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III
ADRIENNE

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Quand la marée a fini de monter et ne commence pas encore à descendre, on dit:

–«La mer bat son plein.»

Le second empire en était là.

Seulement les lois de la marée sont connues. Après avoir battu son plein, la mer redescend, on s’y attend, et il ne vient à personne la folie d’en douter.

Il en est autrement des empires.

A part quelques rares clairvoyants, qui par prudence, d’ailleurs, ne parlaient qu’entre intimes de leurs prévisions, sur le régime napoléonien, le monde entier pensait qu’on en avait à perpétuité.

Les maîtres du pouvoir, plus que les autres encore, croyaient le principe impérial si profondément enraciné en France, qu’ils ne s’occupaient qu’à jouir de la situation.

A lire, dans les journaux, la relation des fêtes qu’on prodiguait en haut lieu, la bourgeoisie se sentait en parfaite quiétude, avide d’en lire les comptes rendus, et convaincue que rien au monde ne devait être plus brillant.

Périodiquement la liste des invités de Compiègne provoquait l’admiration.

Que de grands noms, que d’hôtes considérables, venus de tous les points de l’Europe! Tout ce qu’il y a de marquant chez nous, défilait là, à tour de rôle: diplomates, magistrats, artistes, gens de lettres; une cohue d’illustres!

Et l’on contait merveilles des plaisirs délicats, pris chaque soir, dans les réunions intimes du château. Ce qu’on y dépensait d’esprit passait l’imagination; jusqu’à des généraux qui «faisaient des mots!» A n’y pas croire!

Pourtant, on y croyait, car c’était imprimé!

En gagnant la gare du Nord, le lendemain du jour où Peragallo lui avait avancé une partie de ses droits d’auteur, le candide Louis Skébel y réfléchissait, non sans de poignantes appréhensions.

Est–ce que, lui aussi, il aurait à lancer des traits d’esprit? Et même, sans aller jusque–là, se posséderait–il assez pour parler à propos? Il en doutait; péniblement intimidé par avance, et tenté, à chaque tour de roue de son fiacre, de fausser compagnie à leurs majestés, quitte à mettre le contretemps sur un accident fortuit, ou une indisposition foudroyante.

Mais on avait tant insisté pour qu’il vînt. C’était cas de conscience, et pourtant, quand un encombrement de voitures forçait la sienne à s’arrêter, il était content; espérant que, sans qu’il y fût pour rien, le train serait parti, à son arrivée.

Il ne s’en fallut pas de beaucoup. La distribution des billets était close; mais ce ne pouvait être un obstacle; le régisseur ayant pris le sien avec celui des autres.

–Hé! arrivez donc, sacrebleu! lui cria le directeur, resté le dernier sur la porte des salles d’attente. On part; vite! vite! Skébel!…

Poussé, tiré, conduit, le pauvre diable, tout ahuri, pénétra dans l’un des compartiments réservés pour le service du château.

A peine fut–il assis qu’un coup de sifflet lui déchira les oreilles, et le train roula. Plus moyen de se dérober.

Il en resta, un moment encore, pis que troublé, sentant des peurs instinctives le gagner, voyant vague et pris de désespoir.

Une voix fraîche et claire le rappela à lui–même. C’était Adrienne qui lui disait bonjour.

–Je vous demande pardon, mademoiselle, répondit le compositeur, heureux de la rencontre. Je suis arrivé à la dernière minute; on m’a fait courir et, j’étais si essoufflé, si désorienté que je n’ai pas vu mes compagnons de voyage.

Ce disant, il salua légèrement les autres personnes qui l’entouraient.

A ses côtés se tenait un des employés supérieurs du ministère des Beaux–Arts, qu’il avait entrevu aux dernières répétitions de la Princesse Aldée.

En face, le directeur du théâtre, et un personnage gourmé, vieilli, fardé, teint, épilé, cravaté j usqu’aux oreilles: un sous– chambellan quelconque; quelque vieux garçon, ancien fonctionnaire médiocre, qu’on avait pourvu d’une sinécure, confinant à la domesticité, faute de pouvoir lui faire l’aumône de la main à la main.

Parlant à peine, il avait aux lèvres un perpétuel sourire humilié, qui contrastait avec l’affectation de dignité, que lui imposait sa charge.

A la gauche du compositeur, Adrienne et sa mère, faisaient vis–à–vis à un jeune homme que Louis ne connaissait pas, et qui, une jambe repliée sous l’autre, était plutôt étendu qu’assis, sur les deux places qu’il s’était adjugées, avec sans–façon et autorité malséante.

Du premier coup d’œil, Skébel le prit en grippe, ce jeune malotru. Il aurait voulu trouver occasion de lui faire sentir son inconvenance, de lui être désagréable.

