Читать книгу À la belle étoile - Claude Saint Ogan - Страница 8
ОглавлениеVI
Mathurine était chargée de réveiller Marc. En entrant dans sa chambre, elle ne le vit pas dans son lit. Étonnée qu’il eût été si matinal, elle s’apprêtait à redescendre, quand une enveloppe posée bien en vue sur le couvre-pied attira son attention. L’adresse portait:
«MADAME ROUVIÈRE.»
La vieille domestique, saisie d’une émotion subite, prit la lettre et descendit rapidement à l’appartement de sa maîtresse.
«Une lettre pour madame, que j’ai trouvée là-haut, dans la chambre de M. Marc.»
Mme Rouvière avait pris l’enveloppe qu’elle gardait sans l’ouvrir en reconnaissant l’écriture de Marc. Elle lut enfin et une grande pâleur se répandit sur son visage: Mathurine la regardait en hochant la tête. La femme de chambre était sortie.
«C’est Marc qui m’écrit, dit Mme Rouvière avec effort. Il me dit qu’il a eu trop de peine en quittant son père; il va le rejoindre. Il est parti ce matin à six heures.»
Elle s’assit dans une causeuse qui se trouvait près d’elle. Elle resta quelques minutes le front dans ses mains, puis murmura:
«Quoi de plus naturel! Il aime mieux son père que moi... Vois-tu, Mathurine, on ne peut être l’enfant que de ses parents.»
Après que deux jours s’étaient encore écoulés sans apporter des nouvelles de Violette, Marc avait senti son impatience redoubler et il avait résolu d’aller lui-même voir ce qui se passait à la foire aux pains d’épice.
Durant une nuit sans sommeil, il avait combiné son plan de départ et avait écrit à Mme Rouvière la lettre qu’elle venait de lire. Il ne lui disait pas le but de son voyage, non pas qu’il doutât de la réussite de son entreprise, mais il voulait ménager à la pauvre mère l’heureuse surprise du retour de son fils. Il écrivait qu’il allait retrouver son père, cela paraîtrait naturel et on ne chercherait pas à le rattraper, d’autant plus qu’il avait calculé qu’il y avait, jusqu’à la date fixée pour l’embarquement à Saint-Nazaire, tout le temps nécessaire pour qu’il rejoignît M. Maurepas. Que sa tutrice trouvât sa conduite étrange et son procédé bizarre, il ne s’en souciait pas beaucoup, sûr qu’il était d’être bientôt justifié de tout soupçon d’ingratitude.
La lettre de Marc.
Il résolut donc de quitter les «Tilleuls» de grand matin, avant que les domestiques fussent réveillés. Il savait qu’une des portes de la cuisine s’ouvrait facilement et il comptait, au cas où la grille d’entrée serait fermée, sauter par-dessus le mur de clôture, à un endroit écarté où quelques briques manquaient.
Il fit un léger paquet de vêtements et prit dans un tiroir un petit porte-monnaie où son père avait mis un peu d’argent.
Un train partait de Vignereux à six heures du matin, mais Marc trouva dangereux de le prendre: qu’auraient dit les employés de la gare de le voir partir ainsi tout seul et de si bonne heure? Il gagnerait à pied Péronne, distant de cinq kilomètres; là, il trouverait facilement un train pour Paris.
Tout se passa comme Marc l’avait prévu, et à deux heures il débarquait sur le quai de la gare. du Nord.
L’enfant se trouva un peu ahuri quand, suivant le flot des voyageurs, il sortit dans la rue. Le brouhaha des voitures, le nombre et l’allure rapide des passants, l’étourdirent complètement. Il se ressaisit pourtant et, voyant circuler des fiacres, il se dit qu’une de ces voitures pourrait bien le mener à la foire aux pains d’épice.
Timidement, il fit signe à un cocher qui s’arrêta un peu indécis. L’enfant s’apprêtait à monter.
«Vous êtes tout seul? demanda le cocher, méfiant.
— Oui, monsieur.
— Où allez-vous?
— A la foire aux pains d’épice,» dit le petit garçon avec plus d’assurance.
Le cocher agitait son fouet, se demandant s’il devait «charger» un client aussi précoce.
Marc comprit-il la cause de son hésitation? Il sortit de sa poche une pièce de cinq francs.
«J’ai de l’argent, dit-il; combien coûte-t-elle, votre voiture?»
L’automédon supposa que le gamin voulait faire une fugue à la barrière du Trône, et il ne jugea pas qu’il eût à l’en empêcher.
«Montez», dit-il.
Et, fouettant sa bête, il se dirigea cahin-caha vers le faubourg Saint-Antoine.
Marc ouvrait des yeux émerveillés. La place de la République et celle de la Bastille le remplirent d’admiration.
Le perpétuel passage des voitures, les magasins, les piétons se croisant sans cesse en tous sens, le jetaient dans un étonnement profond. C’était donc là Paris! Marc se demandait s’il ne rêvait pas tout ce qui lui arrivait.
La voiture s’arrêta enfin sur une grande place couverte de boutiques foraines et à l’extrémité de laquelle s’élevaient deux colonnes surmontées de statues. La foule circulait au milieu d’un va-et-vient de tramways et d’omnibus, dans une rumeur de cris, de boniments, d’orchestres mécaniques, de cymbales et de grosses caisses.
Le cocher se pencha sur son siège et frappa avec le manche de son fouet sur la portière.
— Nous sommes arrivés, mon jeune patron», dit-il.
