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JACQUES CUJAS

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— Qu’est-ce? demanda la présidente, à la vue de Cadette tout émue, pâle, et les yeux fixés sur la porte de la chambre laissée ouverte par le fuyard.

— Jacques!... Jacques!... Je le disais bien, madame, que Jacques était le voleur.

— Et qu’a-t-il volé ? demanda la présidente...

Mais Cadette était si effrayée, si troublée, qu’elle ne pouvait trouver les expressions pour s’expliquer; avant qu’elle eût repris ses sens, un valet parut.

— Madame la présidente me demande? dit-il.

— Qui vous l’a dit? demanda la jeune femme.

— Jacques, le fils du foulon, dit cet homme.

La présidente allait demander comment Jacques se trouvait au château à pareille heure et réveillait ses gens, lorsqu’un autre domestique parut comme le premier et dit:

— Madame la présidente me demande?

— Qui vous l’a dit? demanda encore la présidente au comble de l’étonnement.

— Jacques, le fils du foulon, répondit aussi cet homme.

Puis, au même instant et successivement, tous les domestiques accoururent, faisant tous la même question: «Madame la présidente me demande?» et tous répondaient à ces mots si naturels: «Qui vous l’a dit?» par ceux-ci: «Jacques, le fils du foulon.»

Le vieux seigneur de Pibrac arriva ensuite; il était suivi par Jacques, portant un flambeau allumé.

— On dit que vous me priez de passer chez vous, ma bru? dit le vieillard.

— Encore Jacques, probablement! s’écria la présidente.

— Précisément, dit le vieillard.

— M’expliqueras-tu... dit la présidente, s’adressant au petit foulon, qui comptait tranquillement son monde et qui, voyant qu’il ne manquait aucun des habitants restés au château, prit alors la parole.

— Tout, madame la présidente. Et d’abord, dit-il en se mettant à deux genoux au milieu de la chambre, je viens humblement demander pardon à vous, madame la présidente, à monseigneur, et à vous aussi, messieurs les jeunes seigneurs, d’avoir osé, sans permission, assister aux leçons que ces jeunes seigneurs prenaient soit avec maître Pierre Bunel, soit avec monsieur le président, soit même avec les pèlerins.

— Assister?... quand?... comment?... où ?... demanda Hubert du Faur.

— Là... dit Jacques, indiquant du doigt le dessous du lit, où Guy, assis et réveillé, écoutait et regardait ce qui se passait sans rien comprendre

— Là ! répétèrent les assistants étonnés.

— Et j’y étais encore aujourd’hui, ajouta Jacques; et si j’ai mérité l’épithète de voleur, dont m’a gratifié damoiselle Cadette, c’est qu’effectivement je volais, mais des leçons de grec et de latin, et je ne pensais pas faire mal, je vous assure.

— Continue, mon petit, lui dit le vieux seigneur de Pibrac.

Jacques reprit: — J’étais donc encore là ce matin lorsque les deux pèlerins sont venus... non pour donner des leçons... mais sans doute pour que moi, pauvre petit vermisseau, je leur en donnasse une... Madame la présidente, oh! que vous avez raison d’aimer les savants! Je crois bien que c’est en vous entendant apprécier le savoir que le désir m’a pris de... devenir... quelque chose... J’ai beaucoup écouté les leçons données aux jeunes seigneurs, je les ai retenues... et, si je ne parle pas latin comme maître Pierre Bunel, je le comprends néanmoins assez pour que le sens des phrases ne m’échappe pas; et ici, monseigneur, ici, madame, ajouta Jacques en se relevant et montrant le dessous du lit, — ici, ce matin, j’ai entendu le plus infâme, le plus affreux complot... j’en tremble et j’en sue encore d’horreur et d’épouvante! Oui, madame la présidente, oui, monseigneur, ces monstres, ces damnés de pèlerins, complotaient d’assassiner madame la présidente, de lui voler ses bijoux, et d’aller s’embarquer à Cette. Oh! quand j’ai eu tout entendu, malgré ma frayeur extrême, j’ai commencé à remercier Dieu de m’avoir donné le désir et la persévérance d’apprendre le latin; je l’ai remercié de m’avoir donné assez de conception pour l’apprendre de cette manière; puis je l’ai tant prié, tant et tant, qu’enfin il a permis que je déjouasse le complot de ces hommes. Ils avaient coupé le cordon de la sonnette pour empêcher madame la présidente d’appeler. Ils devaient renfermer tous les domestiques dans leurs chambres, ainsi que monseigneur de Pibrac, puis venir se cacher dans cette grande armoire!

