Читать книгу À terre & en l'air - Felix Nadar - Страница 15

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Au bout de dix pas:

—Et mon paletot que j'oubliais!

—Bah! nous allons revenir le prendre dans un instant.

Et j'allais y croire! Il est dit que toute ma vie je me laisserai prendre à la première parole de mon prochain...

Mais, heureusement, je pense à la casquette de Jules: c'est une vendetta! Et puis,—un peu de bon sens!—comment diable retrouver cette place quand nous aurons fait seulement trois pas de plus?...

Farceur de Jules!

Je reprends mon paletot—et cette fois nous voilà partis:

—Ho! hé!... Ho!...

Nous tirons sur le chien.—Quelles fondrières! Je me cramponne à l'épaule de mon compagnon, beaucoup plus malin que moi pour se débrouiller dans ces taillis. Je crois qu'il y voit de nuit, toujours comme les chats, ses frères. Nous glissons à chaque pas dans des trous...

—Ho! hé!... Ho!...

Le chien approche.

—Un peu de patience! dis-je par manière d'encouragement pour nous deux.

—Nous serons bientôt à la ferme! répond Jules.

—On nous donnera à manger!

—Et à boire!

—Et nous ferons faire du feu pour nous sécher.

—Oh! moi, je me sèche toujours tout seul!

Houp! houp! houp!...—Couchez!...

—Ah! voilà le chien!... Ohé!... Houst!... Arrière!... Couchez!!!

Hélas!

Le chien n'est pas une ferme, c'est un berger—qui parque sous la lisière du bois.

Ledit berger ne paraît, dans l'ombre, rassuré que tout juste: son chien, derrière lui, grommèle... On cause...

—Comment, dà! c'étiez vous qu'étaient dans c'grand machin-là!

D'après l'idiome, nous devons être au moins sur l'extrême Normandie.

Renseignements: nous sommes dans la forêt de Moussy, bois de Beaumarchais; quatre lieues pour gagner la station de Luzarches—par les terres labourées.—Merci!

Nous mourons de soif, il nous offre sa gourde de cidre: du pur vinaigre!

Nous lui rendons de quoi boire une bouteille de cacheté,—et nous revoilà en route.

Vers les minuit, nous prenions le convoi qui nous ramenait sur Paris,—au complet, moins une casquette que je réclamais le lendemain par une lettre insérée dans le Figaro, et qui nous fut honnêtement renvoyée,—et le ballon que Jules allait chercher le surlendemain, et retrouvait intact, sans la moindre déchirure, bien qu'entouré de villageois qui venaient y faire respectueusement pèlerinage.

Notre extrême chance nous avait fait échoir tout justement au beau milieu d'une clairière,—d'une part,—et, d'autre part, ces braves villageois appartenaient à la zone hospitalière qui commence au delà de cinq lieues autour de Paris.

Ne jamais tomber en deçà, et encore moins, dans ce mauvais cas, laisser quoi que ce soit sur place. Car dans cette banlieue de la capitale du monde civilisé, vous trouvez des brutes plus sauvages et plus féroces que les Boschimen et ceux de l'Orégon.

À chaque ascension nouvelle où je m'ajoutais un chevron, plus nettement et absolument se formulait dans mon esprit l'axiome:—«Être plus lourd que l'air pour lutter contre l'air,»—ou, en termes encore plus élémentaires, et comme l'a articulé mon coadjuteur de La Landelle:

Être le plus fort pour ne pas être battu.

Ce n'est pas avec l'éponge que vous entamez le verre, c'est avec le diamant.

Plus aussi me prenait et m'envahissait la passion des ascensions.

J'aurai l'occasion tout à l'heure de tâcher de décrire le charme infini—et sans similaire d'aucune sorte—qu'on éprouve sous une nacelle d'aérostat.

En attendant, je m'étais trouvé un prétexte sérieux pour monter en ballon à peu près à ma guise, autant du moins que ma bourse me le permettrait.

J'avais eu l'idée d'essayer des relevés photographiques du planisphère, et j'avais aussitôt pris,—n'en déplaise au célèbre opticien-photographe de Londres, M. Negretti,—le premier brevet de Photographie Aérostatique.

