Читать книгу Marie-Louise et la cour d'Autriche entre les deux abdications (1814-1815) - Claude Francois Meneval - Страница 3

AVANT-PROPOS

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Table des matières

Le but que je me suis proposé n'est pas d'entreprendre, dans cet ouvrage, la biographie complète de l'impératrice Marie-Louise, qui n'offrirait, d'ailleurs, à mon point de vue, qu'un intérêt de peu d'importance. J'ai seulement pensé qu'il serait agréable aux amateurs de récits historiques de connaître certaines particularités originales de la vie de cette princesse. J'en entreprendrai donc la relation depuis le moment où elle a été séparée de Napoléon, en 1814, et où elle a quitté la France, après la première abdication, jusqu'à l'époque de la seconde abdication en 1815.

Il m'a fallu, pour atteindre ce résultat, emprunter aux récits, publiés par des auteurs contemporains de Marie-Louise, certains jugements et quelques anecdotes. On pourra me le reprocher peut-être, mais j'ai tenu à documenter ainsi mon modeste livre, préférant en général m'appuyer plutôt sur les dires des témoins ayant vécu du temps du Premier Empire, que sur les appréciations fantaisistes de quelques écrivains plus ou moins en vogue actuellement.

Mon grand-père avait suivi l'impératrice Marie-Louise à Vienne, et résida presque sans interruption auprès d'elle jusque vers le milieu du mois de mai 1815. C'est dans ses papiers, en grande partie inédits, que j'ai puisé les éléments de ce volume.

L'empereur Napoléon Ier a souvent répété qu'il avait coutume d'accorder trois sortes d'estime qu'il répartissait de la manière suivante: estime de caractère; estime de confiance; iestime de talent [1]. Il a certainement accordé les deux premières à son fidèle secrétaire, car il lui en a donné des témoignages irrécusables.

La veuve du général Durand, dans ses intéressants et si véridiques Mémoires, nous dit, après avoir donné la description du cabinet de l'Empereur: «Il (M. de Méneval) a prouvé par la suite qu'il méritait l'estime distinguée dont l'Empereur l'honorait. Placé à Blois et à Orléans dans une position difficile, témoin des intrigues qui entouraient l'Impératrice, il osa—sans s'écarter du respect—faire entendre la voix de la vérité; il ne recula jamais devant ce que l'attachement et le devoir lui imposaient [2]...»

Tel est le jugement porté par la dame du palais de l'impératrice Marie-Louise sur mon grand-père. Le jugement de Mme Durand a été ratifié à peu près par tous les contemporains de cet homme de bien, et par la postérité. Sa véracité bien connue semble un sûr garant de l'authenticité de tous les incidents qu'il rapporte. Il s'était attaché à sa jeune souveraine avec un dévouement absolu. Le chagrin qu'il dut ressentir à la voir se dérober à ses devoirs les plus élémentaires, vis-à-vis de Napoléon, et même de leur fils, n'a donc pu manquer d'être profond. Il l'a dit au reste dans ses Mémoires, et—comme on le verra tout à l'heure—dans un grand nombre de ses lettres. Ses affirmations à cet égard n'ont été d'ailleurs que l'expression plutôt affaiblie de la peine qu'il en éprouvait. Fidèle en effet à son maître et à son bienfaiteur, il l'a été jusqu'au tombeau. Ce dévouement et cette fidélité, poussés jusqu'au désintéressement et à l'abnégation, sont—aux yeux des historiens—ce qui constitue son honneur, et ce qui lui a mérité l'estime et le respect de tous, amis ou adversaires de la grande mémoire de Napoléon.

C'est sous son égide que je veux placer cet ouvrage, dû, en majeure partie, je le répète, aux souvenirs laissés par lui de sa longue résidence auprès de l'impératrice Marie-Louise. Les lecteurs y trouveront, entre autres détails susceptibles de les intéresser, un certain nombre de lettres inédites de Marie-Louise et de fréquents extraits du Journal, également inédit, tenu par mon grand-père pendant tout le temps de son séjour à Schönbrunn et à Vienne, enfin une partie de sa correspondance intime avec ma grand'mère.

