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III

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Blanche Lambart avait bien deviné: Mrs Smithers et sa fille étaient des âmes naïves.

La jeune Catherine, surtout, ne demandait qu’à s’amuser, sans viser un bonheur plus stable. Elle voulait aller aux courses, au théâtre, montrer ses jolies toilettes dans les sauteries de la «colonie américaine», et faire connaissance avec le plus grand nombre possible de valseurs. Mrs Smithers, cependant, rêvait déjà pour sa fille l’inévitable mariage ducal. Mais elle comprenait bien qu’elle ne saurait comment s’y prendre toute seule pour réaliser ses aspirations. Tout de suite conquise par le charme de miss Lambart, elle confia à celle-ci le soin de lui organiser une existence en rapport avec ses visées mondaines. La jeune fille s’associa avec Le Fanois pour cette entreprise, et à eux deux ils eurent vite installé Mrs Smithers dans l’hôtel du ci-devant ami de Le Fanois, dont celui-ci avait lui-même aménagé l’intérieur. Puis on organisa une brillante série de dîners et de bals, où les amis de Le Fanois se retrouvèrent avec un plaisir qu’ils oublièrent quelquefois de témoigner à la maîtresse de maison. Cependant, la jeune Catherine fut remarquée. Malgré sa démarche brusque, sa voix nasillarde, son rire assourdissant, il y avait en elle une fraîcheur, un éclat de vie et de jeunesse, qui faisaient excuser son manque d’éducation sociale. C’était une «bonne fille», et on lui savait gré de sa naïveté et de son humeur joviale.

—On en a tant vu, de ces intrigantes souples et adroites que vous nous envoyez de là-bas, dit Le Fanois à Blanche, avec son sourire moqueur. Cette enfant nous repose un peu de ces physionomies-là. Je crois que ses défauts mêmes nous aideront à la caser.

Ils étaient assis auprès de la table à thé du minuscule salon de miss Lambart. Depuis deux ans, elle avait pu s’installer à un cinquième étage, dans un modeste appartement où elle recevait ses visiteurs avec l’indépendance d’une femme mariée.

—Que voulez-vous? disait-elle, je n’ai de quoi me payer ni un mari ni une dame de compagnie; il faut bien que je réunisse toutes ces fonctions dans ma seule personne.

Elle répondit par un sourire à la légère impertinence du jeune homme.

—J’avoue, dit-elle, que les compatriotes que nous vous envoyons ne donnent pas toujours l’exemple de la fierté démocratique. Mais ne valent-elles pas les maris que vous avez si peu de peine à leur trouver?

Il ne répondit pas, et elle reprit:

—Je ne sais pas si nous trouverons si facilement à caser la petite Catherine. Je partage votre avis sur elle, et pour rien au monde je ne voudrais qu’elle fût mal mariée.

Le Fanois réfléchit un instant; puis il dit:

—Que diriez-vous de Jean de Sestre?

Elle sursauta.

—Comment? Le jeune prince? C’est l’aîné de la famille, n’est-ce pas? Il sera duc de Sestre?

—Parfaitement.

—Et vous croyez?...

—Je le crois sincèrement épris de la charmante Catherine, et je ne vois aucune difficulté à obtenir le consentement de ses parents.

Elle le regardait toujours d’un œil ébloui.

—Mais c’est ce qui s’appelle vraiment un grand mariage! dit-elle. Et c’est un brave garçon, n’est-ce pas?

—Ce n’est pas un génie; mais je crois qu’il sera un mari modèle, auquel vous pourrez confier votre protégée sans crainte.

Miss Lambart parut réfléchir profondément; puis elle se leva en soupirant et fit quelques pas dans le petit salon.

—Qu’avez-vous, chère camarade? demanda le jeune homme, en renversant la tête contre le dos de son fauteuil afin de suivre des yeux les mouvements souples et gracieux de la jeune fille.

Elle revint vers lui et s’appuya contre la cheminée.

—J’ai... j’ai que je pense une fois de plus au pouvoir effrayant de l’argent. Réflexion frappante, n’est-ce pas? Mais enfin, quand je songe à cette petite, qui a bon cœur, j’en conviens, mais qui n’a, en somme, ni beauté, ni esprit, ni imagination, ni charme, et qui, malgré cela, n’a qu’à étendre sa main—cette grosse patte rouge et épaisse!—pour cueillir un beau nom, une belle situation et le cœur d’un honnête garçon!

Le Fanois la fixait toujours, avec cette lueur indéfinissable qui lui venait quelquefois aux yeux en la regardant.

—Tandis que vous, ma pauvre amie, qui avez tout cela...

—Ah! taisez-vous! interrompit-elle.

Une vive rougeur lui monta jusqu’aux tempes, et elle alla brusquement reprendre sa place derrière la table à thé.

Le Fanois haussa les épaules.

—Je croyais que nous avions notre franc parler.

Elle eut un sourire plein d’amertume.

—Eh bien, oui, soit! Je suis lasse, lasse. J’ai trop vécu parmi les riches et les heureux, j’ai le besoin de l’argent dans le sang... Et dire qu’il faudra recommencer, lutter encore! Catherine une fois mariée, Mrs Smithers rentrera probablement en Amérique pour faire la conquête de New-York. Sinon, la situation de sa fille lui permettra de se passer de mes services.—Elle éclata d’un rire ironique.—Ah! j’en ai assez, allez!

Le Fanois la regarda un instant avec une nuance de tristesse; puis il reprit d’un ton gouailleur:

—Enfin, cette fois-ci, on vous dotera peut-être, et je vous trouverai un beau parti.

Ils se regardèrent de nouveau; puis elle dit en souriant:

—Ah! la dot... la dot rêvée! Combien me faudrait-il, croyez-vous, pour trouver un parti convenable?

Il semblait réfléchir.

—Un parti convenable? Pour soixante mille francs de rente, je m’engage à vous trouver un homme qui vous adore.

Elle rougit légèrement, avec un petit ricanement incrédule.

—Un homme qui m’adore? En existe-t-il?

Trust me! dit-il en se levant; et en attendant, il est bien convenu, n’est-ce pas, que vous tâterez Mrs Smithers, tandis que moi, je m’occuperai des Sestre? Je crois que l’affaire est bouclée.

Les metteurs en scène

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