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ОглавлениеCHAPITRE 6
Apprentissage - Oliver
3 semaines plus tard...
Je suis à la dernière ligne du roman que Flocon m'a passé. J'avoue que j'en retire une belle philosophie : le handicape n'est pas une fin en soi, mais il reste un frein à la vie que l'on s'imagine. Parfois, il faut arriver à se réjouir de ce qu'on nous a donné, le chérir, car c'est tout ce que l'on aura jamais.
Perché sur mon rocher habituel, le livre dans les mains, j'observe le château de cette fille. Je fais ça depuis plusieurs jours, voire plusieurs semaines ; je ne sais pas, je ne me rends pas toujours compte du temps qui passe. Elle part toujours tôt le matin et ne rentre pas avant le coucher du soleil. Même plus tard dans la nuit, parfois.
Tous les deux ou trois jours, un garçon la rejoint au crépuscule et repart quelques heures plus tard. Il ne reste jamais très longtemps, tout comme ses parents, d'ailleurs. La plupart du temps, elle semble seule dans sa tour d'ivoire. Une fois, j'ai vu sa mère rentrer et, le soir même, elle s'est disputée avec sa fille. C'est exactement ce que me disait Joe, pour le coup. Elles ont toutes les deux crié très fort et j'ai senti leur animosité jusqu'ici, au loin. Je suis bien placé pour comprendre les relations compliquées, mais être spectateur de cette colère m'a quelque peu désarçonné. J'ai eu la sensation de me voir en elle, face à la fureur de mes parents, mais je n'ai pas osé l'approcher par la suite. Ça amènerait un contact que je ne recherche pas.
La porte-fenêtre de sa chambre s'ouvre tout à coup sur elle, puis elle sort en glissant quelque chose entre ses lèvres et se met à cracher de la fumée. Elle fait souvent ça à la tombée de la nuit, comme une vieille routine. Je ne sais pas trop ce que représente cette fumée, mais elle semble plus détendue quelques minutes après ça. Ça se voit à sa gestuel. Elle est souvent crispée, sur le qui-vive, prête à en découdre, alors j'imagine que c'est devenu un automatisme.
Un garçon s'approche alors d'elle et se place à ses côtés, les bras croisés sur la rambarde. C'est la première fois que je le vois chez elle. Il semble plus petit que le garçon qui vient la voir d'habitude et aussi beaucoup plus bronzé.
Elle lui sourit après quelques échanges, puis se tend et souffle, irritée. Elle pose alors l'objet qui lui fait cracher de la fumée et se met à contempler le paysage.
Je ne sais pas si elle peut me voir, beaucoup d'arbres m'entourent, mais moi je la vois parfaitement depuis ma cachète. Sa chevelure rouge m'apparaît comme du feu avec le peu d'éclairage, alors je ne peux pas la rater. Ce garçon la fait sourire à nouveau et je me dis qu'ils doivent bien s'entendre, de toute évidence.
Ce soir, l'autre garçon va venir la voir, normalement, mais demain soir, j'irai lui rendre visite. J'ai pris ma décision.
J'espère juste ne pas la regretter.
~
- Mon dieu ! hurle-t-elle, la main sur le cœur. Tu m'as fait peur.
Le soleil est couché depuis un bon moment et je suis assis, les pieds dans le point d'eau devant la maison de Flocon, depuis tout aussi longtemps. J'ai même fait l'effort de m'habiller avec les vêtements qu'elle m'a donné pour ne pas la brusquer. Les humains font tellement d'affaires avec ce genre de tradition, alors qu'il n'y a rien de mieux que d'être libre dans ses mouvements et de pouvoir sentir l'air caresser nos membres.
- Il faut absolument que tu bouges de là ! Mon père rentre ce soir de son voyage d'affaires et ma mère ne va pas tarder à arriver non plus. Il ne faut pas qu'ils te voient là, dit-elle précipitamment, un sac pendant à l'une de ses épaules.
Je me lève, m'approche doucement d'elle et lui tend le livre qu'elle m'a prêté en veillant, cette fois, à n'établir aucun contact physique entre nous.
- J'accepte.
Elle me prend le livre des mains avant de me regarder dans les yeux. Elle fronce les sourcils, comme si elle ne comprenait pas vraiment ce qui se passait.
- L'argent, m'expliqué-je.
- Oh… D'accord.
Un petit sourire vient naître au coin de ses lèvres et je sais pourquoi. Elle se dit qu'elle a gagné, qu'elle a eu ce qu'elle voulait.
- Me fais pas regretter, Flocon.
Ma voix se veut ferme et distante afin de bien me faire comprendre. Je n'aimerais pas lui faire du mal, mais je ne veux pas être pris pour un con non plus. Hors de question, c'est fini ça !
