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VI
LE GUET-APENS

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Table des matières

A la suite de sa mésaventure, Bailleul semblait un peu penaud et osait à peine regarder sa nièce. Mais Louise était trop bonne, elle avait elle-même trop conscience d’un tort récent, pour railler le pauvre brocanteur. D’autre part, elle était toujours en proie à une sorte de tristesse et parlait à peine.

Les opérations commerciales de la journée ne furent pas de nature à consoler Bailleul de sa disgrâce. D’après une liste qu’il devait à la complaisance d’Amédée de Beauregard, il parcourut plusieurs villages; mais, dans toutes ces stations, il ne fit que des acquisitions insignifiantes, quelques lambeaux de tapisseries, des faïences ébréchées. Aussi, lorsque, vers le soir, on quitta la dernière de ces stations, disait-il à sa nièce d’un ton de mauvaise humeur:

–Un jour malencontreux, petite! Il a mal commencé; pourvu qu’il ne finisse pas plus mal encore!… Voyons un peu où nous sommes.

Il tira d’une poche de la voiture une carte détaillée du département et l’examina avec attention.

–Croirais-tu, mignonne, reprit-il bientôt, que nous ne nous trouvons guère ici à plus d’une lieue de Saint-Amand, où nous avons couché la nuit dernière? Depuis ce matin, nous avons constamment tourné autour de ce village, et la grande route, que nous ne tarderons pas à rejoindre, peut nous y conduire en une heure… Que dirais-tu si nous allions encore dîner et coucher chez notre hôtesse, Mme Labiche?

–Est-il possible, mon oncle? demanda Louise, qui se redressa vivement, et dont les yeux brillèrent.

–Juges-en par toi-même.

Louise s’empressa de vérifier le fait.

–Eh bien! dit-elle en essayant de dissimuler le tremblement de sa voix, rien ne s’oppose à ce que nous nous rendions à Saint-Amand, car aussi bien la nuit approche… Ne vous semble-t-il pas que nous devrons aussi passer devant le domaine du Pigeonnier?

–Oui; mais on n’a plus rien à nous vendre par là… En route donc! Nous ferons un bon souper chez la mère Labiche; demain matin, nous poursuivrons notre voyage.

Et on partit vivement, afin de gagner la grande route.

De ce moment, Louise, qui pendant toute la journée avait été pensive et taciturne, redevint gaie. Elle ne cessait de babiller et de rire, à la grande satisfaction de son oncle, qui ne pouvait comprendre ce changement d’humeur.

Il eût été sage, toutefois, de prendre garde aux difficultés du chemin de petite vicinalité, montueux, étroit, sillonné d’ornières, où l’on venait de s’engager. Tantôt il s’enfonçait entre deux talus surmontés de haies épineuses, tantôt il s’épandait dans des marécages ou au milieu de chataigneraies hérissées d’énormes racines. Les cahots ne tardèrent pas à devenir assez forts pour obliger les voyageurs de se cramponner aux banquettes; souvent la pauvre jument, malgré sa bonne volonté, avait toutes les peines du monde à franchir les mauvais pas. Pour comble de malheur, le soleil se couchait et, dans certains bas-fonds boisés, l’obscurité était déjà sensible.

Rien n’annonçait les approches de la route que l’on avait crue si voisine. On n’apercevait non plus aucune habitation, et, depuis le dernier village, on n’avait rencontré aucun être humain. Bailleul, qui ne brillait pas par la patience, jurait entre ses dents, tandis que Louise, fidèle à son optimisme de fraiche date, continuait de rire, et les embarras, peut-être les dangers du voyage ne pouvaient altérer sa bonne humeur.

La voiture finit par pénétrer dans une espèce de gorge, qui se rétrécissait de plus en plus et se glissait entre de hautes roches couvertes d’arbustes sauvages. Cette gorge était ténébreuse, et, avant de s’y enfoncer, la jument renâcla en dressant les oreilles. Comme Louise cherchait la cause de cet effroi, un cri d’un caractère bizarre se fit entendre à quelque distance. En levant les yeux, elle remarqua, au sommet d’une des roches qui surplombaient le chemin, une forme humaine se détachant en noir sur le ciel encore lumineux. Elle avança le bras pour la montrer à Bailleul, mais déjà l’être inconnu s’était éclipsé, comme s’il était rentré dans le sol.

Cette apparition, ce bruit insolite avaient frappé de terreur la jeune fille Passant subitement d’un excès de confiance à un excès de timidité, elle s’écria:

–Avez-vous entendu ce cri, oncle Bailleul? Et puis, cet homme qui était là-haut sur cette roche…

–A l’instar de Fia Diavolo, répliqua le brocanteur en riant. Ah! çà, mignonne, est-ce que tu as peur, comme hier? Tu as pu t’assurer pourtant qu’il n’y avait aucun motif d’alarme.

