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III
LE TRÉSOR

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Table des matières

L’auberge du Grand-Cerf était très fréquentée à l’époque où les rouliers, qui se rendaient du Limousin dans l’Angoumois et la Saintonge y faisaient halte avec leurs chariots chargés de marchandises. Mais, depuis qu’une voie ferrée traversait le pays, le roulage avait cessé, en même temps que les piétons et les cavaliers étaient devenus rares. Les propriétaires du Grand-Cerf, jouissant d’une certaine aisance, n’avaient pas voulu fermer la maison; toutefois, nul n’ignorait que c’était surtout par gloriole qu’ils laissaient en place l’enseigne, si connue jadis des voyageurs.

Bailleul et son équipage ne pouvaient manquer d’être accueillis avec empressement en pareil lieu. Mme Labiche elle-même vint sur le seuil de la porte recevoir l’oncle et la nièce, dès qu’ils eurent mis pied à terre. C’était une femme d’une cinquantaine d’années, grande, robuste, à figure austère. Avec sa coiffe de linge, dont –les barbes en mousseline étaient relevées sur le front, avec le tablier en cotonnade bleue à bavette, qui emprisonnait sa taille osseuse, et qui était décoré, d’un côté, par des ciseaux à longue chaîne d’argent, de l’autre, par un énorme trousseau de clefs, elle représentait parfaitement le type des hôtesses d’autrefois dans les provinces du Centre.

Pendant qu’un valet, sous la surveillance de Bailleul, conduisait le cheval à l’écurie et remisait la voiture, la bonne femme s’empara de Louise et l’installa dans une chambre, plus confortable que luxueuse, au premier étage. Elle demanda si, en attendant le dîner qu’on allait préparer, la voyageuse ne voulait pas prendre «quelque chose».

Mlle Bailleul répliqua avec distraction que, peu d’instants auparavant, son oncle et elle avaient accepté des rafraîchissements chez les MM. de Beauregard.

Mme Labiche fit un geste d’étonnement.

–Hein n! quoi! s’écria-t-elle, vous revenez du Pigeonnier, comme on appelle leur domaine, et vous vous êtes arrêtés chez les Beauregard? Vous les connaissez donc?

Louise expliqua en peu de mots par suite de quelles circonstances son oncle et elle avaient fait halte à cette habitation.

–Ah! reprit l’hôtelière avec intérêt, le vicomte Amédée, l’officier, est donc arrivé? On l’attendait pour l’enterrement de sa mère… A la vérité, la pauvre dame est morte si promptement… N’importe, le retour du vicomte Amédée va faire du bruit quelque part.

Elle s’interrompit et secoua la tête. Louise n’osa s’informer du motif de cette réticence et demanda si la famille de Beauregard était établie depuis longtemps dans le pays.

–Oui, oui, mademoiselle; ce sont de braves gens, quoiqu’ils soient aussi fiers que pauvres. Leur père, le mari de la dame qu’on vient d’enterrer, avait de la fortune autrefois, mais il la perdit on ne sait comment, et ne tarda pas à mourir de chagrin. La comtesse demeura seule avec ses trois enfants, et il ne leur restait, pour tout bien, que ce chétif domaine du Pigeonnier, où ils ne venaient guère alors qu’ils avaient des propriétés bien plus belles. On se demandait comment ils allaient s’arranger pour vivre avec un si misérable revenu. Il arriva ce que personne n’aurait pu prévoir: on renvoya les métayers du Pigeonnier, et le comte Jean-Baptiste vint s’y établir avec sa mère et sa sœur, alors toute petite, pour faire valoir le domaine. Pendant ce temps, le second fils, le vicomte Amédée, poursuivait ses études au collège, était admis à l’école militaire et nommé officier. Tous les autres se saignaient des quatre veines et supportaient les plus dures privations, afin de subvenir à ses dépenses…

–Mais c’est très beau cela! s’écria Louise enthousiasmée; voilà donc pourquoi j’ai entendu M. Amédée dire que Jean-Baptiste était son bienfaiteur, et Jean-Baptiste se vanter de n’être qu’un paysan…

–Paysan! c’est bien vrai, mademoiselle. Il travaille comme le dernier laboureur et c’est lui qui, avec un valet et une servante, cultive le domaine. Ensuite, la petite demoiselle Mariette ne s’épargne guère, quoiqu’elle sache la lecture, l’écriture, le calcul et toutes sortes d’autres belles choses que sa mère lui a apprises. Elle mène la maison, met vaillamment la main à l’ouvrage. N’ai-je pas vu aussi Mme la comtesse, la mère, quand la fenaison et la moisson pressaient, aller dans les champs, un chapeau de paille sur la tête, armée d’une fourche ou d’une faucille? Et c’était d’un bon exemple pour les fainéants et les fainéantes!

–Encore une fois, tout ceci est fort beau, répliqua Louise. Je regrette de n’avoir pas connu plus tôt ces détails pour témoigner à cette famille l’estime et la sympathie qu’elle m’inspire.