Les applications étaient du plus grand intérêt.

Au point de vue stratégique, on n'ignore pas quelle bonne fortune c'est pour un général en campagne de rencontrer un clocher de village d'où quelque officier d'état-major dresse ses observations.

Je portais mon clocher avec moi, et, grâce à mon appareil photographique, je pouvais tirer tous les quarts d'heure un positif sur verre que je faisais parvenir au quartier général, sans perdre de temps ni de gaz à descendre, tout simplement au moyen d'un facteur mécanique,—petite boîte coulant jusqu'à terre le long d'une cordelle qui me remontait des instructions au besoin.

Le positif sur verre, soumis dans une chambre optique aux yeux du général en chef, marquait les points de la bataille en constatant, au fur et à mesure, chaque mouvement des deux corps d'armée.

Il ne m'est réellement pas possible ici de ne pas rappeler, si brièvement que ce soit, l'histoire, si peu connue et qui pourtant ne saurait jamais être assez répétée, de Coutelle et des Aérostiers militaires sous la première République.

Guyton de Morveau eut l'idée première de cette application de l'aérostatique.

Le Comité de Salut Public, Carnot, Berthollet, Fourcroy, Monge, etc., en tête, l'adopta aussitôt et l'exécution immédiate s'ensuivit.—Dans ce temps-là, on allait vite!

Guyton de Morveau s'adjoignit un ancien précepteur du comte d'Artois, Coutelle, qui, bientôt nommé directeur des essais, s'installe au château de Meudon, et appelle immédiatement à lui son ami Conté, peintre, chimiste, mécanicien: «—Toutes les sciences dans la tête, tous les arts dans la main,» disait de Conté, Marey-Monge.

Quatre jours après la première expérience, le Comité de Salut Public décrétait la création d'une compagnie d'Aérostiers militaires sous le commandement du capitaine Coutelle.

Les hommes que Coutelle choisit avec soin avaient tous des notions de charpente, chimie, maçonnerie, peinture d'impression, etc.

Cinq semaines après sa création, la compagnie est à Maubeuge assiégée par les Autrichiens. Coutelle demande et obtient l'honneur de prendre part avec ses hommes à une sortie contre l'ennemi, et il gagne ainsi le sanglant baptême du feu pour sa petite troupe dont la garnison ne comprenait pas encore bien la mission.

Les premiers moments furent rudes: tout avait été si hâté que rien n'était prêt. Il fallut tout improviser, mais Coutelle était admirablement secondé par ses hommes, soldats-ouvriers d'élite, et bientôt le voici en l'air, dans son ballon l'Entreprenant[1], guettant et constatant le moindre mouvement de l'ennemi, rendant impossible toute surprise et produisant de plus un grand effet moral sur les assiégeants.

Coutelle est envoyé sur Charleroi: il part avec son ballon gonflé,—opération difficile,—fait en route une reconnaissance aérostatique, et, arrivé à Charleroi, trouve encore le temps de s'élever en l'air avant la nuit.

Le lendemain, c'était la bataille de Fleurus. L'Entreprenant resta huit heures en observation, malgré les projectiles de l'ennemi.

Une fausse manœuvre—un coup de vent plutôt—porte l'aérostat sur un arbre après la bataille et le met hors de service. On envoie de Meudon un autre ballon cylindrique et ne pouvant enlever qu'un seul homme: Coutelle le renvoie.—La compagnie des Aérostiers installe un établissement à Borcette, près d'Aix-la-Chapelle.

Pendant ce temps-là, le Comité de Salut Public n'avait pas cessé un instant de s'occuper du corps créé par lui.

Dès le départ de Coutelle pour Maubeuge, la Convention avait décrété (5 messidor an II) la formation d'une deuxième compagnie, espèce de dépôt placé à Meudon sous le commandement de Conté.

Le 10 brumaire an III le Comité créait l'École Nationale Aérostatique de Meudon destinée à assurer le recrutement spécial et à fournir des officiers. C'est là que Conté, parmi bien d'autres découvertes précieuses, trouva le secret, malheureusement perdu, de parer à l'endosmose et à l'exosmose en parvenant à garder le gaz jusqu'à trois mois dans un aérostat.

