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LA LUNE DE MIEL
ОглавлениеUn poète a dit que l’amour
Vit d’inanition et meurt de nourriture.
Le premier hémistiche est trop absolu, paradoxal; le second, presque complètement vrai.
L’amour ne vit pas d’inanition. Peu de femmes accepteraient un tel régime dans lequel elles verraient à juste titre le comble du dédain. En dehors du besoin de plaire, de l’attachement, de l’affection, de la passion, les plaisirs de l’amour sont, en saine physiologie, un besoin aussi urgent que la satisfaction du sommeil et de l’appétit.
A un certain moment, l’individu a terminé sa croissance. Tous ses aliments se changent alors en forces de tension, puis en forces vives dont il peut disposer suivant ses besoins et ses occupations. Si la dépense n’équilibre pas la recette, s’il observe une trop grande continence, plusieurs phénomènes surgissent, parmi lesquels des congestions, des rêves lascifs s’accompagnant d’insomnies et autres troubles fonctionnels généraux. Dans ces cas, l’exercice régulier et modéré des fonctions génitales est le meilleur régulateur de la machine humaine. L’harmonie des fonctions se rétablit, et avec elle la santé. Le grand art consiste à trouver le juste milieu.
Autre chose est la lune de miel si souvent célébrée par les poètes et les romanciers.
On peut définir la lune de miel la période d’excès vénériens des premiers mois de l’hymen ayant pour résultat ultime, de la part de l’un ou de l’autre des époux, souvent des deux, la satiété et le dégoût. L’amour meurt vraiment alors de nourriture.
Cette fin déplorable peut tenir aux agissements funestes des deux conjoints.
L’époux est tendre, passionné. S’il aime profondément, s’il obéit trop facilement à la fougue de ses désirs, il ne sait pas, le malheureux! qu’il va soudain allumer des feux que bientôt il ne pourra plus éteindre.
La femme est jeune, ignorante, avide d’honnêtes plaisirs. Il découvre à ses sens étonnés, à son cœur charmé, tout un horizon de voluptés. Pleine de santé et de vigueur, avec des sens encore vierges, elle supportera bien mieux que lui les assauts de l’amour.
En admettant que l’égoïsme ne règne pas dans ses plaisirs, que chaque union intime ait été précédée de la phase de caresses et d’attouchements nécessaires pour mettre l’accord, l’unisson entre les deux amoureux, elle sentira à peine un commencement de fatigue alors qu’il sera vite à bout de forces s’il veut satisfaire la soif de voluptés qu’il aura fait surgir dans son être.
Il lui faudra bientôt faire aveu d’impuissance et demander grâce. Heureux encore s’il ne perd pas, dans la lutte, et sa santé et l’amour de sa femme.
Dans cette première hypothèse, la raison ayant repris tout son empire, son épouse intelligente et réservée lui ayant conservé son affection, il comprendra la nécessité de calmer ses appétits sexuels.
Supposons au contraire une jeune femme aimante, ardente, mais d’un esprit peu élevé, d’une intelligence bornée.
Égoïste et imprudent, vous avez surexcité son ardeur, mais ne lui avez donné que des plaisirs incomplets, tandis qu’elle vous voyait, à son grand étonnement, mourir dans ses bras. Enfin vous lui avez procuré quelquefois seulement, par suite de la lenteur dernière des derniers rapprochements de chaque nuit d’amour, cet état divin appelé l’orgasme vénérien.
La fatigue, la satiété, l’impuissance, auront triomphé de votre ardeur, quand à peine elle commencera à savourer les délices du culte de Vénus.
Vous en arriverez à éviter la douce intimité, à fuir le toit conjugal. Vous la trouverez bientôt, à votre retour au logis, les yeux rouges encore des larmes versées durant les heures d’attente.
«Qu’as-tu?
— Rien, mon ami.
— Pourquoi cette mine bouleversée et ces yeux rouges?
— Comment, j’ai les yeux rouges! Tiens, c’est vrai. Oh! un simple coup d’air.»
Ces petites scènes se renouvelleront de temps en temps.
Cherchant de plus en plus des distractions dans la fréquentation de vos amis, prétextant au besoin des affaires urgentes, pressées, vous finirez par la laisser seule à la maison, en proie à la fièvre de ses désirs inassouvis et à la colère de l’abandon.
Le soir, passé minuit, en rentrant au bercail, vous vous garderez bien de la réveiller par vos baisers comme autrefois.
Vous la croirez endormie et fermerez bientôt vous-même les paupières. Et vous n’entendrez pas, dans le silence de la nuit, les soupirs, les gémissements de votre femme éplorée.
«Non! il ne m’aime plus! il me délaisse! » pensera-t-elle.
Quelques mois après vous la verrez souriante, enjouée, ne cherchant aucunement à ranimer votre première ardeur, mais ne sachant pas encore refuser les plaisirs que vous daignerez lui accorder.
«Comme elle est bonne et aimante malgré tout! direz-vous. Elle a bien pris la chose. Au reste, je n’y pouvais plus tenir.»
Conclusion. Elle aura pris un amant, puis deux. Sur cette pente glissante, on s’arrête difficilement.
Autre cas qui touche directement à la santé.
L’époux est jeune, vigoureux, il n’a pas encore perdu sa noble valeur. Sa femme est douce, tendre, nerveuse, d’une complexion délicate; chaque période menstruelle s’accompagne de vives douleurs avec abondante leucorrhée dans l’intervalle.
C’est une vraie sensitive dont un rien fait épanouir ou fermer les feuilles. Le moindre désir, la moindre caresse, trouvent un écho dans son cœur et ses sens. Loin d’être égoïste, il lui fait partager tout son bonheur. Elle boit à pleines lèvres à la coupe des plaisirs.
