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CHAPITRE III

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Table des matières

Marie-Louise laissée dans l'ignorance des événements survenus à Paris depuis l'abdication de Napoléon.—Mauvais conseils qui lui sont donnés dans son entourage, d'après les témoignages de Rovigo et de Mme Durand.—Bon mouvement de l'impératrice à Blois.—Jugement de Napoléon sur elle.

Il n'entre pas dans le plan de ce travail de décrire les douloureuses péripéties qui précédèrent ou qui suivirent le départ précipité de Marie-Louise le 29 mars 1814 quand il lui fallut quitter Paris, ni de retracer le tableau du jeune et infortuné roi de Rome se refusant, avec cris de douleur et avec larmes, à quitter le palais où il était né. La plupart de ces faits sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d'en rééditer les détails. Le spectacle de la Régente errant lamentablement de ville en ville, suivie de sa petite cour, après sa sortie de Paris, ne présenterait en effet qu'un triste et médiocre intérêt si des témoins autorisés n'avaient laissé, dans leurs Mémoires, d'intéressantes appréciations et de curieuses anecdotes sur un certain nombre de personnes formant l'entourage de Marie-Louise, réduite au rôle de fugitive.

L'Impératrice était arrivée à Blois, dès le commencement d'avril, et y séjourna pendant quelques jours pour se conformer aux instructions de l'empereur Napoléon. Écoutons parler la fidèle madame Durand qui n'avait pas quitté sa souveraine au cours de ce pénible voyage:

«On laissa ignorer à Marie-Louise, les premiers jours de son arrivée, tout ce qui s'était passé à Paris. Les arrêtés du Gouvernement provisoire, les décrets du Sénat lui étaient inconnus; on éloigna d'elle tous les journaux; jamais on ne lui parla des Bourbons; elle ne prévoyait donc encore d'autre malheur que la nécessité où serait Napoléon de faire la paix à telles conditions qu'on voudrait lui imposer.»

Elle conservait une confiance aveugle dans les sentiments d'affection de son père pour elle et pour le jeune prince son petit-fils!... Partie de Paris le 6 avril, Mme Durand arriva le 7 à Blois et remit à Sa Majesté non seulement les papiers qui lui avaient été confiés, mais les arrêtés du Gouvernement provisoire et les journaux.

«L'Impératrice, ajoute Mme Durand, avait été tenue dans une telle ignorance de tous les événements qu'à peine en croyait-elle ce qu'elle lisait. Les dépêches apportées l'étaient par le petit nombre de gens restés fidèles; on la pressait, on la suppliait de rentrer à Paris avant l'arrivée d'un prince de la maison de Bourbon; on lui assurait la Régence pour elle et le trône pour son fils si elle prenait ce parti.» Mme Durand, qui n'avait éprouvé, dans ce petit voyage, aucune difficulté, aurait voulu voir l'Impératrice suivre ce conseil courageux. Malheureusement le courage, la hardiesse n'étaient pas les qualités dominantes de la femme de Napoléon.

«Marie-Louise promit de partir; elle paraissait décidée à le faire dès le soir même, lorsque le docteur Corvisart et Mme de Montebello furent d'un avis contraire.

»La lâcheté des membres du Conseil de Régence vint appuyer leur avis. On trompa de nouveau cette malheureuse princesse, qui perdit de la sorte l'occasion de ressaisir ce que la fuite lui avait fait perdre. Quelques jours après elle apprit en même temps et l'abdication de Napoléon et son départ pour l'île d'Elbe, dont on lui laissait la souveraineté.»

Telles sont les accusations formelles portées par Mme Durand, dans ses Mémoires, contre certaines personnes de l'entourage de l'Impératrice. Mon grand'père, tout en partageant pleinement cette manière de voir [14], a gardé plus de ménagements dans les siens; trop discret et trop réservé peut-être pour tout dire, il semble, avant tout, avoir eu la préoccupation de ne blesser personne, même quand le blâme était amplement mérité. Mais le duc de Rovigo a été moins circonspect, et son appréciation corrobore de la façon la plus nette le jugement de la dame du palais de Marie-Louise sur les défaillances—pour ne pas dire plus—de quelques personnes de l'entourage le plus intime de la souveraine détrônée. Laissons donc la parole à cet ancien et fidèle serviteur de Napoléon.

