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IV
UNE SOIRÉE THÉATRALE AU CHATEAU DE COMPIÈGNE

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Table des matières

La salle de spectacle du château de Compiègne a la forme d’un carré long. Le parquet en pente est entouré de baignoires grillées, au–dessus desquelles une galerie latérale.

Au fond, une sorte d’amphithéâtre, de la largeur de la salle: la loge des souverains, loge découverte, où le regard plonge aisément de toutes les places.

Après avoir dîné à la table du gouverneur du palais de Compiègne, Louis Skébel fut conduit dans l’une des baignoires, voisines de la scène, et par laquelle on y peut communiquer.

Au parquet, à la galerie, une foule de femmes en toilettes, des hommes en uniforme, beaucoup d’officiers de la garnison, des habits noirs en minorité; aucun qui ne fût paré du ruban rouge.

Dans la loge impériale, personne encore. Par la porte du fond, laissant voir un salon très éclairé, à peine apercevait– on quelques grands valets qui se promenaient en causant.

Tout à coup un mouvement se produisit, puis un chambellan, en grande livrée, annonça:–L’Empereur!

D’un même mouvement tous les assistants se levèrent, firent face à la loge, et Napoléon III parut, accompagné de l’impératrice.

Derrière eux, les familiers de la cour, et les invités de la série.

Des ambassadeurs étrangers, deux ministres, un maréchal de France, des dignitaires, nombre de sénateurs et quelques députés, mêlés à des dames en tenue de cour.

Un silence morne d’abord; puis des chuchotements gouailleurs, des remarques désobligeantes sur l’extérieur des souverains.

Ceux–ci gagnèrent deux fauteuils isolés, au centre d’une rangée de sièges disposés en demi–cercle.

Leurs hôtes se glissèrent en silence, aux places qui leur étaient réservées, puis tout le monde s’assit dans la loge impériale, tandis que le reste des spectateurs restaient debout, le dos tourné à la scène.

Le jeune compositeur ressentait une impression pénible au spectacle de cette cour étrange, et comme, d’autre part, il éprouvait de l’embarras à assister à la représentation de son œuvre, il quitta la place et gagna les coulisses.

La scène était pleine de monde: des employés du ministère, des fonctionnaires du château, quelques hauts personnages amateurs de la société des actrices, mêlés à des gens qui se tenaient un peu partout, silencieux, très attentifs et à qui personne ne parlait: la police d’Hirvoy. Dans le manteau d’Arlequin, deux grenadiers de la garde, le fusil au pied.

Louis traversa la scène pendant qu’on jouait l’ouverture et pénétra dans le petit foyer.

Adrienne y était seule.

C’est elle qui jouait la première scène après le chœur d’introduction.

Tous deux avaient bien envie de revenir sur la conversation interrompue au moment de leur arrivée. Mais le temps manquait.

D’un tacite accord, ils remirent la conférence à un moment plus favorable, et Adrienne étant sortie sur l’appel du régisseur, Louis poussa une porte au hasard, espérant découvrir quelque issue qui lui permît de respirer un moment l’air extérieur.

En effet, une petite pièce traversée, il se trouva dans un escalier assez sombre, qui conduisait aux chambres où les comédiens s’habillaient. L’un d’eux, qui descendait en costume, le rencontra.

–Oh! cher maître, lui dit–il, vous vous dérobez au triomphe.

–Je cherche tout simplement quelque endroit où l’on puisse fumer une cigarette.

–Dans ma loge, si vous voulez.

–Merci, non; j’aimerais mieux le grand air.

–Descendez en ce cas.

Louis suivit le conseil.

Après quelques marches, il vit une grosse porte d’allée. Elle était seulement fermée au loquet. Il ouvrit et aperçut devant lui une rue obscure et déserte.

Quel contraste avec l’affluence de là–haut! A peine une ou deux fenêtres faiblement éclairées; le silence particulier à la province.

Le vent, qui soufflait de l’est, avait nettoyé le ciel, où les étoiles brillaient dans leur éternel arrangement.

Au lointain, le roulement d’une voiture; un chien gémissant, dans la solitude d’une maison.

Sans plus de souci de sa tenue de soirée, Louis s’assit sur le pas de la porte, fumant, en suivant ses pensées; songeant à cet empereur dont la couronne semblait accabler le front; à cette souveraine, officiellement si adulée, et qui, tous deux, lui avaient paru si isolés, si retranchés du reste des hommes; engoncés dans un décorum maussade, qui ne les mettait pas même à l’abri des quolibets de tout un monde de comparses gorgés et ingrats.

Puis, réfléchissant à la facilité avec laquelle il avait passé de la salle de spectacle à ce coin de rue désert, il lui vint à l’esprit une espèce de roman bizarre.

