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ОглавлениеCHAPITRE 2
Misanthrope - Oliver
Je ne me rappelle plus de la dernière fois que j'ai pu voir un visage. Les traits doux et cruels d'un masque humain. Ça me fait tout drôle.
Voilà qu'aujourd'hui, plusieurs années plus tard, j'en revois un. Je ne saurais identifier ses intentions, bonnes ou mauvaises, mais je sais que l'humanité est la chose la plus facile à perdre. C'est ce qui fait de nous des humains, mais peu de personne savent ce que cela représente vraiment.
Quand j'étais petit, j'avais l'habitude de voler des romans et ils m'expliquaient avec une franchise à toutes épreuves que l'humanité était perdue depuis déjà bien longtemps.
- Tu vis ici ?
Cette langue me paraît lointaine et j'imagine que c'est normal lorsque ça fait une éternité que je ne la pratique plus vraiment. Les mots ont du mal à rouler sur ma langue et glisser sur mes lèvres, mais je les connais. Je le sais, je le sens.
Je hoche la tête.
C'est automatique, mécanique. Je n'ai pas besoin de parler, mon corps peut le faire pour moi. C'est une chose que j'ai appris ici, dans la forêt. Je n'ai pas le besoin d'être comme les autres.
- Ça fait longtemps que tu te caches ici ?
Pourquoi me parle-t-elle ? Pourquoi ne me laisse-t-elle pas ? Je lui ai déjà donné mon nom, ça ne lui suffit pas ? Pourquoi n'ai-je pas résisté à l'approcher ? C'est ma faute.
Je la regarde à nouveau. Sa peau qui semble douce et ses yeux d'un bleu vert très pigmentés me heurtent. Notamment parce que ces deux prunelles ne se ressemblent pas : l'une d'elle est d'un bleu océan profond et l'autre possède des reflets verts cristallins qui font le tour de l'océan. Ses cheveux sont longs, mais moins que les miens et leur couleur rouge brille au soleil. Il est sûr qu'elle n'a rien à voir avec moi. Elle est différente. Ou peut-être est-ce moi qui suis différent ? Je ne sais pas, je ne sais plus.
Ses mains se montrent intactes à la vie, elles sont même d'une clarté trop douteuse. Elles n'ont pas souffert, elles n'ont pas connu la torture des jours qui passent et ceux qui se ressemblent affreusement.
Elle est pure.
- Je te parle, mec.
J'aurais bien aimé lui dire que je ne m'appelle pas « mec » et que je n'ai vraiment pas envie de lui parler. Ni à elle, ni à aucune autre personne de son espèce. C'est fini ça !
Mais, au lieu de ça, je lui tourne le dos avant de m'enfoncer un peu plus dans la forêt.
- Attends ! Tu pourrais me répondre !
Elle continue à jacasser, mais je m'en contre fiche. Je n'ai pas plus de temps à perdre avec elle. Elle incarne tout ce que je ne suis pas, et que je ne serais jamais. J'en mourrais si c'était le cas.
- Hé ! recommence-t-elle en activant le pas.
Je ne veux pas qu'elle me suive ! Pourquoi est-elle si obstinée ?
Je marche, m'éloignant de cette créature que je fuis depuis aussi loin que je m'en souvienne. Mais elle ne comprend pas ; elle m'attrape le bras.
Je me défends ; je ne veux plus qu'on me touche. Ça me dégoûte.
J'arrache mon bras à sa prise et la pousse brusquement en arrière.
Elle me regarde, allongée sur le sol, avec un éclair qui lui traverse les yeux. Je m'efforce de ne pas la violenter, mais c'est quelque chose de plus fort que moi. Je ne supporte plus la sensation de la chair humaine sur ma peau, elle fait partir le peu d'humanité qu'il me reste. Si j'en ai déjà eu un jour.
Je déteste ces vermines.
- Toi, veux quoi ? dis-je avec colère, mais sans cri.
C'est la première fois que je tente de formuler une phrase depuis un long moment. Je suis même surpris d'entendre le son de ma propre voix, qui a changée avec les années qui se sont écoulées. Elle semble plus rocailleuse, plus Homme. Et ça me fait royalement chier.
- Je veux simplement comprendre ce qui t'arrive. Je ne suis pas du genre à sauver les autres, mais je ne peux pas te laisser tout seul dans la forêt. Nu, qui plus est.
Sa tête se penche sur le côté alors qu'elle attend ma réponse.
- Ta bouche… je marque un temps d'arrêt pour chercher mes mots. Elle s'ouvre tout le temps.
Elle aussi s'arrête momentanément avant de plisser les yeux. Apparemment, ce que je viens de lui dire ne lui plaît pas du tout.
- Écoute, Tarzan, je ne vais pas te laisser m'insulter parce que t'es vulnérable ici ! Elle se met debout et me menace de son index. Ton mètre quatre-vingt-dix ne me fait pas peur et si tu veux qu'on se batte, okay. Il suffit de le dire.
Mais d'où elle sort celle-là ? Je dois probablement rêver.
- Toi, va chez toi, je lui dis avant d'à nouveau lui tourner le dos.
- Je ne suis pas d'accord, Tarzan.
Je ferme les yeux et expire lourdement. Les humains sont encore plus lourds que dans mes souvenirs.
