Читать книгу À la belle étoile - Claude Saint Ogan - Страница 7
ОглавлениеV
LA maison était sens dessus dessous. Les caisses de M. Maurepas d’un côté, les malles de tante Dorothée de l’autre, encombraient le vestibule; les objets à emporter, mis en tas, remplissaient les tables, les commodes et même les chaises.
On arriva ainsi à l’avant-veille du départ. Marc, qui avait obtenu une semaine de congé pour aider son père et sa tante, venait de clouer une caisse renfermant des atlas et des traités de toxicologie, science que le docteur comptait étudier particulièrement en Amérique. En enfonçant le dernier clou, Marc se frappa sur les doigts et son pouce fut endommagé. Assez dur à la souffrance, le petit garçon se demandait si l’accident valait vraiment la peine de réclamer les soins de sa tante, quand il s’entendit appeler. Le facteur rural, le père Ménard, un gros réjoui tout rouge, passait sa tête par la porte d’entrée. Il répéta:
«Monsieur Marc, votre papa est-il là ? J’ai une lettre avec des drôles de timbres; ça doit venir de loin; il faut signer.
— Entrez, dit Marc. Papa est dans la remise, il va venir.»
Le père Ménard introduisit sa courte personne dans le vestibule et suivit le garçonnet qui ouvrait la porte de la cuisine.
«Asseyez-vous, je vais appeler papa.»
Deux minutes après, Marc revint:
«Papa se lave les mains, il va venir, dit-il.
— Ah! mais, ah! mais, s’écria le facteur, j’oubliais, moi, monsieur Marc, j’ai une lettre pour vous.
— Une lettre pour moi?» balbutia Marc en devenant tout rouge.
Les événements qui s’étaient succédé depuis quelque temps n’avaient pas empêché Marc de penser souvent à sa petite amie Violette. Mais les mois avaient passé, aucune nouvelle n’était venue et Marc se demandait parfois si Violette n’avait pas oublié sa promesse... Aux paroles du facteur, il rougit et songea tout de suite à la petite saltimbanque.
«Une lettre pour moi?»
«La voilà !» dit le père Ménard en extrayant une grande enveloppe jaune du carnet de cuir où les lettres étaient rangées suivant leur ordre de distribution.
Marc s’en saisit, et, comme M. Maurepas entrait dans la pièce, il s’échappa vers sa chambre pour ouvrir la précieuse missive.
L’adresse était mise d’une écriture ronde et nette; le timbre portait au départ le nom de «Paris».
Marc ouvrit l’enveloppe. Une petite image s’en échappa d’abord; mais, sans l’examiner, l’enfant se hâta de déplier la feuille de papier. La lettre était signée: VIOLETTE. Elle était longue: quatre pages que Marc lut avec avidité.
«Mon cher Marc, écrivait Violette, peut-être avez-vous pensé beaucoup de mal de moi en voyant que je ne vous écrivais pas. D’abord, l’hiver, nous ne voyageons pas beaucoup et je n’avais pas de nouvelles, mais je vous aurais écrit quand même. Seulement j’ai été malade et les autres aussi. Nous avons tous eu la rougeole. Le patron était furieux, il disait que nous le faisions exprès. Malgré cela, on nous a soignés avec du bon sirop. Moi et Claude, le fils du pitre, nous avons été plus malades que les autres; nous avons eu quelque chose dans les poumons; je toussais beaucoup et même ça dure encore et je me fatigue vite. Mais tout ce que je vous dis là n’est pas amusant. Je vais vous dire où nous sommes maintenant. Vous ne devineriez jamais. C’est la première fois que nous y venons. Nous sommes à Paris, à la foire aux pains d’épice. Jamais on ne pourrait croire combien il y a de boutiques, de baraques, et des si belles! C’est la patronne qui a voulu y venir. On avait fait repeindre les toiles et les voitures, la troupe était complète, nous sommes venus. Je suis bien contente d’être à Paris; mais je n’ai pas encore vu grand’chose; nous sommes arrivés depuis deux jours, la foire ouvrira dimanche. Je ne peux pas finir ma lettre aujourd’hui, car un clown m’appelle pour répéter mes danses.»
Marc avait lu ces lignes tout d’une traite. Il tourna la page, la lettre continuait ainsi:
«Je n’ai pu vous écrire qu’aujourd’hui mardi, car dimanche et lundi nous avons eu des représentations toute la journée et le soir, mais je suis bien contente d’avoir attendu, car j’ai quelque chose à vous dire. A côté de nous il y a une troupe qui est arrivée samedi. Ce sont des dompteurs et ils ont avec eux un petit garçon blond qui ressemble au portrait; il est grand comme vous. J’ai essayé de lui parler, je n’ai pas pu; il a l’air triste, ça doit être le petit Jean. Nous resterons encore quinze jours ici, j’arriverai bien à causer avec lui, mais il m’intimide un peu...»
Violette terminait en promettant de récrire bientôt et en embrassant Marc.
