Читать книгу Marie-Louise et la cour d'Autriche entre les deux abdications (1814-1815) - Claude Francois Meneval - Страница 8

CHAPITRE IV

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Table des matières

Marie-Louise se met en route pour Vienne.—Détails sur son itinéraire et les diverses phases de son voyage.—Appréciation de son caractère et de ses dispositions intérieures.—Accueil qu'elle reçoit à Vienne.

«Le 25 avril 1814 [18], Marie-Louise, accompagnée par Mmes de Montebello et Brignole, le général Caffarelli, MM. de Saint-Aignan, Bausset, Méneval, le Dr Corvisart et le chirurgien Lacorner quittait le château de Grosbois où elle avait été retrouver son père, qui y avait également reçu l'hospitalité du Prince de Wagram. Le roi de Rome la suivait avec Mme de Montesquiou, Mlle Rabusson, Mmes Soufflot et Marchand, sous la surveillance du général Kinski escorté de plusieurs officiers autrichiens. Marie-Louise arriva le 25 à Provins, où elle écrivit quelques mots à Napoléon qui les reçut à Porto-Ferrajo. Le 26, elle était à Troyes, le 28 à Dijon, le 29 à Gray, le 30 à Vesoul, le 1er mai à Belfort. Le 2 mai elle passait le Rhin près de Huningue et se dirigeait sur Bâle. Méneval—qui nous donne ces détails—nous apprend qu'elle reçut, dans cette ville, une lettre de Napoléon datée de Fréjus, et que cette lettre éveilla dans son cœur un nouveau regret de n'avoir pas rejoint l'Empereur à Fontainebleau: C'était, dit-il, une sorte de remords qui se manifestait souvent, malgré tous les efforts qu'elle faisait pour n'en rien laisser paraître...»

Marie-Louise et sa suite arrivaient à Bâle le 2 mai dans la soirée. Le lendemain mon grand-père, par une lettre en date de ce jour 3 mai, rendait compte à ma grand'mère de ses réflexions sur leur odyssée:

«Bâle, 3 mai 1814.

«... L'Impératrice se porte assez bien, et soutient sa position avec plus de calme qu'elle n'en aurait, je crois, si elle la sentait dans toute son étendue. On la cajole beaucoup. Je la prémunis contre des pièges. Elle promet d'être ferme et de ne pas se laisser empaumer; mais je redoute sa malheureuse facilité, et cette habitude de passivité que son éducation lui a fait contracter. Peut-être aussi me laissé-je égarer par une chimère, en croyant qu'on serait bien aise de la retenir toute sa vie en Autriche, et de s'emparer, en son nom, d'un pays qui lui donnerait une ombre de souveraineté et plus de moyens de se rapprocher de son mari et d'en recevoir des conseils, ce que l'on redoute par dessus tout. Je verrai, à mon arrivée à Vienne, et dans les premiers temps de mon séjour, ce qu'il y a à craindre ou à espérer à cet égard...»

En 1848, après avoir été forcée de quitter le territoire français, la veuve du duc d'Orléans, née princesse de Mecklembourg, comme chacun sait, disait, en arrivant de l'autre côté du Rhin: «C'est à présent que je suis en exil, qu'à la pensée de ne jamais sans doute revoir la France, je sens mon cœur éclater!» Marie-Louise, de naissance allemande, comme la princesse dont nous venons d'évoquer le souvenir, ne connut jamais aucun sentiment d'attachement semblable pour notre patrie...

