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IV

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Table des matières

Déception. — M. Andraud. — Que le diable l'emporte, d'abord... et le rapporte bien vite! — Les desiderata d'un homme de génie. — Une idée dans l'air. — Le monsieur assis et le monsieur debout. — L'expédition d'Italie. — Mes conditions. — Tout de suite! — Un autographe de cinquante mille francs. — Nadar au ministère d'État. — M. Fould me bat froid. — Les feuilles sèches. — Un ballon brûlé. — Les Commentaires de Godard. — Un schisme. — Moralité: HISTOIRE DU JEUNE HOMME QUI A RENDU LES QUINZE MILLE FRANCS.

J'étais transporté de joie...—mais quel coup de foudre le soir même de ce beau matin-là!

Un ami m'arrive à l'heure de dîner. Je lui raconte avec tout mon lyrisme habituel quand j'ai enfourché un dada nouveau, et ma théorie, et mes espérances brevetées, et mon expérience du matin, et je cours chercher mon cliché victorieux, si laid qu'il soit...

—Mais, mon pauvre bonhomme, c'est connu, ton affaire! J'ai lu tout cela, il y a un mois à peine, imprimé tout au long.—Et même il y avait à l'Exposition de cette année des photographies faites en ballon...

Je dus passer du jaune au vert.

L'ami terrible continuait:

—Le livre est fort bien fait. Il est d'un monsieur.... monsieur... attends donc!—Un monsieur qui a eu des rapports avec l'air comprimé... monsieur... Andraud!—c'est cela: monsieur Andraud.

Il m'est grimpé une buée de chaleur derrière les oreilles.

Je sonne, j'envoie dans deux directions à la recherche du livre... On me l'apporte enfin:—c'est qu'il a l'air très-honnête, ce scélérat de livre!

EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1855

UNE DERNIÈRE ANNEXE

AU

PALAIS DE L'INDUSTRIE

Sciences industrielles—Beaux-Arts—Philosophie

PAR

M. ANDRAUD

La science du pouvoir est de bien user du

pouvoir de la science.

Napoléon Ier.

PARIS

GUILLAUMIN ET Ce, LIBRAIRES Éditeurs du Journal des Économistes, de la Collection des principaux Économistes, du Dictionnaire de l'Économie politique, etc.

RUE RICHELIEU, 14

Et chez l'auteur, rue Mogador, 4

1855

Je feuillette, fiévreux—et j'arrive à la page 97.

TOPOGRAPHIE

No II. ARPENTAGE AU DAGUERRÉOTYPE

Le livre me tombe des mains!...

Comment n'ai-je pas su cela?... Quelle belle paternité perdue!... sans parler d'une douzaine de mille francs jetés là...

Accablé, j'ai repris le livre et je parcours, distrait...

Tout à coup:

—Mais, animal! m'écriai-je, tu ne sais donc pas lire!!!

L'animal n'avait pas su lire en effet, ou plutôt, comme tant de gens, il n'avait lu qu'avec les yeux.

Le livre du très-sérieux et très-savant M. Andraud était un livre de pure fantaisie: l'Annexe de l'Exposition, c'était M. Andraud, à lui seul, qui l'avait construite, magnifiquement, il faut le dire, sans y ménager davantage les millions, que s'il eût été l'État ou s'il se fût appelé Pereire ou Rothschild,—et il avait entassé là tous les trésors fantastiques, mais non moins précieux, tous les desiderata accumulés dans sa triple et féconde imagination de savant, de poëte et d'homme de bien.

On y trouvait successivement:—un système définitif de pavage,

 les auvents couvre-trottoirs,

 l'escalier automoteur,

 la végétation instantanée,

 le filtre universel,

  les viandes végétales,

 la réforme du vêtement,

 un nouveau combustible,

 les brouettes à charge équilibrée,

 l'horloge à air,

 la force motrice universelle,

 le plan d'une maison d'habitation,

 le théâtre de la science,

 la propagation illimitée du son,

 l'arpentage au daguerréotype (!!!),

 etc., etc., etc.,

—et une foule d'autres ingéniosités, semées à pleines mains, sans précautions ni brevets d'aucune sorte.—Que lui faisait d'être volé, à ce millionnaire de l'idée!

