Читать книгу À la belle étoile - Claude Saint Ogan - Страница 4
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MARC Maurepas n’avait plus de mère. Son père, absorbé par ses visites aux malades, était souvent absent du logis. Il avait fait venir d’Auvergne, dont il était originaire, une parente éloignée qui élevait son fils et tenait sa maison. Mais la cousine, vieille fille et d’une nature très sèche, ne donnait pas à Marc l’aliment nécessaire à sa tendresse d’enfant aimant et réfléchi.
Aussi le petit garçon s’était-il passionnément attaché à Mme Rouvière. Avec une intelligence au-dessus de son âge, il avait compris toute l’étendue du chagrin qui brisait le cœur de sa bienfaitrice, et son âme délicate et reconnaissante ne rêvait qu’au moyen d’adoucir la douleur de la jeune femme.
Ses visites aux Tilleuls étaient devenues plus fréquentes dans les dernières années. Depuis quelques mois, il ne suivait plus les cours de l’école primaire et on ne l’avait pas mis au collège de Péronne, comme c’était cependant l’intention du docteur. Mme Rouvière avait obtenu que Marc restât à Vignereux et il prenait des leçons avec l’instituteur qui ne tarissait pas d’éloges sur sa docilité et son application.
Ce jour-là, Marc travaillait dans la petite salle basse de la maison du docteur, située sur la grande place de Vignereux. Son devoir achevé, il ne se hâta pas de quitter sa table d’étude. Son œil se posa un peu distrait sur la place, où quelques gamins, le sac de classe au dos, jouaient à la marelle au lieu d’apprendre leurs leçons du lendemain.
La cousine Dorothée entra dans la pièce; du ton de voix rogue qui lui était habituel, elle gourmanda le petit garçon de ne pas avoir rangé ses cahiers et ses plumes.
«Tu n’as pas plus d’ordre que ton père, dit la vieille demoiselle en hochant la tête; on m’apprenait, quand j’étais petite, que «pierre qui
«roule n’amassé pas mousse». C’est bien vrai!»
C’était une des manies de la cousine Dorothée d’émailler sa conversation de proverbes qui, du reste, n’avaient souvent pas le moindre rapport avec l’idée qu’elle émettait auparavant. Marc, habitué aux adages de la bonne demoiselle, ne s’en émouvait plus. Il se leva, mit en place son bagage d’écolier et, prenant sa casquette, demanda à sa cousine la permission de sortir.
«Surtout rentre à l’heure pour dîner, dit Mlle Dorothée. Il y a des ris de veau et ton père est si difficile!...»
Sûrement un proverbe allait suivre cette critique, Marc ne l’attendit pas et s’élança dans la rue. Le notaire causait sur sa porte avec M. Gerland. L’enfant les salua et erra quelques minutes indécis; puis, après avoir regardé l’horloge de la mairie, il partit dans la direction des «Tilleuls». Bientôt après, il entrait dans le vestibule où, assis sur un tabouret, Jérôme somnolait comme il lui arrivait parfois, dans ses intervalles de service. L’entrée de Marc réveilla le vieux serviteur qui sourit à l’enfant.
«Je dormais un peu, dit-il. J’attends le retour de madame, elle est allée à Vignereux. Vous ne l’avez pas rencontrée?»
Marc fit signe que non. Il paraissait préoccupé et plusieurs fois s’arrêta au moment de parler. Jérôme le regardait, surpris.
«Vous avez chaud, monsieur Marc, dit-il, voulez-vous boire un verre de sirop?»
Marc secoua la tète; puis, brusquement:
«Voyons, Jérôme, demanda-t-il, est-ce que vous croyez qu’on ne pourra jamais retrouver Jean?»
Le vieux Jérôme sursauta.
«Oh! monsieur Marc, quelle question! s’exclama-t-il. Il faut bien le dire, allez, il n’y a plus d’espoir! Notre pauvre petit maître! Il doit être mort. S’il était vivant, on l’aurait retrouvé après toutes les recherches qu’on a faites!...
— Mais où Jean serait-il mort? insista Marc. Au moins, on aurait retrouvé son corps...
— Eh! oui, c’est ce qu’on a dit et redit cent fois; mais quoi! c’est justement là le mystère qu’on n’a pas pu découvrir.