- Moi, pas être Tarzan. Moi, être Oliver. Moi, pas vouloir toi.
- Et moi, pas vouloir toi non plus ! Continue-t-elle alors qu'elle s'avance pour se placer devant moi. Ici, ça va devenir mon terrain de jeu et je ne veux en aucun cas de toi pendant que je joue. Alors, soit tu te trouves une maison ailleurs ou je vais devoir te virer d'ici par la force !
Elle plaisante ?
- Ici, ma maison.
Je m'approche d'elle, plus par provocation que par envie et encercle son cou de ma main.
- Ici, ma maison, répété-je avec autorité.
Ses yeux s'accrochent aux miens et ce n'est pas de la peur que je lis dans ses iris, seulement de la détermination. Je n'avais jamais vu un regard pareil.
Je fronce les sourcils.
Elle n'a pas peur de moi, elle disait la vérité. Ou bien est-elle une incroyable menteuse ? Les humains sont prêts à tout pour obtenir ce qu'ils veulent.
- On peut négocier un prix, annonce-t-elle alors que ses doigts tentent de recouvrir les miens.
Sa peau contre la mienne me déstabilise quelques secondes. Personne ne m'a jamais touché comme une sorte de caresse.
Sa paume est lisse et tendre, et cela attire mon attention suffisamment longtemps pour que je relâche l'emprise que j'ai sur elle.
Elle m'en remercie d'un souffle plus prononcé. Ses doigts essaient de décrocher les miens de sa gorge et c'est à ce moment-là que je reviens à la réalité. Mes pupilles se dirigent à nouveau vers les siennes.
- Pas vouloir argent.
- Dis-moi ce que tu veux et je te le donne, Oliver.
Je plisse les yeux parce que c'est la première fois depuis bien longtemps que j'entends mon nom quitter les lèvres de quelqu'un d'autre que moi. Ça sonne bien à travers sa bouche. Ça ne ressemble pas à une insulte.
- Je veux que tu disparaisses, affirmé-je sèchement.
- Ça, je ne peux pas te le donner, mais je te promets que tu ne me verras plus jamais si tu t'en vas ailleurs.
Elle m'énerve et ma patience a des limites.
- Pas avoir de « ailleurs », râlé-je.
- Okay, dit-elle en essayant d'échapper à ma main qui est toujours autour de son cou. Je peux te trouver un hébergement pour quelques mois, le temps que tu te réinsères et que tu te trouves un nouveau chez toi, propose-t-elle.
Je lâche sa gorge et recule de quelques pas. Pourquoi veut-elle que je parte ? Je suis chez moi ici.
- Pas vouloir partir !
Elle avance dans ma direction avec sérénité et calme. Rien ne montre que je la répugne alors que moi j'éprouve toutes sortes de haine envers son espèce.
- Je peux t'offrir bien plus que ce que tu as là. Un lit, de la bonne nourriture, un toit… Qu'est-ce que tu en penses, Oliver ?
Elle a recommencé. Elle a dit mon nom. Encore. Ça me donne un goût amer dans la bouche.
- Tu mens. Pas confiance.
Je la dépasse et tente de la fuir, à nouveau.
- Je te le promets.
Je m'arrête net, parce que ces mots démontrent toute la cruauté de l'espèce humaine. Cela représente tout ce que l'Homme ne sera jamais : fiable et loyale.
Je me retourne avec dégoût et fureur. Je n'aime pas la regarder ; je n'aime pas voir son visage soigné, ses vêtements chics et sa langue trop pendue.
- Je ne t'aime pas, craché-je avec conviction.
Voilà une phrase que je n'écorche pas, que je connais par cœur et qui ne me demande aucune réflexion sur quels mots je dois employer.
Un de ses sourcils se lève. Elle ne comprend pas ce que ma phrase fait là, je le sais, mais, pour moi, elle a du sens.
- Il n'est pas question de sentiment, il s'agit là de négociation.
- Je ne t'aime pas, veux pas te faire confiance ! je répète encore, avec hargne.
- Si ça peut te rassurer, je ne t'aime pas non plus. Je veux pouvoir vendre ma came tranquille, okay ?
Elle s'énerve.
- Came ? demandé-je, sans comprendre.
Mais de quoi elle parle ? Qu'est-ce que c'est ?
- M'en fiche, dis-je finalement.
- Je t'offre un chèque de 10 000 euros pour que tu t'en ailles.
Elle m'achète ? C'est ça qu'elle fait ?
Le pire, c'est que ça me fait réfléchir parce que je n'ai jamais été en possession d'une telle somme et que ça pourrait complètement changer ma vie.
Je pourrais toujours être un marginal, seul, sans humain, même avec cet argent.
- Pourquoi toi faire ça ?
- Parce que je suis riche, que je m'ennuie et que j'ai un tout nouveau business à faire tourner, rajoute-elle en haussant les épaules.
- Comment moi savoir toi pas mentir ?
- Je suis peut-être une droguée, une rebelle et une fille ingrate, mais je suis tout sauf une menteuse. Je tiens toujours parole.
Elle a ce quelque chose dans le regard qui m'empêche de détourner les yeux, et je ne sais pas pourquoi, ni comment elle fait, mais j'ai étrangement envie de la croire.