–Comme il serait aisé pourtant de tirer sur l’empereur! se dit–il. Tandis que les issues principales du château sont hérissées de gardes, d’huissiers, de mouchards, il n’y a qu’à pousser cette porte, monter un entresol, attendre l’entr’acte sur la scène, puis, par le trou du rideau, viser, et.

–Mais voilà, se dit–il encore, c’est trop simple pour venir à l’idée d’un conspirateur.

Comment de telles imaginations se présentaient–elles à son esprit? On ne sait.

La vie est pleine de ces influences mystérieuses sur le cours des réflexions. Qui dira si, dans l’air des milieux où l’on est tout à coup transplanté, il n’y a pas des éléments innommés qui s’imposent à la réflexion?

Ce qui est certain, c’est que, malgré lui, absorbé dans une suite d’idées de cette nature, il n’aperçut pas tout de suite, des ombres qui longeaient les maisons, se rapprochant de lui avec une extrême prudence.

Séparées d’abord, elles se réunirent bientôt dans l’enfoncement d’une porte cochère. Puis un temps passa.

Louis, qui avait seulement remarqué l’arrivée de la dernière, ne s’en étonna pas, croyant à quelque habitant de Compiègne qui rentrait chez lui, après le domino de famille, ou la poule au billard au café de la Cloche.

Cependant, quelqu’un se détacha de cet enfoncement, et gagnant le milieu de la rue, vint droit au jeune homme.

–C’est vous, Charles? lui demanda l’inconnu, en s’arrêtant à distance.

–Non, monsieur, répondit Louis.

–Pardon! fit l’autre avec un peu de précipitation.

Puis, comme troublé, il donna une explication qu’on ne lui demandait pas. On eût dit qu’il eût à cœur de détourner des soupçons possibles.

–Charles est mon beau–frère, dit–il, le chef machiniste du château, et pendant l’acte, il devait venir prendre un café avec nous. C’est qu’il n’aura pas pu sortir. Bonsoir, monsieur.

Tout en rendant le bonsoir, Louis dont la cigarette s’était éteinte, frotta une allumette, et l’éclat du fulminate jeta un éclair de vive lumière sur les traits de l’individu.

Cela, de la part de Louis, était sans dessein, et il ne doutait pas de ce que l’autre lui avait dit.

Néanmoins, le visage de son interlocuteur le frappa. Il n’avait rien du cachet populaire, et les habits, le linge ne se rapportaient guère à la qualité de parent d’un machiniste, que se donnait celui qui les portait.

Malgré cela, Skébel n’en tira aucune conséquence, sur le moment.

L’homme avait rebroussé chemin. Louis le suivit des yeux et, de nouveau, le vit rentrer dans l’ombre de la porte cochère.

Alors, il lui sembla entendre des chuchotements; après quoi, deux ombres surgirent du même point, s’éloignèrent et se séparèrent au bout de la rue.

Il écouta: le même murmure se faisait entendre dans le silence de la nuit.

Influence de l’obscurité peut–être, de son isolement dans un endroit inconnu, ou encore de ses réflexions précédentes sur la facilité d’un attentat contre la vie du souverain, Louis fut pris d’un frisson de terreur.

Sans raisonner, il jeta sa cigarette, et rentra, en fermant vivement la porte.

Plus encore poussé par un effroi instinctif, au moment de remonter au théâtre, il colla son oreille à la serrure et attendit, en retenant son souffle.

Des minutes se passèrent ainsi.

L’imagination peuplée de fantômes, il crut entendre des pas, un conciliabule, quelqu’un qui appelait:

–«Charles?…»

C’était comme une hallucination, que le silence exagérait à ce degré, qu’il fut sur le point de crier à l’aide, en entendant distinctement deux coups de sifflet au dehors; lesquels furent suivis d’un bruit de pas précipités.

Il lui semblait qu’il courût lui–même un danger; il se sentait anéanti, égaré d’épouvante, quand, apercevant un énorme verrou, il le poussa, par un mouvement fiévreux, et faillit tomber en faiblesse.

Subitement, à l’étage supérieur des voix, des allées et venues, une roulade au passage; une confusion de bruits joyeux.

Il comprit que le premier acte venait de finir; les artistes regagnaient leur loge, afin de changer de costume.

Rappelé brusquement à la réalité, il fut presque honteux de la peur qu’il venait d’éprouver.

Tout tremblant encore, il se secoua, voulant qu’une cause physique, la fraîcheur de la nuit, après une si grande chaleur là–haut, l’obscurité de la rue, après l’étincellement des lumières de la salle, eût produit ce malaise passager; une affluence du sang au cerveau.

En fait, et à y repenser, quoi d’extraordinaire en ce qui venait de se passer? Des gens entrant dans une maison; quelqu’un qui demandait un employé du théâtre, puis le pas de gens pressés de rentrer chez eux; voilà tout.

