Читать книгу Urbain Grandier et les possédées de Loudun - Gabriel Legué - Страница 14

CHAPITRE V

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Table des matières

L’affaire Thibault. — Coalition des ennemis de Grandier. — Il est dénoncé à l’évêque de Poitiers pendant son absence de Loudun. — Voyage du curé de Saint-Pierre à Paris. — Il va faire plaider sa cause contre Thibault. — Attitude de ce dernier à l’audience. — Il fait voir le décret de prise de corps décerné contre Grandier. — Pendant ce temps les ennemis du curé commencent l’enquête. — Leur manière de procéder. — Déposition de Martin Boulliau.

AU nombre des amis du procureur du roi se trouvait un riche seigneur des environs de Loudun, le marquis du Bellay, que Grandier, malgré sa brouille avec Trincant, continuait à voir fréquemment chez d’Armagnac, gouverneur de la ville. Les ennemis du curé, toujours à la piste pour lui susciter des embarras, résolurent de circonvenir ce gentilhomme et de l’attirer dans leur parti. La chose semblait d’autant plus facile que le marquis avait contracté envers le procureur du roi une véritable dette de reconnaissance: Trincant qui était un savant et un lettré avait, à force de patientes recherches, reconstitué toute la généalogie des du Bellay, et lui en avait fait hommage. Dès lors, une sorte d’intimité s’établit entre le marquis et le procureur du roi. M. du Bellay, tout le premier, avait déploré l’aventure arrivée à Mlle Trincant, mais n’avait pas cru devoir pour cela rompre ouvertement avec le curé. Cette attitude irritait le procureur du roi qui voyait, avec peine, un des plus grands seigneurs du Loudunais conserver encore une certaine estime pour son plus mortel ennemi. Il mit tout en œuvre pour l’amener à une rupture, excitant même les amis qu’il recevait chez lui à parler de Grandier dans les termes les plus malveillants. Il trouva alors dans Jacques de Thibault un auxiliaire tout prêt à entrer dans ses vues, car ce hobereau n’avait pu pardonner au curé de Saint-Pierre la suprématie qu’il exerçait dans la ville, tandis que lui-même se voyait relégué au second plan. Depuis longtemps déjà il le poursuivait de ses calomnies, et maintes fois le gouverneur de la ville dut s’interposer pour rappeler Thibault à une plus grande réserve. Grandier avait eu souvent l’occasion de démasquer cet homme qui passait à Loudun pour un agent actif du cardinal. Nous nous proposons de révéler dans une autre partie de ce livre toutes les intrigues auxquelles il fut mêlé au sujet de la démolition du château. La perspicacité de Grandier lui avait fait dans cette circonstance un dangereux ennemi de ce personnage.

Donc pour plaire au procureur du roi, Thibault alla trouver le marquis du Bellay, lui débita les plus grossiers mensonges sur le compte du curé et l’accusa de choses infâmes. Les suites de cette conversation, ne tardèrent pas à produire leur effet; le marquis se montra plus froid et plus réservé envers Grandier, qui s’en aperçut. Un ami se chargea de lui apprendre les motifs de cette froideur inaccoutumée en racontant tout ce qui s’était passé. Le curé qui tenait à l’estime de M. du Bellay fut profondément affligé de cette attitude et ne put dissimuler la douleur que lui causait cet incroyable acharnement.

A quelque temps de là, le hasard fit rencontrer sur la place Sainte-Croix, les deux adversaires. Grandier était revêtu de son costume de chanoine et se disposait à entrer dans l’église pour y chanter matines. La présence de Thibault réveilla dans son esprit les plus cruels souvenirs. En proie à une émotion violente, il s’avança vers son ennemi, lui demanda raison de ses calomnies et le fit en termes si peu mesurés et si caustiques, que celui-ci ne trouva rien de mieux à répondre que de lever sa canne et d’en frapper son interlocuteur. L’orgueilleux Grandier bondit sous l’affront; il eut cependant le courage de se contenir et de rentrer dans l’église sans ajouter une parole pour ne pas aggraver une situation aussi déplorable. L’acte de Thibault était d’autant plus inqualifiable qu’il s’adressait à un prêtre. Aussi fut-il blâmé presqu’unanimement. Le procureur du roi et ses amis furent les seuls à applaudir à cette odieuse agression.