Le 4 mai, Marie-Louise arrivée l'avant-veille à Bâle à 6 heures du soir, repartait de cette ville à 10 heures du matin. Après avoir consacré la journée du 3 à visiter Arlesheim et les pittoresques environs de ce chef-lieu de canton suisse, elle se mettait en route pour Schaffhouse. Elle arrivait dans cette petite ville à 9 heures et demie du soir et descendait à l'auberge de la Couronne; presque au même moment Napoléon débarquait à Porto-Ferrajo et prenait possession de l'île d'Elbe. A l'occasion du passage de l'Impératrice à Schaffhouse un correspondant de la Gazette de Lausanne écrivait: «Le jeune prince se fait remarquer par des grâces particulières. Il est toujours à la portière et salue de la main les passants.» Marie-Louise fait naturellement un petit séjour à Schaffhouse pour y visiter et y admirer, à son aise, les célèbres chutes du Rhin. Elle écrivit de cette localité à l'empereur d'Autriche pour lui demander de faire restituer à son époux l'argent, les effets et les bijoux dont le sieur Dudon, émissaire du Gouvernement provisoire, l'avait dépouillée à Orléans. Partie de Schaffhouse le 6, à 7 heures du matin, Marie-Louise arrivait à Zurich à midi et se promenait en barque sur le lac, prétextant son incognito pour se refuser à recevoir le chargé d'affaires d'Autriche et les agents de Russie, de Bavière, etc., accrédités auprès de la Diète helvétique. Après avoir visité Constance, l'Impératrice arriva le 9, à 8 heures du soir, à Waldsée. Elle y descendit au château du prince de ce nom, qui la reçut à la portière de sa voiture, et lui présenta sa femme, grosse de son dix-septième enfant!

Le cortège de la souveraine fugitive traverse Kempten, Reitti et Marie-Louise pénètre dans le Tyrol. C'est là que l'attendait une réception débordante d'enthousiasme: décharges de poudre, paysans fanatisés traînant la voiture de leur princesse, chœurs d'hommes et de femmes chantant sous ses fenêtres, rien ne manque à l'accueil triomphal qui lui est fait par ce pays resté profondément autrichien. Sa Majesté arrive à Innsprück le 12 mai, à 8 heures du soir; elle trouve la ville illuminée et une foule immense, dont la partie masculine s'attelle à son carrosse en poussant mille acclamations. Marie-Louise séjourne à Innsprück le 13 et le 14; elle devait bien cela à ces fidèles Tyroliens. Le 15 elle part pour Salzbourg où elle arrive le 16 et reçoit le 17 la visite de la princesse royale de Bavière, «fort belle personne» ajoute mon grand-père, dont je reproduis ici presque textuellement le journal. Le 19, fête de l'Ascension, Sa Majesté, après avoir entendu la messe, se met en route pour Enns où elle arrive à 7 heures du soir. Enfin le terme du voyage approche et, en arrivant à Mœlk, le 20 mai à 8 heures du soir, Marie-Louise y est reçue par le prince Trauttmansdorf, grand maître de la maison de l'empereur François, qui vient prendre les ordres de la fille de son maître, pour être en mesure de prévenir l'impératrice d'Autriche de l'heure à laquelle Sa Majesté partira le lendemain.

C'est au cours de toutes ces pérégrinations que mon grand-père raconte comment un jour, dans le Tyrol, au milieu des acclamations qui l'y accueillaient, Marie-Louise lui avoua, en versant quelques larmes, qu'elle se reprochait de n'avoir pas suivi Napoléon dans son exil, et le remords qu'elle en éprouvait. «Louable et inutile regret, ajoute-t-il dans ses Mémoires, et que le temps n'a peut-être pas entièrement effacé!»

Partie de Mœlk le 21 mai, à 11 heures du matin, Marie-Louise fut rencontrée, vers 3 heures, entre Saint-Pölten et Siegartskirchen, par sa belle-mère, l'impératrice d'Autriche, venue au devant d'elle avec ses équipages. La troisième femme de François II monta dans la voiture de sa belle-fille, Mmes Laczanski et Montebello dans celle de la souveraine autrichienne. Marie-Louise arrivant à Schönbrunn, le 21 mai, à 7 heures du soir, y fut aussitôt reçue par les princes et princesses de sa famille, frères, sœurs et oncles, puis conduite dans ses appartements par l'impératrice d'Autriche en personne.

