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III

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LE dimanche, Marc déjeunait aux «Tilleuls». Après avoir assisté à la messe de neuf heures, il rôda quelque temps autour du campement des saltimbanques. Au dedans des voitures on entendait un bruit de voix et un remuement de vaisselle; deux femmes rinçaient du linge, deux ou trois marmots tourmentaient une chèvre noire, mais Marc n’aperçut pas la petite danseuse et il partit avec Jérôme, qui était venu au bourg, sans avoir revu la fillette.

Mme Rouvière accueillit Marc avec son bon sourire et elle s’intéressa aux récits enthousiastes que l’enfant lui fit de la représentation de la veille.

Obéissant à un sentiment bizarre qu’il n’aurait pu expliquer, Marc ne parla pas de la jolie brunette qui l’occupait tant.

«Et tu retourneras sans doute au cirque ce soir?» demanda Mme Rouvière.

Marc prit un air triste.

«Je ne crois pas, dit-il. Tante Dorothée trouve qu’une fois, c’est bien assez. Et papa va au cercle, le dimanche...

— Écoute, reprit Mme Rouvière, je te ferai accompagner par Jérôme, ta tante n’aura rien à dire.»

Marc sourit, enchanté.

«Oh! madame, comme vous êtes bonne!» murmura-t-il.

Et, par un de ces mouvements qui le rendaient si charmant, il prit la main de sa protectrice et y posa ses lèvres.

Toute l’après-midi, il joua dans le parc avec un entrain inaccoutumé. Jérôme, habitué à ses jeux tranquilles, ne revenait pas de le voir lancer les balles à grands coups de poing au travers des pelouses.

Le soir, la surprise de Jérôme redoubla devant la loquacité de Marc et son agitation en entrant au cirque, où il voulut reprendre sa place de la veille.

Quand la petite danseuse de corde, Mlle Violette, comme disait le programme, fit son entrée, Marc faillit se lever. Il se maîtrisa, mais il ne reprit son calme qu’après avoir croisé les yeux de la fillette et s’être convaincu qu’elle avait remarqué sa présence.

A dix heures, le lundi matin, Marc traversait la place, revenant de chez l’instituteur, quand, lancée comme une flèche, Violette accourut vers lui.

«Je suis si contente de vous revoir! dit-elle. Hier soir, vous m’avez tant applaudie!

— Vous êtes si légère! Comme vous dansez bien! On dirait un papillon sur une fleur.»

La fillette sourit, étonnée. Elle n’était pas habituée aux compliments de ce genre.

«J’ai dansé pour vous, reprit-elle, et je n’avais pas peur.

— Vous avez donc peur quelquefois? demanda Marc.

— Oh! oui. Surtout quand je suis fatiguée: on s’étourdit si vite! Il y a des jours où j’ai envie de pleurer en montant sur la corde.»

Marc était consterné. Il se reprochait presque d’avoir eu tant de plaisir à voir danser Violette, puisque c’était au prix des frayeurs de celle-ci.

— Mais pourquoi ne dites-vous pas à votre maman que vous avez peur?

— Ma maman! Elle n’est pas là, ma maman, je ne sais pas où elle est, ni mon papa non plus.

— Vous n’êtes donc pas la fille du directeur du cirque? demanda Marc étonné.

— Moi! oh! non. Je me souviens qu’étant toute petite, j’habitais une grande maison avec des fleurs; il y avait aussi une jolie dame... Mais c’est si loin, tout ça!...

— On vous a donc prise à vos parents? interrogea Marc anxieux, car une idée germait dans son esprit.

— Je l’ignore, dit Violette. Bah! tant pis!...»

Mais Marc ne se contentait pas ainsi.

«On en vole quelquefois, n’est-ce pas, des enfants pour leur apprendre des tours? Y en a-t-il chez vous qu’on a volés?

— Ma foi, je n’en sais rien, dit la petite fille en riant, mais en jetant un regard prudent autour d’elle pour voir si le propos de Marc n’avait pas eu d’auditeurs.

— Mais d’où viennent tous les enfants de votre troupe? continua Marc qui poursuivait une idée fixe.

— Je ne sais pas.

— Écoutez, dit tout à coup Marc qui semblait prendre un parti; je vais vous raconter quelque chose que vous ne direz jamais à personne. Je crois que je peux avoir confiance en vous?»

Une expression énergique passa dans les yeux noirs de la petite bohémienne.

«Je vous promets de garder le secret, affirma-t-elle.