Grandier n’était pas homme à laisser impunie une injure aussi sanglante. Dès le lendemain de cet événement, il partait pour Paris se plaindre au roi de l’attentat de Thibault et réclamer la justice qui lui était due. Ce départ précipité fut mis à profit par ses ennemis. Le jour même, ils se réunirent chez Trincant et prirent toutes leurs mesures pour empêcher le retour du curé à Loudun. Une dénonciation en règle fut rédigée par le procureur du roi et adressée à l’évêque de Poitiers: on y accusait Grandier

«d’avoir débauché des femmes et des filles, d’être impie et pro-

«fane, de ne jamais dire son bréviaire et même d’avoir abusé

«d’une femme dans son église.» Aucun des conjurés ne pouvait signer une aussi monstrueuse accusation. A prix d’argent, on obtint la signature de deux misérables, nommés Cherbonneau et Bougreau, au nom de qui la plainte fut portée. On convint, en outre, que Trincant et Hervé partiraient immédiatement pour Poitiers afin d’entretenir de cette affaire le promoteur de l’officialité. Depuis longtemps, l’évêque était prévenu contre Grandier qui n’avait pas craint d’empiéter sur les droits épiscopaux, en donnant une dispense de proclamation de bans dans le mariage d’un nommé Delagarde du bourg de Monts, près Loudun. La visite des deux magistrats ne pouvait donc être que favorablement accueillie. En effet, le promoteur les assura de son concours et leur donna une lettre de recommandation pour M. de la Rochepozay qui se trouvait actuellement à son château de Dissay, situé à quatre lieues de Poitiers. A leur retour, Hervé et Trincant informèrent leurs amis de l’accueil qu’ils avaient reçu, et il fut décidé, que sans perdre de temps, on irait trouver le prélat et qu’on lui demanderait d’en finir une bonne fois avec le curé de Saint-Pierre.

Le marquis de la Mothe-Chandenier avait pris les devants en donnant à l’évêque les renseignements les plus défavorables sur Grandier avec qui il avait eu de nombreuses contestations au sujet de l’apothicaire Adam. Aussi quel ne fut pas l’étonnement de Trincant et de son compagnon, quand ils virent M. de la Rochepozay accéder à tout ce qu’ils demandaient et leur donner un décret de prise de corps, conçu en ces termes:

«Henry-Loys Chastaigner de la Rochepozay, par misération divine Evesque

«de Poictiers, Veu les charges et informations à nous rendues par l’archiprêtre

«de Lodun à l’encontre d’Urbain Grandier, prêtre, curé de Saint-Pierre-du-

«Marché-de-Lodun, en vertu de commission émanée de nous audict archi-

«prêtre et en son absence au Prieur de Chasseignes; Veu aussy les conclusions

«de notre promoteur sur icelles avons ordonné et ordonnons que le dict

«Grandier, accusé soit amené sans scandale es-prisons de notre hostel épis-

«copal de Poictiers, si pris et apréhendé peut estre, si non sera adiourné à

«son domicilie à troys briefs jours par le premier apariteur prêtre, ou clerc

«tonsuré ; et d’abondant parle premier sergent royal sur ce requis, avec implo-

«ration du bras séculier; et ausquels et à un d’iceux de ce faire, donnons

«pouvoir et mandement, nonobstant opposition ou appellation quelconque et

«sans préjudice d’icelle, pour ce faict et le dict Grandier oüy, prendre par

«notre dict promoteur telles conclusions à l’encontre de luy qu’il verra estre

«à faire. — Donné à Dissay, le vint et deuxiesme jour d’octobre mil six cens

a vint et neuf.