Bientôt un cercle de bistre cerne ses yeux dont l’éclat fait mal. Son teint devient de plus en plus pâle. Sa face se grippe, elle maigrit. Au plus petit refroidissement, une toux sèche la fatigue.
Prends garde, jeune époux. Il en est temps encore, demain il sera trop tard; tu lui auras ouvert à deux battants les portes du tombeau.
Parlerai-je maintenant de ces hommes parvenus à un âge relativement avancé, que la passion entraîne à rechercher l’alliance d’une jeune fille de vingt ans?
Malheur à eux s’ils n’ont eu en vue que la résurrection du sens génésique sous les baisers brûlants de la jeunesse!
Citons un exemple qui nous vient à la mémoire:
M. L..., âgé de quarante-cinq ans, possesseur d’une belle fortune, d’une bonne santé habituelle, malgré une vie sexuelle antérieure fort agitée, épouse, à sa sortie du couvent, une jeune fille de vingt ans à peine, d’une bonne famille, qui, n’ayant pour toutes armes que son innocence et une dot fort maigre, fut, pour ainsi dire, vendue par ses parents.
On fêta dignement la déesse de l’amour, au delà même de toute espérance. L’ivresse des désirs et des plaisirs devint frénésie. Un instant le mari parut avoir trouvé une nouvelle vigueur au contact de sa jeune femme.
Hélas! ce ne fut qu’un feu de paille!
Peu à peu une faiblesse générale s’empara de son être. Ne voulant pas se rendre aux avertissements réitérés de la nature, cherchant par tous les moyens en son pouvoir à ranimer ses sens épuisés, sa débilité s’accrut de jour en jour. Peu de temps après il tomba paraplégique, autrement dit il cessa de pouvoir se tenir droit et, bien entendu, de marcher.
Non seulement il devint impuissant, mais il prit une maladie chronique de la moelle épinière. Et, s’il fut possible d’amender le mal, notre malade resta pour toujours, au point de vue sexuel, un fantôme de mari.
Elle, de son côté, à ces assauts répétés et violents dans l’action, gagna aussi une maladie chronique de la matrice, avec douleurs névralgiques intenses, leucorrhée abondante et chlorose consécutive.
Autre exemple des conséquences provenant des excès fréquents de la lune de miel.
Un jour je fus très étonné de voir venir chez moi, pour me consulter, un de mes amis, jeune marié d’un mois à peine.
Le dialogue s’engagea ainsi:
«Quel bon vent t’amène?
— Je souffre horriblement.»
Je le regarde attentivement et le trouve en effet très amaigri, très changé.
«Modère-toi, lui dis-je; fais donc longtemps durer la lune de miel. Aie toujours présent à l’esprit le conte de Philémon et Baucis.
— A ton aise, moque-toi de moi. Je suis bien plus malade que tu ne penses, d’abord j’use et n’abuse pas. A peine un ou deux voyages à Cythère chaque jour, le plus souvent un.
— Diable! diable! pour le premier mois et avec la vigueur de ton tempérament, cette modération relative me plaît.
— Trêve de plaisanteries. Ecoute, voici mon état actuel dans toute sa triste vérité. Depuis quelques jours il me semble avoir un feu ardent au creux de la poitrine. Bientôt viennent, après le dîner, des nausées, puis des vomissements répétés. Enfin je sens mon estomac s’affaiblir de plus en plus. Déjà les nausées commencent à se manifester après le repas du matin. Si cet état dure encore quelque temps, je ne pourrai garder aucun aliment. Et alors adieu amour!
«Désolée, ma femme m’a supplié de venir implorer ton secours. Je te confie le soin de me rendre le bonheur. Parle en maître, j’obéirai.»
Au son lamentable de sa voix, je crus qu’il allait fondre en larmes. Tout en l’écoutant, un soupçon m’était venu.
«Allons, allons! cher ami, ça ne sera rien. D’abord comment passes-tu tes soirées?
— Le repas terminé, ma femme se fait belle et nous allons au théâtre ou à la promenade.
— C’est bien innocent, maître Gaster est un misérable!
— Je ne te comprends pas.
— Un médecin est un confesseur honnête; je suis en plus ton ami. Tu dois sûrement oublier de me dire quelque chose; je vais aider ta mémoire. Après le dîner on devient plus expansif. On échange quelques baisers, etc., etc...
— Oui, c’est vrai, j’oubliais de te dire...
— Nous y voilà. Sois franc.
— Eh bien! au sortir de table, nous allons prendre un peu de repos dans notre chambre à coucher, et nous faisons nos projets de plaisir pour la soirée. On échange en effet des baisers. Le projet vite arrêté, car je suis presque toujours de son avis, ma femme court à sa chambre, où souvent je la suis. Les baisers continuent de plus belle. On répond à mes agaceries. La chair est faible, on pousse le verrou, et...
— Et c’est une heure après ces beaux faits d’armes que les nausées et les vomissements entrent en scène.
— Oui, hélas! Quel piteux mari je deviens!
— Mon ami, au train où tu vas, tu attraperas une magnifique dyspepsie.
— Pas possible!
— Oui bien, monsieur l’amoureux.
— Que faire?
— Rien n’est plus facile. Reste sage quelques jours, mais complètement; maître Gaster s’apaisera; et à l’avenir garde-toi bien de prouver ta tendresse à ta femme au sortir de table. Bon nombre d’amants avec leurs maîtresses, et à plus forte raison de maris avec leurs femmes, doivent les dérangements de leur santé, la plupart du temps, à cette funeste habitude. La journée appartient aux devoirs, aux affaires; la nuit, à l’amour.»
Il se le tint pour dit.
Quinze jours après, l’appétit était revenu, et avec lui la santé.