Il en arrivait à se moquer de lui.

Cependant, revenu sur la scène, recevant, sans s’y attacher, les compliments des personnages qui l’encombraient, il était poursuivi par une sorte de curiosité: comment s’appelait le chef machiniste du château?

Ceux à qui il le demanda crurent qu’il avait quelque recommandation de mise en scène à lui faire.

A un moment, un homme de cinquante et quelques années l’aborda, sa casquette à la main, disant:

–Monsieur désire quelque chose de moi?

–Qui êtes–vous, mon ami? fit le compositeur.

–Le père Achille.

–Achille?

–Le chef machiniste.

–Ah! bien! répondit Louis, en suivant son idée. Mais ce n’est pas vous, dont je m’inquiétais; c’est. Charles; votre second, peut–être?

–Je n’ai pas de second, monsieur, et il n’y a pas de Charles dans l’équipe.

–Vous en êtes sûr?…

–Sûr et certain, monsieur.

–Alors, j’aurai mal entendu le nom. A cela près, c’est votre beau–frère qui voulait vous voir tout à l’heure.

–Moi? J’étais fils unique, monsieur, et je ne me suis pas marié. Il faudrait être malin pour être mon beau–frère dans ces conditions–là, sans doute!

Skébel s’en tira en lui donnant une gratification, et son inquiétude le reprit.

Par le trou du rideau, il inspecta la salle. Tous les assistants étaient à leur place, debout, faisant face à l’empereur, toujours morne et impassible, et à qui de temps à autre, des personnes venaient parler à voix basse, pendant que des laquais passaient des rafraîchissements.

Aucune émotion apparente.

Sur la scène, dont on changeait le décor, un groupe d’hommes causaient tout bas, avec animation.

Tantôt, l’un d’eux se détachait, traversait vivement les coulisses, et allait transmettre des ordres.

L’un de ceux–ci, après avoir examiné le compositeur pendant un moment, s’approcha brusquement de lui.

–Qu’est–ce que vous faites–là? lui demanda–t–il avec autorité.

Louis déclina sa qualité.

–Vous avez une place dans la salle? lui demanda de nouveau le policier. Puis, sur la réponse affirmative du jeune homme:

–Vous y serez mieux qu’ici, ajouta–il, en forme de conseil impératif.

Quitte à revenir, Skébel se rendit à l’invitation.

La petite baignoire où cette place lui avait été attribuée était, on l’a dit, tout contre la scène et garnie d’un treillage doré.

De là, on voyait tout, sans être aperçu des autres spectateurs, et les voix y étaient comme étouffées.

En y pénétrant, Louis fut frappé de l’apparente émotion des personnes présentes.

Elles entouraient un grand garçon, très décoré d’ordres étrangers, qui, durant la journée, s’était constitué, plus particulièrement, le cicerone du jeune compositeur: un employé du ministère de la maison de l’empereur.

Dégagé, souriant, il répondait aux questions qu’on lui adressait.

–Il n’y a rien à craindre, disait–il, au moment où Skébel arrivait. Ils sont coffrés.

Quelqu’un qui vint l’appeler l’empêcha d’en dire davantage.

–De quoi s’agit–il donc? demanda Louis.

–Nous l’avons échappé belle: un complot, mon cher monsieur.

Plus tard, revenu dans les coulisses, Louis entendit une autre conversation sur le même sujet.

C’étaient des choristes et de petits employés du théâtre qui se communiquaient leurs renseignements.

L’un disait:

–Il paraît que leur plan consistait à se faufiler avec les musiciens. Puis, dans les dessous, où il n’y a personne, d’attendre la fin du second acte. Alors, les musiciens redescendus, dans la cour, ils comptaient viser l’empereur à loisir par la porte de l’orchestre, grâce à ce que tout le monde a le dos tourné, et lui envoyer une prune en pleine poitrine.

–Ça, c’était malin!

–Et qui que c’est, ces gens–là?

–Des Italiens, des espèces de francs–maçons ou de carbonari, avec qui, qu’on dit, qu’il avait fait un pacte dans les temps, quand il conspirait lui–même contre Louis–Philippe, pour l’affranchissement des peuples et la destruction du paupérisme, et que pour lors, à cause qu’il les a lâchés ils l’ont condamné à mort dans un tribunal secret.

A la forme près, c’était ce que, dans son hallucination, et par une sorte de seconde vue, Louis avait imaginé.

Son opéra, le succès qu’il en attendait, étaient loin de sa préoccupation maintenant; il restait terrifié à la perspective de ce qui aurait pu arriver.

Vers minuit, le rideau à peine levé sur le dernier tableau de la Princesse Aldée, un chambellan entra vivement dans le foyer des acteurs.