«HENRY LOYS, ÉVESQUE DE POICTIERS.

«Par mon dict seigneur: DUPUY.»

Cette pièce mettait Grandier à la merci de ses ennemis; ils eurent l’habileté de la tenir secrète, afin que le curé ne pût être informé à temps de ce qui se passait. Personne à Loudun ne se doutait de ces machinations. Il fut donc facile de tirer parti de cette pièce importante. Dans une troisième réunion, qui eut lieu chez Trincant, Thibault fit voir un acte d’assignation qu’il venait de recevoir; cet acte lui enjoignait de comparaître devant le Parlement à Paris, car Grandier, lui aussi, avait fait diligence. Ce fut un trait de lumière pour cette assemblée de conspirateurs; ils résolurent d’utiliser le décret de prise de corps et de jouer à leur ennemi un tour de leur façon: à cet effet, on donna à Thibault le mandat d’arrestation et il fut convenu qu’il partirait le soir même pour Paris et se présenterait devant les juges; on laissait à son intelligence le soin de conduire à bien cette affaire.

De son côté, le curé de Saint-Pierre, grâce à la protection de son ami Jean d’Armagnac, avait obtenu audience du roi, s’était jeté à ses pieds et avec une grande éloquence lui avait fait le tableau du scandale causé à Loudun par l’agression de Thibault. Le pieux Louis XIII, justement ému d’un pareil manque de respect envers un prêtre, promit que justice serait rendue .

En effet, quelques jours après, l’affaire était renvoyée devant le Parlement et Thibault recevait à Loudun l’assignation dont nous venons de parler.

A l’heure fixée, les deux adversaires se présentèrent devant les juges. L’avocat de Grandier plaida éloquemment la cause de son client et le jugement ne faisait aucun doute pour personne, quand Thibault se leva à son tour et demanda la parole. Il expliqua en termes violents la conduite de son adversaire à Loudun; il le qualifia de prêtre débauché, de méchant homme, affirmant que son immoralité scandalisait la ville entière et que les meilleures familles du pays étaient au désespoir d’avoir un tel pasteur. Un pareil langage ne pouvait que donner raison au curé ; mais Thibault, en homme habile, avait réservé pour la fin un coup contre lequel l’éloquence de Grandier et de son avocat devait venir se briser. Afin de prouver qu’il n’était pas un calomniateur il tira de sa poche le décret de prise de corps décerné par M. de Poitiers et le fit lire aux juges. Grandier fut atterré et comprit qu’il avait eu affaire à plus fort que lui. En présence de semblables preuves, la cour ne pouvait prendre aucune décision et renvoya le curé par-devant son évêque pour se justifier des crimes qu’on lui imputait.

Pendant que ces événements se passaient à Paris, l’enquête ordonnée par M. de Poitiers était commencée. Tout d’abord on avait chargé de cette information, Louis Chauvet, lieutenant civil au bailliage et Gilles Robert, archiprêtre de Sammarcole et du Loudunais. Le choix de Chauvet, homme d’une grande probité et très estimé à Loudun, déplut au parti Trincant. Le lieutenant, du reste, se souciait fort peu d’être mêlé à toutes ces coteries passionnées; malgré ses répugnances, il reçut cependant quelques dépositions qui n’avaient aucune valeur, mais il comprit bientôt quel triste rôle on voulait lui faire jouer et crut devoir envoyer sa démission. Le bailli de Loudun, brouillé depuis quelque temps avec le procureur du roi au sujet de certaines élections municipales qu’il patronnait et que Trincant avait eu le pouvoir de faire casser par arrêt royal, avait pour sa part largement contribué à cette détermination. D’un autre côté, Chauvet son parent et son ami, jugea convenable de cesser toutes relations avec un parti qui ne reculait devant aucune calomnie et qui allait jusqu’à couvrir d’infamie le nom jusqu’alors respecté de Madeleine de Dreux, belle-mère de Cerisay.