–Ecoutez donc, mon oncle… Dans ces campagnes désertes…

–Bah! ce cri provient de quelque berger qui rappelle son chien ou son troupeau. Tu voudrais bien avoir une aventure de voleur à raconter plus tard, petite friponne! N’y compte pas; ce beau temps est passé.

Comme Bailleul achevait ces paroles, un événement se produisit avec une soudaineté inexplicable.

Le cheval s’abattit, soit qu’il eût rencontré un obstacle naturel, soit qu’on eût employé un moyen quelconque pour l’arrêter, et les voyageurs faillirent être précipités hors de la voiture. Au même instant, un homme, qui sortait on ne savait d’où, sauta sur le brancard, et la voiture fut envahie de différents côtés. L’oncle et la nièce sentirent des mains vigoureuses se poser sur eux.

Louise poussait des cris aigus, Bailleul se démenait avec énergie.

–Des voleurs! disait-il, des voleurs!… Il y en a donc ?

Il essaya de résister, mais ses efforts étaient instinctifs, mal combinés. Tout à coup un couteau s’enfonça dans sa poitrine, et il retomba en arrière, en poussant une plainte déchirante.

Louise se débattait, sans cesser d’appeler au secours. On lui adressa quelques paroles inintelligibles; puis on jeta sur elle la mante qu’elle avait déposée sur la banquette, et on l’entortilla dedans pour la réduire à l’impuissance. La pauvre enfant, croyant son oncle mort, s’évanouit, la tête appuyée contre la traverse en bois qui servait de dossier au cabriolet.

Nous ne saurions dire combien de temps elle demeura dans cet état; mais, lorsqu’elle recouvra ses esprits, out était redevenu immobile et silencieux. Elle n’entendit d’autre bruit que les gémissements de Bailleul, qui avait roulé au fond de la voiture. Suffoquant elle-même, elle fit quelques mouvements convulsifs pour écarter l’étoffe dont elle était garrottée, et eut la satisfaction de sentir qu’elle y arrivait peu à peu. Enfin elle réussit à dégager sa tête et respira longuement.

Quoique l’obscurité fût assez épaisse, elle put s’assurer que l’intérieur de la carriole était bouleversé. La bâche avait été détachée en partie, et divers objets faciles à emporter avaient disparu.

Louise eût pu constater aussi qu’un petit coffre, dans lequel Bailleul serrait son argent et les choses précieuses, avait été ouvert et vidé complètement. Mais ce ne fut pas de ces pertes matérielles qu’elle s’occupa d’abord; le brocanteur, étendu à ses pieds, poussait toujours de sourds gémissements; il importait de le secourir au plus vite.

Elle tâtonna dans l’ombre et sentit des habits imbibés de sang.

–Oncle Bailleul, m’entendez-vous ? demanda-t-elle.

Quelques plaintes étouffées lui répondirent. Soupçonnant que Bailleul aussi était garrotté, elle promena de nouveau les mains sur lui et reconnut qu’en effet il avait la tête entortillée dans sa blouse. Elle se hâta de le débarrasser de cette espèce de bâillon, et, le soulevant avec effort, elle appuya la tête sur ses genoux. Bailleul, un peu ranimé, murmura:

–Est-ce toi, mon enfant? Ils ne t’ont donc pas tuée?

–Non, non; grâce au ciel, je n’ai pas grand mal. Mais, vous, n’êtes-vous pas blessé?

–J’ai reçu le coup de la mort, je le crains. Les scélérats m’ont lardé avec leurs couteaux… Il y a surtout une blessure à la poitrine qui me fait horriblement souffrir…

Il s’arrêta, haletant.

–Mon Dieu! que faire? dit Louise avec angoisse.

Elle enflamma une allumette-bougie et put, au moyen de cette lumière blanche, se rendre un compte exact de l’état des choses.

L’intérieur de la carriole, comme nous l’avons dit, était tout en désordre; mais, sauf l’argent et les bijoux que contenait le coffre, sauf le portefeuille du brocanteur, on n’avait rien emporté.

Sans doute, sachant d’avance que Bailleul était muni de valeurs pour son commerce, les malfaiteurs s’étaient contentés de ces valeurs portatives et d’une défaite facile.

Mais, encore cette fois, Louise s’occupa d’abord de son oncle.

Le pauvre homme avait la figure pâle, décomposée; ses vêtements étaient déchirés, imprégnés de sang.

Elle s’empressa de faire une compresse avec son mouchoir; elle glissa cette compresse sur la blessure de la poitrine et la fixa du mieux qu’elle put. Ce pansement si simple parut soulager Bailleul, qui la remercia tout bas.