–Il faudrait bien vous garder de cela, ma bonne demoiselle. Ils s’offenseraient si vous leur montriez de la pitié. Toujours disposés à rendre des services aux autres, ils n’en demandent pas et n’en acceptent de personne… Allez, allez! il a dû y avoir de rudes moments à passer dans cette maison! Mais jamais on ne l’a su et jamais ils n’ont fait entendre un mot de plainte.

La nièce du brocanteur était émue jusqu’aux larmes. Elle comprenait à cette heure beaucoup de choses qui l’avaient frappée dans sa visite au Pigeonnier, et s’expliquait notamment pourquoi l’officier n’avait pas trop cherché une voiture à la station du chemin de fer.

Bailleul rentra d’un air affairé. Sans s’occuper de sa nièce, il demanda à Mme Labiche un marteau et des tenailles, dont il avait besoin pour réparer quelque chose dans sa voiture.

–Je vais vous donner ça, monsieur le voyageur, répondit l’hôtesse avec empressement; vous me retrouverez dans le vestibule.

Et elle sortit. Bailleul voulur la suivre.

–Qu’avez-vous à faire, mon oncle? dit Louise; restez donc, je vous conterai ce que je viens d’apprendre au sujet.

–C’est bon: tu me conteras cela plus tard. J’ai quelques coups de marteaux à donner.

Et il sortit, à son tour, précipitamment.

Louise s’approcha de la fenêtre de sa chambre. De cette fenêtre, on avait une jolie vue sur la campagne et sur le jardin de l’auberge. Il ne pleuvait plus, mais le paysage mouillé brillait des couleurs les plus vives, sous les rayons obliques du soleil à son déclin. Dans la cour voisine, poules, dindons, canards s’ébattaient avec toutes sortes de cris joyeux, qui devaient particulièrement réjouir une Parisienne.

Louise pourtant n’accorda qu’une attention distraite à ces détails rustiques. Elle s’inquiétait uniquement de son oncle, dont le marteau résonnait en bas. N’y tenant plus, elle descendit, passa devant la cuisine, où Mme Labiche surveillait avec ses servantes les apprêts du diner, et, après avoir traversé la cour, pénétra dans la remise, où le bruit du marteau venait tout à coup de cesser.

Elle trouva Bailleul devant le meuble d’ébène qu’il avait retiré de la carriole. Sans doute son intention était d’y faire quelque réparation; mais il avait si mal réussi, que plusieurs planches sculptées étaient éparses à ses pieds. Cependant, il paraissait en extase; et, absorbé par sa contemplation, il n’avait pas entendu la jeune fille s’approcher de lui.

–Que faites-vous, oncle Bailleul? demanda-t-elle; bon Dieu! avez-vous donc mis en pièces ce beau secrétaire, auquel vous attachiez tant de prix?

Le brocanteur, à la voix de sa nièce, avait tressailli et s’était redressé comme pour se mettre en défense. Faisant face à Louise, il l’empêcha de voir exactement la besogne dont il s’occupait.

–Bah! répliqua-t-il avec un embarras visible, mon ébéniste à Paris démolira complètement le meuble quand il s’agira de le remettre en état… Et toi, que viens-tu faire ici, petite? Tu sais que je n’aime pas à être dérangé. Remonte dans ta chambre; je te rejoindrai bientôt.

Louise n’obéit pas; au contraire, avec une sorte d’espièglerie, elle se pencha pour mieux voir, en disant:

–Je parie, mon oncle, que vous cherchez encore une cachette dans ce vieux secrétaire… et, bonté divine! ajouta-t-elle aussitôt, je crois que vous l’avez trouvée!

Le panneau supérieur du meuble ayant été enlevé, elle venait de remarquer, en effet, une cavité nouvelle, encore mieux cachée que la première. Bailleul en avait extrait un grand portefeuille en chagrin noir, dont il explorait le contenu lorsqu’il avait été dérangé par Louise. Or, le portefeuille ouvert permettait d’entrevoir des liasses d’un papier fin et soyeux, quoique jauni par le temps, qui devaient être des billets de banque.

Bailleul n’essaya pas de nier, mais il dit à sa nièce, avec une dureté à laquelle il ne l’avait pas habituée:

–Tais-toi… Tais-toi donc, sotte! Est-il besoin d’apprendre à tout le monde… Je te le répète, remonte dans ta chambre et ne t’inquiète pas de ce qui ne saurait te regarder!

Louise était trop surexcitée pour tenir compte de cette colère.

–C’est la fortune du marquis de Florac, n’est-ce pas? reprit-elle, et vous avez découvert enfin la véritable cachette?. Quelle joie ce sera pour ces braves gens!

–Ce que j’ai découvert n’appartient qu’à moi, répliqua Bailleul. Si tu dis un mot de tout ceci, je t’en ferai repentir.

