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LA CACHETTE

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Nous qui n’avons pas, comme Guy du Faur de Pibrac, donné à Jacques Cujas notre parole d’être discret, nous allons le suivre, s’il vous plaît, et essayer de découvrir le mystère qui régnait dans la conduite du fils du foulon.

Depuis environ un an, deux fois par jour, à huit heures du matin et à une heure de l’après-dînée Jacques quittait furtivement la chaumière; quelque occupation que ses parents lui eussent donnée, que le travail fût ou non pressé, quel que fût l’attrait d’une récréation, Jacques s’esquivait si habilement, que ce n’était jamais que lorsqu’il avait disparu, que Madeleine s’écriait: — Où est donc l’enfant? — A quoi le père répondait:

— Il était là il n’y a qu’un instant.

— Mais il n’y est plus!

— Bast, il ne peut être loin; il sera allé se reposer ou regarder passer à cheval M. le fils aîné du président, ou causer avec quelque enfant de son âge. La jeunesse aime les distractions, et on ne peut forcer un jeune homme chez lequel la vie est dans toute sa séve, à rester assis calme, travaillant comme celui dont le sang s’est refroidi.

— Mais il ne t’aura pas toujours là pour lui gagner du pain, mon pauvre Cujaus... et alors, disait la prévoyante mère.

— Alors la nécessité fait loi, Madeleine, répondait le sage ouvrier.

Pendant que ses parents causaient ainsi, Jacques suivait, sans lever la tête au-dessus des arbustes qui l’entouraient, un petit sentier fleuri, étroit, tortueux, qui conduisait de chez lui au château. Là, au risque de se déchirer le corps, les mains ou le visage, il franchissait une haie d’églantier et d’aubépine, il se trouvait dans une allée de sycomores, si écartée des cours et des jardins, qu’il était bien rare que quelqu’un y passât. Ce jour-là, jour du départ du président, avant de se hasarder dans cette allée, Jacques écouta et regarda attentivement s’il était bien seul; n’entendant d’autre bruit que le gazouillement des oiseaux, ou le léger frémissement causé par la chute d’une feuille, Jacques se hasarda à poursuivre sa route; elle conduisait aux écuries; elles étaient vides. — Partant, pas de palefreniers pour entraver sa marche et lui demander d’où il venait, où il allait. Un moment, cependant, il eut un effroi très-grand de ne pouvoir entrer dans le château, car la poterne, qui était ordinairement toujours ouverte, lui parut fermée; mais, en approchant de plus près, il s’aperçut qu’elle n’était qu’entre-bâillée: alors il la poussa tout à fait, fit quelques pas avec beaucoup de précaution, sous les voûtes qui conduisaient, d’un côté aux offices, et de l’autre aux escaliers de service... Écoutant encore et n’entendant aucun bruit, puisque les gens de la maison étaient occupés du côté des cours extérieures, Jacques put se diriger sans danger vers l’escalier. Toutefois, usant d’une précaution qu’il prenait toujours, il sortit de la poche de sa veste un cerf-volant, dont il eut l’air, tout en montant l’escalier, d’assujettir la queue, — prêt à répondre, s’il rencontrait quelqu’un: «Je porte cela à M. Guy.» Il atteignit ainsi sans obstacle la porte d’une chambre dans laquelle il entra avec tant de hardiesse, qu’on voyait bien qu’il était sûr d’y être seul.

Effectivement, la chambre était solitaire. C’était une grande pièce, si grande, que, bien qu’elle fût garnie de meubles, elle paraissait à peine habitée. Un grand lit au fond, une immense armoire en bois de noyer, une table à pieds tors, une chaise à haut dossier, du temps du roi Dagobert, et quelques sièges de bois garnissaient à peine les murailles dénudées. Outre la porte par laquelle Jacques était entré, il y en avait deux autres: l’une s’ouvrait dans les appartements de la présidente, l’autre communiquait à la chambre occupée par mademoiselle Cadette. Bien que la présidente, en mère sage et prudente, exigeât que ses fils couchassent seuls et sans éprouver de peur dans une pièce séparée, on n’avait pas moins disposé autour de cette pièce tout ce qui pouvait rassurer sa sollicitude maternelle. Ainsi Hubert couchait entre la chambre de son père et celle de son précepteur; Guy, entre la chambre de sa mère et celle de sa gouvernante.