La démission du lieutenant civil fut accueillie avec une vive satisfaction par les ennemis de Grandier. Trincant, qui depuis longtemps guettait l’occasion de le remplacer, obtint sans peine le poste délaissé par Chauvet; avec le nouveau commissaire, les choses allaient prendre une autre tournure, car il était résolu à ne rien épargner pour parvenir à ses fins. Les honnêtes gens de Loudun, tout en comprenant la haine de Trincant pour le curé, furent indignés de le voir ainsi fouler aux pieds ses devoirs de magistrat. Il trouva, d’ailleurs, pour faire cette triste besogne un digne acolyte dans la personne de Gilles Robert, que l’envie avait depuis longtemps jeté dans le parti hostile à Grandier. Chose triste à dire, ce furent les confrères du curé de Saint-Pierre qui mirent le plus d’acharnement à l’accuser. Nous devons cependant ajouter que les chanoines de Sainte-Croix, à l’exception de Mignon, mirent un louable empressement à le défendre; quelques-uns mêmes protestèrent hautement contre les calomnies atroces dont on l’accablait.

Le curé des Trois-Moutiers et son oncle Le Mousnier furent les premiers à accourir à l’appel de Trincant et n’hésitèrent pas à charger Grandier des crimes les plus honteux sans apporter aucune preuve à l’appui de leurs dires. Toutes les dépositions semblaient bonnes au procureur du roi pourvu qu’elles fussent défavorables à son adversaire; il s’inquiétait peu de la moralité des gens dont la plupart appartenaient à la lie de la population et étaient payés pour faire ce triste métier.

Ce qui surprit et mit le comble à l’indignation, ce fut la déposition d’un vicaire de Saint-Pierre, Gervais Meschin, que Grandier avait comblé de bienfaits et qui l’en récompensait par la plus noire des ingratitudes. On n’a pu expliquer l’attitude de cet homme envers son curé que par les sentiments bas et jaloux qui faisaient le fonds de son caractère. Trincant le fit venir chez lui, et là en présence de Mignon et d’Hervé qui, contrairement à toutes les règles, recevaient les témoignages, le vicaire de Saint-Pierre eut l’impudence d’affirmer «qu’il avoit trouvé Grandier couché avec

«des femmes et filles tout de leur long dans l’église Saint-Pierre,

«les portes étant fermées; qu’à des heures indues de jour et de

«nuict, il avoit veü des filles et des femmes venir trouver le dict

«Grandier en sa chambre et quelques-unes des dittes femmes y

«demeuroient depuis une heure après midy jusqu’à deux ou trois

«heures après minuit et y faisoient apporter leur souper par

«leurs servantes qui se retiroient incontinent; qu’il avoit veû

«le dict Grandier dans l’église les portes ouvertes et quelques

«femmes y estant entrées il les fermoit». Meschin n’avait pas craint d’ajouter que Grandier était un impie et qu’il ne disait jamais son bréviaire. Cette déposition, mensongère d’un bout à l’autre, reçut néanmoins de Trincant et de son neveu Mignon le plus favorable accueil.

Un autre témoin tout aussi intéressant et aussi peu scrupuleux que le vicaire de Saint-Pierre fut le curé du Bas-Nueil-sur-Dive, Martin Boulliau. Sa déposition présentait une gravité exceptionnelle, en ce sens qu’elle s’attaquait à l’honneur d’une des familles les plus considérables du Loudunais. Il s’agissait de Madeleine de Dreux, belle-mère de Cerisay, bailli de Loudun. Si les adversaires de Grandier s’étaient montrés pusillanimes au point de reculer devant une enquête faite en sa présence, le curé du Bas-Nueil avait accusé encore plus de lâcheté ; car il déshonorait une morte et il savait bien que celle-là ne viendrait jamais protester. Voici, en effet, l’aventure qui lui était arrivée avec la belle-mère du bailli et qu’il s’était empressé de colporter par la ville en y ajoutant les insinuations les plus malveillantes.

