Читать книгу Mesmer et le magnétisme animal, les tables tournantes et les esprits - Ernest 1816-1880 Bersot - Страница 10
Mesmer à Paris. — Mémoire sur la découverte du magnétisme. — Le baquet de Mesmer. — La Harpe au baquet; Mesmer chez d’Holbach. — Le temps favorable au magnétisme.
ОглавлениеMesmer part et se rend à Paris (février 1778), où il publie son Mémoire sur la découverte du magnétisme (1779), livre moitié astronomique, moitié médical, où il annonçait la découverte de la panacée universelle. Pourvu qu’il connaisse et qu’il sache diriger le fluide magnétique, le médecin jugera sûrement l’origine, la nature et les progrès des maladies, même les plus compliquées, en empêchera l’accroissement et parviendra à leur guérison sans aucun danger. Il guérira directement les maladies de nerfs, indirectement toutes les autres. «L’art de guérir parviendra ainsi à sa dernière perfection. La nature offre un moyen universel de guérir et de préserver les hommes.»
Il trouve un disciple tout prêt dans Deslon, docteur régent de la Faculté et premier médecin du comte d’Artois. Il l’initie à sa doctrine; voyons-les à l’œuvre.
Au milieu d’une grande salle est une caisse circulaire, en bois de chêne, élevée d’un pied ou d’un pied et demi, qu’on nomme le baquet. Ce baquet renferme simplement de l’eau, et dans cette eau divers objets, tels que verre pilé, limaille, etc., ou encore ces mêmes objets à sec, sans que rien soit électrisé ou aimanté. Le couvercle est percé d’un certain nombre de trous, d’où sortent des branches de fer coudées et mobiles. Dans un coin de la salle est un piano-forte; on y joue différents airs. sur des mouvements variés, surtout vers la fin des séances. On y joint quelquefois du chant. Les portes et les fenêtres de la salle sont exactement fermées; des rideaux ne laissent pénétrer qu’une lumière douce et faible. Les malades en silence forment plusieurs rangs autour de ce baquet, et chacun a sa branche de fer, qui, au moyen d’un coude, peut être appliquée sur la partie malade. Une corde passée autour de leur corps les unit les uns aux autres. Quelquefois on forme une seconde chaîne en se communiquant par les mains, c’est-à-dire en appliquant le pouce entre le pouce et le doigt index de son voisin; alors on presse le pouce qu’on tient ainsi; l’impression reçue à la gauche se rend par la droite, et elle circule à la ronde. Tous ceux qui magnétisent ont à la main une baguette de fer longue de dix à douze pouces. A ceux qui demandent quelque chose à boire, on donne de l’eau où est dissoute de la crème de tartre.
Les malades sont magnétisés à la fois par les branches de fer, par la corde, par l’union des pouces, par le son du piano ou de la voix qui chante. En outre, le magnétiseur, fixant les yeux sur eux, promène devant leur corps ou sur leur corps sa baguette ou sa main, descend des épaules aux extrémités des bras, touche le lieu malade, les hypocondres et les régions du bas-ventre, quelquefois pendant plusieurs heures. «Alors, rapporte Bailly. les malades offrent un tableau très-varié. Quelques-uns sont calmes et n’éprouvent rien; d’autres toussent, crachent, sentent quelque légère douleur, une chaleur locale ou une chaleur universelle, et ont des sueurs; d’autres sont agités et tourmentés par des convulsions. Ces convulsions sont extraordinaires par leur nombre, par leur durée, par leur force. On en a vu durer plus de trois heures. Elles sont caractérisées par les mouvements précipités, involontaires, de tous les membres et du corps entier, par le resserrement de la gorge, par des soubresauts des hypocondres et de l’épigastre, par le trouble et l’égarement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets et des rires immodérés. Elles sont précédées ou suivies d’un état de langueur ou de rêverie, d’une sorte d’abattement et même d’assoupissement. Le moindre bruit imprévu cause des tressaillements; et l’on a remarqué que le changement de ton et de mesure dans les airs joués sur le piano-forte influait sur les malades, en sorte qu’un mouvement plus vif les agitait davantage et renouvelait la vivacité de leurs convulsions. On voit des malades se cherchant exclusivement et, en se précipitant l’un vers l’autre, se sourire, se parler avec affection et adoucir mutuellement leurs crises. Tous sont soumis à celui qui magnétise; ils ont beau être dans un assoupissement apparent, sa voix, son regard, un signe les en retire. On ne peut s’empêcher de reconnaître, à ces effets constants, une grande puissance qui agite les malades, les maîtrise, et dont celui qui magnétise semble être le dépositaire. Cet état convulsif est appelé crise. On a observé que, dans le nombre des malades en crise, il y avait toujours beaucoup de femmes et peu d’hommes; que ces crises étaient une ou deux heures à s’établir, et que dès qu’il y en avait une d’établie, toutes les autres commençaient successivement et en peu de temps.» Le maître de cette foule était ici Mesmer, vêtu d’un habit de soie lilas ou de toute autre couleur agréable, promenant sa baguette avec une autorité souveraine; là, Deslon, avec ses aides, qu’il choisissait jeunes et beaux. Les salles où ces scènes se passaient avaient reçu, dans le monde, le nom d’enfer à convulsions.
On magnétisait, outre l’homme, des objets inanimés, surtout les arbres, puis on attachait au tronc, aux branches, des cordes que les malades appliquaient à leurs maux. Quand c’était de l’eau qu’on magnétisait, elle prenait, pour le malade en crise, une température et un goût tout particuliers.
