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MYSTÈRE

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Le lendemain de cette petite scène, une grande agitation régnait dans le château de Pibrac: tous les domestiques allaient et vènaient, ceux-ci portaient des paquets, ceux-là emballaient, d’autres chargeaient la voiture, attelaient des chevaux, ceux qui accompagnaient le président joignaient aux préparatifs du bagage de leur maître leurs préparatifs à eux, ceux qui restaient faisaient mille et une recommandations à ceux qui s’en allaient. Quant aux maîtres, réunis autour d’une table dans la salle principale du château, ils ne s’occupaient nullement de ce qui mettait les serviteurs en émoi. Il était dix heures du matin, l’on déjeunait: c’étaient monseigneur de Pibrac, un beau et noble vieillard de soixante-treize ans; le président du Faur, auquel ses quarante-cinq ans n’avaient rien fait perdre de sa beauté mâle et fière; en face d’eux une toute jeune femme, petite, mince, et si mignonne qu’elle avait plutôt l’air de la sœur que de la mère d’un jeune garçon de quinze ans placé près d’elle; puis, à côté du jeune garçon dont la pâleur maladive semblait affliger ceux qui le regardaient, un enfant de cinq ans, qui, à ce moment solennel du départ, paraissait assumer sur lui seul l’attention générale.

— Je ne suis qu’un cadet, disait-il, mais je veux être le savant de la famille, et comme maman aime les savants, elle m’aimera.

— Penses-tu donc avoir besoin de cela, mon petit Guy? lui demanda la jeune présidente.

— Quand on aime les gens, on cause avec eux, dit Guy.

— Eh bien... que faisons-nous? lui dit son grand-père.

— Vous ne causez pas, vous m’écoutez seulement, monseigneur, et voilà, dit l’enfant d’un ton boudeur.

— Qu’appelles-tu donc causer? lui demanda son père.

— Causer... causer... dit Guy en cherchant dans sa tête... c’est ce que vous faites avec les pèlerins.

— Guy est jaloux des pèlerins, dit le jeune homme malade en riant.

— Jaloux! jaloux! dit Guy en s’agitant... Eh bien, oui, j’en suis jaloux.

— Si on m’avait écouté, dit le président, il y a longtemps que ces gens-là auraient continué leur route au nord ou au sud de ce château.

— Mais, monsieur, lui fit observer sa jeune femme d’un ton qui, bien que respectueux, laissait deviner toute l’influence que cette jeune dame exerçait sur le cœur de son mari, en l’absence de M. Pierre Bunel, ne faut-il pas qu’ils continuent de diriger les études d’Hubert?

— Et puis, un, surtout...

— Qui joue parfaitement au trictrac, ajouta le seigneur de Pibrac.

— C’est une considération, monseigneur, dit le président en souriant.

— Non, riposta le vieillard susceptible; mais ce qui en est une, c’est que ces gens sont ici, et qu’on ne peut les mettre à la porte...

— A propos de ces pèlerins, dit la présidente, qui désirait, tout en parlant des pèlerins, changer la direction de la conversation, savez-vous ce qu’ils m’ont dit, et le nom que l’on donne depuis peu aux partisans soit de Luther, dont les opinions ont envahi l’Allemagne et qui commencent à pénétrer en France, soit de Calvin qui a modifié ces opinions?

— Des luthériens?... des calvinistes?... demanda le seigneur de Pibrac.

— Non; des protestants... répondit la présidente.

— Notre roi, François Ier, les fait brûler sous ce nom-là, dit le président.

— Je ne suis qu’une femme, répliqua la présidente, par conséquent une personne peu capable de juger la politique des rois ou celle des peuples, les guerres de religions et autres, mais je regrette seulement que les persécutions de notre roi aient forcé plusieurs savants, —Guy, ajouta-t-elle en riant, va encore m’accuser d’aimer les savants, — aient, dis-je, forcé plusieurs savants à quitter la France.

— Et cependant, madame ma bru, vous aimez François Ier, fit observer en souriant le vieux seigneur de Pibrac.

— Certes, oui, monseigneur, parce qu’il protége les lettres, répondit la jeune présidente. Vous le savez, et bien que vous me blâmiez maintes et maintes fois, j’estime les avantages du savoir autant que ceux de la naissance. François Ier a fondé le Collège de France; et par les conseils de son prédicateur Guillaume Parvi, et du célèbre Guillaume Budé, il a invité les savants de tous les pays à venir professer à Paris. Il leur donne à chacun, par an, deux cents écus d’or, avec la qualification de lecteurs royaux.

— Bien, mon amie, dit le président souriant à l’exaltation de sa femme, j’aime à vous voir approuver ce qui honorera à jamais le règne de François Ier.

— Qu’y a-t-il? demanda le seigneur de Pibrac, interrompant la conversation à la vue de mademoiselle Cadette qui parut dans la salle à manger, y jeta un coup d’œil, et se disposait à se retirer lorsque la voix de son maître la cloua à sa place.