Un jour «à l’heure du soleil couchant,» le curé de Nueil étant entré à Saint-Pierre-du-Marché pour y faire ses dévotions, aperçut Urbain Grandier qui se promenait seul dans son église et qui, préoccupé sans doute d’autre chose, ne le vit point. Boulliau, soupçonnant quelque intrigue, se dissimula tant qu’il put et finit par trouver dans la sacristie un poste d’observation convenable pour épier les moindres gestes de son confrère. «Il vit que le dict

«Grandier ferma la grand’porte de l’église et regardoit au travers

«d’icelle, et peu de temps après, le dict Grandier ouvrit la dicte

«porte de l’église, dans laquelle peu de temps après la dicte

«deffuncte damoiselle Magdallaine Dreulx entra et qu’elle alla

«dans le banc des Dreulx où elle s’agenouilla, comme il croit,

«et qu’il vit que le dict Grandier entra dans le dict banc des

«Dreulx traversant l’église; qu’il les avoit veüs tous les deux

«debout et que le dict Grandier avoit ses deux bras sur ceux de

«la dicte damoiselle et estoit en une action impudique et indigne

«du dict Grandier et du lieu.»

Trincant, toujours en quête de calomnies débitées sur son adversaire, n’eut garde d’oublier l’histoire que racontait, à qui voulait l’entendre, le digne curé de Nueil. Il lui écrivit pour l’inviter à venir chez lui faire sa déposition, l’assurant d’avance «qu’il

«n’avoit subject de crainte que ce qu’il diroit contre Grandier

«feust divulgué, parce qu’il étoit deffendu, sous peyne d’excom-

«munication, à ceux qui avoient la commission d’informer, de

«divulguer ou révéler le secret des dittes dépositions et que

«c’estoit pour chose d’importance qui regarde l’Église.»

En s’adressant à Martin Boulliau, le procureur du roi pensait qu’il lui serait facile d’obtenir des renseignements, car le curé de Nueil avait habité longtemps, à la cure de Saint-Pierre-du-Marché, une chambre contiguë à celle de Grandier. D’un autre côté, il se trouvait entièrement sous la dépendance de Trincant, le fils du procureur du roi ayant loué à Boulliau, au prix de 70 livres par an, la cure de Notre-Dame-du-Bas-Nueil dont il était titulaire, et cette location pouvant lui être enlevée s’il ne déposait pas dans le sens de son patron. Cette dernière considération leva les scrupules de Boulliau qui s’empressa d’accourir à l’appel du procureur du roi. Sa déposition, entièrement défavorable à Grandier, eut lieu en présence du chanoine Mignon. Boulliau prétendit avoir trouvé le curé dans une posture impudique, et par ce mot il entendait dire «qu’il avoit seullement veü le dict Grandier de loing parlant

«à la ditte damoiselle et ayant sa main appuyée sur ses bras». Messire Boulliau, comme on peut en juger, prêtait aux autres de singulières pensées et surtout ne se gênait pas pour les interpréter d’une façon odieuse.

Naturellement Trincant et son neveu se gardèrent bien de mentionner sur le procès-verbal l’explication du curé ; ils en exagérèrent même la portée, et voici le moyen qu’ils jugèrent à propos d’employer. Quand Boulliau eut terminé sa déposition, on lui en donna lecture et on la lui fit signer. Il ne lui vint pas à la pensée de la relire lui-même, car il aurait pu s’apercevoir qu’aux expressions dont il s’était servi, on avait substitué ces mots: «Qu’il avait veü la dicte damoiselle en acte vénérique avec

«le dict curé».

