Читать книгу À terre & en l'air - Felix Nadar - Страница 14

II

Оглавление

Table des matières

Ma première ascension. — Autres. — 200 kilogr. — M. Fould. — Un accident. — Dames blanches. — La casquette. — Un refrain. — Secousses. — On regrette M. Carmien. — Grêle de pois. — En plein bois. — Le chien. — C'est un berger! — Le paletot. — La forêt de Moussy. — Attention aux zones!... — La Photographie Aérostatique est française! — Coutelle et les Aérostiers militaires. — Le Comité de Salut Public. — Le baptême du feu. — L'Entreprenant à Fleurus. — L'École nationale Aérostatique de Meudon. — Le ballon du couronnement impérial et la statue de Néron. — Mon ami de Gaugler perdu. — Un pis aller. — L'ouragan. — Mon ordre du jour.

L'intervention du moindre rayon de lumière dissipe à la seconde même les ténèbres les plus épaisses et permet à l'œil de sonder les plus sombres recoins.

Dès que j'eus entrevu la vérité, je fus moi-même surpris de constater l'admirable et infinie concordance des preuves à l'appui. Chaque observation nouvelle concluait d'accord: de tout jaillissait la démonstration, palpable, incontestable, mathématique, surévidente.

Je rencontrai enfin l'occasion que j'avais tant de fois rêvée: un jour d'Hippodrome, L. Godard, que je ne connaissais pas, vint à moi et m'offrit de prendre place dans son ballon. J'acceptai avec empressement, non pas cependant sans m'être d'abord assuré discrètement que nul voyageur payant ne m'envierait cette place gratuitement offerte:

—les affaires avant tout!—pour les autres, j'entends.

Et me voici en l'air, jouissant à pleins pores de cette volupté infinie, unique de l'ascension.

Je n'avais jamais causé avec L. Godard, puisque je le voyais pour la première fois. Je savais seulement qu'il avait une certaine pratique des aérostats.

Ma première question, à peine à cinq cents mètres du sol, fut celle-ci:

—Et vous, croyez-vous à la possibilité de diriger vos ballons?

—Jamais!

—À la bonne heure!

Nous descendîmes, je ne me rappelle plus où cette première fois;—et je n'eus plus qu'une pensée que comprendront tous ceux qui ont fait une ascension: recommencer au plus tôt.

Je guettais les occasions. Ne me jugeant pas assez riche pour me payer toutes les semaines au prix de cent francs une heure de plaisir, je m'accotais sur la barrière de l'enceinte, épiant comme ennemie toute figure nouvelle qui venait parler à Godard, et quand l'heure du départ sonnait enfin, par bonheur, si la place était restée vide, je ne mettais pas longtemps à enjamber la barricade et à sauter dans le panier.

Pour Godard, d'une finesse particulière sous son allure de bonhomie, son temps ne se trouvait pas perdu, et chacune de nos ascensions était pour lui un excellent placement comme publicité. Un beau fait divers, rédigé par moi après chaque ascension, inévitablement reproduit par tous les journaux toujours bien disposés pour moi et sur ce chapitre, ne manqua jamais une fois de chanter «l'intrépidité» de mon aéronaute et de célébrer, en même temps que la courtoisie des hôtes de nos descentes, la gloire de la dynastie des Godard.

Il est inutile d'ajouter que je me chargeais, comme de juste, de tous les divers frais de retour, dépenses communes, indemnités de descente, etc.—De cette façon, chacun y trouvait son compte.

Aussi Louis et Jules Godard mettaient un empressement naturel à me demander comme compagnon dans leurs ascensions. Lors même que la chose semblait impossible de par le peu de force ascensionnelle dont leurs petits ballons disposent, l'ardeur que j'avais à monter et l'intérêt qu'ils pouvaient avoir à m'emporter, faute d'un voyageur tout à fait sérieux, arrivaient d'ensemble à déterminer mon départ. Plus d'une fois, avec une force ascensionnelle plus qu'insuffisante, ils acceptèrent les cent kilogrammes que j'ai le tort aérostatique de peser,—vidant leur nacelle du précieux lest, lorsqu'un demi-sac peut représenter la vie d'un homme. Plus d'une fois il nous arriva de partir, soit avec Jules, soit avec Louis,—comme une fois à Montmartre,—avec un seul sac de lest, bien que la plus élémentaire prudence nécessite au moins le double, sinon le triple.