«Mme de Montebello, qui avait une très grande fortune, ne se souciait pas du tout d'aller s'enterrer vivante à l'île d'Elbe. Ses affections la rappelaient à Paris où elle pouvait vivre indépendante. Elle connaissait assez le cœur de l'Impératrice pour être persuadée que si une seule fois elle revoyait l'Empereur il n'y aurait pas eu de puissance assez forte pour l'empêcher de s'unir à son sort, et qu'alors elle serait obligée de la suivre. Aussi insista-t-elle vivement pour lui faire adopter le parti que l'Empereur lui-même avait conseillé, savoir: de s'adresser à l'empereur d'Autriche; parce qu'une fois cette princesse rentrée dans sa famille, elle se trouvait dégagée. Des insinuations perfides se joignirent aux instances de la dame d'honneur. On dit à l'Impératrice que l'Empereur ne l'avait jamais aimée, qu'il avait eu dix maîtresses depuis son union avec elle, qu'il ne l'avait épousée que par politique, mais qu'après la tournure que les choses avaient prise, elle devait s'attendre à des reproches continuels. L'Impératrice, ébranlée, céda; elle écrivit à son père, et ce fut sans doute sur son invitation qu'elle se rendit à Rambouillet [15].»

La duchesse de Montebello n'avait jamais eu aucune sympathie pour l'Empereur et les Mémoires de Mme Durand ne nous ont pas laissé ignorer que Napoléon, ne dédaignant pas de plaisanter quelquefois avec les dames du service de l'Impératrice, ne le faisait jamais avec Mme de Montebello. Marie-Louise s'était, pour sa part, sérieusement attachée à la dame d'honneur que l'Empereur lui avait donnée, et la comblait de prévenances et de cadeaux.

Cette maréchale a certainement exercé, tant qu'elle a été auprès de l'Impératrice, une très réelle influence sur la façon de penser et sur les résolutions de Marie-Louise qui, pendant longtemps, ne pouvait se passer d'elle. Cela n'a d'ailleurs pas empêché cette princesse d'oublier plus tard Mme de Montebello aussi bien que Napoléon.

Pendant son séjour à Blois, dans les premiers jours d'avril, Marie-Louise était livrée aux plus vives inquiétudes et son visage était constamment inondé de larmes. Une lutte se livrait entre son bon et son mauvais génie. Par moments, elle voulait à tout prix aller rejoindre son époux à Fontainebleau; dans d'autres, elle préférait encore temporiser. Il faut avouer que Napoléon ne l'encourageait pas extrêmement à venir le retrouver. Il préférait sans doute voir l'Impératrice prendre d'elle-même cette honorable initiative. Peut-être aussi son orgueil souffrait-il à la pensée de paraître, devant Marie-Louise, dépouillé de son prestige de monarque invincible et de dominateur de l'Europe, tandis que sa femme restait toujours la fille d'un puissant souverain... Il y a tout lieu de penser, malgré les tergiversations de l'Impératrice, que Marie-Louise se serait déterminée à remplir son strict devoir et à rejoindre Napoléon, si ce dernier lui avait adressé un appel pressant, ce qu'il ne fit pas. Marie-Louise disait un jour au duc de Rovigo: «Ceux qui étaient d'opinion que je restasse à Paris avaient bien raison; les soldats de mon père ne m'en auraient peut-être pas chassée. Que dois-je penser en voyant qu'il souffre tout cela?» Ces paroles étaient prononcées à Blois avant l'entrevue de l'empereur François et de sa fille à Rambouillet.