Marc descendit et paya. Puis, la voiture repartie, il resta un instant immobile à l’endroit où elle l’avait déposé, ébloui et abasourdi, ne sachant de quel côté se diriger.
C’était le dimanche de la Quasimodo; le temps était superbe et les promeneurs nombreux. Les parades battaient leur plein. Les lutteurs, en grand manteau écarlate que le vent faisait flotter, jetaient le gant à des artilleurs; une dompteuse, en robe jaune ouverte sur un maillot rose, s’était suspendu au cou un serpent énorme, pendant que son associé, en bottes molles, frappait de sa cra- vache la terrible lionne Joséphine peinte sur la toile; un ours monté sur un tréteau se dandinait au bruit de la grosse caisse; des musiciens en dolman et en colback soufflaient férocement dans des cuivres; des fillettes aux cheveux poudrés se faisaient des révérences de pavane; un homme coiffé d’un fez présentait des danseuses orientales au profil montmartrois; une Espagnole en basquine jouait des castagnettes, et le bailli des Cloches de Corneville promenait gravement sa perruque.
La foire aux pains d’épice.
Marc demeurait stupéfait. Machinalement, il avait suivi la file des promeneurs qui montaient.
Il dépassa les deux colonnes et arriva dans l’avenue du Trône. Mais, au milieu de cette foule, il se sentit si perdu, si isolé, que le but de son voyage lui parut impossible à atteindre: comment retrouver Violette parmi tous ces saltimbanques? Reconnaîtrait-il jamais la petite baraque qu’il avait vue une fois sur la place de Vignereux?
Et Violette elle-même, la distinguerait-il entre les autres danseuses qui paradaient si bien devant les spectateurs arrêtés?
Marc eut une grosse envie de pleurer. Il se retourna, prêt à sortir de la fête et à se sauver il ne savait trop où. Le flot des promeneurs l’empêcha de suivre son idée; il dut monter l’avenue jusqu’au bout pour la redescendre ensuite, pris dans le même remous vivant.
Une heure, puis deux heures se passèrent, pour l’enfant, à errer d’un bout à l’autre de l’immense foire. Puis, la nuit tombant, la foule s’éclaircit, les parades cessèrent et un moment de calme succéda à l’agitation de la journée.
Marc s’était arrêté un instant devant un manège de chevaux de bois qui tournait au milieu d’une fanfare éclatante. Il aperçut un passage entre le manège et la boutique voisine. Il se faufila dans l’intervalle et se trouva derrière la rangée des baraques. Un banc désert se dressait là. L’enfant, exténué de son voyage et de sa longue promenade, tomba assis en sanglotant. La nuit était venue toute noire, et le pauvre petit pensait qu’il avait peut-être eu tort de quitter ainsi les «Tilleuls» pour courir une pareille aventure. Il pleura longtemps et, brisé de fatigue, s’endormit.
Quand il se réveilla, il était glacé. Derrière lui, le bruit avait repris; on entendait les mêmes éclats de voix et d’instruments que quelques heures plus tôt.
Marc en conclut que la fête avait recommencé pour la soirée. Il se leva vivement pour retrouver un peu de chaleur et il se rappela qu’il n’avait pas mangé depuis le matin.
L’endroit solitaire où il se trouvait n’était guère éclairé ; à la lueur falote d’un réverbère, il chercha un passage pour regagner l’allée principale. Une boutique de pains d’épice et de sucreries s’offrit bientôt à sa vue; il en acheta quelques morceaux qui calmèrent un peu sa faim. Marc tira sa petite montre d’argent; elle marquait onze heures et demie et il sembla à l’enfant que la foule diminuait. Qu’allait-il devenir? Où passer la nuit? Il savait que les gens qui sont en voyage vont d’ordinaire dans des hôtels; il n’osait y aller: Marc se rendait bien compte que la présence d’un enfant de son âge, muni d’argent surtout, devait paraître suspecte, et il ne tenait pas à mettre des étrangers dans ses affaires.
Il pensa un moment à reprendre une voiture qui le ramènerait à la gare, mais il ne devait plus y avoir de train pour Péronne, et, du reste, le petit garçon trouvait assez lâche d’abandonner si tôt la lutte. Il avait repris un peu d’espoir et il se dit que le lendemain il arriverait bien à un résultat quelconque.
Où se mettre jusqu’au matin? Les baraques s’éteignaient successivement; les comédiens revêtus de pardessus ou de châles sordides rentraient les instruments de musique et baissaient les toiles grises sur les tableaux coloriés des enseignes; les passants devenaient rares. Quelques sergents de ville se promenaient encore, surveillant la clôture de la fête. Il fallait prendre un parti. Marc marchait toujours, il arriva à l’extrémité de la foire, du côté de l’avenue de Vincennes.
La dernière baraque, sur laquelle on lisait ces mots: Tir Algérien, était close, et tout était noir et silencieux dans les deux modestes voitures qui stationnaient derrière la petite boutique. Marc pensa qu’il pourrait passer la nuit là, blotti contre une des roues; on ne le verrait pas dans l’obscurité et il partirait dès qu’il ferait jour. Il s’adossa donc contre une des voitures. Malgré lui, de grosses larmes coulaient le long de ses joues. Il songea à son petit lit de Vignereux, à son père qui le croyait bien en sûreté dans sa chambrette.
Mais c’était un vaillant petit homme. Il rappela son courage. Une mauvaise nuit est vite passée, et comme il oublierait facilement ses peines si Jean était rendu à sa mère!