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ОглавлениеCHAPITRE 4
Avant toi - Oliver
2 jours plus tard...
La nature a toujours été une source d'inspiration pour moi. Elle ne juge pas, ne se braque pas, ne cherche pas à vous nuire. Elle n'est même pas compliquée. Du moins, elle n'essaie pas de l'être. C'est nous qui cherchons la complication. La nature vous accepte tel que vous êtes, sans artifice et avec vos défauts. Elle ne fait pas la différence entre le bon et le mauvais, et vous laisse vous épanouir dans son environnement sans vous demander quoi que ce soit en retour, hormis votre respect.
Elle n'est pas comme l'Homme. Lui, il n'est indulgent avec personne. Il ne vous épargne pas, au contraire, il vous torture. Il est sans cesse dans la demande, la possession, la concurrence et la perversion.
Je suis peut-être un monstre, mais je ne torture personne. Je n'impose pas ma présence et ne revendique pas ma place dans la société.
Je ne prétends pas être meilleur que l'Homme - oh, ça non ! - mais je ne suis pas comme lui. Nous sommes différents.
Je me souviendrais toujours de la première fois que je suis arrivé ici. J'avais peur, j'avais froid ; je tremblais comme une feuille en attendant que quelqu'un veuille assez de moi pour venir me chercher. Je n'avais nulle part où aller et je me sentais si seul que je me suis juste assis pour laisser le temps s'écouler. La nuit avait des yeux qui m'oppressaient et des oreilles qui me rendaient fous. Elle me parlait tout près, d'une toute petite voix qui disait une vérité qui me hantera pour toujours : « Personne ne viendra te chercher. Personne ne t'aime. Tu es un monstre, une bête de foire, alors pourquoi voudrait-on de toi ? ».
Je reviens à la réalité lorsque j'entends les pas d'un animal roder près de moi.
Tout mon corps se redresse, à l'affût du moindre bruit. Je m'accroupis au sol avant de tourner la tête vers la droite aussi brusquement que l'écho de la marche du cerf que je vise. Le gibier est en train de manger sans se préoccuper de ce qui l'entoure.
Grossière erreur.
Je me rapproche doucement, à pas de loup. Il me tourne le dos et je trouve ça tellement naïf que j'aurais presque envie de lui rire au nez.
D'un coup, sans prévenir, sans un bruit, je me jette sur ma proie. Je ne lui laisse pas le temps de me voir venir ou bien de m'échapper, et lui saute à la gorge.
Ses os craquent et il ne me faut pas attendre longtemps avant que sa respiration ne s'affaiblisse et que ses muscles se détendent sous mon emprise. Je savoure ce moment de puissance ; ce moment de silence qui semble durer une éternité. C'est calme, reposant, et même si je sais que c'est mal de prendre une vie, c'est instinctif chez moi.
Je suis inhumain ; je suis un monstre.
~
J'ai longtemps réfléchi à la proposition de la fille aux cheveux rouges. Je n'ai pas vraiment envie de marchander avec elle parce que je ne lui fais pas confiance, mais je ne peux m'empêcher d'imaginer comment serait ma vie si je quittais enfin ces bois. Je suis seul dans ce cocon depuis tellement de temps que je me souviens à peine de la dernière fois où j'ai vu un visage humain, où j'ai pu sentir ses empreintes sur moi.
Je suis assis à la frontière de la forêt, sur un petit rocher et j'ai une imprenable vue sur cette espèce de château. Je sais qu'il s'agit plus d'une villa ou, à la limite, d'une immense maison, mais je trouve que c'est plus drôle de voir cette bâtisse comme un château. C'est stupide parce que tout indique que ce bâtiment est moderne et chic.
Ça change de mon environnement quotidien, ça, c'est clair !
Il y a beaucoup de fenêtres et j'aime penser que ça doit être agréable de se lever pour observer la rosée du matin à travers un angle de vie différent. L'humidité qui se dépose sur les fleurs, sans que nous ne soyons en contact direct avec elle ; une absence de vent qui nous tient en haleine jusqu'à la prochaine brise claquant contre la vitre, le temps qui s'arrête un instant à l'intérieur tandis que la nature s'anime toujours à l'extérieur.
Je suis en train de dérailler. Complètement. Car ce n'est pas la vie que l'on m'a donné, ni celle que je désire. Enfin, je crois. J'ai peur de changer si j'en viens à vivre autrement.
Le point d'eau situé devant la maison attire aussi mon attention. Il y a un petit bassin où l'eau s'écoule en continue dans le grand, et je me demande si l'eau est potable ; s'il y a une possibilité que ce soit de l'eau de source. Comme le ruisseau d'à côté.
Soudainement, je fronce les sourcils. Quelque chose flotte sur l'eau. Ça ressemble à un matelas, ou à une porte, mais la deuxième option me paraît moins probable que la première. Je m'avance un peu, tout en faisant attention à ne pas me faire remarquer. Une masse de la couleur du feu se détache de la noirceur du matelas.
C'est la fille aux cheveux rouges.