Le duc de Rovigo montre, dans ses Mémoires une préoccupation constante d'innocenter Marie-Louise et d'excuser ses faiblesses ou ses irrésolutions. Il s'appuie sur son extrême jeunesse et sur son inexpérience pour plaider sa cause devant la postérité. Nous sommes loin de vouloir lui en faire un reproche, et cette générosité de sa part a quelque chose de chevaleresque dont on ne peut que lui savoir gré. Il est plus aisé d'accabler ceux qui ont failli que de prendre leur défense et de chercher à les réhabiliter. Voici ce qu'il raconte à propos de la mission du colonel Galbois, expédié de Fontainebleau à Blois le 6 avril par Napoléon, et porteur de ses messages pour Marie-Louise.

«Le lendemain 7 avril, dit cet officier, j'arrivai de bonne heure à Blois; l'Impératrice me reçut de suite. L'abdication de l'Empereur la surprit beaucoup, elle ne pouvait pas croire que les souverains alliés eussent l'intention de détrôner l'empereur Napoléon. Mon père, disait-elle, ne le souffrirait pas; il m'a répété vingt fois, quand il m'a mise sur le trône de France, qu'il m'y soutiendrait toujours, et mon père est un honnête homme.

»L'Impératrice voulut rester seule pour méditer sur la lettre de l'Empereur.

»Alors je vis le roi d'Espagne et le roi de Westphalie. Joseph était profondément affligé; Jérôme s'emporta contre Napoléon.

»Marie-Louise me fit appeler. Sa Majesté était très animée; elle m'annonça qu'elle voulait aller rejoindre l'Empereur. Je lui observai que la chose n'était pas possible. Alors Sa Majesté me dit avec vivacité: «Pourquoi donc, Monsieur le colonel? Vous y allez bien vous! Ma place est auprès de l'Empereur dans un moment où il doit être si malheureux. Je veux le rejoindre, et je me trouverai bien partout pourvu que je sois avec lui!» Je représentai à l'Impératrice que j'avais eu beaucoup d'embarras pour arriver jusqu'à elle, que j'en aurais bien plus pour rejoindre l'Empereur. En effet, tout était dangereux dans cette course. L'on eut de la peine pour dissuader l'Impératrice, enfin elle se décida à écrire [16].»

Il n'est que juste de tenir compte à Marie-Louise de ce mouvement spontané, venant des meilleures inspirations de son cœur, et de lui en savoir gré. Nous ne trouverons pas, malheureusement pour elle, beaucoup d'occasions de lui décerner de pareils éloges. Napoléon reçut des mains du colonel de Galbois la lettre de l'Impératrice avec un empressement extrême, et parut vivement touché, au dire de cet officier, du tendre intérêt que Marie-Louise lui témoignait au milieu des angoisses de la crise terrible où il se débattait, crise au cours de laquelle il avait, à un certain moment, tenté de mettre fin à ses jours!

Nous avons dit que ces bons mouvements de l'Impératrice étaient rares, peut-être faut-il l'attribuer aux mauvais conseils de certains membres de son entourage? Mieux conseillée, mieux entourée, croyons-nous, son attitude aurait pu différer du tout au tout, et l'Empereur ne serait probablement pas parti seul pour l'île d'Elbe... La destinée de la France et de Napoléon eût alors pris sans doute une tournure bien différente, et l'histoire n'aurait eu vraisemblablement à enregistrer ni les Cent-Jours, ni Waterloo!

A son arrivée à Orléans, rapporte Mme Durand, l'Impératrice trouva plusieurs régiments français très exaspérés par les événements et par la chute de Napoléon. On proposa à Marie-Louise de profiter des sentiments de dévouement de la garnison qui l'entourait pour aller rejoindre son mari; elle objecta les dangers de la route; on l'assura qu'il n'y en avait aucun et cela semblait vrai; «mais, ajoute la dame du palais, M. de Méneval et Mme Durand étaient seuls de leur avis contre les personnes que l'Impératrice affectionnait le plus. Un autre moyen fut encore proposé par eux, il fut également rejeté; en vain employèrent-ils les sollicitations les plus respectueuses. Marie-Louise voulait bien rejoindre Napoléon, mais combattue par tant d'avis différents dont elle ne pouvait reconnaître au juste la sincérité, elle eut le malheur de suivre les conseils de ceux qui voulaient la remettre dans les mains de son père et la séparer de Napoléon; ils y réussirent [17].»

