux dernières campagnes, et Félibien rapporte que ce fut à la suite du siège de Vernon, auquel il avait assisté avec un de ses oncles, qu’il épousa Marie Delaisement, veuve d’un procureur de cette ville. Nicolas Poussin naquit de ce mariage. Son père, qui vivait d’une petite pension, lui fit faire les études habituelles. L’enfant, d’ailleurs appliqué, passait une partie de ses heures de leçons à couvrir ses livres et ses cahiers de dessins, incorrects sans doute, mais qui témoignaient déjà de ses dispositions. Quintin Varin, peintre médiocre d’Amiens, dont le nom serait inconnu s’il n’était associé à celui de Poussin dans l’histoire, pressentit son talent, lui donna quelques directions et engagea ses parents à ne pas contrarier son goût.

Le jeune Poussin, encouragé par Varin, quitta tout pour la peinture. Ses progrès furent si rapides, qu’il n’eut bientôt plus rien à apprendre de son maître. Les ressources bornées de sa petite ville ne lui suffisaient plus; il quitta les Andelys sans le consentement et probablement même à l’insu de son père, et arriva à Paris en 1612. Il avait dix-huit ans. Poussin fit, dès son arrivée, la connaissance d’un jeune gentilhomme poitevin qui avait le goût des beaux-arts et qui lui donna un logement dans sa maison. Après avoir travaillé pendant quelque temps dans l’atelier de Ferdinand Elle, de Malines. un assez bon peintre de portraits, il passa dans celui de Lallemand, peintre fort peu habile, suivant Félibien , et dont il ne nous est rien resté ; mais son maître véritable, après son propre génie, ce fut Raphaël.

Quoiqu’un siècle presque entier se fût écoulé depuis la mort du chef de l’école romaine, ses tableaux, et même les gravures d’après lui, étaient fort rares en France; le roi seul en avait et ne les montrait pas à tout le monde. On sait l’effet que produisirent, vingt ans plus tard, quelques copies de ce maître, que le maréchal de Créqui rapporta de Venise et de Rome. Poussin avait fait, par l’intermédiaire de son protecteur, la connaissance d’un mathématicien du roi, attaché aux galeries du Louvre, qui possédait une collection de gravures d’après les meilleurs tableaux des écoles italiennes, et même quelques dessins originaux de Raphaël et de Jules Romain. Il eut la liberté de voir et de revoir ce trésor, et même d’en copier les pièces les plus importantes. On peut facilement se représenter la surprise et l’admiration que devaient causer aux peintres français de cette époque les chefs-d’œuvre des écoles italiennes. C’étaient comme des jours ouverts sur un monde inconnu, qu’ils avaient à peine rêvé. Ils passaient sans transition d’une obscurité à peu près complète à la plus vive lumière qui eût jamais éclairé les arts.

Les progrès de Poussin furent sans doute rapides; mais il ne nous reste absolument rien d’authentique qui puisse être rapporté avec certitude à cette époque de sa vie. Son protecteur, rappelé dans le Poitou, l’engagea à le suivre. Le jeune artiste s’y décida, plus par reconnaissance que par ambition. D’ailleurs il pensait sans doute que son temps ne serait pas absolument perdu, qu’il pourrait étudier, et que les travaux de décoration qu’il s’était engagé à faire dans le château de son ami, ne lui seraient pas inutiles. Ses espérances furent déçues. Traité comme une sorte de domestique par la mère du jeune gentilhomme, chargé de travaux sans rapport avec son art, à peine supporté comme un hôte incommode et indiscret, irrité, découragé, humilié, il partit plus pauvre que devant pour revenir à Paris. Il faisait la route à pied et était obligé de s’arrêter de lieu en lieu pour gagner de quoi continuer son voyage. La tradition rapporte qu’il peignit jusqu’à des enseignes de cabaret pour acquitter le prix de son modeste repas. Ces atteintes de la misère, qui souillent et dégradent les talents médiocres, donnent plus d’éclat, de grandeur et de force au génie. Poussin doit aussi à la nécessité où il se trouva dans sa jeunesse de peindre avec rapidité des objets de toute sorte, sa manière un peu sèche, mais si précise, si facile et si juste. C’est probablement à cette première époque qu’il faut rapporter les deux tableaux que l’on voyait dans l’église des Capucins de Blois au commencement du XVIIIe siècle, ainsi que les Bacchanales du château de Chiverny.

Ce voyage, qui doit avoir duré plusieurs mois, avait tellement fatigué Poussin, qu’il tomba malade en arrivant à Paris et fut obligé de retourner aux Andelys pour se rétablir. Il y passa un an et revint à Paris, dans l’intention bien arrêtée d’aller à Rome. Il partit, en effet; mais on ne sait quel contre-temps le força de s’arrêter à Florence, d’où il revint en France. Une seconde fois, il fut encore moins heureux et ne dépassa pas Lyon. En 1623, étant à Paris, il fut invité par les Jésuites, qui célébraient la canonisation de saint Ignace et de saint Xavier, à concourir pour la peinture à la détrempe des tableaux représentant les miracles de ces deux saints.

Avant cette époque déjà, Poussin avait fait la connaissance du cavalier Marin, qui travaillait alors à son poëme d’Adonis, et qui prenait grand plaisir à voir l’imagination du peintre en tirer des sujets de tableaux. Marin voulut l’emmener à Rome vers 1622, mais Poussin «n’était pas en état, dit Félibien, de quitter Paris.» Était-ce encore la pauvreté qui l’enchaînait, ou le concours dont nous avons parlé, ou le désir d’achever quelques tableaux commencés, et en particulier la Mort de la Vierge, conservée longtemps dans une des chapelles de Notre-Dame, et qui date de cette époque? Félibien et Bellori regardent ce tableau comme un des meilleurs de sa première manière; mais ce que nous en savons nous suffit pour affirmer que la Mort de la Vierge ne faisait pas pressentir le génie de l’auteur futur de l’Image de la vie humaine et du Testament d’Eudamidas.

Poussin avait connu Philippe de Champagne au collége de Laon. Ils demeurèrent quelque temps ensemble. Duchesne les avait employés l’un et l’autre à la décoration du Luxembourg, et, quoique Poussin se fût vite dégoûté des misérables travaux qu’un maître ignorant lui imposait, il n’est pas douteux qu’il demeura lié avec Champagne, dont l’esprit sérieux n’était pas sans analogie avec le sien. On aime à se persuader que cette amitié l’aida à traverser sans trop de souffrance ces douze années de travaux obscurs et incessants, de tentatives infructueuses et sans doute aussi de misère, après lesquelles commence, avec le voyage de Poussin à Rome, la période vraiment féconde et glorieuse de la vie du peintre.

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