Il y eut de petits échecs: on ne réussissait pas à tous les coups, et, si le témoin de cet insuccès était quelque homme de lettres, un de ceux qui contribuent à faire l’opinion, le magnétisme en souffrait. La Harpe alla chez Deslon huit jours de suite, sans rien éprouver entre les mains du magnétiseur. Il demanda de la limonade et la trouva un peu aigrelette: c’était une médecine. «Je vis fort bien que, pour me faire quelque chose, on n’avait trouvé rien de mieux que de me purger.» Enfin, il emporta et il communiqua partout l’impression qu’il consigne dans ses Lettres. «Je n’y ai rien vu, en mon âme et conscience, qui ne m’ait paru ridicule et dégoûtant, hors l’harmonica dont on joue de temps en temps dans la salle du baquet. »
Le maître avait déjà échoué chez d’Holbach. Il avait une lettre de recommandation pour le baron. Peu après son arrivée à Paris, il la présenta et fut invité à dîner avec tous les philosophes de la société. «Soit que lui-même, soit que ses auditeurs fussent mal préparés aux merveilleux effets du magnétisme, il ne fit ce jour-là, dit Grimm, aucune impression sur personne; et, depuis ce fâcheux contre-temps, il n’a plus reparu chez M. d’Holbach.» Ne voilà-t-il pas que, pour humilier Mesmer, au même moment, le docteur Thouvenel, un savant chimiste, avait composé une préparation de poudre d’aimant fortement électrisée, dont il suffisait de se frotter les mains ou de porter des sachets dans sa poche pour produire à peu près les mêmes effets que produisait Mesmer! Il parvint à en faire éprouver chez d’Holbach à plusieurs personnes, sur qui le doigt de Mesmer n’avait fait aucune impression.
Néanmoins, Mesmer arriva et séjourna à Paris dans un temps favorable. Voltaire mourait. Il avait pendant cinquante ans surveillé la raison en tuteur assez sévère, qui ne lui passait pas la plus petite fantaisie; lui mort, elle s’échappait. Puis, on était dans un moment de confiance superbe en la puissance de l’esprit humain: on avait découvert l’inoculation, Franklin avait trouvé le paratonnerre, les frères Montgolfier inventaient les aérostats. Si on avait pu cela, que ne pouvait-on pas? Condorcet, peu d’années après, devait bien promettre qu’on ne mourrait plus! Quand. des philosophes se permettaient ces présages, la foule avait le droit d’espérer et de croire un peu plus qu’il n’est permis. Aussi le merveilleux paraît alors tout naturel. Les journaux annoncent qu’un homme a trouvé le moyen de marcher sur l’eau sans enfoncer; on n’attend qu’une souscription assez considérable, pour l’inviter à faire une expérience sur la Seine. Immédiatement la souscription se remplit, toute la cour y contribue. Une seule personne se permet de douter: c’est le roi. Bien entendu que l’homme en question ne se présenta pas, et n’existait que dans les journaux. On rit, on tourna honnêtement la souscription en œuvre de charité, et on ne se corrigea.point. C’est en effet la logique de tous les temps: on voyage en ballon dans l’air, donc on peut marcher sur l’eau; on communique en un instant à de grandes distances par des fils électriques, donc on peut s’entendre sur l’heure, d’un bout à l’autre du monde, au moyen de boussoles magnétiques ou d’escargots sympathiques. La démarcation entre le possible et l’impossible est toujours flottante, et particulièrement à de certaines époques de succès.
Déjà, sous Mme de Pompadour, un personnage célèbre, le comte de Saint-Germain, représentait le mystère. Il prétendait vivre depuis des siècles, il parlait de Charles-Quint, de François Ier, de Jésus-Christ, comme de ses contemporains, ayant, dans cet intervalle, recueilli d’amirables secrets; et, après lui, Cagliostro continuait sa tradition. En parlant de lui, Grimm raconte: «A la sollicitation du cardinal de Rohan, Cagliostro vint de Strasbourg à Paris voir le prince de Soubise dangereusement malade; il n’arriva que lors de sa convalescence. Quelques personnes de la société de M. le cardinal, qui ont été à portée de le consulter, se sont fort bien trouvées de ses ordonnances, et n’ont jamais pu parvenir à lui faire accepter la moindre marque de leur reconnaissance. On a soupçonné longtemps le comte de Cagliostro d’être un valet de chambre de ce fameux M. de Saint-Germain, qui fit tant parler de lui sous le règne de Mme de Pompadour; on croit aujourd’hui qu’il est le fils d’un directeur des mines de. Lima; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il a l’accent espagnol (quatre ans plus tard, on lui trouvait l’accent napolitain), et qu’il paraît fort riche. Un jour qu’on le pressait chez Mme la comtesse de Brienne de s’expliquer sur l’origine d’une existence si surprenante et si mystérieuse, il répondit en riant: «Tout ce que je puis dire, » c’est que je suis né au milieu de la mer Rouge, » et que j’ai été élevé sous les ruines d’une » pyramide d’Egypte; c’est là que, abandonné de » mes parents, j’ai trouvé un bon vieillard qui a » pris soin de moi; je tiens de lui tout ce que je » sais. »
Mesmer trouva aussi un allié naturel dans le mysticisme qui couvait sourdement. Il y avait en France des disciples secrets de Swedenborg et de Saint-Martin, auxquels le magnétisme devait convenir, car il y a chez le mystique et chez le magnétiseur une prétention commune, la prétention d’établir des rapports directs d’âme à âme sans l’intermédiaire du corps. Swedenborg a voyagé vingt-quatre ans dans le monde des esprits, et a raconté ce qu’il y a vu; le magnétisme fut d’abord très-modeste, mais depuis il s’est émancipé.