— Mais Jean aura peut-être été pris et il n’a pas pu s’échapper...
— Pris? par qui? demanda Jérome incrédule.
— Pourtant il a bien été quelque part, mort ou vivant?...»
Le vieux serviteur hocha la tête: ces questions sans réponses, combien de fois les avait-on posées depuis cinq ans!
La grille d’entrée grinça sur ses gonds, la victoria apparut au bout de l’avenue des tilleuls.
«Je ne veux pas déranger madame», dit Marc.
Et il s’en alla par une allée latérale.
En rentrant à Vignereux, il rencontra le fils du maire qui flânait, le nez au vent. C’était le garçonnet le plus paresseux et le plus espiègle du bourg, très curieux et toujours bien informé.
Il fit dans la boue du ruisseau une glissade qui l’amena près de Marc.
«Dis donc, fit-il comme entrée en matière, on s’amusera joliment demain et dimanche. Il va venir des saltimbanques, des beaux, avec beaucoup de voitures. On est venu demander la permission à papa pour dresser le théâtre. Ce sera chic, va... Je crois qu’ils sont vingt-cinq, des hommes, des femmes et des «gosses» ; il y a aussi des ânes et des chiens savants, et des chevaux épatants.»
Marc était très intéressé par ce que lui racontait André.
Il rentra en retard au logis; tante Dorothée gronda; mais, tout à la pensée des nouvelles que lui avait dites son camarade, il n’eut pas, il faut l’avouer, grande contrition d’avoir fait dessécher les ris de veau.
L’installation des saltimbanques.
Le lendemain, de bon matin, les habitants de la grand’ place furent tirés de leur sommeil par de retentissants coups de marteau. Une dizaine d’hommes enfonçaient en terre les piquets qui formaient la charpente du petit cirque ambulant, et bientôt une tente en toile grise éleva sa barrière devant les yeux admiratifs des enfants qui stationnaient par groupes, en se rendant à l’école.
Le déjeuner venait de finir et Marc sautait dans le jardin, quand on sonna. L’unique servante qui aidait Mlle Dorothée dans les soins domestiques, occupée sans doute à desservir la table, ne se dérangea pas, car un second coup tinta bientôt.
Marc, toujours sautant, se dirigea vers la porte et se trouva en face d’une fillette d’une douzaine d’années, aux cheveux bruns embroussaillés et aux yeux brillants. Elle était pieds nus et des amulettes couvraient son cou bronzé et nerveux.
Marc, étonné, regarda la petite fille.
«Pardon, monsieur, dit celle-ci, je voudrais voir M. le maire.
— Ce n’est pas ici, dit Marc. Papa est médecin...
— Oh! alors, je vous demande pardon; un m’avait dit que c’était la porte grise.»
La petite fille voulut rebrousser chemin.
— Attendez, mademoiselle, dit Marc; je vais vous montrer. A cette heure, le maire est à la mairie; c’est là-bas, au fond de la place... Voyez-vous?... »
Et il fit obligeamment quelques pas dans la direction qu’il indiquait.
A huit heures, le cirque était plein.
Les «premières» avaient été retenues d’avance par la société de Vignereux, assez sevrée de divertissements de ce genre. Marc, assis entre son père et sa cousine, ouvrait de grands yeux. Le spectacle parlait à son imagination; les écuyères qui passaient dans des cerceaux et les acrobates aux mouvements souples de félin dans leurs maillots éblouissants lui semblaient des personnages de rêve.
Tout à coup, les bravos éclatèrent plus bruyants encore. Une frêle petite fille, tout enveloppée d’un nuage de gaze rose, entrait sur la piste. On dressait une corde raide sur laquelle elle allait sans doute danser. La fillette salua de droite et de gauche, jetant sur la salle un regard de connaisseuse déjà habituée à juger son public. Ses yeux tombèrent sur Marc, qui avait reconnu sa petite visiteuse du matin.
Les deux enfants échangèrent un sourire, puis la petite saltimbanque s’élança sur la corde, dansant, sautant, envoyant des baisers, se couchant sur le fil si mince, se redressant sur un seul pied, à la grande anxiété, des spectateurs qui retenaient leur souffle.
Marc restait positivement ébloui, il n’aurait pas cru qu’on pût voir chose pareille autrement qu’au pays des fées.