Je ne me rappelle plus de son nom. A vrai dire, je ne crois pas l'avoir totalement écouté l'autre jour. J'étais tellement surpris de la voir là, dans mon habitat, dans mon environnement, que je n'ai pas pris soin de me pencher sur son nom.
Je me rapproche encore et constate qu'elle tient quelque chose dans les mains : un livre. Sa couverture est dans des nuances de bleu, de noir et de blanc, et je me demande ce qu'elle lit. Moi aussi j'aimais ça, avant. Même si je lisais les ouvrages en douce et qu'ils n'étaient, de ce fait, pas à moi. Leur passage entre mes paumes, ainsi que leur odeur me permettaient de tenir lorsque je n'avais plus le courage d'affronter la dure réalité.
Je ne me suis aperçu des mètres parcourus uniquement lorsque je me suis trouvé au bord de l'eau, en train de dire :
- Tu lis quoi ?
Elle ne sursaute même pas, comme si elle s'était attendue à me voir arriver à ses côtés. Des lunettes de soleil lui bouffent la moitié du visage et m'empêchent ainsi de déterminer où son regard se pose. Elle ne semble pas décrocher de son livre lorsqu'elle lance :
- Ce ne sont pas tes oignons.
Je soupire parce que cette fille est vraiment exaspérante. Sont-elles toutes comme ça ?
- Toi flotter sur quoi ?
Sa tête se tourne vers moi et même si je n'aperçois pas ses yeux, je sens qu'elle me regarde. Tout mon corps me le dit.
- Tu ne sais pas ce qu'est un matelas gonflable ? T'es sérieux ? Tu viens de quelle planète ?
Je me sens mal à l'aise. Elle est si détachée, et moi si ignorant que ça me fait diriger mon attention sur les bois, de l'autre côté, le plus loin possible de sa personne.
Je ne lui réponds pas. Je ne sais pas quoi lui dire, de toute façon. Elle est si… arrogante.
Elle soupire et se redresse sur son « lit flottant » avant d'enlever ses lunettes. Ses prunelles brillent à la lumière, ils sont d'un bleu/vert si perçant. Le vert cristallin de son œil ressort si puissamment face aux rayons du soleil que je suis légèrement hypnotisé. C'est la deuxième fois que je vois ça. C'est le premier humain que je rencontre à avoir des iris de couleurs différentes. C'est impressionnant et… déroutant.
- On appelle ça un matelas gonflable. C'est du plastique gonflé à l'air. Ça permet de flotter sur l'eau.
Surpris, je me tourne vers elle.
- Depuis quand toi être gentille ?
Je ne suis pas très doué en langage corporel humain, mais je suis sûr d'une chose, c'est un regard noir qu'elle doit me lancer derrière ses lunettes. Je l'ai contrarié, visiblement.
- Alors toi, décidément, je ne t'aime pas du tout !
Je crois que je lui souris et ça me fait tellement bizarre que je m'arrête dès que je sens mes traits se tirer en un rictus.
Sa presque nudité ne me choque pas plus que ça. Moi-même, je le suis et je me sens bien ; je suis au plus près de la nature comme ça. Ainsi, je n'oublie pas d'où je viens. Elle a une peau blanche qui se rapproche de la neige et elle est si lisse qu'elle ressemble à la légèreté d'un flocon. Elle me rappelle tellement Ice.
Je remarque quelques tâches sombres au niveau de sa cuisse et de son poignet, mais je ne m'en préoccupe pas. Je suis moi-même couvert de balafres.
En l'observant encore, je me souviens de la douceur de son visage lorsque mes mains s'étaient portées sur celui-ci et je me demande si le reste de son corps est aussi délicat.
- J'aime bien que toi être presque nue, dis-je avec sincérité.
Elle plisse les yeux ; elle n'est pas choquée, seulement méfiante.
- Tu me dragues là ? Parce que je t'avoue que c'est la première fois qu'on me chauffe comme ça. Tu as la palme de l'originalité, ça, c'est sûr.
Elle rit. Ça fait bien longtemps que je n'ai pas entendu un rire. Je ne crois même pas en avoir déjà entendu un dans ma vie. Je suis abasourdi par ce son, comme piqué. Je crois qu'elle remarque mon blocage car elle referme son livre d'un coup sec et calme son éclat de joie.
- Arrête d'être mal à l'aise, je ne le prends pas mal. Je me sens bien dans mon corps, je n'en ai pas honte.
Pourquoi le couvrir alors ? Pensais-je.
- C'est pas ça… Je… Moi pas avoir habitude de… contact humain. Moi ne pas être à l'aise avec ça. Ça fait longtemps.
Elle me regarde pendant un long moment et le bleu/vert de ses yeux brille davantage encore. Je ne sais pas ce qui lui prend à me fixer ainsi, alors je fronce les sourcils et me demande soudainement à quoi elle pense.
- Aide-moi à sortir du matelas.
Son bouquin en main et ses lunettes à nouveau sur le nez, elle bouge les bras pour se rapprocher du bord. Je ne cherche pas vraiment à comprendre et m'accroupis avant de lui tendre un bras.