— Mais ce sera un peu long à conter, objecta le garçonnet. On va finir par remarquer que nous nous parlons.

— Je m’en allais chercher des pissenlits, dit Violette. Hier, un des clowns en a eu plein un panier dans le champ qui est tout à l’entrée de la route. Venez avec moi.»

Tout en aidant sa compagne à cueillir la salade, Marc lui raconta toute l’histoire de Jean Rouvière, sa disparition, les vaines recherches et l’idée qu’il gardait, lui Marc, que Jean avait été enlevé par des saltimbanques.

La fillette était suspendue aux lèvres de son compagnon.

«C’est bien possible qu’on l’ait pris, dit-elle quand Marc se tut, surtout s’il était joli!

— M. Gerland, Jérôme et d’autres ont dit que Jean était trop grand et trop intelligent pour se laisser prendre, mais on a pu le bâillonner, l’attacher...»

Marc avait beaucoup lu et son imagination se montait facilement.

«Oh! oui, soupira Violette; quelquefois on ne se gêne pas avec nous: si nous pleurons, on nous enferme et on a des moyens pour nous empêcher de parler...

— Depuis que je vous connais, depuis deux jours, dit Marc, vous m’avez tout de suite paru très gentille et je viens de penser que vous pourriez peut-être m’aider à retrouver Jean. Vous voyagez de tous les côtés, vous voyez d’autres troupes. Vous le rencontrerez peut-être...

— Mais je ne le connais pas?

— Oh! il est facile à reconnaître, tout blond, tout rose... D’ailleurs, si vous voulez bien vous en occuper, je vous donnerai son portrait.

— Si je veux! s’exclama la petite fille; oh! de tout mon cœur. Je serrerai bien le portrait dans une cachette où j’ai déjà une médaille et une pièce neuve de deux francs qu’une dame m’a donnée un jour en m’embrassant.

— Mais comment me donnerez-vous des nouvelles? demanda Marc. Savez-vous écrire?

— Certainement! s’écria l’enfant d’un ton indigné. Je sais écrire, lire, et bien d’autres choses. Le vieux pitre aime à nous faire l’école. Même Jacquot, le paillasse, a passé son certificat d’études, l’année dernière, à Bordeaux. On a bien fêté son diplôme, allez; c’est le premier de la troupe.

Les adieux de Violette.


— Eh bien! vous m’écrirez, dit Marc, je mettrai mon adresse derrière le portrait; j’ai déjà un ami qui m’écrit de Doullens avec mon nom sur l’enveloppe. Mais comment ferai-je pour vous répondre?

— Ce sera difficile, dit Violette. Au patron et aux autres, on leur écrit dans les villes, à la poste, car nous savons toujours d’avance où nous allons; mais moi, je suis trop petite: on ne me donnerait pas les lettres.

— Je ne vous écrirai pas alors, dit Marc.

— En tout cas, nous reviendrons ici l’année prochaine. Les hommes disaient hier que c’est la meilleure route à suivre pour gagner Saint-Quentin où nous allons tous les ans...

— Oh! l’année prochaine, c’est bien loin, dit Marc d’un ton qui présumait qu’il y aurait sans doute du nouveau d’ici là...

— Enfin, donnez-moi toujours le portrait, conclut Violette; nous verrons plus tard.

— Je vous le donnerai ce soir.

— Nous partons après le souper. Vers six heures, j’irai chez vous chercher de l’eau, ce sera un prétexte: soyez là quand je viendrai.»

A l’heure dite, Marc, qui guettait impatiemment depuis si longtemps déjà, ouvrit la porte à Violette chargée d’une cruche en grès.

Tante Dorothée avançait la tête dans le fond du vestibule.

«J’ai ouvert, cria Marc, ce n’est rien.»

Et, attirant la fillette dans le corridor, il lui remit un petit paquet.

«Tenez, dit-il, il y a le portrait, mon adresse et un petit livre bien amusant.»

Il ajouta, un peu gêné :

«J’ai mis aussi une petite pièce de monnaie, pour les timbres-poste.

— Merci, dit simplement la petite fille; sans cela, j’aurais changé ma pièce de deux francs.»

D’un commun élan, les enfants se penchèrent pour s’embrasser.

«Au revoir, Violette, dit Marc.

— Au revoir, répondit l’enfant. Comment vous appelez-vous?

— Marc.

— Au revoir, Marc,» répéta Violette.

Et ils s’embrassèrent de nouveau.


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