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M. DE BOISHARDY

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M. de Boishardy connaissait Marcof depuis longtemps. Comme tous les braves cœurs qui s'étaient trouvés en contact avec cette nature si loyale, si franche et si forte, M. de Boishardy s'était épris pour le marin d'une amitié étroite et vive. L'expansion de Marcof le toucha profondément. Ces deux hommes, au reste, étaient bien faits pour se comprendre et s'aimer. D'une bravoure à toute épreuve, d'une hardiesse à défier toutes les témérités, d'un sens droit, d'un coup d'œil ferme et rapide, tous deux étaient créés pour la vie d'aventurier dans ce qu'elle a de noble et de périlleux.

M. de Boishardy est certes l'un des personnages historiques de la chouannerie qui ont légué le plus de souvenirs vivaces sur la vieille terre bretonne. Gentilhomme obscur, peu soucieux des plaisirs de la cour, il avait vu sa jeunesse s'écouler dans une existence toute rustique. A vingt ans, il avait servi comme officier dans le régiment de royale-marine; cinq ans plus tard, il donnait sa démission et rentrait dans ses terres. Grand amateur de gibier et de beautés champêtres, il chassait le loup, le sanglier et les jeunes filles, lorsque éclatèrent les premiers troubles de l'Ouest. Fermement attaché à son roi, il avait songé tout d'abord à lever l'étendard de l'insurrection.

Comme tous les hommes dont la destinée est de devenir populaire, il avait été doué par la nature de vertus réelles; à côté de chacune se trouvait un défaut qui lui servait pour ainsi dire de repoussoir. Subissant les lois de ses passions, il faisait bon marché de la vie d'un homme, lorsque cet homme se dressait sur sa route comme un obstacle, et que, pour passer, il fallait l'abattre et marcher sur son cadavre. Énergique, vigoureux et puissant, il avait à un haut degré la générosité de la force.

Ses aventures amoureuses l'avaient rendu célèbre dans les paroisses. A sa vue, les mères tremblaient, les maris pâlissaient, mais les jeunes filles et les jeunes femmes souriaient en faisant une gracieuse révérence au don Juan bas-breton, qui faisait le sujet de bien des causeries intimes au bord de la fontaine et le soir sous la saulaie.

Boishardy inspirait deux sentiments opposés aux paysans. Les uns le redoutaient à cause de sa force et de son audace, les autres l'admiraient à cause de sa bravoure et de son adresse. Tous l'aimaient pour sa familiarité franche et cordiale, ses élans de rude bonté et sa gaieté entraînante. A quinze lieues à la ronde chacun en parlait et chacun voulait le voir.

Cette popularité lui devint d'un puissant secours lorsqu'il voulut soulever le pays. Mêlé d'abord aux intrigues de La Rouairie, ainsi que nous l'avons vu, il se lança à corps perdu dans le soulèvement de 1793, dès que la Vendée eut arboré l'étendard de la contre-révolution, et il ne tarda pas à devenir l'un des chefs les plus renommés et les plus redoutés de la chouannerie bretonne. Charette se mit en rapport avec lui; Jean Chouan l'écoutait souvent comme un oracle; La Rochejacquelein était son ami. En avril, Boishardy avait débuté par parcourir les fermes et les communes, en appelant les paysans aux armes.

—C'est à vous de voir, leur disait-il, si vous voulez défendre vos enfants, vos femmes, vos biens et vos corps, et si vous n'aimez pas mieux obéir à un roi qu'à un ramassis de brigands qui forment la Convention nationale.

La plupart de ceux auxquels il s'adressait n'hésitèrent pas à marcher. Ses premiers et rapides succès contre les bleus entraînèrent les autres, si bien qu'en quinze jours il se trouva à la tête d'une petite armée, et bientôt il alla rejoindre Cathelineau sous les murs de Nantes. Son nom, son titre d'ancien officier, sa force prodigieuse, sa hardiesse et son intrépidité, lui valurent promptement un commandement supérieur dans l'armée vendéenne.