— Ah! bonne sainte Vierge! s’écria Cadette, et moi qui allais y serrer la robe de madame!

— Jugez de ma frayeur quand j’ai deviné votre projet! lui dit Jacques.

— Ces coquins sont donc là ? dit le vieux seigneur sortant à demi son épée du fourreau et s’approchant de l’armoire.

— Oui, certes, monseigneur, et voici la clef, lui dit Jacques; mais prenez garde, ajouta-t-il tout bas, les drôles sont armés.

— Je m’en moque, dit le vieux seigneur avec toute l’énergie de sa jeunesse passée, les coquins sont toujours des lâches!

Disant ces mots, il prit lui-même de la main de Jacques la clef de l’armoire, l’ouvrit, et, suivant son pronostic, il y trouva les deux pèlerins pâles, tremblants et à moitié morts de peur; les misérables se jetèrent à genoux et demandèrent grâce.

— Pas de grâce pour les coupables, dit monseigneur de Pibrac, les faisant garrotter par ses gens et surveillant lui-même cette exécution. — Qu’on les renferme dans la prison du château, dit-il, et que demain on les conduise à Toulouse pour y être jugés. Cela dit, et les pèlerins emmenés par les domestiques, il chercha des yeux Cujas pour le complimenter et le remercier, lorsqu’il vit le pauvre enfant pâle et respirant à peine.

— Qu’as-tu? lui cria-t-il.

— Je ne sais, dit Jacques cherchant un appui, que les bras de la présidente lui offrirent. — L’émotion, je crois, ou possible la faim... Je n’avais pas déjeuné ce matin lorsque je suis venu me mettre sous le lit, et depuis...

Ce ne fut qu’un cri: «Vite à souper!» La charmante présidente voulut elle-même présider à ce qu’il ne lui manquât rien; elle lui versait à boire, elle lui coupait son pain, entremêlant de caresses ces soins presque maternels, lui essuyant elle-même le front et passant ses jolis doigts de duchesse dans les cheveux de l’enfant; puis tout à coup la présidente s’écria:

— Ah! mon Dieu! et Pierre Bunel qui n’est pas rétabli! Qui donnera donc des leçons de latin et de grec à mes enfants?

— Jacques Cujas, ce me semble, répondit le seigneur de Pibrac; m’est avis qu’il en sait assez pour cela. Qu’en dis-tu, mon garçon? Le logement au château, la table, le titre de précepteur et cent écus par an! Puis, instituteur de mes petits-enfants, tu seras encore élève des autres maîtres que je leur donnerai... Voyons, cela te va-t-il?

— Vous voulez donc me faire mourir de joie! dit Jacques pleurant et riant à la fois.

— Pour le quart d’heure, dit Cadette, m’est avis que ce petit Cujaus ferait bien d’aller consoler son père et sa mère.

— Cujas, et non Cujaus! fut toute la réponse de Jacques en passant devant la vieille gouvernante pour se retirer.

Cujas, dit l’histoire, mes jeunes lecteurs, apprit seul le grec et le latin. Il fut précepteur des enfants du président du Faur. Ce Guy, que je viens de vous montrer tout enfant, fut depuis le fameux Pibrac .

Cujas fut un des plus grands jurisconsultes qui eussent alors existé. Il recouvra et mit au jour une partie du code Théodosien. «Cujas, dit d’Aguesseau, a mieux parlé la langue du droit qu’aucun moderne et peut-être bien qu’aucun ancien.»

Les honneurs ne lui manquèrent pas: Charles IX le fit conseiller honoraire au parlement de Grenoble; il reçut de Henri III des faveurs et des récompenses. Sa fidélité pour Henri IV fut inébranlable. Les chagrins que lui causèrent les maux qui affligèrent sa patrie pendant les troubles de la Ligue hâtèrent sa mort: elle eut lieu à Bourges, le 4 octobre 1590; il avait soixante et onze ans. Il a produit un nombre très-considérable d’ouvrages de droit qui sont encore aujourd’hui très-estimés des légistes.

Les petits savants: Contes historiques dédiés à la jeunesse

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