Elle ouvre la bouche pour me répondre, mais elle se fait couper par le vacarme d'une voiture.
- C'est mon père. Suis-moi, murmure-t-elle en choppant mon bras.
Elle se met à courir vers la porte d'entrée et je la suis sans résister. N'ai-je pas pris ma décision ?
Devant la porte, il y a un genre de boitier avec des chiffres et elle compose rapidement un numéro, puis m'attire dans la maison. Il fait noir et je ne vois pas grand-chose. Je me sens aveugle et totalement en terrain inconnu. Je n'ai d'autre choix que de lui faire confiance pour ne pas trébucher, et ça me fait royalement chier. En plus, je ne voulais plus avoir de contact physique avec elle ou n'importe quel autre humain, mais sa main est dans la mienne pour me guider à travers la maison, et je suis obligé de prendre une grande inspiration pour ne pas la repousser.
On monte des escaliers, juste éclairés par la lumière naturelle du Soleil qui nous quitte, passant à travers une fenêtre. Je manque par trois fois de tomber à la renverse. Elle me fait entrer dans une chambre que j'imagine être la sienne puisque des tonnes de vêtements jonchent le sol et que le lit est complètement en vrac.
Elle ne range jamais ? On m'aurait tué pour un désordre pareil !
Elle se dirige alors vers son balcon, ouvre la porte-fenêtre et me fait sortir de la chambre.
- Reste-là et, s'il te plait, ne fais aucun bruit, me chuchote-t-elle, mais avant qu'elle ne referme la porte sur moi, je la rattrape par le bras.
- M'enferme pas.
Encore une fois, elle fronce les sourcils.
- Je ne compte pas t'enfermer. Pourquoi je…
- Rose ! se fait-elle couper par une voix profondément masculine.
Rose… ça me revient ! Flocon s'appelle Rose.
- Reste-là, insiste-t-elle une dernière fois, mais je ne la lâche pas.
- Suis capable de sauter, Rose, dis-je en soulignant volontairement son prénom pour qu'elle me prenne au sérieux.
- Je reviendrai te chercher.
- Rose !
La voix insiste et elle se tend à mesure qu'elle se rapproche.
- J'ai déjà entendu ça.
Je ne peux pas m'en empêcher, j'ai la boule au ventre à l'idée qu'elle ne tienne pas parole et qu'elle me laisse là. Même si je pourrais m'échapper, je ne supporte pas l'idée qu'elle puisse me mentir, essayer de me duper, de me tromper.
- Je reviendrai, promit-elle avant de refermer la porte-fenêtre et de tirer les rideaux. Ils sont étrangement opaques et la petite lumière qu'elle vient d'allumer ne me permet pas de voir à l'intérieur. Je vois à peine quelques formes, mais ça reste très flou.
- Rose, putain !
L'homme hurle à s'égosiller la voix et je me rappelle que son père ne doit pas me voir. Je décide alors de m'accroupir dans un angle du balcon où je suis certain qu'il ne me verra pas. J'ai passé toute ma vie à essayer de ne pas me faire remarquer, alors je suis passé maître dans l'art de me camoufler.
- Je suis là, dans ma chambre.
Je l'entends crier en retour pour lui signaler sa présence. Sa voix est inconfortable, quelque chose ne va pas.
Une porte s'ouvre à la volée et un silence pesant s'installe. Joe m'a expliqué comment, dans une famille dite « normale », les parents se comportent avec leurs enfants. Je m'attends alors à ce qu'il la prenne dans ses bras, et c'est ce qu'il est probablement en train de faire durant ce long silence.
- Un de tes profs m'a appelé dans la semaine, et tu veux savoir ce qu'il m'a dit ?
L'homme emploie un ton dur, intransigeant et je me demande s'il la vraiment prise dans ses bras quelques secondes plus tôt.
Flocon reste silencieuse, ce que je trouve bizarre puisqu'elle semble être le genre de personne à avoir toujours quelque chose à dire.
- Tu n'as toujours pas la moyenne.
Il ne crie pas, mais je sens son agressivité jusqu'ici.
- Les études de droit sont difficiles, tu le sais mieux que personne, finit-elle par répondre.
- On est avocats de père en fils depuis des années, donc ne me fais pas ce coup-là, Rose.
- Je ne fais aucun coup ! J'essaie juste de te faire comprendre que je n'y arrive pas.
Sa voix commence à être tremblante et je ne sais pas si cela vient d'une colère refoulée ou de sa peine à exprimer ses faiblesses devant son père.
