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I
LOUIS SKÉBEL

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Il faisait un temps atroce; ce froid de novembre, où la décomposition des feuilles tombées, en saturant l’atmosphère de miasmes fiévreux, triple la mortalité dans les agglomérations populeuses. A Paris, les enfants tombaient comme des mouches à la première gelée; les hôpitaux regorgeaient.

Il faisait cher vivre, et la masse des petits employés, chassés dans la banlieue, s’endettaient en criant la faim.

Cependant les journaux officieux publiaient tous les matins le même article satisfait sur la prospérité du pays, assurant que, grâce au gouvernement, tout allait le mieux du monde.

De fait, boursiers et femmes faciles menaient un train princier et nombre de gens, qu’autrefois on avait vus affublés de guenilles, tranchaient maintenant du personnage.

Or, un soir, vers sept heures, un grand diable de garçon, joufflu, mal peigné, crotté comme un poète de l’ancien temps,–ils ont des parts d’agent de change aujourd’hui! –et insuffisamment couvert d’un paletot d’été, que le grand soleil et la pluie avaient rendu de couleur indécise, arpentait lestement la rue de Richelieu.

Quelque hâte qu’il parût avoir d’arriver au terme de sa course, chaque fois qu’il rencontrait au passage les affiches de spectacles, il s’arrêtait net, et cherchant celle du Théâtre– Lyrique, il se plantait devant.

Elle était double ce jour–là.

La première division portait le spectacle du soir: Richard Cœur–de–Lion, et le Roi Candaule, d’Eugène Diaz.

La seconde était disposée à peu près ainsi:

«Demain, relâche

» pour sixième représentation

» Par ordre

» AU CHATEAU IMPÉRIAL DE COMPIÈGNE DE

» LA PRINCESSE ALDÉE,

» Opéra fantastique en cinq tableaux; paroles de

» MM. Jules Barbier et Michel Carré,

» Musique de

» M. LOUIS SKÉBEL.»

On eût dit que ce grand diable de garçon eût entrepris d’en apprendre le texte par cœur. Après une première lecture, il y revenait, et, à la dernière ligne, il prononçait à mi– voix, ce nom de: Louis Skébel, avec une sorte de délectation intime; le répétant à plusieurs reprises, en nuançant ses inflexions.

C’est que ce Louis Skébel, c’était lui.

Natif de Thionville, fils du greffier de la mairie, il s’était senti la vocation de la composition musicale, et contre vent et marée il avait suivi son idée, avec ce bel entêtement de Lorrain, dont le diable n’aurait pas raison.

A dix–sept ans, las de lutter contre la résistance de son père, qui n’était ni moins Lorrain ni moins entêté que son fils, celui–ci prit la clef des champs, et, fort de son vouloir, il débarqua à Paris, avec quatre louis dans sa poche, un violon, dont il avait appris tout seul à se servir, et toute sa garde–robe dans un foulard.

Le matin même de son arrivée, se donnant seulement le temps de se débarbouiller, afin qu’on ne le prît pas pour un nègre, il se présenta dans deux endroits qui n’ont, en apparence, que peu de rapports entre eux: au Conservatoire de musique et à Saint–Eustache.

Ici et là, on lui fit subir un examen quelques jours après.

Il échoua au Conservatoire; mais il fut accepté à la maîtrise de Saint–Eustache, à titre d’enfant de chœur solo d’attaque, avec la haute paye de dix–huit francs par mois.

C’était maigre; d’autant que, taillé en hercule, il était affligé d’un appétit féroce. Par bonheur, le casuel lui valait une trentaine de francs de surplus, et comme la charcuterie lui semblait chose délicieuse, il arrivait à vivre.

Bientôt, d’ailleurs, une circonstance fortuite lui procura de nouvelles ressources.

Commandé, pour une messe de mariage, il attendait la venue des époux, quand le suisse, accourant tout troublé dans la sacristie, annonça qu’un malheur venait d’arriver à l’organiste.

–Ah! monsieur l’abbé, monsieur l’abbé! fit–il.

–Et quoi donc, Gérôme?

–M. Bellafont vient de tomber à l’entrée de l’église, et quand on l’a relevé, il a perdu connaissance.

–Courez, et transportez–le ici, dit le premier vicaire,

Bellafont était un vieux brave homme, ancien prix de Rome, sous la Restauration, que les duretés de la profession avaient réduit à la condition d’exécutant, et dont la santé s’était altérée à lutter contre les difficultés de la vie artistique.

Par excès de malechance, ce jour–là, le malheureux, se croyant en retard pour la messe, avait voulu monter plus vite que de raison les marches de la paroisse; son pied avait porté à faux; il avait glissé, et l’on pensait qu’il s’était cassé le bras.

A peine l’avait–on étendu dans la sacristie, en donnant ordre à un enfant de chœur d’aller chercher le premier médecin venu, que le bedeau, ne se doutant de rien, annonça l’arrivée de la noce.

–Que faire?