La première chose que fit Jacques en entrant dans cette chambre fut de s’approcher de la table, d’y prendre une grande feuille de papier blanc, un crayon, puis il se glissa sous le lit, dont les pieds assez élevés lui permettaient de se tenir à l’aise; il se coucha sur le ventre, s’appuya sur un coude, plaça la feuille de papier sous son visage, la maintint à l’aide de sa main gauche, et de la droite prit son crayon.

Il resta environ une demi-heure ainsi, sans bouger, et, impatienté, il se hasarda à dire:

— Ah çà ! on ne prend donc pas de leçons aujourd’ hui?

Comme il achevait le dernier mot, la porte de l’escalier s’ouvrit, et deux hommes en costume de pèlerin parurent. Puis, comme si ces deux hommes eussent entendu la demande que Jacques s’était faite à lui-même, l’un dit à l’autre:

— On ne prend pas de leçons aujourd’hui.

— Alors asseyons-nous et causons, répondit celui qui n’avait pas encore parlé.

— Ici? demanda le premier pèlerin.

— C’est l’endroit le plus convenable et le moins dangereux, dit le second. Tout le monde, maîtres, serviteurs et enfants, sont occupés au départ du président; la présidente a donné vacance pour aujourd’hui; donc il n’y a aucun risque que quelqu’un vienne de ce côté ; du reste, si tu le veux, Georges, et pour plus de sûreté, visitons partout.

— Va, Paolo, dit Georges, c’est plus prudent.

Paolo se dirigea vers la chambre de Cadette, n’y jeta qu’un coup d’œil, en tira la porte qu’il ferma aux verrous, alla à l’appartement de la présidente, en fit autant, puis alla aussi fermer la porte de l’escalier et revint s’asseoir auprès de son compagnon.

— Personne, dit-il; j’en étais sur. Nous pouvons causer de nos affaires en toute sûreté.

— Si on écoutait aux portes? fit observer Georges.

— On a bien raison de dire que tous les coquins sont lâches, répliqua Paolo.

— Pas tous, puisque tu ne l’es pas, Paolo, dit Georges; du reste, ici ce n’est pas lâcheté, c’est prudence!

— Parlons latin ou grec, répliqua Paolo impatienté ; de cette manière, celui qui nous écoutera sera le plus attrapé.

— Et tu penses que personne ici... dit Georges...

— Qui? demanda Paolo répondant à la phrase non achevée de Georges; — ce n’est pas notre élève, le jeune Hubert; il a bien fait de naître marquis et riche, c’est un pauvre sire; — ce n’est pas le petit Guy, bien qu’à tout prendre on dirait qu’il a retenu pour lui seul l’esprit de tous les Pibrac passés, présents et futurs; ce n’est pas la présidente; elle adore les savants comme les Indiens adorent le soleil, sans les comprendre; — c’est encore moins le vieux seigneur, qui tient à honneur de ne pas seulement savoir lire. — Quant aux valets, tu ne les supposes pas, j’imagine, capables de penser qu’il existe une autre langue que le languedocien; le français n’est même pour eux qu’à l’état de question... donc causons latin.

Voyant qu’il n’allait pas y avoir de leçons, Jacques se repentit et regretta sa course et ses transes pour arriver sous le lit. Puis le naïf et candide enfant éprouva un remords de ce que sa position le mettait à même de surprendre une conversation qu’il semblait à ceux qui la tenaient si important de cacher. «Je tâcherai de ne pas entendre, — se dit-il, je penserai à autre chose.» Le mot coquins, dont ils se gratifièrent l’un et l’autre, commença cependant à lui ôter les remords. — Il se dit: «Que vais-je donc entendre?» Quant à la précaution prise par ces pèlerins de parler latin, cela l’inquiéta peu; depuis un an que tous les jours, à double reprise, Jacques se cachait pour écouter les leçons de latin et de grec données d’abord par Pierre Bunel, quelquefois par le président, puis depuis quelques mois par ces deux hommes, le fils du foulon en avait tellement profité, qu’il était bien sûr de ne pas en perdre un mot. Il n’avait plus qu’une peur, c’était d’être vu, et se faisait aussi petit que possible sous le lit; mais les deux pèlerins, assurés qu’ils se croyaient que tous les gens de la maison étaient retenus autour du président, bornèrent leurs recherches à celles qu’ils avaient faites dans les deux pièces adjacentes, et Paolo commença.

Les petits savants: Contes historiques dédiés à la jeunesse

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