Ce volume était à la science utile, ce qu'est à l'histoire contemporaine, moins nécessaire, le fameux livre de Geoffroy-Château—ce bréviaire du jour, que si peu de gens pourtant connaissent aujourd'hui—le Napoléon Apocryphe!

L'alarme avait été chaude,—si chaude, que je voulus voir le terrible homme qui l'avait causée, ce qui me donna l'occasion de faire connaissance avec un des esprits les plus éminents de Paris, et en même temps avec le plus modeste et le plus sympathique des hommes.—C'est malheureusement sur un tombeau que je dépose cette couronne en affectueux souvenir.

Je n'ai jamais eu la curiosité ni le temps de constater si le livre de M. Andraud avait paru avant ma prise de brevets, ou si j'avais pris mes brevets avant la publication du livre.

Peu m'importait désormais: je savais maintenant que son auteur était trop riche pour avoir eu besoin de me rien prendre, d'une part, et j'étais bien sûr, d'autre part, que, quant à moi, je ne lui avais rien volé.

Il y a à certaines heures des manières d'endémies synchroniques pour la pensée humaine. C'est à ce propos qu'il a fallu inventer la formule, le dicton:—Cette idée était dans l'air.

Je n'ai pas tout à fait fini avec la Photographie Aérostatique.

Je m'étais trouvé à un dîner du Figaro à côté d'un monsieur, homme d'affaires fort intelligent dans sa partie, ma foi! que je connaissais banalement comme je connais cinq ou dix mille personnes à Paris.

Je lui avais parlé de mes espérances de ce côté.—Le monsieur me dit qu'il partait pour rejoindre l'armée d'Italie, et il me demanda s'il me conviendrait d'apporter à l'expédition mon concours, au cas où ce concours me serait demandé.

Je répondis affirmativement, cette expédition étant tout à fait de mon goût,—

—MAIS!!!...

—...mais j'aurais à poser certaine réserve que voici:

—Ayant passé l'âge de la conscription, n'étant réquisitionnable à aucun degré, et déclarant absolument à l'avance que je refusais toute espèce de rémunération quelle qu'elle fût, pécuniaire ou honorifique, je ne consentirais à partir qu'à la condition expresse—sine quâ non—que l'on me laisserait toute ma liberté personnelle, dès que je m'engageais, sur toute réquisition du commandement militaire et dans quelques conditions que ce fût, à faire mes ascensions photographiques.

Il était donc bien entendu que je n'aurais pas d'autres rapports avec ce commandement que celui des ordres à moi transmis. Je ne suis pas un quémandeur d'antichambre: je ne cherche pas du tout les conversations augustes et je suis de glace aux sourires bienveillants. J'apporterais donc très-volontiers mes services complètement désintéressés dans une campagne dont le but m'était sympathique, mais j'en tendais en revanche réserver d'ailleurs de la plus absolue façon la disposition complète de mon individu...

Les personnes civilisées qu'irriterait l'impertinence de cette outrecuidante sauvagerie sont priées d'être indulgentes:—mon défaut est si peu contagieux!

Huit jours après, au moment où je pensais le moins à cette conversation en l'air aussitôt oubliée, je recevais de je ne sais plus quel campement d'Italie une dépêche télégraphique de douze lignes, dans lesquelles se trouvait douze fois au moins le mot: tout de suite!

«On vous attend tout de suite, etc. Préparez immédiatement votre matériel. J'arrive aussitôt à Paris. Nous avons un crédit de 50,000 francs.»

Nous avons! m'inquiéta un peu. Comment diable pouvais-je, moi, être pour quelque chose dans l'obtention d'un crédit de 50,000 fr. auprès du gouvernement?

—Et puis le monsieur en question avait peut-être été un peu trop vite pour que je fusse bien certain de le suivre: mon fameux positif sur verre du Petit-Bicètre ne me garantissait pas rigoureusement une série non interrompue de succès.—Il fallait évidemment faire de nouveaux essais avant le départ. Je n'étais pas du tout d'humeur à aller me casser piteusement le nez là-bas!

Tout cela ne devait pas m'empêcher à toute éventualité de me mettre—tout de suite—à l'œuvre, comme il m'était mandé.