Skébel hésita longtemps. Enfin, poussé par le désir d’obliger les gens, il s’avança et dit:

–Je sais un peu tenir les orgues. Si l’on veut, je tâcherai de suppléer M. Bellafont.

A tous risques, on accepta; mais, dame! on n’était pas tranquille.

Cependant tout marcha régulièrement. Bien mieux, à deux reprises, durant les prières qui se disent à voix basse, et après la bénédiction, quand les mariés et le cortège de invités se rendent à la sacristie, l’orgue jeta sous les voûtes sonores, des improvisations dont on fut frappé, et, pour tout dire, charmé.

Cela valut à Louis des leçons de piano dans quelques familles où les vicaires avaient du crédit.

A ces chétifs revenus, le Lorrain en ajouta bientôt d’autres d’un genre analogue. Il entra, à titre d’alto, dans un théâtre de drame, passant sa soirée à grincer des trémolos sur l’entrée en scène du traître ou de la jeune héroïne, aussi innocente que persécutée et, l’hiver, il faisait sa partie dans des orchestres de danse, aux bals de barrière.

Pourvu qu’il eût cinq–heures de bon, et bien à lui, chaque jour, il acceptait tout, et ne ’se plaignait de rien. Ces cinq heures, sa consolation! il les consacrait à l’étude et à des exercices de composition, qui allaient jusqu’à refaire en entier la partition de Charles VI, non content d’avoir mis tout le Cid en musique.

Un jour, il fut mandé à l’Opéra–Comique.

Un compositeur en renom de cette époque, venait de tomber malade, au beau milieu des préparatifs d’un ouvrage, sur lequel la direction avait compté. Les principales mélodies étaient trouvées; mais il restait à composer les chœurs, les ensembles, certains récitatifs, toute l’orchestration et le dernier acte en entier.

Était–il homme à parachever cette besogne, sans autre profit qu’une mince part des droits d’auteur, et en restant dans la coulisse; c’est–à–dire, en consentant à ce que son travail fût attribué à son grand confrère?

–Donnez! répondit–il.

–Marché conclu.

Et trouvant cette fois l’occasion d’employer ses facultés natives, il y mit tout ce qu’il possédait d’imagination et de savoir.

–Ah diable! fit le directeur, à l’audition de ce qu’il apportait, vous êtes du bâtiment, vous, mon gaillard! C’est dommage de ne pas signer ces choses–là!

–Bah! répondit bonnement Skébel, le sac n’est pas vidé pour si peu. On en a d’autres. Je ne me repens pas de l’affaire.

L’opéra réussit largement, et si, pour le public, ce succès ne sortit point le Lorrain de l’obscurité, du moins les gens du métier le connurent et fondèrent des espérances sur lui.

C’est ainsi que le directeur du Théâtre–Lyrique d’alors lui confia le livret de la Princesse Aldée.

La musique, composée, écrite, orchestrée en moins de trois mois, n’inspira qu’une confiance médiocre aux intéressés.

Mais contre toute prévision, il se trouva que la première représentation fut un triomphe.

Dès le lendemain, les journaux donnaient à cette première l’importance d’un événement. Le nom de Skébel fut désormais dans toutes les bouches et la France compta une illustration de plus.

Songez que, déjà, vingt photographes sollicitaient l’avantage de le portraicturer gratis: suprême sanction de la célébrité contemporaine, et il n’y avait plus, dans l’univers, que deux personnes qui n’appréciassent pas à sa juste valeur le succès de Louis Skébel.

La première, c’était l’auteur de ses jours, maître François Skébel, qui se donnait pour magistrat, et disait de son fils:

–C’est un crétin.

La seconde, c’était Louis Skébel lui–même, qui ne se voyait aucune raison de n’être plus ce qu’il était la veille. Par cela qu’on ne sait jamais, au juste, ce que l’on vaut dans l’opinion des tiers, il continuait de se tenir pour un pauvre diable de garçon, fort en peine de payer son terme, et à plus forte raison, de caresser le moindre rêve d’avenir.

Ce n’est pas qu’il n’en eût la tentation; bien au contraire!

Le travail des répétitions avait précisément amené des relations qui lui avaient mis au cœur un mal étrange et tout nouveau pour lui: l’amour!

Mais n’était–ce pas folie?…

Naïf, timide, et pis que modeste, quoique musicien, il n’était pas homme à se croire capable d’inspirer la seule affection à laquelle il pût être sensible: une affection légitime, allant droit au mariage et à la constitution d’un nid, tout plein, à fur et à mesure, de beaux galopins gâtés, rougeauds et braillards.

Il lui semblait que pour consentir à se lier à lui, pour la réalisation d’un tel ’idéal, il faudrait avoir la berlue. Il se trouvait si peu séduisant avec son grand corps, sa grosse tête, surmontée de cheveux emmêlés, ses pattes massives et ses façons de paysan du Danube! D’ailleurs, un ménage coûte gros, et il n’avait pas le sou vaillant.

Voyez au surplus où il en était, et s’il y avait de quoi se donner les gants de songer à l’amour!