Ce jeune homme, c’était le fils de monseigneur Le Fauve, que le hasard remettait tout à coup en présence d’Adrienne, de cette fille, dont il s’était appliqué à se distraire, en se jetant dans les filets de la comtesse de Külm.

Une impression de gêne dominait chacun des voyageurs; et malgré les efforts du directeur, qui adressait la parole, tantôt à l’un, tantôt à l’autre, on ne parvenait pas à rompre la glace.

Rodolphe, après avoir salué Adrienne, qui lui avait répondu avec aisance, s’était renfoncé dans son coin, ne parlant plus, mais ne la quittant pas des yeux.

C’est que toute la fougue de désirs, qu’elle lui avait inspirée, avait repris pleine possession de ses sens. Je dis: «ses sens», car il n’y avait rien d’attendri dans ce qu’il éprouvait.

A défaut de pouvoir se la concilier, il aurait voulu la faire souffrir, la dompter, l’humilier. A l’amour qu’il ressentait pour elle, si l’on peut appeler amour l’espèce de convoitise qui le harcelait, s’ajoutait la rage d’une vanité blessée, et il avait suffi qu’elle serrât la main de Skébel, pour qu’il eût subitement celui–ci en aversion.

Ce fut bien pis, ensuite!

Ennuyé de se trouver là, sans sympathie à l’égard de ses autres compagnons de route, Louis se mit à causer à mi– voix avec Adrienne, qui, incommodée de la persistante attention de son ancien poursuivant, se prêta volontiers au tête–à–tête.

D’ailleurs, la simplicité et la candide modestie du compositeur avaient plu à la jeune fille. Elle lui devait sa première création aussi. Et, durant les études, il s’était montré si affable pour elle!

A un moment alors, des intrigues de coulisses avaient menacé Adrienne de la reprise de son rôle, qu’on se proposait de donner à une autre artiste.

Skébel ne l’avait pas permis.

Adrienne avait su cela, et elle en avait gardé de la gratitude au jeune homme.

Cependant, elle n’osa le remercier ouvertement. Une fois seulement, en lui donnant la main, elle lui dit:

–Bonjour, mon protecteur.

Il comprit son intention, et lui sut gré de sa réserve.

Au cours des répétitions, il avait souvent causé avec elle. D’instinct, il recherchait sa compagnie; mais aucune intention ne se formulait dans son esprit.

Il était si pauvre, si chétif et inconnu! Il pensait que l’amour lui était interdit; l’amour comme il l’entendait du moins; c’est–à–dire une affection élevée, poétique et douce, dans la gravité d’un lien officiel et sanctifié.

Certes! il avait eu des maîtresses; mais quelles! Des variétés de maritornes!

On pense si, comparée à celles–ci, Adrienne lui semblait «la reine!» une créature bénie du ciel, quelqu’un d’étonnant!

Et de fait, la débutante était faite pour inspirer à ce naïf et tendre garçon une admiration et un respect irrésistibles. C’est pourquoi il ne s’était jamais permis d’analyser, en lui, la nature des sentiments qu’il éprouvait à son égard.

Mais depuis la veille, depuis que l’agent général lui avait ouvert des horizons sur la possibilité de faire fortune, un voile s’était déchiré.

Nombre de choses qu’il s’était interdit d’espérer, comme invraisemblables, lui apparaissaient maintenant sous un tout autre aspect. Il n’en venait pas encore à se les proposer pour but avoué de ses efforts; mais elles se dessinaient assez nettement à son imagination pour qu’il pût se les définir. Il l’osait du moins, et, intérieurement, il se disait:

–Qui sait!…

Or, pendant que le train glissait sur les rails, il songeait au hasard qui l’avait placé à côté d’Adrienne.

Il se trouvait bien là; par une sorte de mirage dont le vague même le charmait, il se laissait aller à un rêve inconscient, qui lui semblait délicieux.

Il se yoyait transformé, riche, illustre, toujours jeune; sinon beau, du moins agréable, et cette femme, avec qui il causait tout bas, ce n’était plus l’Adrienne du Théâtre– Lyrique, à peine liée avec lui, de cette particulière et facile, mais superficielle amitié des artistes, c’était sa vraie amie, sa seule amie, sa femme!

L’aimable songe!

Un point noir pourtant; le regard persistant de ce voyageur d’en face, qu’il avait pris en haine.

Tout à coup, celui–ci se pencha vers le directeur, et lui fit une question à l’oreille.

–Comment! répondit tout haut l’imprésario, vous ne connaissez pas le triomphateur du jour? Permettez–moi de vous le présenter.