Après la Révolution de 1830, le roi Louis-Philippe s'empressa de faire appel au concours des fonctionnaires de l'Empire, mis à l'écart par le Gouvernement de la Restauration, et fit offrir à beaucoup d'entre eux des situations en rapport avec leurs antécédents. Mon grand-père ne fut pas oublié par le nouveau roi des Français, mais il ne crut pas devoir accepter ces offres obligeantes, estimant qu'après avoir servi un aussi grand homme que Napoléon, dans des conditions aussi intimes, il ne lui était pas possible d'entrer au service d'un autre souverain.

Les nouveaux Mémoires de Fain viennent de faire, cette année, l'objet d'une publication dont certains journaux ont eu mission de s'occuper. J'ai voulu les parcourir à mon tour, et j'ai cru de mon devoir de rétablir la vérité historique dont ces Mémoires m'ont paru s'écarter sur plusieurs points. La préoccupation dominante que l'on est à même de constater dans cet ouvrage, c'est naturellement celle de faire du troisième secrétaire de Napoléon l'homme le plus remarquable du cabinet impérial. Mon grand-père, forcément rejeté au second plan, y est traité—ou à peu près—de quantité négligeable. Il y a dans ce livre an sujet de ce dernier, un parti-pris évident de le diminuer de toutes manières et presque de le ridiculiser. On l'y appelle «le petit secrétaire». Ne va-t-on même pas jusqu'à inspecter sa garde-robe, et à critiquer sa prétendue façon de se vêtir? Le but poursuivi par cet éreintement tendancieux est transparent, mais il me répugnerait pour ma part, d'employer des procédés analogues, et c'est affaire d'éducation. La mémoire de mon grand-père se défend toute seule; elle n'a heureusement nul besoin de rabaisser autrui pour mériter l'estime et la considération auxquelles elle a le droit de prétendre. L'histoire n'est pas un pamphlet et, Dieu merci, Las-Cases, Thiers, les mémoires des personnages du Premier Empire, enfin les historiens dignes de ce nom n'ont pas porté, sur le secrétaire du Portefeuille de Napoléon, des appréciations d'une partialité aussi peu dissimulée que celles de M. Frédéric Masson. Les jugements passionnés et souvent injustes de cet écrivain ne sont d'ailleurs heureusement pas sans appel.

J'en reviens à l'ouvrage nouvellement publié de Fain, qui, au bout d'un siècle environ, vient de paraître, et a ainsi eu le temps d'être revu, soigné, corrigé et augmenté. Ce livre, je regrette d'avoir à le dire, est un véritable monument d'ingratitude en ce qui concerne mon grand-père. Car c'est à celui-ci, je dirai même à lui seul, que M. Fain a dû le précieux avantage d'être introduit dans la maison de l'empereur Napoléon (voir page 50 du tome II des Mémoires du baron de Méneval, 1894, chez Dentu) car le droit de s'appeler ainsi, bien qu'il ne s'en soit jamais préoccupé, appartenait à l'auteur des Souvenirs de Napoléon et de Marie-Louise [3].

Un pareil service rendu n'est généralement pas de ceux qui s'oublient, car il a permis au baron Fain de parvenir à la notoriété; et il faut, pour le passer délibérément sous silence, un étrange parti-pris, une indépendance de cœur absolue. C'est cependant ce qui s'est produit, car les nouveaux Mémoires de Fain ne disent pas un mot de ce que mon grand-père raconte à cet égard en détail dans les siens, et cela en des termes formels, ajoutant: Quant à M. Fain, je n'ai jamais vu un homme plus heureux; il m'embrassa en pleurant de joie et de reconnaissance.