Si, en dépit de la pluie, il remontait cette rue de Richelieu, le ventre creux, malgré l’heure du dîner passée, c’est qu’il allait, en se violentant, demander, quémander, mendier, quelques centaines de francs à l’agent général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. Ah! qu’il s’y sentait de répugnance et d’humiliation! Cependant il poursuivait sa route: il le fallait!…

Arrivé au coin de la rue Saint–Marc, il traversa de biais et, le cœur serré, il entra sous la porte cochère du numéro30.

–Monsieur Peragallo? demanda–t–il, en faisant effort.

–Ses bureaux sont fermés, lui fut–il répondu.

–Je pense bien, mais j’ai besoin de le voir pour une affaire qui ne peut se remettre à demain.

Visiblement, le portier avait une consigne. Cependant, si gauche et crotté que fût ce grand garçon, il avait en lui quelque chose de sympathique qui s’imposait, et le portier ne put y résister.

–Ma foi! fit–il, montez toujours. S’il est chez lui, il vous recevra peut–être.

Louis ne se le fit pas dire deux fois.

En enjambées de quatre marches, il escalada trois étages et sonna à une porte.

La bonne qui lui ouvrit fit, elle aussi, des difficultés; mais elle aussi, subissant le charme que ce grand diable, au sourire piteux, répandait autour de lui, passa outre aux recommandations de son maître et introduisit le compositeur dans une pièce, à travers la porte de laquelle, un bruit de vaisselle et d’argenterie lui apprit qu’il surprenait son monde à table.

Il en augura mal pour ce qu’il venait solliciter. Il s’attendait, du moins, à se morfondre là, jusqu’à ce qu’on eût pris le café.

Il n’en fut rien.

Après quelques minutes, la porte s’ouvrit et il vit s’avancer un homme à la physionomie avenante.

–Pardonnez–moi, monsieur, dit Peragallo, de vous recevoir ainsi; mais je n’attendais aucune visite. Votre démarche, me dit–on, est d’un caractère exceptionnel et urgent; veuillez m’apprendre ce que vous attendez de moi.

Oubliant de s’excuser de son indiscrétion, et sentant d’instinct que la politesse consistait à prendre le moins de temps possible à la personne qu’il relançait ainsi jusque dans son intérieur, Skébel lui dit, tout d’un trait:

–Monsieur, je suis obligé d’aller demain au château de Compiègne. Or, je n’ai pas le nécessaire pour y paraître convenablement. Je viens donc vous demander le service de m’avancer de quoi faire figure décente.

L’agent général, habitué à d’autres manières, pleines de circonlocutions, de la part de ceux qui frappent à sa caisse, ne put réprimer un sourire.

–Je ne dis pas non, répondit–il. Pourtant, ne pensez– vous pas qu’avant toute chose, il serait bon que vous me dissiez à qui j’ai l’honneur de parler.

–Excusez–moi, monsieur, répliqua Louis. Je suis un peu distrait par nature et la démarche que je me permets est si inusitée pour moi, qu’elle me trouble. Je suis l’auteur de la musique d’une pièce qu’on a jouée la semaine passée au Théâtre–Lyrique.

La Princesse Aldée?

La Princesse Aldée, oui monsieur.

–Ah! vous êtes.?

–Louis Skébel.

–Mais, mon cher monsieur, reprit Peragallo, je n’ai pas de service à vous rendre. Les cinq premières représentations de la Princesse Aidée ont mis, dans ma caisse, une somme qui vous appartient, et qui nécessairement est toute à votre disposition. Je n’en ai pas, là, le chiffre exact; mais vous n’avez qu’à me dire ce qu’il vous en faut.

Le compositeur réfléchit un moment, puis tenté de profiter de la facilité de son agent pour se passer quelques fantaisies:

–Mon Dieu! fit–il, si, sans vous mettre trop à découvert vous pouviez me donner. trois cents francs, je vous en serais vraiment obligé.

–Trois cents francs! répéta l’agent général en ouvrant de grands yeux. Ah çà! mais d’où tombez–vous donc? De la lune?…

–C’est trop? balbutia Skébel déconcerté.

–Attendez! fit son interlocuteur en sortant vivement.

–Il se moque de moi! pensa le jeune homme un peu déconfit.

Quand l’agent général rentra, il avait deux billets de cinquante louis à la main.

Tenez, fit–il, en les présentant au compositeur, voici toujours un acompte! Nous réglerons le dix du mois, et si d’ici là, vous avez d’autres besoins d’argent, envoyez toucher un bon, de dix heures du matin à quatre heures du soir.

Skébel, interdit, contemplait les deux billets de banque, doutant qu’il y eût droit.

–Ah ça, monsieur, dit–il, combien donc, à peu près, pensez–vous que cet ouvrage puisse me rapporter?

–Si l’on vous en offre cinquante mille francs, ne traitez pas; on vous volerait plus de moitié.

Étourdi, titubant comme un homme ivre, Louis Skébel sortit de là, transfiguré.

La diva

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