Je ne sais tout simplement pas pourquoi je l'aide. Sa main touche la mienne et je ne frémis pas autant que je l'aurais cru. Je ne suis pas trop dégoûté par son contact et j'en suis le premier surpris. Je dois être dans un mauvais jour ; un de ces jours où l'on ne contrôle plus ses émotions, son corps et son esprit. Un jour dangereux.
Je la soulève presque lorsque je la ramène vers moi, et je recule avec rapidité quand je sens son corps se presser involontairement contre le mien.
- Tu peux m'attendre ici ? J'en ai pour une minute.
Pourquoi l'attendrais-je ?
Mais je lui fais signe que oui avec ma tête avant même que je ne m'en rende compte. Cet humain me fait me comporter bizarrement. Cette fille m'horripile, mais je l'écoute ; elle a mon attention et ça m'énerve. Je crois que c'est ma curiosité qui me joue des tours.
En attendant qu'elle revienne, je plonge la main dans l'eau. Elle est tiède, elle n'est pas comme celle du ruisseau, qui, elle, est affreusement froide et est beaucoup plus dynamique. Comment se fait-il qu'il n'y ait pas de point d'origine à cette forme de source ? Ma tête s'incline dans l'incompréhension.
Alors que j'allais poursuivre ma réflexion, la fille aux cheveux rouges réapparaît déjà. Elle ne parle pas et n'est pas dans mon champ de vision, mais je la sens derrière moi, alors je me retourne.
Dans ses bras, il y a des vêtements et je fronce les sourcils.
- S'il te plaît, met ces vêtements. Je ne sais pas s'ils vont t'aller puisqu'ils sont à mon père, mais c'est mieux que rien, dit-elle en me tendant les affaires.
- Pourquoi ? Suis bien comme ça.
Je balaye mon corps des yeux, observe mes ongles jaunis par le temps qui passe, mes cheveux qui atteignent mes reins et ma verge, placée là où j'imagine qu'elle doit être. Je ne vois pas où est le problème.
- Toi, tu es mal à l'aise avec les gens et moi je le suis face à ta nudité, explique-t-elle en mordant sa lèvre inférieure. En fait, non, ça ne me gêne pas ; c'est juste que… ça me perturbe, alors met ça.
Je soupire, ferme les yeux, puis les rouvre en colère. Je n'aime pas que l'on me dise quoi faire, mais quelque chose dans son regard me dit qu'elle ne voit pas ça comme une punition à m'infliger, mais seulement comme une demande sincère. C'est ce qui me convainc d'attraper les vêtements qu'elle me tend. Mon attention se porte directement sur la chemise blanche que j'ai dans les mains. Elle me fait étrangement penser à la couleur de peau de cette fille.
- Maintenant ?
Elle me sourit et roule des yeux.
- Bah non, demain !
- Oh…
- Mais oui maintenant !
Je pose les affaires sur une sorte de chaise un peu longue et m'attèle à ma tâche.
J'enfile un caleçon blanc, suivi d'un jean noir et cette fameuse chemise qui me sert affreusement les bras et les épaules, mais je ne m'en plains pas. Le tissu qui frotte contre ma peau est étonnant. Ça crée une friction dérangeante et agréable à la fois, comme si je l'aimais et la détestais en même temps.
Elle observe chacun de mes mouvements et, pas le moins du monde gêné, je soutiens son regard tout le long. C'est étrange car elle semble à la fois si innocente dans son petit corps et si hargneuse dans son regard. Je ne sais pas qui elle est ou quelle est sa façon de vivre, mais je sais que le feu qui illumine ses pupilles est aussi violent qu'un incendie, aussi vif que la couleur de ses cheveux.
- Voilà qui est mieux, tu ne trouves pas ?
Elle a un air condescendant sur le visage, mais je crois que ce rictus ne la quitte jamais vraiment.
- Peut-être.
- Tiens, prend ça aussi, dit-elle en me tendant le livre qu'elle lisait sur le lit flottant.
Non, le « matelas gonflable », comme elle dit.
Je fixe le bouquin pendant quelques secondes, ne comprenant pas pourquoi elle me fait ce cadeau, en plus des vêtements.
- Pourquoi ?
Elle hausse les épaules, comme si son geste était un acte normal.
- Pour que tu le lises, s'explique-t-elle en se rapprochant encore, jusqu'à ce que le livre touche mon ventre. C'est un « roman de fille » comme dirait Aaron, mais ça te fera passer le temps. En plus, je l'ai déjà lu un million de fois, alors je peux m'en séparer quelque temps.
Mes yeux tombent sur l'ouvrage qu'elle me tend et j'aperçois une couverture sobre avec une femme semblant se trouver dans les nuages et laissant s'en aller un oiseau, le libérant enfin. J'ai du mal à lire le titre, comme une habitude lointaine, perdue, mais je parviens à le déchiffrer au bout de quelques longues secondes.
« Avant toi ». C'est le nom du roman.
- Merci, Flocon, la remercié-je et, sans vraiment réfléchir, je prends le livre et m'éloigne avant de m'attarder sur nos doigts qui se sont malencontreusement frôlés.
Je n'aime vraiment pas le contact humain.