La jeune fille le regarda avec un étonnement douloureux.

–Quoi! mon oncle, demanda-t-elle, vous auriez l’intention de vous approprier…

–Veux-tu bien te taire? Mille diables! ne t’ai-je pas commandé de remonter dans ta chambre?

Habituellement, Louise ne s’effrayait pas trop des excès de vivacité de son oncle; mais, cette fois, il avait un ton si impérieux, si menaçant, qu’elle n’osa souffler mot et s’enfuit toute tremblante.

Elle se réfugia dans sa chambre et se mit à pleurer. Jamais Bailleul ne l’avait traitée ainsi. Il resta encore plus d’un quart d’heure absent, et quand il rentra, en dissimulant quelque chose sous son ample redingote, Louise ne lui adressa pas la parole. Le brocanteur, après avoir renfermé ce qu’il apportait dans une commode, dont il retira la clef, vint s’asseoir auprès de sa nièce. Elle ne releva pas la tête et continua de pleurer en silence.

Bailleul, fort mal à l’aise, croisait et décroisait machinalement ses jambes. Enfin, il dit d’un ton doux, presque humble:

–Voyons, mignonne, je t’ai causé de la peine. Pardonne-moi ma brusquerie… Aussi, pourquoi vas-tu te mêler d’affaires qui doivent être indifférentes aux petites filles telles que toi?

–Mon oncle, répliqua Louise en s’essuyant les yeux, je ne pourrai jamais m’habituer à certaines choses… Je vous prie de me ramener à Paris, ou du moins de me conduire jusqu’à une station du chemin de fer… Je retournerai auprès de ma tante et vous pourrez agir en toute liberté.

Bailleul s’agita sur sa chaise.

–Que de bruit, reprit-il, parce que je ne veux pas me dessaisir de mon bien! Les aubaines, dans le commerce, ne sont déjà pas si communes qu’il faille les repousser quand elles se présentent!… Écoute, Louise, ajouta-t-il en baissant la voix; nous comptons, ta tante et moi, te marier dans quelques années, et nous nous occupons de t’amasser une dot… Ce que je viens de découvrir sera joint à cette dot, et, ma foi! la somme est assez ronde.

–A combien monte-t-elle, oncle Bailleul? demanda Louise d’un ton câlin, où il n’y avait plus ni aigreur ni reproche.

–Ah! ah! tu commences à devenir raisonnable!… Le portefeuille contient, outre certains vieux titres dont je ne peux apprécier l’importance, soixante billets de mille francs de la Banque de France sous Charles X et Louis-Philippe. La date de ces billets est déjà ancienne, comme tu vois; mais ils sont parfaitement conservés, et seront exactement payés par la Banque, à Paris.

–Moi, dit résolument Louise, je n’en veux pas et je vous supplie de les rendre à leurs véritables propriétaires.

–Comment! tu reviens encore… Le véritable propriétaire, c’est moi, petite, et je n’en démordrai pas. J’ai consenti, quand ces Beauregard étaient présents, à faire l’abandon de mes droits au sujet des bijoux, quoique j’en pusse, selon l’usage, réclamer la moitié; mais, cette fois, je ne veux partager avec personne.

–Permettez-moi de vous dire, mon oncle, que ce serait une indignité dont je vous crois incapable… Vous reconnaissez vous-même que la famille Beauregard pourrait tout au moins réclamer la moitié du trésor découvert dans le vieux meuble…

–C’est possible, mais il faudrait ébruiter l’affaire, et il en résulterait un procès. J’aime mieux tout garder; ce sont les petits profits de ma profession.

Le brocanteur avait repris son ton sec et péremptoire. Louise, qui avait la constance et la ténacité d’une enfant, allait insister, quand une servante annonça que le dîner était servi dans la salle à manger du rez-de-chaussée.

L’oncle et la nièce se hâtèrent de descendre et se mirent à table; mais l’une et l’autre ne firent pas grand honneur au dîner. Pas une parole ne fut échangée entre eux. Le repas fini, comme Bailleul se mettait en devoir d’allumer une pipe d’écume qu’il avait tirée de sa poche, on entendit un bruit de voix dans la vaste cuisine qui précédait la salle, et Mme Labiche vint avertir le brocanteur que «les messieurs de Beauregard» demandaient à lui parler.

Bailleul ne put retenir un geste d’inquiétude.

–Que diable me veulent-ils à présent? murmura-t-il; mais c’est juste, ajouta-t-il aussitôt; le militaire m’a promis des renseignements sur les habitations du voisinage où j’aurais la chance de conclure quelques marchés.

–Mon oncle, dit Louise tout bas, vous ne pouvez vous dispenser de les recevoir… Et, je vous en conjure, n’oubliez pas les devoirs que Dieu et l’honneur vous imposent!

Le brocanteur n’eut pas le temps de répondre; Amédée et Jean-Baptiste, sans attendre d’être introduits, pénétraient dans la salle.

Le brocanteur

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