J'ai des raisons sérieuses de croire que—depuis la chute définitive de l'Empire surtout—mon grand-père avait cessé de professer pour son ancien collaborateur Fain, des sentiments aussi sympathiques qu'au début. Pendant l'interrègne de l'île d'Elbe, on ne voit pas figurer Fain au nombre des fidèles de l'Empereur, et dans les derniers temps du séjour de Napoléon à la Malmaison, avant son départ pour Sainte-Hélène, le nom de Fain n'est pas cité parmi ceux des courtisans du malheur. Dans tous les cas jamais mon grand-père—dans ses écrits—n'a parlé de Fain autrement que dans les termes les plus honorables; ne s'ouvrant qu'à ses intimes de ce qu'il avait pu trouver de répréhensible dans l'attitude de ce dernier, depuis l'effondrement de l'Empire. Ceci je l'ai entendu plus d'une fois raconter par le colonel de Méneval mon père, et par l'abbé de Méneval, mon oncle; or, leurs souvenirs, dépourvus néanmoins de toute animosité, étaient des plus affirmatifs sur ce point.

Dans plusieurs passages du nouveau livre de Fain, je rencontre des inexactitudes qui—peu importantes par elles-mêmes,—décèlent cependant la persistance de dispositions peu bienveillantes. Dans un de ces passages il est dit, à propos d'un bienfait de l'Empereur reçu par mon grand-père: «Méneval qui n'avait que son état pour vivre...» Or, il résulte de ce que j'ai toujours entendu dire, dans ma famille, que mon grand-père avait une certaine fortune, indépendante de ses dotations. De plus, dans une note manuscrite retrouvée dans ses papiers, il dit qu'entré au service de Napoléon relativement riche, il en est sorti appauvri. Au moment où il avait été appelé, à vingt-quatre ans, dans le cabinet du Premier Consul, on se souviendra peut-être de la réflexion qui lui échappait et qui se retrouve dans ses Mémoires: «Que me voulait la fortune, à moi qui ne lui demandais rien!» C'était un modeste et décidément la modestie n'est pas l'apanage de tout le monde...

Dans un autre passage des Mémoires de Fain (édition 1908) il est dit que Méneval avait épousé la fille de M. Mathieu, ancien notaire; autre inexactitude. Mon grand-père avait épousé, en 1807, Aimée-Virginie-Joséphine, Comte de Montvernot, dont la mère s'était remariée avec M. Mathieu, baron de Mauvières, ancien notaire effectivement. Il y aurait d'autres inexactitudes à relever dans l'ouvrage précité. Fain ne laisse-t-il pas entendre, par exemple, que, sans lui Fain, mon grand-père n'aurait été ni décoré, ni nommé maître des requêtes! C'est en vérité renverser gratuitement leurs rôles réciproques, et personne ne prendra, je suppose, au sérieux une aussi invraisemblable assertion. En effet, parmi les secrétaires de son cabinet, quel était le véritable homme de confiance de l'empereur Napoléon, si ce n'est mon grand-père? Qui l'accompagnait partout dans ses déplacements importants? Était-ce Fain qu'il avait désigné pour le suivre à Tilsitt, à Erfurth, à Bayonne, etc.? Fain a succédé à Méneval, après la campagne de Russie, d'où ce dernier était revenu dans un état de santé lamentable, mais je ne crois pas que Fain l'ait jamais remplacé en tant que dépositaire de la confiance absolue de Napoléon.

En résumé, mon grand-père aimait véritablement l'Empereur et, jusqu'à son dernier soupir, est resté fidèlement attaché à cette auguste mémoire. Napoléon le savait; aussi s'est-il souvenu de lui, dans son testament à Sainte-Hélène, pour lui léguer cent mille francs [4].

Fain, quels que soient les éloges qu'il plaît à son panégyriste de décerner à sa fidélité, n'a pas reçu de son ancien maître un pareil témoignage d'estime et d'attachement. C'est que le dévoûment de Fain pour Napoléon, moins désintéressé que celui de mon grand-père, s'adressait au souverain tout-puissant, beaucoup plus qu'à l'homme lui-même.

Après ces explications, qui m'ont semblé nécessaires, il est grand temps de revenir à Marie-Louise.

Versailles, le 15 novembre 1908.

XIV

Marie-Louise et la cour d'Autriche entre les deux abdications (1814-1815)

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