- Tu te fous de ma gueule ? Tu passes ton temps à fumer et à te la couler douce avec ton imbécile de copain. Si tu passais moins de temps à te frotter à lui comme une putain en chaleur et plus avec tes bouquins, nous n'en serions pas là. Ta mère m'a dit qu'il était venu sous mon toit et je n'aime pas ça.
- J'essaie, mais le droit, ce n'est pas mon truc. Ça a toujours été le tien, et tu le sais.
- Arrête ! Tu feras du droit et ça ne sera pas autrement ; tu n'as pas ton mot à dire. C'est important pour que tu prennes la suite de ma société. Je ne la laisserai pas finir entre les mains d'une autre famille d'avocats plus fourbes les uns que les autres.
- La plupart des avocats sont fourbes.
- Ça veut dire quoi ça ? Tu traites ton père de malhonnête ? Mais quand est-ce que tu vas arrêter de me prendre pour un con ?
- Tu n'as pas besoin de moi pour être con, répond-elle finalement avec colère.
Quelque chose se brise à l'intérieur, comme si du verre était tombé au sol. Quelques secondes s'écoulent dans un silence absolu avant que la voix masculine reprenne en disant sèchement :
- Ramasse ça.
Une porte claque et la tranquillité de la nuit s'installe à nouveau. C'est là que la porte-fenêtre s'ouvre, mais Flocon ne me rejoint pas sur le balcon.
Je me lève alors et rentre à nouveau dans sa chambre. Il n'y a plus aucune lumière puisque la lampe se trouve au sol, éparpillée en une dizaine de morceaux. Rose est agenouillée, dos à moi, en train de ramasser les dégâts et c'est en m'approchant d'elle que je remarque le sang qui s'échappe de sa main.
Je ferme les yeux le temps d'un instant, l'instant dont j'ai besoin pour éviter de penser, de réfléchir trop. J'inspire profondément, puis attrape gentiment son bras pour la faire se lever. Elle résiste, mais je la force à se relever, la portant presque et, lorsqu'elle se retrouve face à moi, j'ai à peine le temps de voir la larme qui coule sur sa joue, qu'elle l'efface, comme si elle n'avait jamais existé. Ça fait une éternité que je n'ai pas pleuré. L'envie ne m'a jamais manqué, mais, parfois, on se résigne à se dire que ça ne résoudra rien et que ça n'arrange pas non plus la situation.
Mes yeux tombent sur sa main que j'inspecte d'aussi loin que possible. C'est l'intérieur de sa paume qui a été meurtri et je pense que, malgré le sang abondant qui s'en écoule, sa blessure n'est pas grave.
- Tu vas guérir, lui dis-je doucement pour que son père ne m'entende pas.
- Je sais, je ne suis pas stupide, répond-elle sur la défensive.
Okay, elle est en colère. Je peux le comprendre.
- Met de l'eau et alcool, continué-je.
- Ça aussi je le sais, Einstein !
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas où elle veut en venir. Et qu'est-ce que c'est que ce Einstein ?
- Laisse tomber, soupire-t-elle avant de commencer à se pencher pour reprendre sa tâche.
- Laisse. Je suis plus fort.
Je m'agenouille et rassemble les morceaux de verre en un petit tas.
- C'est profondément sexiste ce que tu dis là. Je peux le faire, je ne suis pas faible.
- J'ai pas dit ça. Tu es blessée.
Elle met quelques secondes à me répondre.
- Tu parles mieux, change-t-elle de sujet.
Elle ne me voit pas, mais un petit sourire fait son apparition sur mon visage. Je suis contente qu'elle l'ait remarqué. Je me suis entraîné parce que j'ai horreur d'avoir l'air d'un idiot et, vu qu'elle est si arrogante, je veux pouvoir rétorquer quelque chose d'intelligent.
- Le temps que je rassemble l'argent, il faut que tu te trouves un boulot pour t'insérer dans la civilisation.
- Un quoi ? dis-je alors que je me redresse, ma tâche accomplie.
- Un boulot, un travail quoi.
- J'ai compris, mais comment ? Je ne sais pas… tu vois ?
Un soupir s'échappe de ses lèvres ; j'ai l'impression de l'agacer.
- Je vais t'aider avec ça, mais, en attendant, il faut que tu me promettes d'être vraiment silencieux sur tout ça.
- D'accord.
- Alors nous avons un marché.
Elle me tend sa main valide et je la regarde bizarrement. Pourquoi me tend-t-elle sa main ?
- C'est une sorte de tradition pour dire qu'on a conclu un pacte, ou pour dire bonjour et au revoir, m'explique-t-elle.
- Oh, d'accord.
Je lui serre la main et une petite voix dans ma tête me susurre que je ne suis pas sûr de ce que je conclus vraiment.