Nous n’avons pas besoin d’insister plus longtemps pour faire ressortir toute l’infamie d’une pareille procédure; un magistrat et un prêtre poussant la haine jusqu’à falsifier un procès-verbal, cela était bien fait pour soulever la conscience indignée des honnêtes gens. Il n’y eut, en effet, qu’une voix, à Loudun, pour repousser une aussi lâche calomnie; mais le procureur du roi était trop irrité pour l’entendre.

Malgré les précautions prises, la déposition de Boulliau fut bientôt connue. Le bailli inquiet avec juste raison des perfidies qu’elle contenait sur sa belle-mère, Madeleine de Dreux, dont le nom jusque-là avait été synonyme de vertu et de probité, se trouva tellement atteint par cette enquête, qu’il n’hésita pas à faire assigner devant Philippe Martin, juge au bailliage de Loudun, le curé du Bas-Nueil.

En présence de ce magistrat, Boulliau eut une attitude des plus humbles et avoua ce qui s’était passé.

Son interrogatoire est si curieux que ce serait en atténuer l’effet que de le raconter. Nous copions donc textuellement les termes de sa déposition:

«Interrogé par Philippe Martin, s’il a veü Magdallaine Dreulx

«en acte vénérique avec le dict curé ?

«A dict que non et qu’il n’a jamais entendu parler en ce

«terme et que si on le lui a faict escripre ça esté fautivement et

«contre son intention.

«Si avant le recollement et lors d’iceluy il n’a pas recogneu

«devant quelques personnes qu’il n’avoit jamais parlé en sa

«depposition des ditz mots d’acte vénérique, ny veü faire mal

«par la dicte deffuncte damoiselle et que, si dans sa depposition

«on avoit escript les ditz mots, que cela étoit faulx et supposé ?

«A dict qu’il peut l’avoir dict à quelques personnes et

«particullièrement à Me Gilles Robert, curé de Saint-Marçolle et

«archiprebstre de ce pays qui luy parloit de la dicte affaire du

«dict Grandier.

«S’il n’a pas été menacé et intimidé par quelques ungs,

«pour ce que au dict récollement et ailleurs il n’avoit pas per-

«sisté en sa ditte depposition et particullièrement ès motz d’action

«impudicque et acte vénérien, par quy il a esté menacé ?

«A dict qu’il n’a pas été menacé ne intimidé par personne,

«fors qu’un certain jour estant cheux le dict Robert archiprebstre,

«le dict Robert et luy depposant parlant ensemble, luy dist que

«le bruict couroit qu’il n’avoit persisté en sa depposition et que

«si cela estoit, il y avoit assez de quoy le mettre à la question et

«torture; auquel il feit réponce qu’il avoit entièrement persisté

«en sa depposition et que seullement il avoit expliqué les motz

«IMPUDIQUE POSTURE, selon son intention qui estoit qu’il avoit

«seullement veü le dict curé de loing parlant à la dicte damoi-

«selle et ayant ses mains appuyées sur ses bras sans la baiser ny

«faire aulcune action indécente.

«Qui est tout ce qu’il nous a dict sçavoir de ces faictz. Et

«lecture à luy faicte de sa depposition cy dessus, a dict contenir

«vérité, et y a persisté et persiste, et a signé.

«Avons ordonné que lesdicts faicts demeureront attachez à

«nostre présent procès-verbal, pour y avoir recours quand

«besoing sera. Ainsi signé en la minutte: P. Martin et M. Bouil-

«liau, collation faicte.»

Les indiscrètes révélations du curé de Nueil jetèrent l’alarme dans le parti du procureur du roi. Le nom des Dreux sortait, du moins, sain et sauf de cette épreuve et n’avait plus à redouter les ignobles injures de quelques misérables. Quant à Grandier, il fut moins heureux. Toujours à Paris, pendant que ses ennemis procédaient à l’enquête, il n’avait pu les démasquer ni faire éclater au grand jour l’infamie de leurs accusations.


Urbain Grandier et les possédées de Loudun

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