–Et maintenant, mon oncle, que ferons-nous? demanda-t-elle.

Bailleul tarda à répondre et, pendant qu’il réfléchissait, il fut facile de s’assurer que le calme le plus profond régnait autour d’eux.

–Ils sont partis décidément, reprit le blessé de sa voix gémissante; satisfaits de ce qu’ils nous ont pris, ils s’éloignent sans doute au plus vite… Si nous pouvions atteindre Saint-Amand! Mais je ne me sens pas la force… Je suis incapable de me mouvoir, même de penser…

–Eh bien! dit résolument la jeune fille, je vais essayer de conduire.

Louise, habituellement si réservée et si timide, était de ces femmes qui, au moment du péril, montrent autant de présence d’esprit que de courage. Ce ne sont pas seulement les Parisiens qui sont débrouillards, c’est-à-dire, qui savent se débrouiller au milieu de difficultés inattendues. Les Parisiennes ont parfois aussi cette faculté précieuse, qui se révèle au besoin, et la nièce du brocanteur en fut la preuve.

Elle alluma la lanterne, suspendue à l’avant-train de la carriole et qui était toujours prête pour le cas où l’on serait surpris par la nuit en voyageant; puis, elle tenta de relever son oncle et de l’étendre sur la banquette. Trop faible pour y réussir, elle l’affermit avec les coussins de la voiture, de manière à ce qu’il ne souffrit pas des cahots. Alors elle sauta à terre, et s’armant de la lanterne, examina l’endroit sauvage où l’on se trouvait.

Nous avons dit que le chemin était resserré entre deux énormes roches, hérissées de broussailles, et peut-être cette disposition des lieux avait-elle déterminé les malfaiteurs à s’y mettre en embuscade. Louise chercha l’obstacle qui arrêtait la carriole; c’était tout bonnement un amas de pierres, qui semblaient avoir été transportées à la hâte au milieu de la voie, et contre lesquelles la jument avait butté dans les ténèbres. Mlle Bailleul en écarta quelques-unes; et, prenant Fanchette par la bride, lui fit franchir cet embarras peu sérieux.

La besogne achevée, elle éprouva une certaine hésitation. Devait-elle avancer en dirigeant la bête, jusqu’à ce que la voie devînt plus commode? Peut-être les scélérats étaient-ils cachés à quelques pas; une balle de pistolet, un coup de couteau pouvait punir un acte trop hardi. Comme rien ne bougeait autour d’elle, la pauvre enfant, tenant toujours Fanchette par la bride, la remit en marche d’abord lentement, puis plus vite. Encouragée par l’impunité, elle poursuivit son chemin, et bientôt la voiture sortit du défilé pour déboucher dans une lande plate et nue, où le ciel donnait encore quelque lumière.

L’attention de Louise se porta d’abord sur une longue ligne d’arbres qui s’élevait à moins de cent pas en avant. C’était la grande route, que rejoignait en cet endroit l’abominable chemin de traverse, et il semblait à la jeune fille qu’on n’avait aucun danger nouveau à craindre.

Elle se pencha vers l’intérieur de la carriole et s’écria:

–Courage! mon oncle… Nous allons trouver des secours.

Le blessé ne répondit que par de faibles plaintes.

Louise arrêta le cheval et remonta dans la voiture. Bailleul n’avait presque plus de connaissance; son existence ne se trahissait que par des gémissements. Il était évident que le moindre retard pouvait lui être fatal.

Louise, voyant qu’elle ne devait plus compter que sur elle-même, saisit les rênes et ne tarda pas à atteindre la grande route. Mais alors un embarras inattendu u se révéla: elle ne savait s’il fallait prendre à droite ou à gauche, et, à cette heure du soir, tous les points de repère lui faisaient défaut.

–Mon oncle, demanda-t-elle, de quel côté se trouve Saint-Amand? Un mot, je vous en supplie… Votre salut en dépend peut-être!

Elle ne reçut pas de réponse.

–Allons! murmura-t-elle; à la grâce de Dieu!

Et elle lança le cheval dans la direction où elle supposait être le village. On marchait avec lenteur et on suivait les bas-côtés de la route, afin d’éviter les secousses sur le pavé. Les plaintes de Bailleul devenaient de plus en plus douloureuses. La pauvre petite, tout en avançant dans la nuit, à travers ce pays solitaire, se demandait si elle allait arriver à Saint-Amand, ou bien tomber dans quelque endroit inconnu, où les soins les plus indispensables manqueraient à son oncle mourant. Ces angoisses prolongées excédèrent ses forces; elle finit par rester complètement inanimée à côté de Bailleul.

Le brocanteur

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