Outre l'Entreprenant, qui avait été établi à Meudon, Conté fit construire le Céleste, destiné également à l'armée de Sambre-et-Meuse, l'Hercule et l'Intrépide, envoyés plus tard à l'armée de Rhin et Moselle.

Le 3 germinal an III, le Comité de Salut Public décrétait la création d'une deuxième compagnie active pour l'organisation de laquelle Coutelle fut rappelé de Borcette en qualité de chef de bataillon.

À peine formée, cette compagnie est envoyée à Maubeuge. On retrouve dès lors nos Aérostiers à Frankenthal, où le ballon est criblé de balles, à Manheim, à Ehrenbreistein, où le capitaine Lhomond fit avec succès une reconnaissance au milieu d'une pluie de bombes et de boulets.

À Wurtzburg, malheureusement (17 fructidor an IV), l'aérostat en observation a ses agrès brisés; la compagnie et son matériel tombent au pouvoir de l'ennemi par la capitulation. Lhomond et Plazanet, prisonniers de guerre, sont échangés quelques mois après, à temps pour participer à la campagne d'Orient avec leur compagnie.

Mais à partir de Wurtzburg, hommes et événements jusqu'alors propices, tout change pour les Aérostiers, Hoche d'abord, qui succède à Jourdan, et leur est aussi hostile que celui-ci leur avait été favorable. La première compagnie est prisonnière de guerre, et la seconde reste inactive malgré les instances de Delaunay, son capitaine.

Libre par le traité de Léoben, la première compagnie est dirigée sur Toulon. Elle se trouve, dans le transport, séparée de son matériel qu'Aboukir lui enlève; le bâtiment qui la portait est coulé.

À compter de ce désastre, l'Aérostation militaire est perdue. En débarquant à Marseille, les Aérostiers sont licenciés et versés dans le corps du génie. À grand'peine, et après des réclamations énergiques, les officiers ont obtenu la confirmation de leurs grades conquis. Le matériel de Meudon est versé dans les magasins du génie—et tout est oublié.

On a parlé, à tort ou à raison, de l'hostilité de l'Empereur contre tout ce qui était aérostat, à la suite de la mésaventure du ballon du couronnement qui, lancé par Garnerin, allait, le lendemain matin, s'accrocher au pseudo-tombeau de Néron à Rome, y laissant une partie de la couronne impériale décorative qu'il emportait, pour aller enfin s'abîmer dans le lac Braciano.—Les journaux étrangers ne pouvaient manquer de signaler avec insistance à la malignité de l'Europe coalisée cet incident étrange, tout fortuit qu'il fût.

Depuis nous retrouvons à peine çà et là quelques traces historiques de l'Aérostation militaire. En 1812, les Russes avaient projeté d'écraser l'armée française à l'aide d'une machine infernale transportée par un aérostat.

En 1815, Carnot, commandant la défense d'Anvers, employa un ballon à des reconnaissances militaires.

En 1820, quelques partisans obstinés de l'aéronautique cherchent à remettre la question sur le tapis.

En 1826, les journaux se décident enfin à y donner quelque attention. Le Spectateur militaire publie un excellent article où l'auteur, M. Ferry, prédit l'oubli des traditions et la perte, peut-être irréparable, des découvertes déjà acquises. C'était déjà plus qu'à moitié fait.—L'opinion publique s'émeut: une commission militaire est chargée d'un rapport. Ce rapport est enfin publié et, favorable à la question, il va, comme de juste, et à la tradition fidèle, s'enfouir dans les cartons.

Lors de l'expédition d'Alger, l'aéronaute Margat obtient l'autorisation d'accompagner l'armée.—Le ballon fut emporté, rapporté, payé, sans avoir même été déballé, et tout fut dit.

En 1848-49, les Autrichiens emploient, devant Venise, de petits ballons enlevant des bombes. Mais les courants de vent reportent ces envois sur les assiégeants qui s'empressent de renoncer au procédé.