Puis, forçant l’attention du compositeur:

–Mon cher Skébèl, dit–il, je vous présente au fils du premier homme d’État de l’époque, M. le comte Rodolphe Le Fauve.

En envoyant secrètement le directeur au diable, Louis s’inclina avec réserve.

–Ma foi, monsieur, fit Rodolphe, je vous fais mon compliment de confiance, sur ce qui m’a été dit de votre partition, par des personnes à même d’en juger, car, pour moi, je n’ai pu encore l’entendre.

Savez–vous rien de plus agaçant que l’obligation d’échanger des politesses avec quelqu’un d’antipathique? Louis se tenait à quatre pour mesurer ses paroles et répondre convenablement.

Peut–être devinait–il qu’en provoquant la conversation, le fils de l’Excellence n’avait eu pour but que de rompre son tête–à–tête avec Adrienne.

A demi renversé, Rodolphe s’appliquait à ne pas laisser tomber l’entretien, bien que Louis fît des efforts en sens contraire, tantôt en évitant de répliquer, tantôt en lançant une formule qui équivalait à une conclusion.

Mais l’autre le relançait.

Les nerfs de Louis se crispaient, et ce voyage, si bien commencé, devenait un martyre.

Enfin, on arriva.

Il s’était mis à pleuvoir. Toutes les voitures de Compiègne, réquisitionnées pour le service du château, se mêlaient à la sortie de la station. Des employés de toutes sortes, des agents de police, donnaient des indications confuses, et les groupes, traversés par les uns et les autres, formaient un tohu–bohu général, où les appels, les recommandations se confondaient avec le sifflet des machines en manœuvre et le roulement des traîneaux à bagages.

Louis avisa un landau, y conduisit Adrienne et sa mère, puis monta près d’elles et ferma la portière, se séparant ainsi des autres personnes attachées au théâtre.

Sans qu’il eût reçu d’ordres, le conducteur prit le chemin de la résidence impériale.

Au moment de passer le pont de l’Oise, un coupé de maître devança le landau.

Dans ce coupé, deux personnes: Rodolphe et une femme d’une beauté singulière.

C’était la comtesse de Külm; ce coupé lui appartenait.

Si elle se trouvait là, ce n’est pas qu’elle figurât dans la série des invités du château. Mais, Rodolphe, pourvu d’une charge honorifique dans les écuries! était tenu de suivre les chasses, et l’étrangère trouvant à louer, à Compiègne, un hôtel, que des orléanistes, non encore ralliés, désertaient chaque année avec quelque fracas, durant le séjour de l’empereur, elle s’y était installée avec ses équipages et ses gens.

Quand les deux voitures arrivèrent en ligne, madame de Külm se pencha, et jetant un regard dans le landau.

–C’est ça? fit–elle.

On n’entendit pas la réponse de Rodolphe; mais, mus par une inquiétude indéfinissable, Louis et Adrienne se regardèrent en même temps, et, d’un même mouvement, tous deux détournèrent les yeux.

La jeune fille était pâle; Skébel, au contraire, avait un flot de sang au front.

Arrivés dans une cour intérieure du château, les deux jeunes gens durent se séparer.

Adrienne avait à rejoindre ses camarades, et le gouverneur du palais attendait le compositeur dans son appartement.

Sans se rendre compte du sentiment qui le poussait, Louis retint la jeune fille.

–Croyez–vous que j’aie du talent? lui demanda–t–il, d’un ton étrange. Et pensez–vous que je puisse arriver à la fortune?

Elle le regarda, souriante et étonnée.

–Est–ce que vous en doutez? fit–elle.

–Et vous?

–Moi? Non. Pourquoi me demandez–vous cela?

–C’est que la vie théâtrale a des côtés horribles pour les femmes.

–Je m’en aperçois, sans doute; mais…

–Mais, interrompit le jeune homme, si le découragement vous venait, mademoiselle, je vous en prie, avouez– le–moi.

–A vous, monsieur Skébel?

–Vous ne me connaissez pas, c’est vrai, et je n’ai aucun droit de me mêler de votre vie. Cependant, je vous porte le plus grand respect. N’en cherchez pas plus long, et, en telle circonstance que ce soit, vous me ferez honneur en usant de mon dévouement.

Fort intriguée, Adrienne lui tendit la main, un peu émue, comprenant qu’il y avait sous l’enveloppe presque épaisse de ce grand diable de garçon, une extrême sensibilité de cœur et un tact exquis.

Jusqu’où cela pouvait–il aller? Elle ne s’y méprit pas, elle comprit aisément que Louis l’aimait jusqu’à l’épouser, et elle en fut touchée.

La diva

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