J'allai donc trouver Louis et Jules Godard, enchanté de leur procurer cette affaire, qui devait être d'autant meilleure pour eux que je leur en abandonnais toute espèce de profit, et je leur demandai de mettre tout de suite un ballon en état. On gonflerait aussitôt à l'usine à gaz des Batignolles, et peut-être, tout à fait désensorcelé, réussirais-je dans une tentative dernière que j'espérais définitive cette fois.

Ils m'apprirent que leur frère aîné Eugène venait d'arriver d'Amérique, et ils me demandèrent de l'accepter avec eux.

C'était un concours de plus: j'acceptai le troisième Godard qui me fut alors présenté, et sur la demande de ses frères je lui avançai mille (ou deux mille?) francs, pour qu'il mît à notre disposition son ballon d'Amérique,—qui se trouvait pour le quart d'heure agrafé en Douane.

Arrive sur ces entrefaites, comme il l'avait dit, le monsieur au télégramme.

Il paraît satisfait de l'activité de nos préparatifs et me fait part du firman des 50,000 fr.—C'était un billet autographe sur quart vélin, ainsi conçu:

(je vois encore l'N gaufré, en tête, sous la couronne)

Je prie M. Fould d'ouvrir immédiatement un crédit de cinquante mille francs à MM. Nadar et... pour un nouveau système de ballon utile à l'armée.

Napoléon.

—Voici, me dis-je assez surpris à part moi,—voilà bien de la confiance en ce monsieur qui n'a pu parler que d'après moi—et en moi qui ne suis rien moins que sûr de quoi que ce soit en cette affaire...

—Eh bien? dis-je au monsieur en lui rendant le précieux papier.

—Eh bien, me dit-il, pendant que les Godard préparent votre ascension d'aujourd'hui, nous allons courir au ministère toucher les fonds!

—Et si je ne réussis pas?

—Vous réussirez.—Mais dépêchons, nous n'avons pas de temps à perdre.

—Eh bien! allez au ministère, si c'est votre idée.

—Venez avec moi.

—Pourquoi? Je n'ai rien à faire là, ce me semble.

—Si fait.—D'ailleurs n'avons-nous pas à causer en route?...

—Mais...

—Ne vous faut-il pas de l'argent pour payer le matériel spécial que vous allez emporter, l'essai même que vous allez faire aujourd'hui, votre déplacement, celui de vos aides, le retour—auquel il faut toujours penser!—etc., etc. J'admets que vous ne prétendiez à aucune indemnité d'aucun genre, si c'est votre opinion, mais je pense au moins que vous n'avez pas la prétention, outre le temps que vous allez prendre à vos affaires, de faire des cadeaux d'argent à l'État?

—D'accord.

—Eh bien, si nous n'allons pas tout de suite au ministère, nous voici renvoyés (—c'était quelque chose comme un samedi, je crois),—nous voici renvoyés à après-demain. Après-demain il peut se présenter quelque incident—et vous voyez quelle est l'urgence...

—Soit! Allons...

—De quelle somme supposez-vous que vous aurez besoin pour votre personnel, vos instruments, etc.

—Je ne sais; dix, quinze mille francs au plus...

—Parfaitement!

Nous arrivons au ministère.

—De la part de l'Empereur, une lettre à remettre en mains propres à M. le ministre! dit majestueusement le monsieur.

Les portes s'ouvrent à deux battants... Je suivais, confus de tant d'honneurs.

M. le ministre Fould était dans un beau cabinet, debout près de la fenêtre. Un second monsieur était assis devant un bureau.—J'ai su depuis que ce monsieur, un homme de beaucoup d'esprit, se nomme M. Pelletier.

Le monsieur debout—le mien—remet la lettre au ministre, qui la tourne et retourne un peu.

Je crois remarquer un semblant de froideur de la part du ministre: je ne m'en formalise pas autrement d'ailleurs.—Il nous prie de revenir le lendemain.

Je me suis toujours un peu demandé si M. Fould n'avait réellement pas de monnaie sur lui ce matin-là,—ou plutôt s'il n'avait pas pris en sage économe la précaution d'utiliser ces quarante-huit heures de délai en se faisant confirmer par télégrammes cet ordre un peu bien extraordinaire.

La prudence est mère de tant de choses!

Le lendemain matin, le monsieur est exact à venir me prendre—et nous voilà de nouveau en présence des autorités.