–M. Skébel est–il ici? demanda–t–il.

–C’est moi, monsieur, répondit Louis.

–Veuillez me suivre, ajouta le fonctionnaire.

Le jeune homme était devenu livide et ses artères battaient avec précipitation.

L’idée de ce projet d’attentat à la vie du monarque, lui restait dans l’esprit; ce monde policier, qui l’entourait, sa participation inconsciente à toute cette affaire, résultant du verrou qu’il avait poussé, tout cela, lui avait mis au cœur une appréhension indéfinie mais persistante, sous l’impression de laquelle il demanda d’une voix étranglée:

–Vous suivre, monsieur, où donc?

–Dans la loge impériale; Leurs Majestés ont manifesté le désir de vous féliciter.

Le chambellan ouvrit une petite porte, et marchant vivement, de façon à devancer de beaucoup celui qu’il avait mission d’introduire, s’engagea dans un couloir étroit, extrêmement éclairé, et encombré de monde; des hommes en toilette de soirée, mais rien que des hommes.

Le passage était difficile.

Disposés en groupes, et, en apparence, occupés à converser, ces personnes s’écartaient pour laisser passer le chambellan; mais Louis était obligé de les frôler en s’excusant pour traverser leur rassemblement.

De temps en temps, un monsieur, venant en sens contraire, d’un pas précipité, se heurtait presque au compositeur, et tout en souriant, tout en s’excusant à son tour, avec infiniment de courtoisie, il y avait toujours un contact, dont le hasard répété fit penser à Skébel que ces gens appartenant à la police occulte, s’arrangeaient pour le palper des pieds à la tête, comme s’ils eussent voulu s’assurer qu’il ne cachait pas une arme sous ses vêtements.

Enfin, on monta quelques marches; une autre porte s’ouvrit et le jeune homme entra dans un salon: le salon de la loge impériale.

Au bruit de la porte, quatre grands laquais, qui dormaient étendus dans les fauteuils, ouvrirent les yeux, et lentement se levèrent sans plus s’inquiéter de lui.

A ce moment, Louis se sentait pris d’une autre préoccupation: que diable allait–il dire à ces gens–là?

Tout à coup, des applaudissements; puis un silence; puis le chambellan sortant de la loge, pénétra dans le salon, précédant Napoléon III et l’impératrice Eugénie, derrière qui se rangèrent à distance, et raides comme la justice, les invités faisant cortège.

Alors, s’inclinant profondément, le chambellan dit en désignant le jeune compositeur:

–Monsieur Skébel.

L’empereur adressa au jeune homme de vagues compliments, auxquels il suffisait de répondre par de légères inclinaisons de tête.

Et les dignitaires, rangés en demi–cercle, assistaient à cette scène banale, avec cette rectitude de tenue qui doit, plus d’une fois leur peser.

Enfin, un mot de l’empereur mit fin à l’audience.

L’impératrice lui prit le bras, et tous deux disparurent lentement par une issue des appartements privés.

Alors les invités se débandèrent.

De toutes parts, un envahissement de monde. Les femmes ramassant la queue de leur robe, s’en drapaient comme d’un manteau espagnol, au risque d’en fouetter le visage de leurs voisins.

On se hélait, on s’interpellait à haute voix, et c’était comme une bousculade.

Plus d’égards les uns pour les autres; au diantre l’étiquette! et l’on entendait des mots d’argot à travers le brouhaha général.

Une cohue qui avait je ne sais quoi d’une descente de la Courtille.

–Venez donc souper, criait un jeune sous–chambellan à Skébel.

Mais lui, entouré de jupes traînantes, montrait qu’il ne pouvait avancer sans marcher dessus.

–Qu’est–ce que ça fait! Allez donc! fit l’autre.

Ces gens–là si guindés sous l’œil du maître, paraissaient des écoliers faisant irruption hors des classes, tout prêts à se débrailler. Louis enjamba tant bien que mal, tout en se disant:

–Ainsi voilà à quoi se réduit la souveraineté! L’isolement au milieu de parasites sans conviction et sans vergogne!

En suivant le jeune fonctionnaire qui l’avait appelé, il traversa des couloirs à demi sombres, où des groupes s’étaient formés dans les renfoncements obscurs. On entendait des rires étouffés, des ripostes libres.

Puis c’étaient des portes qui s’entrebâillaient pour laisser passer quelque ombre furtive, avec des bouffées d’orgie à petit bruit.

La galanterie suait aux murs, épandait ses parfums dans l’air.

Malgré lui, le compositeur se demanda tout haut:

–Où suis–je donc, vraiment?

–Hein? fit son cicerone, où vous êtes, cher monsieur? Eh bien, mais! à la cour impériale!…

La diva

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