Mon grand-père, dans ses Mémoires, dit que Marie-Louise trouva dans les membres de la famille impériale à Vienne un accueil empreint de toutes les apparences de la cordialité: «Ses sœurs l'attendaient à la porte de son appartement et les jeunes archiduchesses se jetèrent à son cou, en la félicitant de son retour, comme si elle eût échappé à un danger dont elles étaient ravies de la voir sortie saine et sauve.» Napoléon faisait encore un peu l'effet de l'ogre de la fable aux yeux de ces jeunes et très naïves princesses!

Tandis que Napoléon s'installait à l'île d'Elbe, Marie-Louise reprenait à Schönbrunn les habitudes de son enfance et du commencement de sa jeunesse. L'existence qu'elle menait dans cette retraite paisible, après de si pénibles agitations, avait du charme pour elle. Ses matinées étaient consacrées à son fils dont l'appartement communiquait avec le sien par un cabinet de toilette. Dans la journée elle dessinait, faisait de la musique, car elle avait—rapportent ses contemporains—un très beau talent de pianiste. Elle étudiait la langue italienne dont la connaissance lui serait nécessaire à Parme; enfin elle montait à cheval, se promenait à pied ou en voiture dans le parc de Schönbrunn et dans ses environs, visitait les curiosités de Vienne. La foule silencieuse et respectueuse se montrait avide de la contempler, et la gentillesse de son fils, qui était le plus bel enfant du monde, excitait une admiration générale. Elle se plaisait beaucoup dans la société de ses jeunes sœurs: Léopoldine, née en 1797 (future impératrice du Brésil); Marie-Clémentine née en 1798 (future princesse de Salerne); Caroline-Ferdinande née en 1801 (future princesse de Saxe); Marie-Anne née en 1804 (future abbesse du chapitre des Dames nobles de Prague). Elle voyait aussi très souvent ses frères: le prince impérial Ferdinand né en 1793, et François-Charles-Joseph né en 1802. Ce prince, père de l'empereur d'Autriche actuel, était le compagnon de jeux du roi de Rome que l'on n'appelait plus que le prince de Parme [19].

Pendant que Napoléon, séparé des deux femmes qu'il avait successivement épousées, arpentait, tel qu'un lion dans sa cage, les rochers de l'île d'Elbe, l'impératrice Joséphine succombait presque subitement, le 29 mai 1814, dans sa retraite de la Malmaison, sous les yeux de ses enfants désolés. L'empereur Alexandre de Russie qui se trouvait encore à Paris lui avait prodigué, jusqu'au dernier moment, les témoignages de son intérêt et de sa sollicitude. Joséphine avait plus de cœur que Marie-Louise, et, quand elle avait appris que les Souverains alliés déportaient Napoléon à l'île d'Elbe, on assure qu'elle s'était écriée: «Ah! maintenant qu'il est malheureux ce pauvre Napoléon, comme j'irais m'enfermer avec lui dans son île, si sa seconde femme n'existait pas!» Marie-Louise n'avait pas de ces mouvements spontanés, qui sont le privilège des femmes bonnes et aimantes. C'était une nature tranquille, passablement égoïste, ennemie surtout des tribulations [20].

La Souveraine détrônée recevait des visites à Schönbrunn, en faisait à Vienne, et voyait constamment les membres de la famille impériale et les principaux personnages de l'aristocratie viennoise. Voici d'après le journal de mon grand-père les noms de ceux qui fréquentaient chez elle le plus assidûment. C'était d'abord la reine Marie-Caroline de Naples, sa grand'mère, sœur de l'infortunée reine Marie-Antoinette; c'étaient son père et sa belle-mère l'empereur et l'impératrice d'Autriche, le duc Albert de Saxe-Teschen, l'archiduc Charles, le général de Grünne, le prince Trauttmansdorf, les Metternich, les comtesses Colloredo, Crenneville et O'Donnel, les comtes, Wrbna, Kinski, Taffe, d'Harrach, Dietrichstein, d'Edling, Sickingen, Witzeck, les princes de Ligne, Esterhazy, Lambesc, les archiducs Louis, Antoine, Rodolphe, etc.