Tout était prêt, les billets de banque sur le bureau du monsieur assis.—M. Fould me semble de nouveau un peu froid avec nous; mais notre liaison est encore bien récente, et puis, dans sa position, on peut être quelquefois préoccupé.

Le monsieur assis me tend une plume—pour signer le reçu, me dit-il.

—Ah! mais non! dis-je, je ne signe rien du tout.

—Y pensez-vous? me dit le monsieur debout, le mien.

—Je ne signe rien du tout!

—À votre gré, Monsieur! interrompt aussitôt M. Fould—qui me paraît à ce moment-là y mettre un peu plus d'onction.—La lettre de crédit est à vos deux noms: je ne fais pas payer sans les deux signatures.

—Mais, Monsieur, lui dis-je, je n'ai jamais su compter, même pour moi, sans me tromper. Je ne possède personnellement aucune fortune et j'ai cependant un caissier pour me la gérer.—Comment voulez-vous, étant à ce point frappé d'incapacité en ces choses, que je pose ma signature au bas du reçu d'une somme que Monsieur va devant vous mettre dans sa poche et dont je suis ravi qu'il veuille bien accepter toute la gestion. Mettez-vous à ma place, s'il vous plaît?

Je dois reconnaître que M. Fould, sans précisément me répondre, me semble pourtant de l'œil accepter au mieux mes excellentes raisons et qu'il n'insiste pas du tout pour modifier mes convictions.—Le monsieur assis n'a pas non plus l'air d'être disposé à se blesser trop vivement si je lui laisse les fonds.

Mais le monsieur debout, le mien, me soumet rapidement et énergiquement une série d'observations qui me paraissent d'autre part tenir aussi étroitement à d'autres principes non moins fermement arrêtés.—J'hésite, chancelle—et cède...

En descendant l'escalier:

—Il m'a semblé, dis-je à mon monsieur, retrouver encore un peu de froideur chez M. Fould quand nous sommes partis.—Et à vous?

Le monsieur me rassure—en m'affirmant que tous les hommes d'État sont—comme ça.

Il est convenu, en nous quittant, qu'il va à l'usine Charonne, demander, en cas, la cession de quelques voitures à gaz pour notre expédition—et que je cours à mon ascension aux Batignolles.

Nous nous quittons en prenant rendez-vous pour le soir, après mon expérience.

Ah! j'oubliais...—Reçu les quinze mille francs.

Hélas! cette fois comme les autres, je ne réussis même pas à obtenir le positif sur verre du Petit-Bicètre!

Je recommence, je m'obstine.

Rien!

Rien!!

Rien!!!...

Il faut décidément renoncer à ma campagne d'Italie.

C'est dommage! c'était bien beau et tentant.

Le soir, arrivée du Monsieur.

Je lui raconte ma misfortune.

—Qu'est-ce que cela fait? me dit-il. Cela ne nous empêche pas du tout de partir.

—Ah! pour cette fois, non, et très-certainement non! On ne me demande pas là-bas pour tenter des essais, mais pour donner des résultats. Je ne veux pas du tout manger l'argent de ces personnes-là sans rien rendre en échange. J'espère encore, j'espère toujours réussir; mais, honnêtement et vu l'impossibilité présente, je refuse de garantir, donc de partir.—Ç'a été un beau rêve, voilà tout pour le moment!...—Donc, si l'heure vous convient, nous irons ensemble demain matin à neuf heures reporter l'argent à M. Fould.

—Je ne rends pas ce que je tiens! me répond le monsieur, solennel comme s'il prononçait un verset du Coran.

—Ah bah!... Et qu'est-ce que vous en ferez?...

—Je retourne là-bas avec—et j'emmène les Godard! Un ballon doit toujours être utile, même sans photographe.—Mais vous avez tort de ne pas venir!...

—À votre aise. Veuillez seulement alors me donner décharge pour ma part des trente-cinq mille francs que vous gardez.

—C'est trop juste.—Mais venez donc!

J'ai sa signature et je souhaite bon voyage à mon monsieur, en lui gardant une toute petite rancune, peut-être, de l'insistance qu'il a mise à m'emmener là-bas peur me faire casser le nez.

Et en me couchant le soir, je dépose précieusement les quinze mille francs, après les avoir comptés une fois de plus, dans le tiroir de ma table de nuit.

