Читать книгу Mesmer et le magnétisme animal, les tables tournantes et les esprits - Ernest 1816-1880 Bersot - Страница 16
Le gouvernement nomme des commissions pour examiner le magnétisme (1784): commission de la Société royale, commission de la Faculté et de l’Académie des sciences. — Rapport public de la dernière commission (Bailly). — Rapport secret. — Rapport de la Société royale. — Rapport particulier de Laurent de Jussieu. — Mesmer retourne en Allemagne.
ОглавлениеDeslon ayant demandé une enquête à la Faculté de médecine, le gouvernement se résolut à terminer cette affaire: il demanda à la Société royale de médecine de lui faire un rapport sur le magnétisme. Parmi les membres qu’il nomma dans cette Société était Laurent de Jussieu. Il choisit également plusieurs médecins dans la Faculté, et, sur leur demande, leur adjoignit cinq membres de l’Académie des sciences, entre autres trois hommes illustres: Franklin, Lavoisier, Bailly. Ce dernier fut rapporteur. Le rapport collectif de la Faculté et de l’Académie des sciences fut contraire, et terrible par l’autorité de ceux qui l’avaient signé.
Il s’agissait d’abord de savoir ce qu’on avait à constater, et par quel moyen on pourrait le constater. Deslon annonçait le fluide décrit par Mesmer. Ce fluide échappant à tous les sens, on ne peut, malgré quelques illusions contraires, le reconnaître que par son action sur les corps animés. On peut observer ou cette action longtemps continuée et sa vertu curative, ou ses effets momentanés et les changements subits qu’elle produit dans les corps. Deslon aurait bien voulu qu’on suivit la première méthode, qu’on donnât au fluide du temps pour agir et guérir; mais les commissaires n’y consentirent pas: cette voie leur parut douteuse. Comment, en effet, constater certainement qu’une guérison survenue après le traitement magnétique est opérée par ce traitement; que ce n’est pas la nature qui en a fait les frais, lorsque les médecins la voient si souvent agir par elle-même, sans leurs remèdes, et que même, après avoir appliqué des remèdes éprouvés, ils n’osent jamais leur attribuer à coup sùr la guérison obtenue? D’ailleurs Mesmer avait rejeté ce moyen quand il lui fut proposé par un des membres de de l’Académie des sciences: «C’est, dit-il, une erreur de croire que cette espèce de preuve soit sans réplique; rien ne prouve démonstrativement que le médecin ou la médecine guérissent les malades. » Il fallait donc s’en tenir aux effets momentanés.
Les commissaires se soumettent au traitement huit jours de suite et n’éprouvent rien. Observant les expériences tentées sur d’autres, ils notent l’extrême différence du traitement privé et du traitement public: d’un côté le calme, de l’autre l’agitation désordonnée. Sur quatorze malades, cinq paraissent éprouver des effets, neuf n’en éprouvent aucun. Et avant d’attribuer les effets ressentis au magnétisme, il faudra bien se représenter la position d’une personne ignorante, attaquée d’une maladie et désireuse de guérir, amenée avec appareil devant une grande assemblée, composée en partie de médecins, où on lui administre un traitement tout à fait nouveau pour elle, et dont elle attend de l’extraordinaire. Qu’on ajoute qu’elle croit nous satisfaire davantage en disant qu’elle éprouve des effets.
Les commissaires se transportent chez un autre docteur, M. Jumelin, qui professe le magnétisme sans distinction de pôles, et suit par conséquent d’autres procédés. Dix personnes sont magnétisées sans rien sentir. Une femme paraît être un sujet plus sensible: on lui bande les yeux, on la magnétise et elle est toute déroutée. On lui découvre les yeux et on porte les mains sur les hypocondres, elle se trouve mal. Les yeux de nouveau bandés, on lui persuade qu’elle est magnétisée, elle éprouve les mêmes effets. On la magnétise sans l’avertir, elle n’éprouve rien. Plusieurs, comme elle, éprouvent quelque chose quand on n’agit pas, et n’éprouvent rien quand on agit. Même une femme, qui, les yeux bandés, n’éprouve rien, magnétisée à la vue libre, en trois quarts de minute devient muette. La variété des procédés est donc indifférente, et l’imagination fait beaucoup, surtout si l’on remarque qu’en faisant les questions, le magnétiseur précise les effets qui doivent être éprouvés, et dicte la réponse.
Bien plus, le docteur Sigault, incrédule au magnétisme, laissant croire à plusieurs personnes qu’il a le secret de Mesmer, fait des merveilles comme son maître prétendu. Rien qu’en le voyant avancer sa main, une dame est prête à tomber en convulsions.