Avec une descente que nous fîmes, Louis et moi, sur un arbre de la propriété de M. Fould, à Saint-Germain, et une charmante soirée dans cette maison hospitalière,—avec une autre, près de Rosny, où nous démolîmes quelque peu une maison et où je tremblai un instant que Louis n'eût la cuisse coupée par la corde d'ancre imprudemment agencée, je me rappelle surtout une descente assez vive que nous opérâmes avec Jules sur plein bois, par nuit noire et orage.

Nous étions partis depuis une heure de l'Hippodrome et le jour commençait sensiblement à baisser. Il fallait remiser et plier bagage.

—Tâchons donc cette fois-ci de descendre chez des gens un peu civilisés, dis-je à Jules. Nous nous arrangeons presque toujours pour tomber en pleins champs; les paysans arrivent, nous gênent plutôt qu'ils nous aident, et il faut souvent jouer du poing fermé pour s'en débarrasser. Nous avons beau tomber sur des terres fauchées, en pleins chaumes, ils trouvent toujours moyen de réclamer une indemnité, que je leur paye toujours aussi, pour en finir plus vite.—Tenez, Jules! regardez sur quelle charmante propriété nous arrivons: n'est-ce pas fait pour nous?

C'était charmant, en effet: une immense pelouse devant une jolie maison bourgeoise, le tout entouré de bois, avec eaux vives, je crois. Sur la pelouse et devant le perron, de belles daines en robes blanches... On m'a dit depuis que cette propriété appartenait à M. Dehaynin.

Nous rasions à soixante mètres au plus.

—Descendez ici! nous criait-on. Venez dîner avec nous!

—Eh bien! dis-je à Jules, voilà notre affaire!

—Notre angle de descente nous porte un peu plus loin, me répondit-il,—mais pas beaucoup plus loin. Nous allons revenir: j'ai mon moyen!

Et le voilà qui salue, salue à tour de bras—et laisse tomber sa casquette...

Je venais de comprendre.

—Gardez-la-moi! crie-t-il. Nous allons revenir!

—C'est dit! Venez vite!

Mais, crac! voici qu'un coup de vent de tous les diables fait disparaître sous nous la jolie maison—et bien d'autres. L'ouragan vient de se déchaîner: en un clin d'œil nous sommes portés à quelques lieues de là, les nuages sombres galopent avec nous, la nuit subite est venue.

Je pars d'un éclat de rire,—et je chante à Jules sur un air connu des casernes:

As—tu—vu

La casquette, la casquette,

As—tu—vu

La casquette au p'tit Godard?

Mais Jules ne rit pas. Est-ce le deuil de sa casquette? n'est-ce pas plutôt la préoccupation assez légitime de noire descente qui le rend sérieux, lui qui est beaucoup plus à même que moi, par sa pratique antérieure, d'en apprécier toute la gravité?

Cependant la bourrasque continue à nous emporter. La nuit est tombée tout à fait.... J'avais recommencé mon refrain...

—Il faut descendre sur ce plein bois, monsieur Nadar, m'interrompt tout à coup Jules;—et nous allons avoir du tirage!

Il donne un brusque coup de soupape, amarre rapidement sa corde, fait passer l'ancre par-dessus le bord de notre panier et laisse filer le câble:

—Maintenant, me dit-il très-vite, tenez-vous bien, monsieur Nadar! Tenez-vous bien: vous allez recevoir un choc comme vous n'en avez jamais reçu de votre vie!!!...

Je m'étais déjà cramponné de mes deux mains aux cordes qui suspendent la nacelle au cercle, et Jules en avait fait autant...

—Tenez-vous bien, monsieur Nadar!... Tenez-vous bien, nom de D...!

Il n'a pu achever: le cri a été coupé court par la plus épouvantable des secousses... Du coup, la nacelle est revenue sur elle-même comme par un ressort...

Et la voilà déjà repartie, entraînée par le ballon...

—Tenez-vous bien!!!