Mon grand-père raconte que Marie-Louise, dès le lendemain de son arrivée à Schönbrunn, avait établi l'ordre de service de sa maison, mais n'avait prescrit aucune règle particulière. Elle voulut même bannir toute étiquette et réaliser son rêve favori de la vie privée. «Elle refusa, dit-il, de vivre en commun avec sa famille et conserva son indépendance domestique. Elle déjeunait et dînait à ses heures ordinaires, à 11 heures du matin et à 7 heures du soir, avec la comtesse Brignole, M. de Bausset et moi, qui restâmes seuls avec elle. Elle invitait alternativement un petit nombre de personnes de sa famille, des ministres et leurs femmes, des officiers et des dames de la Cour de l'empereur d'Autriche, et quelques personnages que recommandaient leurs dignités ou leur rang dans l'État [21].» Il s'y trouvait, entre autres célébrités, le prince de Ligne, vieillard aimable et charmant qui avait été jadis le familier des impératrices Marie-Thérèse et Catherine de Russie. «Nous étions dans cette Cour, ajoute mon grand-père, accueillis diversement, mais non pas en amis. En général nous n'eûmes, dit-il, ni à nous plaindre ni à nous louer de la réception qui nous y fut faite.»

Pour compléter le tableau de l'intérieur de Marie-Louise à Schönbrunn, nous emprunterons à M. de Bausset un passage du chapitre III du troisième tome de ses Mémoires anecdotiques: «Très souvent, dit-il, l'empereur François ou l'un des archiducs venait déjeuner avec Marie-Louise, l'archiduc Charles et son frère Rodolphe plus fréquemment que les autres. L'étiquette se ressentait de l'heureux caractère de l'Impératrice et de la bienveillance facile de la maison d'Autriche: Mme de Brignole, M. de Menneval et moi, constamment admis à ces banquets de famille, n'étions assujettis ni le matin, ni le soir, au sérieux de l'uniforme, quel que fût le rang des personnages qui venaient augmenter le nombre des convives.»

Tout en avouant que Marie-Louise était toujours de l'avis de la dernière personne qui lui parlait, M. de Bausset fait un éloge pompeux de la princesse dont il était resté le grand maître, n'ayant pu obtenir de Louis XVIII—malgré ses instances—un poste de maréchal de la Cour du roi au palais des Tuileries [22]. Malgré le beau rôle que ce personnage a cherché à se donner dans ses Mémoires, pour faire bonne figure devant la postérité, il semble bien avéré qu'il fut un de ceux qui donnèrent à Marie-Louise des conseils perfides, destinés à nuire, dans l'esprit de cette princesse, à l'empereur Napoléon qu'il avait servi à genoux... M. Welschinger rappelle tout cela dans une note de la page 65 de son livre intitulé le Roi de Rome. Il y est dit notamment que Bausset avait conseillé à Marie-Louise de retourner en Autriche et de mettre fin «à une niaiserie sentimentale», en déliant «les nœuds d'une conjugalité» qu'il regardait comme expirée. Il comparait enfin Napoléon à Mahomet, disant que le premier avait eu un moment tout le bonheur du second, plus son audace et son charlatanisme!... Il faut reconnaître que la petite cour de l'impératrice Marie-Louise en Autriche comptait véritablement peu d'amis restés inébranlablement fidèles à l'Empereur déchu, qui les avait cependant comblés, pour la plupart, de ses bienfaits. On retrouve dans tous les temps et dans toutes les histoires ces lâchetés et ces défections. Ce sont les vilains côtés de l'humanité dont il est affligeant de contempler le spectacle toujours renaissant.

Marie-Louise et la cour d'Autriche entre les deux abdications (1814-1815)

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