Enfin, en 1854, on essaya, à Vincennes, je crois, dans les plus mauvaises conditions et partant sans succès, de faire tomber d'un aérostat captif des projectiles détachés par un mécanisme électrique.

Que je remercie maintenant un brave et charmant officier qui fut pour moi un ami de quelques jours, et que je n'ai pas revu depuis des années. C'est à une intéressante brochure de M. de Gaugler que je viens d'emprunter sans façon ces détails pleins d'intérêt.

Inutile de dire que M. de Gaugler concluait à la réorganisation immédiate des Compagnies d'Aérostiers Militaires,—et je ne résiste pas au plaisir de le citer encore:

Abordant les objections:

«La question des armes de précision est moins sérieuse qu'elle ne paraît de prime-abord, dit-il: un ballon distant de mille mètres et élevé de cinq cents, n'est pas un but facile à atteindre, et est, à cette distance, un observatoire commode. Les anciens aérostiers ont eu les leurs percés à Frankenthal et à Francfort,—à Frankenthal de neuf balles, et ils eurent le temps de rester encore trois quarts d'heure en observation avant d'être forcés de descendre. Il n'y aurait de vraiment redoutables que les projectiles porteurs d'une houppe d'éponge de platine...»

Mais rassurez-vous!

«... Au pis aller! poursuit M. de Gaugler, on sauterait, et cela n'arriverait pas tous les jours.»

Et il termine, plein d'une douce philosophie:

«Ce sont des désagréments dont il est difficile de s'affranchir absolument à la guerre.»

Vous comprenez si, en relisant ce charmant final, j'ai du regret de ne pouvoir en ce moment serrer dans la mienne la main qui l'a tracé.

Pour en finir avec les Aérostiers militaires, et en attendant qu'un pouvoir intelligent apprécie enfin la nécessité de reconstituer ce corps précieux, je ne connais rien de plus émouvant ni de plus chevaleresque que cet épisode de la vie de Coutelle devant je ne sais plus quelle tranchée.

Il faisait un vent formidable et les soixante-quatre hommes qui retenaient son ballon par les deux cordes de l'équateur étaient entraînés à de grandes distances, et enlevés parfois restaient suspendus. L'aérostat était tantôt soulevé, tantôt repoussé avec furie contre terre; les barres de bois qui forment le plancher de la nacelle avaient volé en éclats: Coutelle était à son poste, dans le panier, cramponné aux cordages, guettant le moment du Lâchez tout!

Trois fois l'ouragan avait semblé vouloir écraser l'aérostat et l'aérostier sur le sol.

Tout à coup, des lignes ennemies, on voit accourir des hommes agitant le drapeau parlementaire. On les conduit au commandant français:

—Le général qui nous commande, dit l'un d'eux, vous demande de ne pas permettre que ce brave officier expose ainsi plus longtemps ses jours; il ne doit pas périr par un accident étranger à la guerre. Nous lui apportons l'offre de venir relever en toute liberté l'intérieur de nos fortifications.

Coutelle, à qui on transmet la proposition, la refuse, et, quelques minutes après, s'enlève, superbe, au-dessus de l'ennemi.

Ailleurs et plus tard, en 1793, au siége de Mayence, les Prussiens cessent leur feu pour donner aux Français le temps d'élever dans un des bastions la tombe du général de génie Meusnier,—«le plus remarquable des auteurs aérostatiques,» dit Marey-Monge,—qui vient d'être tué par un boulet.

Il est pour l'écrivain, avant l'heure précise où il va prendre la plume, certaines lectures qui le diatonisent, et semblent, comme le cheval de course, l'entraîner.

J'ai bien des fois pensé que, si j'étais général, la veille d'une bataille, je ferais mettre à l'ordre du jour, dans les chambrées ou sous les tentes, la lecture à haute voix de la plus héroïque et la plus généreuse des épopées: le Gœtz de Berlichingen, de Gœthe—que je n'ai jamais relu sans sentir frémir mon cœur et mes muscles se roidir de vaillance.

Mais j'ordonnerais aussi que chaque bataillon eût au moins deux exemplaires de la noble histoire de nos vaillants Aérostiers de la République.

À terre & en l'air

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