Ouf!... deuxième secousse, un peu moins violente, mais il y a encore de quoi vous arracher le pain de la bouche... La nacelle subit le même mouvement de retour, puis le câble se tend encore... L'ancre tient bon, le câble aussi—jusqu'à présent.—Mais l'ouragan s'obstine et pousse au ballon: nous entendons derrière nous les branches que nous fracassons... Comme M. Carmien de Luze, qui se charge de diriger ces machines-là, nous serait précieux ici!...

—Tenez-vous bien, monsieur Nadar!!!...

Patatras! Tout a cassé avec un tintamarre épouvantable,—notre câble aussi. La nacelle s'élance, revient et repart encore comme un gigantesque pendule au-dessous du ballon qui a repris son vol.—Je ne me suis pas encore offert un traînage à la remorque du Géant en Hanovre, et n'appréciant pas, comme mon compagnon, le danger,—je jouis de toute la surexcitation de mes nerfs de l'âcre et indicible volupté du terrible jeu.

—Au nom de Dieu, monsieur Nadar, ne riez pas!—Et tenez-vous bien!!!

Il jette le guide-rope,—long câble d'une soixantaine de mètres, pour l'engager dans les arbres et nous retenir, à défaut de l'ancre perdue.

Une secousse effroyable encore,—mais on s'y fait! Il me semble d'ailleurs que celle-ci a été moins violente que les autres.

Et en effet, le ballon dégagé déjà d'une bonne partie de son gaz par la soupape maintenant ouverte a dû perdre beaucoup de ses forces.

Un peu de roulis encore et nous voici à peu près tranquilles.—Le quart d'heure a été rude: je ruisselle de sueur et quitte ma redingote.

Mais qu'est ceci? Et que se passe-t-il au-dessus de nous? J'entends dans tout le ballon que je ne vois pas, mais qui est toujours, bien entendu, au-dessus de nous, une crépitation extraordinaire:—on dirait une grêle de pois tombant sur un tambour.

—Qu'est-ce qui se passe donc là-haut, la Casquette?...

—C'est la pluie.

—Tiens! Mais on est fort bien là-dessous.

—Oui. Seulement, attendez!

Et presque aussitôt la parole dite, la pluie qui frappe de tous côtés la vaste envergure et suit le long de la sphère sa pente naturelle, nous arrive dans le cou comme si elle tombait d'une gargouille:

—Ah! mais, bigre! il faut nous en aller de là—et vite!

Reste la question de savoir sur quoi nous sommes.

Est-ce haute futaie, moyenne futaie, petite futaie?

Allons-nous arriver sur la cime d'un chêne de trente mètres? Comment le hasard nous y accrochera-t-il? Et comment en descendrons-nous dans cette obscurité?

Car il ne faut plus compter sur le ballon pour nous soutenir désormais. Il se dégonfle de plus en plus, et nous baissons sensiblement...

Jules se met à crier, à tout hasard, entre ses deux mains en porte-voix:

—Ho! hé!... Ho!... Au secours!...

J'en fais autant:

—Au secours!... Ho! hé!... Ho!...

quoique sans conviction.—Quel abonné du journal Les Mondes pourrait rôder sous ces ombrages par une température aussi peu engageante?

Mais nous sommes sauvés,—dans un moment, quand nous allons être à terre: au loin, les aboiements d'un chien nous répondent:

—C'est une ferme! dis-je tout satisfait à Jules.

—Il ne s'agit que de s'y rendre.

Nous descendons toujours: des craquements se font entendre sous la nacelle. Nous touchons,—quoi?

Enfonçons encore!... Hardi!... Encore!...—Ça s'arrête!!...

Jules, qui tient l'emploi de Chat céleste, enjambe le bord du panier, une corde en main,—et disparaît dans le noir...

—Prenez bien garde! lui dis-je.

—Nous sommes à terre, me répond-il presque aussitôt. Nous avons de la chance: juste sur un buisson!

À mon tour, je descends.

—Ho! hé!... Ho!...

Réponse du chien.

—Le chien est de ce côté, Jules!

—Eh bien, allons-y!

Et nous voilà partis, le ballon bien amarré.

À terre & en l'air

Подняться наверх