Je les avais comptés toute la soirée, tant je tremblais de les perdre. Il me semblait que ce n'était pas de l'argent comme d'autre.

La nuit, je suis agité. Je rêve qu'en me réveillant au matin, je trouve dans mon tiroir de table de nuit, au lieu des billets de banque, un petit paquet de feuilles sèches, comme il arrive dans les contrats diaboliques...

À huit heures, je suis au ministère d'État, ma main dans ma poche, mes billets dans ma main.—Ils me brûlent à travers la lustrine, ces diables de billets!

Je demande M. Fould.—Personne.

Je vais faire un tour sous la rue de Rivoli,—ma main sur l'oiseau, toujours.

Retour à huit heures et demie.—Personne encore.

Autre promenade. Il est neuf heures.

—C'est encore moi!

Le garçon de bureau me dit:

—Veuillez prendre la peine d'entrer!

Ce garçon est bien plus aimable qu'hier. On dirait qu'il sent les quinze mille francs que je rapporte dans sa maison...

J'entre et je vois mon monsieur assis, toujours assis:

—Monsieur, lui dis-je, je ne vais pas là-bas. J'ai manqué mon dernier essai hier: ce sera, j'espère, pour la prochaine fois où nous irons rendre à quelque autre peuple sa nationalité.—En attendant, voici quinze mille francs qui m'avaient été remis sur les cinquante: veuillez les prendre bien vite et m'en donner quittance, s'il vous plaît.—Quant aux trente-cinq mille autres, comme vous avez eu la bonté de faire assez d'honneur à ma signature pour y tenir, je sais que s'il arrivait un accident à mon monsieur,—brûlé,—volé,—tombé dans une fosse,—je serais matériellement responsable de la somme; mais il y a au moins la responsabilité morale que je puis dégager dès à présent. Voici donc la déclaration par laquelle ce Monsieur certifie que, sous sa responsabilité personnelle, il garde les trente-cinq mille francs qu'il veut absolument faire gagner aux frères Godard, ce qui est une idée pleine de grandeur. Il emporte la dynastie Godard, le ballon et l'argent.

Le digne monsieur assis semble m'examiner avec curiosité,—mais sans la moindre malveillance.

Il me donne mon reçu,—et je m'envole plus délesté et alerte que si je sortais de mon premier bain russe.

Le résultat de tout ceci fut:

—que les Godard ensemble brûlèrent leur ballon, devant Magenta, je crois, la veille ou l'avant-veille de la bataille;

—que le cadet Godard fut dépêché bien vite sur Paris pour fabriquer un autre ballon;

—que l'aîné Godard pendant ce temps perfectionna ses études aéro-militaires et réunit les matériaux d'un livre que j'appellerais à sa place: Les Commentaires de Godard;

—que la note de fabrication du nouveau ballon présentée par Godard cadet et Godard jeune fut trouvée un peu vive par le monsieur et Godard aîné;

—qu'il y eut schisme,—et que Godard aîné, Godard cadet, Godard jeune et le monsieur plaidèrent tous ensemble,—ce qui me chagrina très-fort.

Voilà les faits.—Voici la morale:

La paix fut signée avant même que fût fini le ballon commandé pour la guerre—(M. Fould avait joliment raison de ne pas se presser!)—et ce beau ballon neuf qui avait coûté dix-huit mille francs et qui m'aurait été si utile si on me l'eût prêté pour la poursuite de mes essais de photographie aérostatique, fut précieusement enfoui dans les arcanes du Garde-Meuble,—où il a eu, depuis, le temps de pourrir inutilement dix fois;

—Godard aîné eut l'avantage de se faire nommer aéronaute de l'Empereur, ce qui lui permit plus tard de se livrer à sa passion pour ces ballons platoniques qui s'appellent Montgolfières;

—le monsieur, toujours plein d'une sagacité qui ne saurait se laisser entamer par les événements, trouva le moyen de se faire redonner les quinze mille francs qui m'avaient procuré tant d'inquiétudes pendant vingt-quatre heures;

—et il me fut enfin confidentiellement redit, à ma grande surprise, que, dans une maison où je ne connaissais personne, j'étais pourtant connu de tout le monde sous le pseudonyme, purement honorifique, du—«Jeune homme qui a rendu les quinze mille francs

À terre & en l'air

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