Retournons chez Deslon. Lorsqu’un arbre a été magnétisé, il doit arriver, selon la doctrine, que toute personne qui en approche éprouve des effets. On fait l’expérience à Passy, en présence de Franklin. Deslon magnétise un arbre dans un verger. On amène un jeune garçon de douze ans, les yeux bandés, sujet reconnu pour être très-sensible. Au premier, au second, au troisième arbre, à une distance de trente et quelques pieds de l’arbre magnétisé, il éprouve un étourdissement qui va croissant; au quatrième, à vingt-huit pieds environ de l’arbre magnétisé, il tombe en crise, perd connaissance, ses membres se roidissent, et Deslon s’occupe de le faire revenir. Le docteur déconcerté prétend alors que tous les arbres sont magnétisés par eux-mêmes; d’où les commissaires concluent qu’une promenade dans un verger serait pour beaucoup de gens un exercice très-redoutable. Même effet que chez M. Jumelin: des femmes à qui on persuade que Deslon les magnétise, après leur avoir bandé les yeux, ou les avoir séparées du magnétiseur par une porte, et qui ressentent des effets terribles, ou qui demeurent parfaitement calmes pendant qu’on les magnétise à leur insu. Une autre fait mieux: mandée chez Lavoisier, où elle devait trouver Deslon, elle tombe en crise dès l’antichambre. On lui présente plusieurs tasses non magnétisées: à la quatrième, elle tombe en crise de nouveau; en revanche, elle boit paisiblement dans une tasse magnétisée par Deslon même, ou ne s’aperçoit pas qu’on la tient derrière sa tête. Une autre, nouvellement arrivée chez Deslon, ayant rencontré, en sortant de sa crise, les regards d’un de ses disciples qui la magnétisait, fixa les yeux sur lui pendant trois quarts d’heure. Elle fut longtemps poursuivie par son regard, et, pendant trois jours, dans la veille ou dans le sommeil, elle le vit devant elle obstinément.
De toutes ces observations, les commissaires concluent d’abord à faire une large part à l’imagination. «L’histoire de la médecine, disent-ils, renferme une infinité d’exemples du pouvoir de l’imagination et des facultés de l’âme. La crainte du feu, un désir violent, une espérance ferme et soutenue, un accès de colère, rendent l’usage des jambes à un paralytique; une joie vive et inopinée dissipe une fièvre quarte de deux mois; une forte attention arrête le hoquet; des muets par accident recouvrent la parole à la suite d’une vive émotion de l’âme. Quand elle est une fois montée, ses effets sont prodigieux, et il suffit ensuite de la monter au même ton, pour que les mêmes effets se répètent.
Une deuxième cause des phénomènes prétendus magnétiques est, selon les commissaires, l’attouchement. En pressant le creux de l’estomac, on agit sur un intestin irritable, le côlon, qui irrite à son tour le diaphragme, d’où les soupirs, le rire, les pleurs, les hoquets, etc. En pressant la région inférieure, on rencontre cet autre centre nerveux qui correspond à tout le reste du corps, et, une fois en mouvement, y excite des mouvements par sympathie. C’est une vieille expérience, que les affections de l’âme répondent là : ce qui fait dire communément qu’on a un poids sur l’estomac et qu’on se sent suffoqué. Le magnétiseur, en touchant ces parties si sensibles du corps, met donc en j eu par des moyens connus une puissance très-connue.
Ajoutez à ces deux causes une dernière: l’imitation, et vous aurez, selon les commissaires, le secret du magnétisme. Partout l’exemple agit sur le moral, l’imitation machinale met en jeu le physique. Dans les théâtres, quand le public est nombreux, les impressions se communiquent et se renforcent. Dans les batailles, le courage et les terreurs paniques se répandent pareillement. Autour du baquet de Mesmer et de Deslon, quand un malade entre en convulsions, les autres suivent.
Imagination, attouchement, imitation, par-dessus tout imagination, voilà à quoi se réduit, dans le rapport de Bailly, le fluide magnétique. Ainsi on observe le premier principe de la science physique, qui est de ne pas admettre de nouvelles causes sans une absolue nécessité. Deslon, tout en maintenant l’action d’un fluide, avouait la force de l’imagination; il disait aux commissaires qu’ainsi dirigée au soulagement de l’humanité souffrante, elle ferait un grand bien dans la pratique de la médecine. Il avait déjà écrit en 1780: «Si M. Mesmer n’avait d’autre secret que celui de faire agir l’imagination efficacement pour la santé, n’en aurait-il pas toujours un bien merveilleux? car si la médecine d’imagination était la meilleure, pourquoi ne ferions-nous pas la médecine d’imagination?»
En même temps qu’ils publiaient ce rapport, les commissaires en remettaient au ministre un autre, secret, où ils exprimaient le danger du mesmérisme relativement aux moeurs.
Le rapport de la Société royale de médecine suivit de quelques jours. C’étaient les mêmes conclusions. Il fut signé par tous les commissaires, sauf Laurent de Jussieu, qui publia un rapport à part. Au fond, il se rapprochait, sur beaucoup de points, de ses confrères: «La théorie du magnétisme ne peut être admise tant qu’elle ne sera pas développée et étayée de preuves solides;» comme eux, il niait l’existence d’un fluide particulier, et comme eux, expliquait nombre d’effets par les trois causes que nous avons dites; mais il avait observé quelques faits qu’il ne pouvait expliquer par là, et cherchait une cause à laquelle ils fussent raisonnablement attribués. «Un seul fait positif, disait-il, qui démontrerait évidemment l’existence d’un agent intérieur détruirait tous les faits négatifs qui constatent seulement sa non-action. «L’action attribuée à un fluide universel non démontré appartient certainement à la chaleur animale existant dans les corps, qui émane d’eux continuellement, se porte assez loin, peut passer d’un corps dans un autre. La chaleur animale est développée, augmentée ou diminuée par des causes morales et par des causes physiques. Jugée par ses effets, elle participe de la propriété des remèdes toniques... » Il l’appelle ailleurs le fluide électrique animalisé. «Poussé par une force impérieuse, ce fluide se jette avec impétuosité sur les corps privés d’électricité, et s’échappe avec le même effort de ceux dans lesquels il est accumulé.»
Deslon protesta contre le rapport de Bailly, et annonça qu’il était sans crainte sur le sort du magnétisme, puisque Mesmer avait fait trois cents élèves et lui cent soixante, parmi lesquels vingt et un membres de la Faculté de Paris.