Dans ces moments décisifs où la conscience de Marie-Louise était en proie à toutes ces agitations intérieures le duc de Rovigo cite encore, dans ses Mémoires, les paroles qu'elle lui adressait à Orléans, avant de se rendre à Rambouillet pour son entrevue avec l'empereur d'Autriche: «Je suis vraiment à plaindre, disait-elle. Les uns me conseillent de partir, les autres de rester. J'écris à l'Empereur, il ne répond pas à ce que je lui demande. Il me dit d'écrire à mon père; ah! mon père, que me dira-t-il après l'affront qu'il permet qu'on me fasse? Je suis abandonnée et m'en remets à la Providence. Elle m'avait sagement inspirée en me conseillant de me faire chanoinesse... J'aurais bien mieux fait que de venir dans ce pays!»

Il est certain que la situation de la pauvre femme était pénible et difficile et qu'une âme mieux trempée que la sienne, un caractère plus résolu, aurait eu besoin de faire appel à toute sa force de volonté pour se reconnaître au milieu de tant d'événements troublants et de tant d'avis contradictoires!

L'Impératrice disait encore à M. de Rovigo au cours de cette même conversation: «Aller auprès de l'Empereur! Je ne puis partir sans mon fils dont je suis la sûreté. D'un autre côté si l'Empereur craint que l'on attente à sa vie, comme cela est probable, et qu'il soit obligé de fuir, les embarras que je lui causerais peuvent le faire tomber dans les mains de ses ennemis, qui veulent sa perte, n'en doutons pas. Je ne sais que résoudre, je ne vis que de larmes!» Et, ajoute son interlocuteur, «son visage était véritablement baigné de pleurs en achevant de prononcer ces paroles».

Rambouillet est l'étape fatale après laquelle Marie-Louise sera définitivement séparée de Napoléon. A partir de son entrevue avec son père, l'ancienne impératrice des Français va retomber à tout jamais sous le joug autrichien. Renonçant sans une grande opposition à la nouvelle patrie, qui l'avait accueillie cependant avec tant d'enthousiasme quatre années auparavant, Marie-Louise va se réfugier dans sa famille comme dans un port contre de nouveaux orages. «Pénétrée des impressions reçues dans sa première jeunesse, a dit mon grand-père, imbue de l'idée que l'intérêt de la maison d'Autriche ne peut-être mis en balance avec aucun autre intérêt, quand son père lui dit à Schönbrunn à son retour: Comme ma fille, tout ce que j'ai est à toi, même mon sang et ma vie; comme souveraine, je ne te connais pas, elle ne put que baisser la tête et confirmer par son silence la force irrésistible d'un pareil argument.»

Dans son remarquable ouvrage sur le Roi de Rome, dont nous avons déjà eu l'occasion précédemment d'entretenir le lecteur, M. Welschinger cite—d'après le livre de M. Thiers—une dernière conversation de Napoléon avec Caulaincourt où l'Empereur s'exprime, sur le compte de sa seconde femme, de la façon suivante:

«Je connais les femmes et surtout la mienne. Au lieu de la Cour de France telle que je l'avais faite, lui offrir une prison, c'est une bien grande épreuve. Si elle m'apportait un visage triste et ennuyé, j'en serais désolé. J'aime mieux la solitude que le spectacle de la tristesse et de l'ennui. Si l'inspiration la pousse vers moi, je la recevrai à bras ouverts. Sinon, qu'elle reste à Parme ou à Florence, là où elle régnera enfin. Je ne lui demanderai que mon fils.» Mais Napoléon ne reverra plus jamais ni la mère, ni le fils...

Marie-Louise et la cour d'Autriche entre les deux abdications (1814-1815)

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