Après la mort de Cathelineau, lorsque les royalistes furent rejetés de l'autre côté de la Loire, Boishardy fut chargé de la périlleuse mission de garder et d'observer tout le haut pays, de Saint-Nazaire à Redon. La Rochejacquelein, comptant sur lui plus peut-être que sur aucun autre chef, lui confia ses munitions, ses réserves d'artillerie et ses papiers les plus importants, puis il lui ordonna de s'établir à Saint-Gildas, au milieu de la forêt, et de garder ses précieux dépôts jusqu'à ce que la guerre prît une nouvelle face. Les royalistes, tout en marchant à l'est, espéraient toujours repasser bientôt en Vendée et reconquérir le territoire envahi par les bleus. L'espèce de relais formé par Boishardy leur devenait donc de la plus grande utilité. Aussi, en dépit de son ardeur et de sa soif des combats, le brave gentilhomme était-il forcé depuis quelque temps à demeurer dans une inaction presque complète, opposée à sa fiévreuse nature. Le projet de Marcof d'aller à Nantes délivrer le marquis de Loc-Ronan lui souriait donc d'autant mieux qu'il le mettait à même de payer de sa personne et de se rapprocher des ennemis de sa cause.

A peine venait-il de prendre cette résolution, que Fleur-de-Chêne entra dans la pièce. Il attendait respectueusement que son chef l'interrogeât. Boishardy lui fit signe d'approcher.

—Ne m'as-tu pas dit que quelqu'un désirait me parler? demanda-t-il.

—Oui, commandant.

—Qui cela?

—Celui de nos gars que vous aviez envoyé en mission il y a près de quinze jours.

—Il est revenu?

—Il arrive à l'instant.

—Bien!

—Faut-il le faire entrer?

—Oui, répondit Boishardy, et se retournant vers Marcof: nous allons avoir des nouvelles de la Cornouaille, dit-il.

—Et de La Bourdonnaie? ajouta Marcof.

—Oui.

—Qui donc avez-vous envoyé là?

—Un homme sûr.

—Qui se nomme?

—Keinec.

—Tonnerre!... qu'il entre vite!

Fleur-de-Chêne sortit et Keinec pénétra près des deux chefs. En voyant Marcof, le jeune homme ne put retenir un mouvement de joie; le marin lui tendit les mains par un geste tout amical, et comme Keinec les saisit pour les lui baiser, Marcof l'arrêta vivement en le pressant sur sa poitrine. Boishardy les regardait avec étonnement.

—Vous connaissez donc Keinec? demanda-t-il à Marcof.

—Oui, répondit le marin; son père m'a arraché à la mort et a été tué en me sauvant; lui-même m'a rendu de grands services; enfin c'est un enfant auquel j'ai appris à combattre et que je regarde comme mon matelot.

—Tant mieux! car Keinec est un brave cœur et un gars solide. J'ai été, moi aussi, à même de l'apprécier.

En entendant ce double éloge, Keinec rougit de plaisir. Boishardy s'assit, et, s'adressant au jeune homme:

—Tu as accompli ta mission? dit-il.

—Oui, commandant.

—Tu as vu La Bourdonnaie?

—Je l'ai vu.

—Quelles nouvelles de la Cornouaille?

—Les bleus ravagent toujours le pays; la guillotine est en permanence à Brest comme ailleurs; ils tuent, ils tuent tant que le jour dure.

—Après?

—Ceux d'Audierne, de Rosporden et de Quimper ont traqué les gars dans les forêts.

—Ils les ont pris?

—Quelques-uns ont été arrêtés et massacrés.

—Et Yvon? fit Marcof vivement.

—Il est mort!

—Tué?

—Martyrisé par les républicains!

—Tonnerre! s'écria le marin en prenant sa tête dans ses mains par un magnifique mouvement de colère.

—Fouesnan, Penmarckh, Plogastel, Plomélin, Tréogat, Plohars, ont été réduits en cendres; les habitants se sont sauvés dans les forêts.

—Et que fait le comte de La Bourdonnaie? demanda Boishardy.

—Il ravage aussi les campagnes et détruit tout ce qui appartient aux amis des bleus; il brûle tout et coupe les communications dans l'intérieur; les convois des républicains sont tous arrêtés par nos gars et ne peuvent plus arriver à Brest. Avant un mois, la ville sera prise par la famine.

—C'est tout?

—Non.

Le marquis de Loc-Ronan

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