Le petit garçon était bouleversé. Son imagination si inflammable lui persuadait déjà que le petit voisin de Violette était le fils de Mme Rouvière et il en voulait presque à la petite fille de ne pas lui en donner la certitude.
Mille pensées très diverses affluèrent dans son cerveau. Il voulait courir aux «Tilleuls», et puis tout raconter à son père; il éprouvait aussi l’envie d’écrire immédiatement à Violette pour lui demander plus de détails... Au bout de quelques instants, sa fièvre tomba. Il réfléchit qu’aucun de ces moyens n’était bon, et, bien que dévoré d’impatience, il se décida à la seule chose raisonnable: attendre la nouvelle lettre de Violette. Mais sa pensée vagabonda et, pendant les trois jours qui précédèrent le départ de M. Maurepas, Marc eut bien des distractions, qu’on mit sur le compte de son chagrin.
Tante Dorothée faisait ses visites d’adieux. Elle alla aux Tilleuls remercier Mme Rouvière de la bienveillance qu’elle lui avait toujours témoignée et ne perdit pas l’occasion d’affirmer que «tout chemin mène à Rome», ce qui voulait peut-être aussi bien signifier en Auvergne. Elle partait avec son cousin par le train de six heures.
M. Maurepas, qui s’embarquait à Saint-Nazaire, avais promis à sa cousine de s’arrêter deux jours à Paris avec elle. Lors de son arrivée à Vignereux, la vieille demoiselle n’avait fait que traverser la ville d’une gare à l’autre, et elle voulait pouvoir parler aux indigènes de Mauriac du Jardin des Plantes et de la Tour Eiffel! «On a souvent besoin d’un plus petit que soi», ajoutait-elle pour expliquer son envie de voir ladite tour.
Marc éprouva un grand serrement de cœur quand son père le pressa encore une fois dans ses bras; leurs sanglots se mêlèrent. Au dernier moment, le pauvre homme se sentait sans courage pour laisser si loin de lui son unique enfant. Mais les impressions se succédaient vite dans son esprit et le mirage de l’avenir qui les attendait, lui et son fils, lui fit bientôt oublier son chagrin.
Le soir, Marc pleura beaucoup dans le petit lit qu’on lui avait installé près des appartements de Mathurine. Il s’endormit enfin au milieu de ses larmes, d’un sommeil agité qui ne le reposa pas, et s’éveilla le lendemain avec des idées bien confuses: «Papa! papa!» murmura-t-il.
Mme Rouvière entrait à ce moment dans la chambre de Marc. Devant sa pauvre petite mine défaite et ses paupières gonflées, elle, la mère sans enfant, sentit la détresse de l’enfant sans mère; s’approchant du lit, elle pressa, dans un grand élan de tendresse, le garçonnet sur son cœur et ses yeux se remplirent de larmes.
L’enfant, ému des pleurs de sa bienfaitrice, fut sur le point de lui dire que Jean était peut-être retrouvé. Un instant de réflexion l’arrêta. Il se ressouvint que Violette avait promis de lui récrire et il eut même la conviction qu’il aurait ce jour-là une lettre de la petite ou de Jean lui-même.
Une fois habillé, il descendit dans la salle à manger où Mathurine lui versa un bol de chocolat parfumé.
«Mlle Dorothée n’en faisait pas de pareil, hein?» dit-elle au petit garçon.
Marc n’était pas gourmand, mais il but avec plaisir le succulent liquide dans lequel il trempa trois ou quatre galettes. Jérôme entrait, portant un paquet de lettres. Il les posa sur la table, les tria et déposa celles de Mme Rouvière sur un plateau d’argent.
«Tenez, dit-il en en tendant une à Mathurine, en voici une pour vous. Gustave vous réclame sans doute encore des pièces blanches.»
Jérôme avait achevé de séparer les lettres. Marc attendait, anxieux.
«Il n’y en a pas pour moi? demanda-t-il.
— Pour vous? mais non», dit Jérôme un peu étonné.
Marc restait anéanti. Ne pas avoir de lettre de Violette trompait toutes ses prévisions et redoublait ses perplexités.
MmeRouvière le faisait demander. Il se rendit chez sa bienfaitrice tout troublé, presque sans voix, et dans un état nerveux que la jeune femme expliqua par le chagrin de l’enfant. On régla l’emploi de ses journées. Il devait continuer ses leçons chez l’instituteur; la course plus longue lui servirait de promenade; il prendrait tous ses repas chez Mme Rouvière et celle-ci l’emmènerait parfois dans ses sorties en voiture.
Le petit garçon approuvait tout, l’esprit ailleurs. La journée lui parut longue; longue aussi la nuit qu’il passa en partie à réfléchir. Son plan était fait. Il ne pouvait plus tenir ainsi. Le lendemain matin, s’il n’avait pas de lettre de Violette, il partirait et irait lui-même voir l’enfant dont elle lui avait parlé. A première vue, il reconnaîtrait bien Jean, lui, et quelle joie, quel triomphe de le ramener à sa mère!
Marc voyait déjà le coup de théâtre du retour. Il organisait la mise en scène et apercevait Jean dans les bras de Mme Rouvière.