— C’est Madeleine, la femme de Cujaus le foulon, qui cherche son fils, répondit cette femme; elle soutient l’avoir vu entrer au château, et comme aucun de nous ne-l’ a vu aux offices...

— Vous supposiez?... dit le seigneur... non... il n’est pas ici...

— Madeleine cherche toujours son fils, dit Guy... moi, je sais où il est.

— Eh bien, dis-le, lui dit sa mère.

— Non, j’ai donné ma parole, dit l’enfant avec un sérieux comique.

— Ta parole! la parole d’un enfant!, lui répliqua le président. — Je t’en délie, sors Madeleine de peine, dis où est Jacques.

— Monseigneur mon père, bien que cadet, je suis gentilhomme, n’est-ce pas? demanda Guy.

— Sans nul doute, mon petit-fils, lui répondit le seigneur de Pibrac.

— Eh bien, j’ai donné ma parole, et je la tiendrai... par ma gorge... comme dit monseigneur mon grand-papa.

Tous les convives se regardèrent avec étonnement, et la présidente tendit la main à son enfant, qui la prit et la baisa.

— C’est bien, mon Guy; mais, une autrefois, tu ne diras pas même que tu sais une chose que tu as juré de ne pas dire, c’est la moitié d’une indiscrétion.

— J’ai juré à Jacques de ne pas dire que je l’avais vu, mais je n’ai pas juré de ne pas dire que je le savais.

— C’est la même chose, lui dit sa mère.

— C’est que... dit mademoiselle Cadette en hésitant.

— Après? dit le président.

— C’est que, monseigneur, acheva la gouvernante, il se perd, s’égare, j’oserai même dire se vole, beaucoup de choses au château! et... la conduite de cet enfant...

— Que voulez-vous dire, Cadette, interrompit la présidente, soupçonnez-vous cet enfant?

— Il y a un proverbe qui dit, qui perd pèche! répondit respectueusement la gouvernante.

Le vieux seigneur de Pibrac se souleva à demi sur son fauteuil.

— C’est moi qui perds, mademoiselle, dit-il sévèrement, et je ne pèche pas. Je ne soupçonne pas, je ne veux pas qu’on soupçonne personne...

— Cependant, mon père, insinua doucement le président, — il y a des voleurs au château.

— Et j’ose dire, ajouta mademoiselle Cadette, enhardie par cette phrase de son maître, que la conduite du petit Cujaus est très-suspecte: il rôde toujours aux environs du château, il s’y faufile aussitôt qu’il présume qu’on ne le voit pas; et, une fois entré, il disparaît si promptement, qu’en vérité, n’était M. l’aumônier qui défend de croire aux revenants, aux esprits, aux sorciers, je croirais que ce petit est quelque chose d’approchant.

Guy partit d’un éclat de rire.

— Oh! Jacques! un sorcier! dit-il.

— Monsieur Guy ne croit à rien, n’a peur de rien, dit la gouvernante piquée de l’hilarité du petit de Pibrac.

— Je crois en Dieu! mademoiselle Cadette, dit Guy en rougissant, c’est pourquoi je n’ai peur de rien.

— Ça, c’est vrai, Guy n’a peur de rien, affirma Hubert, qui, semblable à toutes les personnes malades depuis l’enfance, parlait peu.

— Y a-t-il donc de nouveaux vols commis au château? demanda le président.

— Non, monseigneur.

— Alors de quoi vous plaignez-vous?

— Je me plains de ce que les voleurs sont au château, monseigneur.

— La preuve? demanda le président.

— Elle est claire, monseigneur: les vols se sont arrêtés depuis que je parle et que je me plains; si les voleurs étaient au dehors, ils ignoreraient cette circonstance, et les vols continueraient.

— C’est assez juste, dit le président... mais... parlez... que craignez-vous? qui soupçonnez-vous?

— Je défends qu’on soupçonne aucun de mes gens, dit le vieux seigneur de Pibrac d’un ton qui ne permettait aucune réplique.

— Moi, je défends les deux pèlerins, dit la présidente.

— Et moi, Jacques Cujaus, dit Guy.

— De sorte, dit le président en riant, qu’il ne reste plus aux soupçons de demoiselle Cadette, que monseigneur, la présidente et moi. Moi, je pars, je m’éloigne; en mon absence, je ne défends pas la surveillance... mais les faux rapports.

Dans ce moment le fouet du postillon ayant retenti dans la cour d’honneur, le président se leva, prit congé de son vieux père en lui baisant la main, embrassa la jeune femme, ses enfants, et monta en carrosse, escorté de plusieurs de ses gens à cheval. Il se rendait à l’ouverture du parlement de Toulouse.

Les petits savants: Contes historiques dédiés à la jeunesse

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